Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes

Réunion du 29 septembre 2015 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous reprenons nos travaux en accueillant M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale pour l'élection du président de la République, à la tête de laquelle il a officié en 2007 et en 2012. Il est accompagné de Mme Catherine Bergeal, secrétaire générale du Conseil d'État.

Votre audition est intéressante à plus d'un titre. En effet, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale a été créée par le décret du 8 mars 2001. Elle n'est explicitement prévue par aucune disposition législative, organique ou constitutionnelle. Il s'agit d'un organe temporaire mais la qualité d'autorité administrative indépendante lui a été néanmoins reconnue par le rapport public du Conseil d'État de 2001.

Elle a pour mission de veiller à ce que « tous les candidats bénéficient de la part de l'État des mêmes facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle ». Elle transmet d'office à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques les irrégularités portées à sa connaissance susceptibles d'affecter les comptes de campagne des candidats. Ses décisions sont susceptibles de recours devant le Conseil d'État.

Au-delà, nous aimerions connaître votre analyse, en tant que vice-président du Conseil d'État, sur les autorités administratives indépendantes, l'intérêt de ce statut et les évolutions nécessaires ainsi que sur les modalités du contrôle que vous exercez sur les décisions prises par ces autorités.

On a le sentiment, s'agissant de la qualification d'autorité administrative indépendante, que la doctrine du Conseil d'État évolue dans le temps et selon l'angle d'attaque. Vous nous l'expliquerez, j'en suis sûre.

J'indique que cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et donnera lieu à la publication d'un compte rendu.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Marc Sauvé et Mme Catherine Bergeal, Secrétaire générale, prêtent successivement serment.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République

Vous m'avez invité à présenter devant vous mon expérience de président ou d'ancien président de deux autorités administratives indépendantes (AAI), la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République et la Commission pour la transparence financière de la vie publique. Vous m'avez également prié de porter un éclairage sur l'évolution de la catégorie des autorités indépendantes, à partir, notamment, des résultats de l'étude conduite en 2001 par le Conseil d'État sur ce sujet. J'aborderai successivement ces trois points.

J'ai présidé à deux reprises, en ma qualité de vice-président du Conseil d'État, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République (CNCCEP). Cette Commission a été instituée en 1964 dans la perspective de la première élection du Président de la République au suffrage universel direct . Le décret qui l'institue a été refondu en 2001 et vous avez justement rappelé que ce décret n'a pas de base dans la loi organique du 6 novembre 1962. La Commission nationale de contrôle veille à ce que tous les candidats bénéficient des mêmes facilités de la part de l'État et, d'une manière générale, elle s'assure du respect du principe d'égalité et du bon déroulement de la campagne. Elle a été identifiée par le Conseil d'État, dans son étude de 2001, comme une AAI et elle est répertoriée comme telle sur le site Légifrance.

Je souhaite insister sur deux spécificités de cette commission : ses modalités de fonctionnement et ses relations avec les autres autorités impliquées dans l'organisation de la campagne présidentielle.

En premier lieu, le fonctionnement de la Commission nationale de contrôle a ceci de particulier qu'il est intermittent. Par son objet même, l'activité de la Commission est temporellement liée à l'occurrence de la campagne présidentielle ainsi qu'à ses dates d'ouverture et de clôture. Elle oeuvre ainsi, en principe, tous les cinq ans, durant une période d'environ dix semaines. Lors de la dernière campagne, la Commission a été installée le 25 février 2012, soit le lendemain de la publication du décret de convocation des électeurs, et elle s'est réunie à onze reprises entre le 25 février et le 6 mai 2012, puis une douzième fois pour adopter le rapport publié au Journal officiel.

Si cette période apparaît relativement courte, elle concentre cependant une forte activité. Il appartient en effet à la Commission d'homologuer les moyens de propagande des candidats, soit leurs affiches et leurs déclarations avant leur apposition sur les panneaux officiels et leur envoi aux électeurs, mais aussi, depuis 2007, les enregistrements sonores de leur profession de foi avant leur diffusion. Tout au long de la campagne, la Commission s'efforce de prévenir, en amont, d'éventuelles difficultés, en prodiguant des conseils et des avis aux candidats. Cet office préventif est facilité par la désignation de mandataires des candidats, qui sont les interlocuteurs privilégiés de la Commission.

Lorsqu'elle détecte des agissements répréhensibles, la Commission ne peut prononcer elle-même des sanctions. Elle dispose toutefois d'une certaine magistrature morale, que j'ai éprouvée à l'occasion des deux élections présidentielles auxquelles j'ai été conduit à participer, pour faire respecter la réglementation applicable et le principe d'égalité entre les candidats. Elle compte en effet, parmi ses cinq membres, des représentants des plus hautes instances juridictionnelles - Cour de cassation, Cour des comptes, Conseil d'État -, d'où sont également issus le rapporteur général et les rapporteurs. Par ailleurs, en cas d'irrégularités, la Commission peut saisir les autorités compétentes, qu'il s'agisse du Conseil constitutionnel, juge de l'élection, ou d'autres AAI, comme par exemple la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ou encore du procureur de la République, en cas d'infraction pénale.

La Commission est donc une structure bien calibrée au regard de la périodicité et de la nature de ses missions. Je souligne en outre qu'elle est très peu coûteuse. Elle n'a pas de budget propre et ses dépenses éventuelles relèvent du ministère de l'intérieur, mais il n'y en a pas eu jusqu'à présent, et je souligne que ni ses membres, ni son rapporteur général ni ses rapporteurs ne sont, de quelque manière que ce soit, indemnisés.

