À votre demande, je m'exprimerai successivement au titre de mes fonctions de président du Haut Conseil des finances publiques puis de Premier président de la Cour des comptes.
Conformément aux interrogations qui m'ont été adressées, je me propose d'évoquer, dans un premier temps, le statut du HCFP, puis la présence de magistrats de la Cour des comptes au sein de collèges d'autorités administratives indépendantes, et enfin les observations que la Cour des comptes a pu soulever lors des nombreux contrôles qu'elle a menés sur ces organismes.
En ce qui concerne tout d'abord le Haut Conseil des finances publiques, il a été institué en application de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Organisme indépendant et consultatif, le Haut Conseil éclaire les choix du Gouvernement et du Parlement. Il veille à la cohérence de la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France. Pour cela, il apprécie le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et se prononce sur la cohérence des objectifs annuels présentés dans les textes financiers avec les objectifs pluriannuels de finances publiques.
La loi organique de décembre 2012, qui l'institue, a été adoptée à la suite du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, parfois qualifié de « pacte budgétaire européen » de mars 2012. Elle a anticipé l'entrée en vigueur, en mai 2013, du « two pack », paquet législatif européen prévoyant qu'un organisme indépendant valide les prévisions macroéconomiques retenues pour la construction des budgets des États membres.
Pour l'exercice de ses missions, le Haut Conseil des finances publiques est composé d'un collège, désigné selon des dispositions législatives organiques en vigueur, et d'un secrétariat permanent très léger.
Outre le Premier président de la Cour des comptes, qui le préside de droit, son collège comprend dix membres, soit quatre magistrats de la Cour des comptes, désignés par le Premier président, à parité ; quatre membres également nommés à parité, respectivement par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, les Présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat en raison de leurs compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques. Ces membres sont nommés après audition publique conjointe de la commission des finances et de la commission des affaires sociales de l'assemblée concernée. Ils ne peuvent exercer de fonctions publiques électives. Enfin, le HCFP comprend un membre nommé par le président du Conseil économique, social et environnemental en raison de ses compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques et le directeur général de l'Insee, lui aussi membre de droit.
Les déclarations publiques d'intérêts de l'ensemble de ces membres sont publiées sur le site internet du Haut Conseil.
Le secrétariat permanent du Haut Conseil est, quant à lui, constitué de deux magistrats et deux rapporteurs, qui s'appuient sur un nombre réduit d'agents de la Cour des comptes. Ces personnels n'y consacrent qu'une partie de leur temps, essentiellement lors de la préparation des avis.
Le législateur français a choisi de placer cet organisme indépendant « auprès de la Cour des comptes » qui, pour la Commission européenne, remplit les conditions requises pour un comité budgétaire indépendant. Ce statut est à distinguer de celui du Conseil des prélèvements obligatoires ou de la Cour de discipline budgétaire et financière, qui sont des « institutions associées » régies par les dispositions du livre III du code des juridictions financières.
Le Haut Conseil bénéficie de très fortes garanties d'indépendance, en raison de sa composition, et du fait qu'il est « placé auprès » d'une autorité juridictionnelle constitutionnellement située à équidistance du Parlement et du Gouvernement. Néanmoins, il ne doit pas être rangé dans la catégorie des autorités administratives indépendantes, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ce n'était pas la volonté du législateur de l'y rattacher. Lors de la première lecture du projet de loi organique à l'Assemblée nationale, un amendement parlementaire a précisément porté sur cette question. Cet amendement a été expressément été écarté par le législateur.
Par ailleurs, le Haut conseil, organisme exclusivement consultatif, ne dispose pas d'un pouvoir de réglementation ni d'un pouvoir de sanction. Il émet des avis, qu'il appartient aux pouvoirs publics de suivre ou de ne pas suivre. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le statut d'autorité administrative indépendante ne lui a pas été conféré - ce qui ne remet pas en cause l'indépendance de ce conseil.
J'en viens à votre deuxième interrogation, qui porte sur la présence de magistrats de la Cour des comptes, en activité, au sein du collège d'une autorité administrative indépendante. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aborderai dans le même temps la question des anciens magistrats.
Je souhaiterais commencer par quatre constats quantitatifs. Premièrement, les fonctions en question concernent à ce jour, selon le périmètre retenu, environ 25 magistrats actifs dans les cadres de la Cour des comptes - je pourrais même dire 26, en me comptant au titre de mes fonctions au sein de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale présidentielle dont vous avez auditionné, je crois, le président hier -, et deux magistrats détachés dans les fonctions de membres de collège, soit le président de l'Autorité des marchés financiers, et un vice-président de l'Autorité de la concurrence.
Deuxièmement, dans la grande majorité des cas - soit dans un peu plus de neuf cas sur dix -, les textes prévoient explicitement la présence d'un membre de la Cour des comptes au sein du collège de l'autorité administrative indépendante. Dans les autres cas, les magistrats sont désignés en tant que personnalités qualifiées.
