Intervention de Jérôme Léonnet

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 19 février 2015 à 9h00
Audition de M. Jérôme Léonnet directeur central adjoint de la sécurité publique chef du service central du renseignement territorial à la direction centrale de la sécurité publique du ministère de l'intérieur

Jérôme Léonnet :

Chacun pourra comprendre qu'il y a des sujets sur lesquels il est préférable de ne pas trop communiquer, même si le rattachement du service central du renseignement territorial (SRT) depuis 2008 à la direction centrale de la sécurité publique du ministère de l'intérieur marque nécessairement une ouverture, par rapport au caractère secret des services de renseignement que j'ai bien connus dans d'autres périodes de ma carrière.

Vous avez mentionné la question de la « minute de silence ». La lutte contre la radicalisation ne faisait pas initialement partie du domaine de compétence du Service central du renseignement territorial, nouveau nom donné en 2013 au Service chargé des informations générales créé en 2008. La question de l'islam radical était - et est toujours - du ressort de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), notamment lorsque ce phénomène est précurseur de terrorisme ou de djihadisme. Cependant, depuis la fin de l'année 2013 et surtout en 2014, le SRT a observé une forte recrudescence des signalements de radicalisation, à travers notamment de la « Plateforme d'assistance aux familles et de prévention de la radicalisation », mise en place par l'UCLAT (unité de coordination de la lutte antiterroriste) du ministère de l'Intérieur. De même, sa présence au sein des commissariats et gendarmeries lui permet d'avoir une connaissance directe des témoignages relatifs aux comportements d'individus en voie de radicalisation.

En outre, le renseignement territorial travaille depuis déjà longtemps sur deux thématiques :

- les dérives urbaines et la lutte contre l'économie souterraine qui, depuis des années, occupent nos services que ce soit en matière de renseignement ou de sécurité publique, et nous ont permis, avant 2008, d'identifier des profils radicaux dans les quartiers. Mohammed Merah était ainsi une « petite frappe de banlieue » avant de devenir un terroriste ;

- l'islam de France et les tentatives de déstabilisation notamment des lieux de culte. Les médias ont fait état d'une note du renseignement territorial dans laquelle était évoqué le nombre de 90 mosquées déstabilisées au point d'être radicalisées.

À partir de 2014, le phénomène prend une autre ampleur, notamment en ce qui concerne le signalement. Les chiffres, à vérifier ou réels, donnent tout de même le sentiment que, depuis la fin de 2010, les phénomènes de radicalisation sont en nette augmentation, sans doute en lien avec la guerre en Syrie et les printemps arabes.

Le SRT bénéficie traditionnellement de remontées d'informations sur ce qui se passe dans les collègues et les lycées, qui constituent, comme d'autres administrations, un vivier d'observation. Le milieu de la sécurité publique nous a aidés à obtenir les témoignages des proviseurs, professeurs et parents d'élève. Notre métier du renseignement territorial est de recueillir toutes les informations et de les synthétiser. Depuis plusieurs années, avant même qu'apparaisse le phénomène de radicalisation, les services en charge du renseignement territorial n'avaient pas manqué d'observer les difficultés vécues au quotidien, dans les classes, par des enseignants confrontés aux incivilités liées aux dérives urbaines, aux « fortes têtes », à des attitudes récurrentes de contradiction apportée aux messages de l'Éducation nationale. Un film récent « Les héritiers » décrit très bien la difficulté des professeurs à canaliser ces comportements.

Concernant les chiffres de l'année 2014, je m'empresse de dire que, heureusement ou malheureusement, le renseignement territorial n'a pas vocation à quantifier ce que vous pouvez considérer comme des incidents, mais que nous essayons d'analyser et de synthétiser des remontées au fil de l'eau. Nous avons ainsi remarqué que les enseignants étaient confrontés, dans le cadre des contradictions dont ils sont l'objet régulièrement de la part de certains de leurs élèves, à un aspect nouveau, religieux, notamment en lien avec les questions du port du voile ou de la laïcité.

La séquence dramatique du 7 janvier, et les cérémonies de recueillement consécutives, n'ont donc pas donné lieu à quantification. Cependant, les éléments d'observation remontés par nos services - le renseignement territorial étant représenté dans tous les départements, même si les effectifs se limitent parfois à 5 ou 6 personnes - et nos camarades de la sécurité publique et de la gendarmerie ont permis de confirmer les difficultés évoquées.

Le chiffre de 200 incidents avancé par l'Éducation nationale ne me surprend pas. J'ai le sentiment que, dans une grande majorité des cas, la situation a été très difficile à gérer pour les enseignants, qui se sont trouvés confrontés à des contradictions construites, signe que les élèves avaient probablement, dans leur milieu familial ou entre eux, élaboré de véritables argumentaires. Ceci n'est pas étonnant vu l'ampleur du message médiatique. Dans des cas minoritaires, mais qu'il faut souligner, d'autres professeurs ont su parfaitement répondre à ces contestations. Il est donc aujourd'hui plus que jamais indispensable de donner aux proviseurs, et surtout aux enseignants, des éléments de langage. Si ce n'est pas de la compétence du renseignement territorial, je tiens à souligner la qualité du travail effectué en ce sens par le comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) pour contrer le message radical. Nous souhaitons, en lien avec nos camarades de la sécurité publique qui luttent déjà contre les stupéfiants et les dérives sectaires, contribuer à l'élaboration de discours de prévention dans le domaine de la radicalisation.

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