S'agissant de la formation des enseignants, nous en sommes au début de la reconstruction. Dans les cahiers des charges d'accréditation des ÉSPÉ, il est fait mention, dans la partie « tronc commun », de tout ce qui n'est pas de l'ordre du disciplinaire. Ce travail doit associer le premier et le second degrés et porter sur les valeurs républicaines, l'égalité filles-garçons, la question de la laïcité, du positionnement du fonctionnaire de l'État et de son rôle dans la formation du citoyen. C'est la partie la plus complexe pour ces nouvelles entités, car la plus éloignée de l'univers standard des universités. Elle nécessite de réaliser l'osmose entre des cultures professionnelles différentes. Il convient donc de maintenir la pression sur ces écoles, par la mise en oeuvre d'évaluations et de remontées du travail des ÉSPÉ, mais il faut aussi développer leur accompagnement et l'implication des professionnels de l'éducation afin d'aider les jeunes professeurs.
Sur la question de la formation des formateurs, nous souhaitons développer une « force de frappe » d'accompagnement dans des situations de crise, mais aussi au long cours. Nous nous sommes appuyés sur les dispositifs qui existent déjà dans les académies. Je prends l'exemple de l'académie de Créteil, où, lorsque j'étais rectrice, j'avais installé une mission laïcité afin de former, avec l'aide d'universitaires, des personnels et de les armer pour qu'ils animent un réseau de professionnels capables de soutenir des équipes, des chefs d'établissements, des directeurs d'école en apportant des solutions concrètes. Des formations devront être menées sur site. Notre ambition est que l'ensemble des personnels d'enseignement et d'éducation soient accompagnés par ces équipes, ces « armées » de formateurs.
S'agissant de la question des incidents, je pense que la perception de ce qu'est un incident est complexe et variable. Elle dépend du seuil de sensibilité des établissements, de sa situation en temps normal. Un incident à Dijon n'est, par exemple, pas la même chose qu'un incident aux Mureaux ou à Vénissieux. Les incidents graves tels que des refus exprimés, des paroles répréhensibles et qui tombent sous le coup de la loi ou du règlement intérieur, ont fait l'objet de conseils de discipline. Ce sont ces incidents, qui n'ont pas pu être réglés en interne, qui sont remontés au ministère. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu d'autres discussions. Pour autant, il me semble parfois plus inquiétant que, dans certains endroits, aucune parole n'ait été prononcée. Je ne cherche pas à minimiser le nombre de vraies interrogations exprimées dans beaucoup d'établissements sur les valeurs de la République, ainsi que sur la liberté d'expression et ses limites.
Vous parlez d'une dégradation du climat scolaire. Je n'ai pas le sentiment que le climat scolaire soit plus difficile qu'avant, mais certains événements sont plus remontés. Ce qui m'a, en revanche, véritablement frappée, c'est l'augmentation importante et récente des incidents dans le premier degré, qui concerne principalement les relations entre parents et membres des équipes pédagogiques. Cela révèle un besoin de travailler avec les familles. Cette situation nous a « explosé à la figure », excusez-moi pour cette expression triviale, au moment de l'ABCD de l'égalité et des Journées de Retrait de l'Ecole (JRE). Nous avons alors pris conscience d'un certain nombre de fractures désormais visibles entre les familles et l'école. Sur ce terrain, il y a beaucoup à gagner et il nous faut y travailler.
En ce qui concerne les manifestations des appartenances religieuses, nous constatons plutôt, depuis la loi sur les signes religieux de 2004, une diminution des zones de friction sur ce qui faisait le coeur de l'actualité en 2004-2005, c'est-à-dire la question du port du voile. La contestation du principe de laïcité ne semble pas en hausse, mais les questions se déplacent sur des terrains sur lesquels les enseignants sont moins à l'aise en termes juridiques, sans qu'elles aillent, la plupart du temps, jusqu'au recours devant le juge administratif. On observe ainsi une prolifération de tenues vestimentaires revendiquées comme culturelles, et non pas religieuses, telles que les grandes robes ou les djellabas du vendredi.
Concernant la contestation de certaines disciplines, nous n'avons pas de visibilité dans la mesure où les incidents nous sont remontés au sein de catégories plus larges. Nous nous sommes rapprochés de l'inspection générale afin de mieux identifier ces difficultés. Au niveau européen, la DGESCO participe au programme européen sur l'apprentissage des sujets à controverse (« controversial issues »), et il est intéressant de voir comment sont abordées ces questions en Angleterre ou dans les pays du nord de l'Europe.
En ce qui concerne le rapport Obin, vous en savez autant que moi. Nous comptons, comme cela a été récemment réaffirmé, mettre l'accent sur l'enseignement laïc des faits religieux, même s'il est, comme vous le savez, déjà intégré aux programmes scolaires. Il est toutefois nécessaire d'appuyer les enseignants, de leur fournir les outils pédagogiques et les éléments leur permettant de répondre aux discours et aux questions des élèves, afin de permettre le débat. Développer une parole institutionnelle forte et audible constitue l'un des objectifs de la redéfinition en cours des programmes de l'enseignement élémentaire et du collège.
Vous évoquiez la nécessité de renforcer les enseignements de français et d'histoire. Il y a peu de commissions où je suis entendue, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, où il ne m'est pas demandé de renforcer quelque chose, le français, l'histoire, l'éducation civique, l'éducation à la sexualité, la philosophie, le développement durable, etc... Le pire serait de considérer les valeurs républicaines comme relevant d'une unique discipline, et que le problème serait résolu en renforçant le contenu de tel ou tel enseignement. Sur la question de l'égalité entre filles et garçons par exemple, c'est lorsqu'on regarde ce qui se passe à la cantine, dans la cour de récréation, pendant la sieste, au cours d'activités diverses et variées, au sein des instances démocratiques du collège ou du lycée, que l'on fait vivre les valeurs républicaines. Le renforcement des enseignements n'est pas suffisant. Ce qui doit et peut faire la force de l'École, face à des actes, des paroles, c'est le caractère cohérent et solidaire de la communauté éducative dans son ensemble.