En second lieu, la place de la Commission nationale de contrôle en fait un acteur utile du bon déroulement de la campagne présidentielle. L'organisation de l'élection du président de la République repose sur l'action combinée de différentes autorités, parmi lesquelles figurent, au premier chef, le Conseil constitutionnel, chargé par l'article 58 de la Constitution de veiller à la régularité de cette élection, mais aussi quatre AAI : le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la Commission des sondages, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et, enfin, compte tenu de l'importance prise par les moyens de communication électronique, la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Cette organisation polycentrique exige une bonne coordination entre l'ensemble de ces AAI, dont les compétences sont distinctes, mais imbriquées. La Commission accorde ainsi une importance particulière à la qualité et à la régularité de ses échanges avec ses partenaires institutionnels. Il faut rappeler, à cet égard, que jusqu'en 1981, la Commission était, hormis le Conseil constitutionnel, la seule institution à intervenir pour la régulation de la campagne. Le paysage institutionnel s'est depuis considérablement complexifié. En matière de régulation de l'audiovisuel, par exemple, c'est désormais le CSA qui se trouve en première ligne. Mais ce que la Commission nationale de contrôle a perdu en responsabilité directe, elle peut l'avoir en partie gagné quand sont soulevés des sujets conduisant à mettre en cause les compétences, l'action et la responsabilité de telle ou telle autorité indépendante.

Au-delà de ce premier cercle, la Commission bénéficie du concours des services centraux et déconcentrés de l'État, en particulier du ministère de l'intérieur et de l'outre-mer ainsi que du ministère des affaires étrangères. Leurs représentants apportent un concours utile à ses délibérations et ils servent de relais efficace, y compris localement sur le territoire national, métropolitain et d'outre-mer, et dans les postes diplomatiques et consulaires.

La réussite de cette coopération à plusieurs niveaux montre qu'en s'en donnant les moyens, il est possible de bien coordonner l'action des différents organes de l'État et de créer des synergies utiles, dans un environnement où « co-travaillent » des AAI, des administrations centrales et des services déconcentrés.

J'en viens à présent à la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP). Cette autorité, créée par la loi du 11 mars 1988, était chargée d'apprécier l'évolution du patrimoine des personnes assujetties par la loi à une obligation déclarative et, le cas échéant, de détecter des enrichissements anormaux. Son champ de compétence, initialement cantonné aux membres du Gouvernement et aux principaux élus locaux, a été étendu en 1995 aux dirigeants des principales entreprises publiques ainsi qu'aux membres du Parlement. Cette commission a été supprimée en décembre 2013, à l'occasion de la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique par les lois du 11 octobre 2013.

J'aimerais insister sur deux de ses spécificités : son statut d'AAI, d'une part, et ses conditions de fonctionnement, d'autre part.

En premier lieu, sa qualification d'autorité administrative indépendante n'était pas des plus évidentes. Dans son étude de 2001, le Conseil d'État la classait en effet dans la catégorie des organismes qui « paraissent, après hésitation, devoir être qualifiés d'autorité administrative indépendante ». Il relevait en effet que cette commission ne détenait pas de pouvoir de décision et que ses pouvoirs d'investigation étaient très limités. Toutefois, elle pouvait être qualifiée d'AAI « en raison de son pouvoir de révéler des manquements à des obligations visant à renforcer un contrôle démocratique sur le comportement de la classe politique et qui est à l'origine de la procédure pouvant déboucher sur une déclaration d'inéligibilité des auteurs de ces manquements ». Cette interprétation extensive de la notion d'AAI découle de la loi elle-même. Le législateur a en effet qualifié d'AAI certains organismes n'ayant pas de pouvoir de décision.

En second lieu, les conditions de fonctionnement de la Commission présentaient, pour dire les choses avec modération, des points forts et des points faibles.

S'agissant de sa composition, les choix opérés par le législateur ont représenté un atout précieux. La Commission comprenait en effet, parmi ses membres de droit, les plus hauts représentants des plus hautes instances juridictionnelles. Elle était composée de trois membres du Conseil d'État, y compris son vice-président, de trois membres de la Cour de cassation, y compris son premier président et de trois membres de la Cour des comptes, y compris son premier président. La Commission était en outre assistée de rapporteurs choisis parmi les magistrats administratifs, judiciaires ou financiers. Cette composition est apparue comme un double gage d'efficacité et d'autorité : efficacité, car ses membres disposaient de compétences juridiques solides, d'une réelle pratique de l'instruction et d'une culture de la collégialité ; autorité, car ils présentaient, par leurs fonctions juridictionnelles, les plus fortes garanties d'indépendance et d'impartialité.

Pour autant, une telle composition n'a pas été une condition suffisante au bon fonctionnement de la Commission. Celle-ci a en effet demandé avec constance et même un brin d'obstination un renforcement de ses pouvoirs, en particulier d'instruction, afin de mieux assurer ses missions de contrôle des déclarations patrimoniales. Des avancées notables ont été permises par les lois du 14 avril 2011 issues, je tiens à le souligner, de deux propositions de loi. Toutefois, celles-ci sont restées en deçà des propositions émises par la Commission .

Enfin, je souhaiterais souligner combien les conclusions auxquelles est parvenu le Conseil d'État en 2001 m'apparaissent toujours actuelles et pertinentes. L'étude conduite par celui-ci en 2001 marque un point d'inflexion dans sa réflexion. Jusqu'à cette date, le Conseil d'État avait fait preuve d'une attitude réservée à l'égard du développement des autorités administratives indépendantes, qui échappaient à la tripartition des pouvoirs théorisée par Montesquieu dans L'esprit des lois. Par cette étude, il a officiellement pris acte du poids de cette nouvelle catégorie dans l'organisation générale de l'État. Son essor résulte en effet d'un choix clair et constant du législateur depuis 1978 - je ne remonterai pas à 1957, date à laquelle on a créé une autorité indépendante sans en être pleinement conscients, le Conseil supérieur de l'Agence France-Presse. Ce choix a été entériné par les jurisprudences convergentes du juge constitutionnel et du juge administratif, qui ont reconnu l'originalité et la particularité de cette catégorie juridique.

