Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter du texte élaboré par la commission mixte paritaire qui s’est tenue mardi.
Avant toute chose, je tiens à saluer chaleureusement votre présence dans cet hémicycle, madame la ministre, vous qui n’aviez malheureusement pas pu être des nôtres à l’occasion de la première lecture de ce texte au Sénat. Nous avions beaucoup regretté votre absence ; nous sommes donc heureux qu’elle ait été de courte durée et que nous puissions vous retrouver aujourd’hui en bonne santé.
Je salue le travail de notre rapporteur jusqu’à la CMP, notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui a attrapé le « virus » de l’outre-mer et suivait nos travaux de très près, tant à la délégation sénatoriale à l’outre-mer qu’au sein de la commission des lois. Je lui présente toutes mes félicitations et lui souhaite un plein succès dans ses nouvelles fonctions. Enfin, je tiens à saluer la belle coordination qui s’est mise en place avec Mme Paola Zanetti, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, ce qui nous a permis de finaliser ce texte de modernisation et d’égalité.
Je souhaite cependant exprimer un regret : celui de découvrir aujourd’hui un texte profondément modifié et densifié depuis sa première lecture au Sénat. Au final, c’est près de 50 % des articles qui n’ont pas été soumis au Sénat, maison, je le rappelle, des collectivités. La procédure accélérée ayant été engagée sur ce projet de loi, nous sommes un peu frustrés de n’avoir pas eu l’occasion de débattre des nombreux amendements présentés par le Gouvernement, au dernier moment, devant l’Assemblée nationale.
Je me félicite toutefois du travail accompli et de l’utilité de cette loi de clarification pour de nombreux dispositifs juridiques s’appliquant dans nos outre-mer.
Je me réjouis que ce texte permette des avancées marquantes sur plusieurs sujets. Bien évidemment, je pense à la question de la zone des cinquante pas géométriques, dont le dénouement se profile enfin – j’ose du moins le croire ! – à un horizon défini, 2021, certes lointain. Depuis des années, j’ai fait du règlement de cette question des cinquante pas géométriques un véritable combat personnel, multipliant les rencontres, tant sur le terrain qu’auprès des ministères. Auteur d’une proposition de loi sur le sujet en 2013, j’ai également rédigé un rapport commun avec les sénateurs Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient et Joël Guerriau au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, rapport publié en juin dernier et intitulé Domaines public et privé de l’État outre-mer : 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile.
Notre travail de terrain et d’analyse a été fort utile dans le cadre des débats sur l’article 8 du présent projet de loi. À cette occasion, conformément aux recommandations de ce rapport, j’ai appelé le Gouvernement à s’engager, avant la fin de la mandature, à préparer les conditions du transfert de propriété de la partie urbanisée de la zone des cinquante pas géométriques à la collectivité territoriale de Martinique et à la collectivité régionale de Guadeloupe.
Je me félicite que le Gouvernement ait entendu ce vœu et proposé à l’Assemblée nationale un amendement pour mettre fin à ce régime d’exception, hérité du passé.
Il était plus que temps de résoudre ce fossé entre droit et réalité et de suivre l’évolution sociale et économique de collectivités décentralisées, compétentes en matière tant d’aménagement que de gestion foncière. Tous les problèmes rencontrés sur la zone des cinquante pas géométriques sont connus depuis des lustres, mais demeurent irrésolus, faute de pilotage et de stratégie cohérente à long terme. Cette bande des cinquante pas géométriques, derniers oripeaux d’une période coloniale que l’on sait révolue, résiste malheureusement aux évolutions du temps.
Le nouvel article 8 issu des travaux de l’Assemblée nationale constitue donc une annonce majeure pour les Antilles, en matière de logement, de transports, d’équipements collectifs, de protection de la nature et, surtout, de « droit à la terre ».
Je regrette cependant que l’Assemblée ait décidé d’échelonner ce transfert sur un délai de cinq ans et non plus de trois ans, comme je l’avais proposé. En effet, cette question a fait l’objet d’une législation d’une abondance historique, avec le report incessant d’un dispositif supposé transitoire. J’aurais préféré que l’actuel gouvernement s’engage avec plus de volonté pour finaliser la résolution de cette question avant la fin de la mandature. Espérons cependant que tout cela ne sera pas « détricoté » dans le cadre d’une future loi et ne connaîtra pas le sombre destin des établissements publics fonciers d’État, qui n’ont jamais vu le jour ! Espérons également que le retrait par l’Assemblée nationale du rapport d’audit que j’avais demandé sur la situation sociale, économique et financière des agences des cinquante pas géométriques, avant le transfert de leurs compétences et de leurs actifs, ne soit pas l’occasion d’un énième report, faute de préparation préalable. Je compte sur vous, madame la ministre, pour nous faire des points d’étape réguliers sur l’évolution de ce processus.
Une autre proposition du rapport Domaines public et privé de l’État outre-mer : 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile a également été supprimée au cours de l’examen du texte par l’Assemblée nationale. Elle visait à exonérer les forêts des collectivités territoriales de Guyane des frais de garderie et d’administration normalement versés à l’Office national des forêts. L’objectif était de stimuler la création de forêts communales et de rendre les communes pilotes de l’exploitation du bois sur leur territoire. Par ailleurs, cette exonération au bénéfice des communes constituait une juste contrepartie pour l’absence de versement par l’ONF de la taxe foncière sur le non bâti, au mépris des dispositions du code général des impôts.
