Monsieur l'académicien, vous nous avez fait replonger dans les temps enfouis de la nostalgie, l'époque des années 60 durant lesquelles j'étais un jeune professeur certifié, puis agrégé, dans des lycées pas toujours très faciles. Mais il y avait une différence : l'école est victime de cette mission incontestable qu'elle s'est donnée et qui est la démocratisation. À cette époque, tout le monde n'allait pas au lycée et j'ai encore connu l'examen d'entrée en sixième. Les enfants issus de famille modestes étaient conscients de la chance qu'ils avaient d'étudier dans les établissements où leurs parents n'avaient pas pu être scolarisés et ceux-ci le leur rappelaient en insistant sur la discipline. Désormais, dans la mesure où tout le monde, lorsqu'il entre à l'école, a vocation à aller jusqu'au baccalauréat et au-delà, les exigences ont évolué. À cet égard, le redoublement est souvent considéré par les parents comme de la faute de l'enseignant, et non de leur enfant. Cette évolution reflète le changement de mission de l'école qui est d'aider l'ensemble d'une classe d'âge à aller le plus loin possible.
En outre, être professeur certifié ou agrégé assurait d'obtenir une place dans la société parce que le diplôme était rare. Maintenant, ces postes sont moins rares, les traitements n'ont pas suivi, le statut social de professeur de lycée dans une ville moyenne s'est banalisé en l'espace de trente ou quarante ans, du fait de l'augmentation du niveau des études des parents. La société, de ce point de vue, s'est ainsi homogénéisée. Je ne suis pas persuadé que nous pourrons modifier ce genre de choses.
Un point que je souhaiterais nuancer : vous avez évoqué les enfants issus de l'immigration qui peuvent se sentir hétérogènes dans les classes et poser les problèmes. Mais on trouve des situations difficiles également dans des lycées situés dans des villes moyennes qui ne connaissent pas une forte présence d'élèves issus de l'immigration. Peut-être faut-il élargir la problématique et ne pas la limiter à l'immigration.
La société a toujours évolué en même temps que l'école et a eu tendance à établir des systèmes dérivés, y compris dans le service public, pour que les enfants des familles les plus favorisées puissent échapper à l'évolution. La presse publie ainsi, ce qui m'a toujours choqué du reste, un classement des établissements scolaires, parfaitement contraire à l'éthique selon laquelle il faut favoriser le plus grand nombre. Un point demeure, à mon sens, symptomatique et j'y ai consacré plusieurs rapports : il s'agit des classes préparatoires aux grandes écoles dont le recrutement demeure extrêmement sélectif et mal réparti sur l'ensemble du territoire. La cartographie des classes préparatoires reflète une certaine sociologie dont on parle peu. Lorsqu'on souhaite faire avancer les choses dans ce domaine, on se heurte à un silence assourdissant et ce, quel que soit le gouvernement !