Quatre conclusions l'étude de 2001 méritent d'être mises en exergue. En premier lieu, si les AAI peuvent être une réponse appropriée à un besoin légitime de régulation économique ou de protection des libertés, elles ne sauraient devenir un mode d'administration de droit commun. Leur création doit être pesée au trébuchet : elle doit nécessairement apporter une plus-value par rapport aux solutions institutionnelles classiques. Si ces autorités administratives sont qualifiées d'indépendantes, elles n'ont évidemment pas au sein de l'État le monopole de l'indépendance nécessaire à la sauvegarde de l'intérêt général. Il ne saurait y avoir dans leur dénomination aucun a contrario dépréciatif pour d'autres institutions. Il faut, avant d'y recourir, démontrer l'existence de besoins particuliers d'indépendance et d'expertise qui ne pourraient être satisfaits par des institutions relevant du pouvoir exécutif ou par le renforcement des compétences des autorités juridictionnelles.

Un recours irréfléchi et immodéré aux AAI serait à cet égard susceptible d'entraver à terme l'efficacité de l'action publique. Un tel recours risquerait d'appauvrir les ressources des autres administrations de l'État, de complexifier d'une manière excessive son organisation et de priver de leviers essentiels d'action le pouvoir exécutif, c'est-à-dire l'autorité politique responsable devant le Parlement - le Souverain. Le recours excessif aux AAI pourrait aussi conduire à renforcer une gestion centralisée des affaires publiques. Et même utilisée à bon escient, la formule de l'AAI crée des besoins nouveaux de communication, de coordination et de pilotage, qui méritent d'être traités avec attention.

Que l'on me comprenne bien : les AAI font désormais partie de notre paysage institutionnel, elles ont acquis droit de cité dans le giron de l'État et personne ne songe sérieusement à les contester dans leur principe ; pour autant, elles ne sauraient remettre en cause les principes fondateurs de l'organisation de l'État et compromettre l'accomplissement de ses missions. Le Conseil d'État a par conséquent déjà émis des avis négatifs sur des projets de création de telles instances. C'est certes un temps où ses avis n'étaient pas rendus publics, mais on en trouve quelques échos prudents dans certains rapports publics rappelant que le Conseil d'État n'a pas estimé devoir donner un avis favorable à la création de telle ou telle autorité - je songe notamment à la première mouture de l'Autorité de sûreté nucléaire, le Conseil d'État considérant que la police spéciale des installations nucléaires est si importante qu'elle ne peut pas ne pas relever in fine de la responsabilité d'une autorité exécutive.

En deuxième lieu, il n'est pas apparu réaliste de créer un statut unique d'AAI. Le Conseil d'État s'est efforcé de lever les ambiguïtés qui s'attachent à la nature et au périmètre de cette catégorie, sans chercher à définir un statut commun, mais en montrant, au contraire, la diversité des organisations, des pouvoirs et des moyens. Ces éléments doivent en effet être ajustés pour chaque autorité indépendante en fonction de la nature et de l'ampleur des missions qui leur sont confiées. Cette nécessaire variété n'exclut toutefois pas de reconnaître un socle de règles transversales, garantissant leur indépendance et leur impartialité, dans le respect des exigences constitutionnelles et européennes. Il a ainsi fallu ajuster les statuts de plusieurs autorités indépendantes à la suite de plusieurs décisions de juridictions suprêmes françaises, notamment du Conseil constitutionnel.

L'ajustement des structures et des moyens doit être mené dans la durée, et non pas seulement lors de la création d'une AAI, afin de prendre en compte l'évolution des pratiques ou des secteurs qu'elle supervise. C'est en particulier le cas des autorités chargées de la régulation d'activités économiques ou financières, confrontées à des transformations très rapides. Par conséquent, les AAI doivent rester des structures flexibles, ajustables à l'évolution des besoins et des pratiques, toujours soucieuses de la plus grande efficacité de l'action publique et de son moindre coût. Ce qui peut parfois exiger des rapprochements, des synergies ou des regroupements institutionnels. Cela a déjà été entrepris, notamment à l'occasion de la révision constitutionnelle de 2008, avec la création du Défenseur des droits, mais on peut considérer que l'on n'est pas arrivés au terme de ces rapprochements.

En troisième lieu, l'essor des AAI a créé des besoins nouveaux de coordination et de pilotage, qui restent aujourd'hui encore insatisfaits. L'éclatement des structures de l'État ne saurait nous dispenser d'une compréhension globale et transversale de l'action publique. Cela suppose de clarifier en permanence l'insertion des AAI dans leur environnement institutionnel. Il faut prévenir le chevauchement des compétences, les risques de redondance et de doublon, les dangers de la contradiction voire de stériles rivalités. Les AAI n'ont pas apporté dans l'État la menace de tels fléaux, mais elles ont tout de même accru leur probabilité, en particulier lorsque leur sont dévolus d'importants pouvoirs de sanction. Cette réflexion d'ensemble doit ainsi conduire les pouvoirs publics à aider les AAI à mieux exercer leurs missions et, si nécessaire à mettre à niveau leurs moyens, tout en renforçant en parallèle la crédibilité des structures classiques de l'État, qui ont parfois été dangereusement appauvries par la création de telles autorités auxquelles a pu être transférée la totalité des capacités d'expertise de l'État.