Troisièmement, ces fonctions sont exercées, pour l'essentiel, par des magistrats ayant atteint ou dépassé le grade de conseillers maîtres. Il s'agit de magistrats expérimentés, dont l'une des missions essentielles au sein de la Cour des comptes est de délibérer, c'est-à-dire de siéger au sein de formations collégiales. Ils mettent ainsi à disposition des qualités d'expérience, de hauteur de vues et des capacités à participer à la production d'une opinion collective au terme d'un débat. Et c'est ce qui est souvent attendu d'une autorité administrative indépendante.
Quatrièmement, les responsabilités exercées dans ces organes par les magistrats et les anciens magistrats de la Cour des comptes recouvrent une réalité sensiblement variée. Les magistrats de la Cour sont en effet : le plus souvent « simple » membre, si je puis dire, titulaire ou suppléant lorsque la distinction existe dans les textes ; parfois vice-président, voire président de l'autorité ; et parfois encore titulaire d'une fonction unique, dans le cas du médiateur du livre et du médiateur du cinéma.
Pour ce qui est de la désignation au sein de l'organe d'une autorité administrative indépendante d'un magistrat ou d'un ancien magistrat de la Cour des comptes, elle procède de plusieurs modalités possibles.
Les textes peuvent prévoir que le Premier président procède à un choix parmi les magistrats en activité ou les magistrats honoraires. Dans ce cas, j'ai pour ainsi dire compétence liée, puisque je suis tenu de procéder à cette désignation. Je reviendrai plus spécifiquement dans quelques instants sur les modalités du choix, lorsqu'il me revient.
Dans d'autres cas, les textes prévoient que les magistrats de la Cour des comptes élisent, en leur sein, celle ou celui d'entre eux qui siégera au sein de l'instance. Dans ces cas-là, le rôle du Premier président est très réduit et consiste à assurer que le vote se déroule dans de parfaites conditions de régularité.
Dans d'autres cas encore, c'est une autorité extérieure à la Cour des comptes - Président de la République, Parlement ou Gouvernement - qui procède, en application de dispositions législatives ou réglementaires, à la désignation. Dans ce cas, il n'appartient pas au Premier président de la Cour des comptes de porter une appréciation sur une décision prise par les pouvoirs publics en vertu du droit en vigueur. Tout au plus suis-je amené, en tant que chef de corps, à prendre les mesures de gestion nécessaires à l'exécution de ces décisions, par exemple le détachement d'un magistrat pour exercer des fonctions de président de l'Autorité des marchés financiers.
Je voudrais m'attarder un instant sur les cas où c'est le Premier président qui procède à la désignation. Le chef de corps que je suis doit en effet remplir plusieurs obligations de niveau constitutionnel et législatif en gardant à l'esprit, d'une part, la nécessité de préserver les capacités de contrôle d'une juridiction dont l'indépendance et les missions sont consacrées constitutionnellement et en exerçant, d'autre part, sa compétence liée de désigner (ou d'autoriser la désignation) d'un magistrat chargé de siéger dans ces autorités administratives indépendantes.
À cet égard, je veux souligner la pertinence et l'importance les dispositions de l'article L. 112-9 du code des juridictions financières, qui autorisent « l'autorité chargée de la désignation [à] porter son choix sur un membre honoraire » de la juridiction. Je me réjouis de cette disposition qui m'autorise, en l'absence de texte expressément contraire, à désigner ou à proposer un magistrat honoraire. Je suis ainsi en mesure de concilier l'objectif de qualité du profil, compte tenu de l'expérience de nos collègues récemment partis en retraite, avec le souci de ne pas faire peser une trop lourde charge sur les effectifs de la juridiction. Comme vous avez pu le constater dans mon propos et dans mes réponses écrites, ce recours aux honoraires permet de pourvoir la moitié des désignations. De temps en temps, le législateur m'impose de désigner des magistrats en activité, à l'instar du Conseil supérieur de l'Agence France-Presse.
Plus généralement, lorsque j'exerce la fonction d'autorité de désignation, je m'appuie sur plusieurs critères, afin de déterminer, compte tenu des candidatures exprimées au sein du corps, celle qui mérite d'être retenue. Parmi ces critères, la compétence et l'expertise sont certes essentielles. Mais des considérations de déontologie et de charge de travail interviennent naturellement et sont tout aussi essentielles. À titre individuel, tous les magistrats de la Cour sont des fonctionnaires de l'État, tenus de respecter les obligations qui s'imposent à eux au regard du statut général de la fonction publique. Ils prêtent un serment qui les engage.
Depuis 2006, une charte interne de déontologie rappelle, à travers des mises en situation précises, le comportement que tout magistrat doit adopter, pour préserver l'indépendance et l'impartialité des juridictions. Cette charte sera confortée par les nouvelles dispositions législatives que les pouvoirs publics souhaiteront adopter dans les semaines qui viennent. Vous devriez être saisis d'un projet de loi sur la déontologie des magistrats, qui comportera des dispositions spécifiques pour les membres de la Cour des comptes.
