Je ne prends pas ces propos en mauvaise part et ne vous répondrai pas en me retranchant derrière l'argument qui veut que le législateur en ait ainsi décidé. Il faut considérer la question des deux côtés, celui des autorités indépendantes et celui des institutions pourvoyeuses.
Pour ce qui concerne les autorités indépendantes, je rappelle ce qu'écrivait le Conseil d'État en 2001, à quoi je souscris pleinement : « même s'il est indispensable de prévoir un noyau dur constitué de personnalités ayant la culture de l'indépendance et la pratique de la collégialité, il faut se méfier de la facilité consistant aÌ prévoir une composition de collège ne comprenant que des membres des juridictions suprêmes et des corps d'inspection. Outre que le vivier en cause a ses propres limites, une telle orientation serait en retrait sur l'objectif souhaitable d'ouverture des instances de régulation aux professionnels dans le domaine économique ». Je pense que les autorités indépendantes, quand elles sont utiles et nécessaires, doivent conjuguer les capacités de personnes qui ont la culture de l'indépendance et de l'impartialité en même temps que celles de personnes dotées de l'expertise technique qui les rapproche du domaine régulé - ce qui n'est évidemment pas sans risques de conflits d'intérêts, et j'ai pu constater, à la lecture de vos auditions, combien parfois la grande proximité entre membres du collège et secteur régulé a pu soulever des interrogations de votre part. Il faut parvenir à un certain brassage des compétences et des cultures, et cela n'est pas aisé. Il n'y a pas, de la part du Conseil d'État, comme j'en suis sûr d'autres grands corps, de volonté de mainmise, mais une disponibilité. Un certain nombre d'institutions de la République recèlent des capacités, ce qui ne veut pas dire que nous revendiquons un monopole.
A la suite du vote de la loi relative au renseignement, j'ai du nommer deux membres du Conseil d'État ayant au moins le grade de conseiller à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Il est vrai que c'est une ponction, car nos ressources ne sont pas sans fond et que nos conseillers ne sont pas interchangeables. C'est ainsi que j'ai désigné un conseiller d'État honoraire et une conseillère qui, devant y être affectée à plein temps, a dû sortir des cadres, via une mise à la retraite. Dans la lettre que je vous ai adressée le 28 juillet, en réponse à vos questions d'une précision légitime, je rappelais que le Conseil d'État, qui, outre son rôle de juge administratif suprême, exerce une fonction consultative sur les projets de loi et règlements et rend des avis sur les difficultés qui peuvent s'élever en matière de politiques publiques, est aussi, depuis 1799, même si cela n'est pas inscrit dans les textes, un vivier de compétences où les pouvoirs publics peuvent puiser pour des missions ponctuelles, ou plus lourdes, par voie de détachement ou de cumul si l'activité concernée n'est pas à temps plein. Lorsque le Président de la République demande au président de la section sociale, Jean-Denis Combrexelle, de réfléchir à la part respective du contrat et de la loi en matière de droit du travail, il fait appel à quelqu'un qui dispose de compétences et d'une expérience susceptibles d'éclairer le débat.
Vous ne m'entendrez jamais dire qu'il est indispensable que le Conseil d'État soit présent partout, mais je pense que mes collègues peuvent apporter une contribution utile à l'exercice de fonctions administratives ou au développement d'une réflexion sur les politiques publiques. De telles activités ne constituent pas une excroissance illégitime, mais font bien partie du coeur de métier du Conseil d'État. Elles vont d'ailleurs au-delà de la participation aux autorités administratives indépendantes. Il n'y a rien d'anormal, par exemple, à ce que le Président de la République me demande, ainsi qu'il l'a fait en mars, à la suite des attentats de janvier, de faire équipe avec l'entraineur de l'équipe de France de handball pour émettre des propositions en vue de la création d'une réserve citoyenne faite pour contribuer à mieux faire vivre les principes de la République.