En dernier lieu, j'insisterai sur l'importance d'un contrôle renforcé sur le fonctionnement des AAI, dans le respect de leur indépendance. Comme l'a souligné le Conseil d'État en 2001, « indépendance ne saurait signifier irresponsabilité ». C'est certainement l'un des enseignements les plus importants de ce rapport. Les actes pris par les AAI doivent naturellement pouvoir être déférés au juge, judiciaire ou administratif selon le cas, et respecter les principes d'équité du procès et d'impartialité, chaque fois que des sanctions sont prises et que se trouve en cause le principe de séparation des pouvoirs ou l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Mais, en dehors de ces contrôles juridictionnels qui se sont légitimement développés, il doit exister un contrôle approfondi et régulier par les pouvoirs publics sur la capacité des AAI à assumer les missions qui leur ont été confiées et sur la manière dont ces missions sont exercées. L'indépendance n'exclut ni le dialogue, ni le contrôle. L'insuffisance des outils actuels a été soulignée par l'Office parlementaire d'évaluation de la législation en 2006 et par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale en 2011. Il y a là, assurément, un vaste chantier de travail.

Sur tous ces sujets, touchant à la création et au fonctionnement des AAI, des diagnostics ont été établis et des préconisations ont été émises qui, je le crois, restent pleinement valides. Si des progrès ont été enregistrés, des avancées nouvelles sont encore attendues, pour renforcer l'efficacité, la cohérence et le suivi de l'action de ces autorités.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Je vous remercie de cet exposé très complet. Votre regard sur les AAI était très attendu par les membres de notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Merci de votre synthèse, que nous attendions en effet, et qui nous sera très profitable.

L'autorité que vous présidez a été qualifiée d'autorité administrative indépendante par le Conseil d'État, dans son rapport public de 2001. Cette conclusion serait-elle la même aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Le Parlement ayant qualifié d'autorités indépendantes des commissions ou instances qui n'ont pas pouvoir de proposition ou de sanction mais sont seulement dotées d'un pouvoir général de contrôle et de saisine d'autres entités, je pense que la Commission de contrôle de la campagne électorale pour l'élection du Président de la République peut toujours être qualifiée d'autorité indépendante. L'autre question qui se pose est la suivante : depuis l'émergence de nombreuses autres autorités indépendantes, cette commission est-elle encore utile ? S'il fallait en dresser le bilan coût-avantage, je dirais qu'elle est une enceinte permettant de réunir toutes les administrations et autorités indépendantes concernées par l'organisation de l'élection présidentielle. Sachant qu'elle ne coûte quasiment rien à l'État, le bénéfice n'en est pas négligeable. La commission Jospin, appelée à réfléchir, en 2012, à une modification de notre cadre constitutionnel et à l'approfondissement de la démocratie dans notre pays m'avait entendu sur ce sujet et avait approuvé, au moins implicitement me semble-t-il, son maintien. Cela dit, si le Gouvernement, qui est à l'origine de la création de cette commission, en 1964, puis de sa refondation, en 2001, entreprenait de la supprimer, je ne soulèverais pas d'objection de principe et je n'irai pas soutenir que l'élection présidentielle encourt des risques sérieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Quelles réflexions vous inspire l'émergence des primaires ? Je pense en particulier au principe d'égalité entre les candidats.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

C'est une question d'autant plus difficile que la Commission ne commence à remplir son rôle que dans la dernière décade du mois de février précédant l'élection, une fois publié le décret portant convocation des électeurs. Il est clair, cependant, que l'organisation des primaires exerce une influence importante sur la question du financement des campagnes. Le Conseil d'État a déjà été consulté par le Gouvernement, s'agissant des élections municipales, sur la question de l'imputation, sur leur compte de campagne, des dépenses ainsi exposées par les candidats ; la question peut de même se poser pour l'élection présidentielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Cette commission est un organe temporaire. Est-ce compatible avec la qualification d'autorité indépendante ? Dans son rapport de 2001, le Conseil d'État jugeait le contraire.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Mais il a classé la Commission parmi les autorités indépendantes.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Il est vrai. Mais il l'a fait nonobstant l'absence de pouvoir de sanction, hors la faculté de saisine du Conseil constitutionnel, voire du Parquet en cas de présomption d'infraction pénale, et nonobstant son caractère intermittent. Si le Conseil d'État devait reprendre cette question à nouveaux frais, il pourrait à nouveau avoir des hésitations et trancher différemment. Mais sachant le respect du précédent qui le caractérise, seules des raisons substantielles pourraient le conduire à changer d'avis. J'ajoute que le fait que le vice-président du Conseil d'État préside cette instance est tout à fait étranger à son classement, dans l'étude de 2001, parmi les AAI.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nous n'en doutons pas.