Lors de la désignation du membre d'une AAI, je procède à un appel à candidatures au sein de la Cour des comptes. Une fois que les candidatures ont été centralisées, je choisis donc le profil à retenir, en m'assurant de sa compatibilité avec l'ensemble des critères que je viens d'évoquer. En cas de doute, je peux solliciter l'avis du collège de déontologie que nous avons mis en place - l'un de ses membres n'est pas un magistrat de la Cour des comptes.
Les magistrats intéressés m'adressent leur candidature sous couvert de leur président de chambre. Cela me permet de m'assurer que la charge de travail supplémentaire sera conciliable avec le programme de contrôle qui incombe au magistrat concerné. Cette préoccupation est d'autant plus constante que la réalisation, en quantité et en qualité, par un magistrat de son programme de travail compte pour l'essentiel de son évaluation annuelle. Elle influe directement sur sa rémunération à la performance. Je note d'ailleurs, à ce titre, qu'il n'est pas rare que les magistrats sollicités pour ce genre de mission extérieure soient aussi parmi les plus performants dans leurs fonctions au sein de la Cour des comptes.
Avant de répondre à vos questions, je souhaite rappeler la nature et les suites données aux contrôles de la Cour des comptes, en ce qui concerne les autorités administratives indépendantes ; ce qui est également l'une de vos préoccupations.
Au regard de leur organisation et de leur mode de financement, la Cour des comptes est compétente pour les contrôler. Elle examine notamment la régularité de leurs recettes et de leurs dépenses, ainsi que la qualité de leur gestion. Elle s'y intéresse non seulement de manière intrinsèque mais aussi par rapport aux missions qui leur sont assignées par leurs textes institutifs. Cet examen peut en conséquence porter sur leur organisation, leurs règles de fonctionnement, l'utilisation de leurs moyens humains, financiers, matériels et immobiliers, ainsi que sur les résultats qu'elles obtiennent au regard desdites missions. La Cour des comptes peut en particulier rechercher si l'AAI paraît avoir atteint les objectifs assignés par le législateur lorsque celui-ci l'a créée, si elle a constitué une doctrine et des critères de décision et si cette doctrine est accessible aux assujettis.
Elle ne porte toutefois pas d'appréciation sur les décisions administratives individuelles ou collectives prises par ces autorités dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et par rapport aux textes qu'elles ont à appliquer. Son contrôle ne conduit pas la Cour des comptes à se placer sur le terrain de la régularité juridique des décisions prises par ces organismes.
Depuis 2005, la Cour des comptes a conduit 15 contrôles sur les autorités administratives indépendantes mentionnées dans la liste qui nous a été communiquée. Quatre contrôles sont en cours d'instruction et plusieurs AAI ont été contrôlées plusieurs fois pendant la période.
Les suites données à ces contrôles ont pris plusieurs formes différentes : le plus souvent, il s'agit d'observations définitives adressées par le président de chambre à l'AAI. Un contrôle a débouché sur une insertion au rapport sur la sécurité sociale qui concernait la Haute autorité de santé. A deux reprises, j'ai adressé des référés au Premier ministre qui concernaient notamment la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Deux contrôles ont donné lieu à des communications au Parlement : ils concernaient l'Autorité de contrôle prudentielle et de résolution et le Défenseur des droits. Par ailleurs, le Procureur général a été amené, à deux reprises, à adresser des communications sur des points de droit particuliers qui concernaient l'Autorité des marchés financiers et la Commission de régulation de l'énergie.
À l'issue de ces contrôles, la Cour des comptes a formulé des recommandations portant sur les fonctions support des AAI, ainsi que sur leurs missions. Ces recommandations sont moins souvent liées à la nature d'autorité administrative indépendante qu'à la forme que prennent ces organismes, notamment les plus petits d'entre eux. Les problématiques de qualité comptable, de gestion comptable, de politique immobilière sont souvent comparables à ce qui peut être observé pour les petites structures qui relèvent des services du Premier ministre. Dans des structures parfois chargées de la régulation de secteurs très techniques, la gestion des ressources humaines soulève des enjeux complexes, notamment en présence d'agents contractuels.
En ce qui concerne les fonctions supports, la Cour des comptes a ponctuellement suggéré la réduction du nombre de cadre dirigeants, des regroupements de services, la mise en place de politiques de rémunérations cohérentes, le développement de la transparence sur les ressources et l'amélioration de la gestion comptable. En ce qui concerne les missions de certaines autorités administratives indépendantes, il a entre autres été préconisé la mise en place d'indicateurs de suivi de l'activité, une prévention plus active des conflits d'intérêts - cela concernait notamment les activités de la Commission de régulation de l'énergie - le développement de la coopération avec d'autres acteurs, une amélioration des pratiques de contrôle, que ce soit en termes de délais réglementaires ou de procédures et enfin, un suivi du devenir des avis rendus.