Le Gouvernement s’est engagé à étudier ce sujet dans le cadre des travaux d’une mission interministérielle actuellement en cours sur le coût du régime forestier. Gageons que ces réflexions serviront de base dans le cadre de la révision du contrat d’objectifs de l’ONF pour la période 2016-2020 et que nos outre-mer, avec leurs problématiques si spécifiques, ne seront pas oubliés.
D’autres avancées notables doivent également être saluées concernant la lutte contre l’habitat indigne et insalubre. Des amendements introduits à l’Assemblée nationale ont permis de rendre obligatoire l’élaboration, dans les départements d’outre-mer et à Saint-Martin, de plans communaux ou intercommunaux de lutte contre l’habitat indigne et, surtout, de faire de ces plans une composante essentielle des plans locaux de l’habitat. Malgré de grandes opérations visant à résorber l’habitat insalubre, nombre de situations inacceptables se prolongent dans nos territoires d’outre-mer. Rendre ces plans obligatoires permettra de les rendre plus opérationnels et de mieux impliquer les collectivités dans cette lutte.
D’autres amendements viennent également compléter la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, concernant les démolitions d’ordre public. Tant la procédure d’information et de concertation préalable à la démolition que la définition de l’autorité compétente pour ordonner une démolition ont été précisées dans ce texte, afin de gérer au mieux des situations d’urgence aux risques souvent élevés.
Par ailleurs, plusieurs articles viennent mettre fin à des inégalités de traitement subies par les outre-mer.
La première d’entre elles concerne les frais liés au roaming, c’est-à-dire les frais d’itinérance en matière de communication mobile. Sachant qu’un règlement adopté par l’Union européenne prévoit de supprimer ces frais dans un délai de deux ans, l’anticipation, pour une entrée en vigueur au 1er mai 2016, me semble raisonnable. Cela permet de respecter le temps d’adaptation nécessaire aux opérateurs, tout en poursuivant le combat contre la vie chère, un combat quotidien pour nos outre-mer.
Cependant, un autre article concernant la vie chère outre-mer a – hélas ! – disparu en commission mixte paritaire. Il s’agit du rapport sur la légalité des suppléments non cotés utilisés pour la facturation des produits pétroliers. Même si je conçois qu’il faille éviter une multiplication de demandes de rapports au Gouvernement, il serait tout de même utile et légitime de lever l’incompréhension relative au poids des surcharges carburant dans le prix des billets d’avion, alors même que le prix du baril de pétrole diminue. Cet enjeu s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la vie chère, mais aussi de la concurrence touristique au sein de notre environnement régional.
Permettez-moi de souligner une autre adaptation nécessaire à nos spécificités locales ; je veux parler des actions de groupe.
Les associations nationales de défense des consommateurs ne sont pas toujours présentes en outre-mer. Il est coutume que des associations locales les remplacent. Il semble donc très opportun de leur permettre d’agir sur le territoire concerné devant la juridiction civile, afin d’obtenir réparation des préjudices individuels subis par les consommateurs.
De plus, je souhaite souligner l’adoption d’un amendement tendant à mettre fin au déficit des données statistiques outre-mer.
Chaque fois que nous avons réalisé des études pour la délégation sénatoriale à l’outre-mer, nous avons remarqué le manque cruel de données chiffrées et la difficulté d’avoir un panorama représentatif de la situation pour engager des politiques publiques. Dans son rapport, à charge, de 2013 sur la fiscalité en outre-mer, la Cour des comptes préconisait déjà une telle mise à jour des données. Je me félicite que ce véhicule législatif ait été l’occasion de mettre fin à une telle inégalité de traitement.
Enfin, je souhaite aborder plus spécifiquement une différence touchant les Mahorais.
Je rappelle l’engagement du Gouvernement à mettre rapidement en place les leviers existants dans l’Hexagone pour favoriser l’emploi à Mayotte, département fortement touché par le chômage.
Il s’agit, notamment, du travail intérimaire, qui constituerait un outil précieux et adapté à la culture locale. Car, dans cette île, il est fréquent que l’on cumule plusieurs emplois. Un tel dispositif contribuerait grandement à lutter contre le chômage, dans un territoire où son taux est l’un des plus élevés de notre pays. Cela permettrait de réduire significativement le travail dissimulé, auquel certains préfèrent recourir en raison de la lourdeur des formalités administratives.
Les élus locaux devraient, me semble-t-il, être associés à la nécessaire réforme du droit du travail à Mayotte, afin que ce processus puisse être mis en place au plus près des réalités locales.
De manière générale, on peut observer que, plus le travail est accompli en amont et en concertation avec les élus de terrain, plus les textes législatifs sont applicables et proches des sujets touchant nos concitoyens.
La concertation a aussi pour intérêt d’éviter les incompréhensions et d’anticiper les polémiques, en envisageant, aux côtés des élus concernés, tous les tenants et aboutissants d’une mesure. Vous voyez sans doute à quoi je fais allusion, madame la ministre... Bien des polémiques auraient pu être évitées si le bien-fondé de certaines dispositions avait été connu localement ! Mais vous avez bien expliqué la situation au cours de votre intervention liminaire. Il importe que nous poursuivions dans cette voie.
Même si aucun rendez-vous ultramarin n’est prévu spécifiquement dans les mois à venir, hormis l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances, j’encourage le Gouvernement à nous solliciter dès que l’occasion se présentera. De notre côté, en particulier avec la délégation à l’outre-mer, nous continuerons notre travail d’initiative et d’anticipation, au service des politiques publiques.
Madame la ministre, nous voulons vous aider. Aidez-nous à agir en ce sens !