Pourquoi les membres de la Commission ne rendent-ils pas de déclaration patrimoniale ni de déclaration d'intérêts ? Lorsque la Commission se constituera, en 2017, le feront-ils ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

La Commission n'existe aujourd'hui qu'à l'état virtuel. Seuls le Premier président de la Cour de cassation, le Premier président de la Cour des comptes et le vice-président du Conseil d'État peuvent être identifiés avec certitude comme faisant partie du collège. Les autres membres sont désignés avant chaque élection présidentielle. Cependant, la loi du 11 octobre 2013 est claire et parle d'assujettissement à déclaration de patrimoine et d'intérêts des présidents de collège et des membres des autorités indépendantes. J'ai tendance à penser qu'il faudra se conformer à cette obligation. La Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique devra prendre position sur ces questions. En classant la Commission, dans son étude de 2001, parmi les autorités indépendantes, le Conseil d'État n'a fait que se risquer lui-même à donner son interprétation. Le législateur a créé des obligations légales : il appartient à la Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique de dire, sous le contrôle du juge, si la Commission est ou non assujettie à la loi du 11 octobre 2013. Pour moi, j'aurais plutôt tendance à répondre affirmativement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

La Commission doit transmettre d'office à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) les irrégularités portées à sa connaissance susceptibles d'affecter les comptes de campagne des candidats. L'a-t-elle déjà fait, notamment en matière d'utilisation par un candidat de moyens liés à l'exercice de son mandat ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

La Commission n'a jamais eu, sous ma présidence, à dénoncer au Parquet de violation probable ou manifeste des règles de financement. Le fait est que dans le travail de la Commission, la part répressive, qui se traduit par la possibilité de dénoncer une infraction, est moindre que la part préventive, de conseil. Il m'est même arrivé, après avoir été alerté par le rapporteur général de la Commission, d'intervenir l'avant-veille du second tour pour faire savoir au mandataire d'un candidat que si tel agissement envisagé se confirmait, il se heurterait à une prise de position publique de la Commission nationale de contrôle. Nous travaillons dans un laps de temps très bref, au cours duquel nous avons deux réunions hebdomadaires, auxquelles s'ajoute un dispositif de veille permanente. Nous diffusons des messages généraux, et des messages spécifiques lorsque nous avons le sentiment que tel candidat pourrait méconnaître la législation ou s'engager dans un comportement violant manifestement le principe d'égalité entre les candidats. Nous sommes conduits, de même, à émettre des recommandations en matière de presse écrite - l'audiovisuel étant désormais du ressort du CSA.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

En 2012, il y a bien eu constat d'une utilisation de moyens publics par un candidat. Soyons clair, le rôle de notre commission d'enquête est de poser clairement certaines questions. Nombre de nos concitoyens et d'élus locaux comprennent mal que les contrôles sur les comptes de campagne des candidats aux élections départementales ou municipales soient si méticuleux - et il est bien normal qu'ils le soient - tandis que dans le même temps, on voit un ancien président du Conseil constitutionnel déclarer dans ses mémoires que le Conseil a donné sa bénédiction à des pratiques, lors de l'élection présidentielle, qui n'étaient pas des meilleures. C'est là davantage une remarque qu'une question.

Nous avons conscience, au sein de cette commission d'enquête, d'entendre des représentants de la haute fonction publique compétents, qui ont le sens de l'État et des responsabilités, mais nous ne pouvons nous empêcher de constater que les collèges de ces autorités comprennent très régulièrement des représentants du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation. Il est vrai que c'est parfois le législateur lui-même qui en a ainsi décidé, mais il est rare que le Parlement soit à l'origine de la rédaction. Dans les collèges des autorités indépendantes, en excluant les sièges vacants, 544 sièges seraient occupés, au 1er septembre 2015. Parmi les membres de ces collèges, 30 se trouvent en situation de cumul : 27 siègent dans deux AAI, trois dans trois AAI. On a souvent un sentiment de consanguinité, d'endogamie, d'entre-soi dans le processus de désignation des membres de ces AAI. Sur ces 544 sièges, 167, soit plus de 30% sont occupés par des membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de la Cour de cassation. Sur 42 AAI, seules cinq ne comptent en leur sein aucun membre de l'une de ces trois institutions. La plupart de ceux que nous avons entendus nous objectent que c'est la loi qui l'a voulu ainsi. Dont acte : il faudra que le législateur en tire certaines conclusions. Au demeurant, la composition des AAI n'est pas toujours la conséquence de dispositions législatives.

Je ne mets pas en cause la compétence de ces personnalités, mais il se pose, à mon sens, un problème de fond, vu la multiplication et la diversité de ces autorités indépendantes, vu les pouvoirs qui sont les leurs - ceux du président de l'Autorité de la concurrence sont tels qu'il fait figure de super-ministre.

Sans compter que cela ne doit pas être facile pour vous : comment les grands corps feront-ils face avec la multiplication des AAI? Nous restons parfois admiratifs devant la quantité de travail qu'abattent certains de vos collègues, appelés au four et au moulin, mais cela ne risque-t-il pas, à terme, de poser un problème de fonctionnement aux grands corps de l'État ? Comprenez bien que nous ne sommes pas là pour faire le procès de la haute fonction publique, dont nous connaissons les compétences, mais pour dire ce qui doit être dit.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Je ne prends pas ces propos en mauvaise part et ne vous répondrai pas en me retranchant derrière l'argument qui veut que le législateur en ait ainsi décidé. Il faut considérer la question des deux côtés, celui des autorités indépendantes et celui des institutions pourvoyeuses.

Pour ce qui concerne les autorités indépendantes, je rappelle ce qu'écrivait le Conseil d'État en 2001, à quoi je souscris pleinement : « même s'il est indispensable de prévoir un noyau dur constitué de personnalités ayant la culture de l'indépendance et la pratique de la collégialité, il faut se méfier de la facilité consistant aÌ prévoir une composition de collège ne comprenant que des membres des juridictions suprêmes et des corps d'inspection. Outre que le vivier en cause a ses propres limites, une telle orientation serait en retrait sur l'objectif souhaitable d'ouverture des instances de régulation aux professionnels dans le domaine économique ». Je pense que les autorités indépendantes, quand elles sont utiles et nécessaires, doivent conjuguer les capacités de personnes qui ont la culture de l'indépendance et de l'impartialité en même temps que celles de personnes dotées de l'expertise technique qui les rapproche du domaine régulé - ce qui n'est évidemment pas sans risques de conflits d'intérêts, et j'ai pu constater, à la lecture de vos auditions, combien parfois la grande proximité entre membres du collège et secteur régulé a pu soulever des interrogations de votre part. Il faut parvenir à un certain brassage des compétences et des cultures, et cela n'est pas aisé. Il n'y a pas, de la part du Conseil d'État, comme j'en suis sûr d'autres grands corps, de volonté de mainmise, mais une disponibilité. Un certain nombre d'institutions de la République recèlent des capacités, ce qui ne veut pas dire que nous revendiquons un monopole.

A la suite du vote de la loi relative au renseignement, j'ai du nommer deux membres du Conseil d'État ayant au moins le grade de conseiller à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Il est vrai que c'est une ponction, car nos ressources ne sont pas sans fond et que nos conseillers ne sont pas interchangeables. C'est ainsi que j'ai désigné un conseiller d'État honoraire et une conseillère qui, devant y être affectée à plein temps, a dû sortir des cadres, via une mise à la retraite. Dans la lettre que je vous ai adressée le 28 juillet, en réponse à vos questions d'une précision légitime, je rappelais que le Conseil d'État, qui, outre son rôle de juge administratif suprême, exerce une fonction consultative sur les projets de loi et règlements et rend des avis sur les difficultés qui peuvent s'élever en matière de politiques publiques, est aussi, depuis 1799, même si cela n'est pas inscrit dans les textes, un vivier de compétences où les pouvoirs publics peuvent puiser pour des missions ponctuelles, ou plus lourdes, par voie de détachement ou de cumul si l'activité concernée n'est pas à temps plein. Lorsque le Président de la République demande au président de la section sociale, Jean-Denis Combrexelle, de réfléchir à la part respective du contrat et de la loi en matière de droit du travail, il fait appel à quelqu'un qui dispose de compétences et d'une expérience susceptibles d'éclairer le débat.

Vous ne m'entendrez jamais dire qu'il est indispensable que le Conseil d'État soit présent partout, mais je pense que mes collègues peuvent apporter une contribution utile à l'exercice de fonctions administratives ou au développement d'une réflexion sur les politiques publiques. De telles activités ne constituent pas une excroissance illégitime, mais font bien partie du coeur de métier du Conseil d'État. Elles vont d'ailleurs au-delà de la participation aux autorités administratives indépendantes. Il n'y a rien d'anormal, par exemple, à ce que le Président de la République me demande, ainsi qu'il l'a fait en mars, à la suite des attentats de janvier, de faire équipe avec l'entraineur de l'équipe de France de handball pour émettre des propositions en vue de la création d'une réserve citoyenne faite pour contribuer à mieux faire vivre les principes de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Certaines autorités administratives indépendantes prennent des décisions, prononcent des sanctions. De son côté, le Conseil d'État ne rend pas que des avis, il juge. Un recours contentieux lié à une autorité à laquelle il a partie peut être porté devant lui. Cela ne pose-t-il pas un problème de principe ? Je dis bien de principe, car les décisions intervenues en la matière ne laissent aucun doute sur son indépendance.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

L'examen des décisions rendues par le Conseil d'État sur des recours dirigés contre des sanctions ou décisions des AAI témoignent en effet de sa totale impartialité. On a pu le voir, notamment, s'agissant de décisions prises par l'Autorité de la concurrence en matière de concentration ou récemment, par le CSA. J'appelle à cet égard votre attention sur le fait que le Conseil d'État, compte tenu de la compétence qui est la sienne, et qui fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, est conduit à être juge des décrets en Conseil d'État, ce qui, au premier, abord, peut surprendre. Dans l'exercice de cette compétence, le taux d'annulation, totale ou partielle, des décrets en Conseil d'État contestés devant lui est de 12% à 16%, selon les années. Lorsque l'on expose cela aux juges de la Cour européenne des droits de l'Homme, ils en sont stupéfaits. C'est que nous assurons une réelle séparation entre la fonction consultative interne et la fonction juridictionnelle. Au-delà, il ne viendrait à l'esprit d'aucun membre de notre haute juridiction de regarder différemment une requête au motif que l'acte contesté a reçu l'estampille du Conseil d'État ou a été pris, à l'extérieur de son enceinte, par un de ses membres.

Il entre dans mes responsabilités de présider le Conseil supérieur des tribunaux administratif et par conséquent soit de proposer au Gouvernement des décisions individuelles de promotion et d'affectation soit d'en prendre moi-même. Ces décisions peuvent être contestées devant le juge administratif. Eh bien je puis vous dire que parmi les décisions prises ou proposées par le vice-président du Conseil d'État dans l'administration de la juridiction administrative et contestées devant le Conseil d'État, le taux d'annulation est supérieur à 10%. Il m'est arrivé de nommer un rapporteur public à la cour administrative d'appel de Nancy. Or, le parapheur ayant mis un peu de temps à m'arriver, je l'ai signé trois semaines après le moment où l'arrêté avait été pris sans me rendre compte que la date d'effet était antérieure à ma signature, si bien que ce rapporteur a été nommé, en somme, rétroactivement. Un requérant a attaqué devant le Conseil d'État des arrêts de la cour administrative d'appel de Nancy sur ce motif. Ces arrêts ont été annulés par le Conseil d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nous n'avons aucun doute sur la pratique, mais cela n'empêche pas de poser la question de principe.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

La manière dont nous travaillons vous apporte la réponse. Pas une formation de jugement du Conseil d'État ne s'aventurerait à couvrir une illégalité commise par le vice-président du Conseil d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nous n'en avons jamais douté.

Considérez-vous le Conseil d'État comme l'autorité qui décide de la qualification d'autorité administrative indépendante ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Non. Nous avons pris position en 2001 compte tenu du sujet d'étude choisi. Ce que nous écrivons dans le cadre d'une étude n'a ni l'autorité de la loi, ni celle de la chose jugée. En revanche, si un membre d'une autorité dont la qualification faisait débat refusait de se soumettre à une déclaration de patrimoine ou à une déclaration d'intérêt, un contentieux pourrait s'élever et le Conseil d'État pourrait alors être conduit à dire, dans le cadre d'un jugement, si telle ou telle instance mérite le label d'autorité administrative indépendante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Vous avez parfaitement compris, Monsieur le Président, que ma question n'était qu'un prologue : la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) et le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ont évoqué, lors de leur audition, le fait que c'est votre intervention qui aurait conduit à ne pas retenir la CNCDH parmi les autorités dont les membres devraient déposer ces deux déclarations.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Ce m'est l'occasion d'apporter un démenti. Je n'ai pas pris position sur le sujet, et si la question m'avait été posée, j'aurais demandé que le Gouvernement saisisse le Conseil d'État d'une demande d'avis.

Cette question a en réalité été posée au secrétaire général du Gouvernement. Or, dans le cadre des conversations qui peuvent s'établir entre différentes instances publiques, j'ai eu vent de cette question et de la réponse apportée par le secrétariat général du Gouvernement, administration compétente pour apporter une première réponse aux questions qui peuvent se poser sur le champ d'application de la loi.

Il est assez pénible d'entendre dire que le Conseil d'État s'est prononcé lorsqu'il n'a rien dit. Le Conseil d'État se prononce par des avis, par des arrêts. Quand on me sollicite de manière informelle, j'évite de répondre, car je sais bien qu'en me prêtant à de telles consultations, on pourra en livrer sans recul la teneur, alors qu'aucun support de délibération collégiale ne l'appuie. D'où ma circonspection. Et je le répète, de surcroît, la question ne m'a pas été posée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Vu les échanges intervenus au cours de ces deux auditions, dont celle du président de la Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique, dont vous avez pu prendre connaissance par leur compte rendu, il était normal que j'aborde le sujet.

En matière de transparence de la vie publique, jugez-vous que la déontologie des membres et agents des AAI soit suffisamment assurée ? Certaines des réponses que nous avons recueillies lors de nos auditions nous ont interpellés. Quand on apprend que le membre du collège d'une AAI à caractère économique se retrouve, quelques mois après sa nomination, au conseil d'administration d'une des plus grandes sociétés de travaux publics, il est normal que l'on se pose des questions. Quand on constate que tel responsable d'une AAI se trouve être celui qui a préparé, au sein d'un cabinet ministériel, sa création, il est normal que le Parlement s'interroge.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Le problème que vous soulevez est éminemment délicat. Le meilleur moyen de se prémunir contre le risque que vous évoquez est évidemment de puiser dans le vivier des juridictions suprêmes. C'est la meilleure protection contre le risque de conflit d'intérêts ou d'infraction pénale. Mais le but de l'autorité indépendante est de faire coexister, ainsi que je le soulignais, une culture de l'indépendance, de l'impartialité et de la collégialité avec des compétences issues du milieu professionnel qu'il s'agit de réguler. Cela ne va pas sans risques, réels. Pour ma part, j'ai tendance à penser que les règles d'incompatibilité et de prévention des conflits d'intérêts propre à chaque instance constituent une première réponse. Elles sont considérablement renforcées par les lois du 11 octobre 2013, qui obligent les membres des collèges à déposer une double déclaration d'intérêt et de patrimoine. Si bien que les articles du code pénal, anciennement 175 et 175-1, sur la prise illégale d'intérêt et le délit d'ingérence, sont non plus seulement révérés, mais bel et bien appliqués. Sans minimiser les risques, je pense qu'ils peuvent être pris en charge et traités. Et si un membre d'une autorité indépendante prenait intérêt dans une entreprise relevant du secteur qu'il a régulé, il pourrait s'exposer à de sérieux mécomptes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Parmi les exemples que j'ai cités, l'un concerne le vivier dont vous faites état. Le passage vers les cabinets ministériels, voire vers le privé, est au reste une caractéristique des membres des grands corps...

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

L'autorité de nomination doit être attentive au traitement préventif de ce type de situation. Dans certains cas, le vice-président, ou le Premier président nomme, dans d'autres, il propose. Il doit naturellement exercer ces responsabilités en considération de tous les intérêts publics en présence, parmi lesquels l'exigence d'impartialité des délibérations à prendre par l'autorité indépendante. Il serait à mes yeux inconcevable que l'on puisse désigner dans une AAI une personne qui s'y trouverait en conflit d'intérêt structurel. Il peut arriver, dans certaines situations, que le membre d'un collège, en raison d'intérêts personnels ou de fonctions antérieures, doive se déporter. Cela est inévitable, mais c'est tout autre chose qu'une incompatibilité structurelle. Cela est de la responsabilité non seulement des personnes concernées mais des autorités qui nomment ou proposent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il y a des nominations qui sont directement faites par l'exécutif.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Il me semble que l'on pourrait entreprendre de dégager des règles de déontologie. La prévention ne peut pas tout.

Il est un autre point qui nous reste obscur, en dépit de nos auditions, c'est celui des rémunérations. Quid de la rémunération d'un conseiller d'État qui devient président d'une AAI ? Y a-t-il ou non cumul ? On rejoint la question de la déontologie.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Lorsque je parle de mécanismes préventifs, j'y inclus les règles déontologiques propres aux autorités indépendantes. Indépendamment des mécanismes votés par le législateur, notamment en matière d'incompatibilités, avant, pendant et après, ces règles déontologiques doivent permettre d'éviter, en cours d'exercice, les conflits d'intérêts.

En matière de rémunération, il n'est pas de règle générale. Il faut distinguer deux situations radicalement différentes. Si les fonctions exercées au sein de l'AAI sont à temps plein, elles sont exclusives de toute autre fonction publique et impliquent donc un détachement. Votre commission d'enquête a reçu la liste nominative des membres du Conseil d'État qui sont dans ce cas. Ceux qui exercent des fonctions de président, de membre du collège ou de membre de l'administration de l'autorité sont dans ce cas, et l'institution dont ils sont originaires ne leur verse aucune rémunération. Il existe, à côté de cela, des cas, nombreux - je pense à la Commission des infractions fiscales - dans lesquels l'activité de membre est à temps partiel. L'autorité concernée peut verser ou ne pas verser d'indemnité - c'est le cas de la Commission nationale de contrôle de l'élection présidentielle. Quand rémunération il y a, j'estime qu'elle doit être proportionnelle au temps passé au service de ces autorités. Il existe une grande variété de situation, mais rien n'interdit de mettre les choses sur la table, car il n'y a rien à cacher. Nous avons souvent bien du mal à trouver des membres du Conseil d'État, pour des raison liées à la charge de travail, quand elle est trop lourde, car, ainsi que je l'ai écrit dans ma lettre du 28 juillet, en aucun cas, la participation à temps partiel d'un membre du Conseil d'État à une autorité indépendante comme membre du collège, président ou conseiller juridique des services ne peut entrainer une décharge d'activité au sein du Conseil d'État. Ce travail à temps partiel vient donc au-delà des obligations de service. D'où notre difficulté à trouver des candidats.

Debut de section - Permalien
Catherine Bergeal, Secrétaire générale du Conseil d'État

Je précise que les indemnités versées aux membres des AAI font l'objet d'arrêtés, publiés au Journal officiel. Pour prendre un exemple récent, les indemnités des membres du Conseil d'État membres de la Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique sont de 150 euros par séance. Il n'est aucune indemnité dont le montant ne soit publié au Journal officiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il semble que dans certains cas, elles ne figurent que dans des contrats.

Debut de section - Permalien
Catherine Bergeal, Secrétaire générale du Conseil d'État

Il s'agit alors d'emplois, et non d'activité accessoire. Auquel cas, le Conseil d'État ne verse plus rien à l'intéressé.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

N'est-ce pas une tâche impossible que d'assurer un véritable contrôle de l'élection présidentielle ? Pour des raisons pratiques, d'abord. Ainsi que vous l'avez rappelé, il n'est pas toujours facile de déterminer quand commence la propagande. Et puis, comme le montre une affaire récente, toujours en cours, le contrôle devient très difficile. Un compte de campagne peut-être invalidé pour un dépassement de 300 000 euros alors qu'en l'occurrence, il est question d'une dissimulation à hauteur de 17 millions. L'inventivité des candidats est telle, surtout quand ils sont au pouvoir, qu'il devient très difficile de savoir précisément quelles sont les dépenses engagées.

Surtout, il se pose un problème politique. Est-il envisageable qu'un candidat, une fois élu à 52%, soit dénoncé comme un fraudeur ayant faussé les élections ? Imaginez la situation dans laquelle s'est trouvé Roland Dumas en 1995. Peut-on invalider un candidat élu ? Le seul candidat pénalisé, lors de cette échéance, a été le malheureux Jacques Cheminade, pour l'exemple... Quand à la dernière élection, le candidat qui a vu son compte rejeté n'était pas élu. Eût-ce été possible s'il l'avait été ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

Je n'ai pas assez d'imagination, Monsieur le sénateur, pour répondre à votre question. Ce que je veux souligner, c'est que c'est le Conseil constitutionnel qui a confirmé le rejet du compte de campagne d'un candidat, lors de la dernière élection présidentielle. J'ajoute que le Conseil constitutionnel ne peut pas invalider l'élection présidentielle, à la différence de ce qu'il peut faire pour un membre du Parlement. Et lorsqu'il rejette le compte de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle, il ne prononce pas non plus son inéligibilité.

Est-il imaginable que le Conseil constitutionnel rejette le compte de campagne d'un candidat élu ? Telle est la formulation qu'il faut donner à votre question. N'étant pas membre du Conseil constitutionnel et n'ayant jamais participé à ses délibérations, je ne saurais y répondre, mais je sais qu'un de ses anciens présidents a écrit un livre de souvenir dans lequel il répond négativement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Avouez que c'est un vrai problème. Ma question va au-delà de la morale. Imaginer que quelqu'un qui aurait été clairement élu par le peuple puisse être présenté comme fraudeur pose une réelle difficulté.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé

C'est une question si considérable qu'elle ne peut relever, à mes yeux, que du législateur organique. C'est lui qui a fixé les règles relatives au contrôle des dépenses de campagne des candidats à l'élection présidentielle, et les sanctions applicables en cas de rejet du compte de campagne. C'est à ce niveau seul que la question des conséquences peut être traitée. Vous soulevez là un débat très intéressant, mais il ne relève de la compétence ni du Conseil constitutionnel ni d'aucune autorité indépendante. Seul le législateur organique peut s'en saisir.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Merci de l'excellence de ces réponses, qui vont nourrir notre réflexion.

La réunion est suspendue à 16h30