La question de l'apprentissage est au coeur des préoccupations de notre commission, car cette voie de formation en alternance est un moyen reconnu de lutter contre le chômage, de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes et de renforcer l'attractivité et le savoir-faire des entreprises.
Face aux difficultés que rencontre l'apprentissage en France ces dernières années, le bureau de notre commission a souhaité qu'une délégation, que j'ai eu l'honneur de présider, se rende en Allemagne puis en Autriche, sous la direction de notre collègue Philippe Mouiller, pour y étudier le système d'apprentissage que nous qualifierons de « germanique » par souci de simplicité, souvent présenté comme un modèle en Europe et même au-delà, mais finalement assez peu connu. Alors que le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans a atteint 24,7 % en France en février dernier, il s'élevait à 7,2 % en Allemagne et 9 % en Autriche, soit les taux les plus faibles de l'Union européenne, grâce notamment aux bonnes performances des systèmes d'apprentissage dans ces deux pays.
Lors de notre déplacement à Berlin du 20 au 22 avril, et à Vienne du 23 au 24 avril, nous avons pu rencontrer, grâce à la mobilisation des services de nos ambassades auxquels je souhaite rendre hommage, des représentants des services ministériels, les partenaires sociaux, ou encore des responsables de centres d'apprentissage et d'entreprises. Nous avons ainsi pu constater l'efficacité du système d'apprentissage germanique, et tenté d'identifier les raisons de son succès ainsi que les défis qu'il devra relever.
En premier lieu, quelles sont les principales caractéristiques du système d'apprentissage germanique ?
Tout d'abord, le nombre d'apprentis est beaucoup plus important en Allemagne et en Autriche qu'en France. Ainsi, 16 % des jeunes Allemands âgés entre 15 et 24 ans sont en apprentissage en 2013, contre 5,2 % en France. Entre le 1er octobre 2013 et le 30 septembre 2014, 522 232 contrats d'apprentissage ont été conclus, soit un total de 1,358 million en 2014, contre 420 321 en France en 2013, d'où un stock de contrats trois fois plus important que dans l'hexagone. Même en tentant de définir un périmètre cohérent entre ces deux publics pour tenir compte des spécificités des deux pays (par exemple, le contrat de qualification n'existe pas outre-Rhin), le ratio demeure globalement identique. Quant à l'Autriche, qui privilégie les formations en alternance à tous les niveaux, elle comptait 120 579 apprentis en 2013, soit 40 % d'une classe d'âge.
Ensuite, les apprentis allemands et autrichiens sont, en règle générale, plus âgés qu'en France et se caractérisent par une plus grande mixité ; leur formation initiale est plus longue qu'ici et ils sont davantage attirés par les qualifications intermédiaires que leurs homologues français. L'âge d'entrée en apprentissage tout d'abord : en 2014, il était de 20 ans en Allemagne contre 18,7 ans en France. En revanche, les jeunes Autrichiens commencent le plus souvent leur formation vers 14-15 ans. La mixité ensuite : 40,1 % des contrats d'apprentissage sont conclus avec des jeunes femmes en Allemagne, contre 34,1 % en Autriche et 33,3 % en France. Leur formation initiale est plus élevée : moins d'un tiers des apprentis allemands sont titulaires d'un diplôme d'une Hauptschule en 2013, alors que cette école fournissait la majorité des candidats à l'apprentissage il y a quelques décennies. En Autriche, si plus d'un tiers des jeunes apprentis sont issus des écoles dites polytechniques, qui sont la voie classique vers l'apprentissage, presque la moitié a un niveau supérieur. Enfin, leur formation en apprentissage est plus longue : trois ans en Allemagne et en Autriche sauf exceptions, contre 1,7 an en France. L'apprentissage est le seul moyen pour accéder à l'un des 327 métiers en Allemagne (218 en Autriche), qui correspondent à des qualifications intermédiaires, contrairement à la France qui permet également aux étudiants du supérieur d'obtenir des diplômes par cette voie.
S'agissant des entreprises d'accueil, elles sont plus diversifiées qu'en France, moins généreuses en termes d'indemnités d'apprentissage, peut-être parce qu'elles sont moins aidées financièrement par les pouvoirs publics. En Allemagne, 5,6 % des entreprises accueillent des apprentis, contre 2,5 % en France. Alors que l'effort en France pèse surtout sur les entreprises employant moins de 9 salariés (7,4 %, contre moins de 1 % pour les entreprises employant entre 250 et 500 salariés), les entreprises allemandes sont toutes mobilisées, quelle que soit leur taille. En Autriche, une entreprise sur dix est concernée, et même une sur cinq si on considère seulement celles qui remplissent les conditions légales pour accueillir des apprentis. En 2011, la rémunération brute moyenne d'un apprenti était de 708 euros en Allemagne, contre 787 euros en France. Bertrand Martinot, dans une récente étude pour l'institut Montaigne, a rappelé que pendant la campagne d'apprentissage 2012-2013, le coût annuel brut d'un apprenti était évalué à 18 000 euros environ, et les gains globaux résultant de l'apprentissage à 12 500 euros, soit un coût net pour l'entreprise de l'ordre de 5 500 euros. Cette moindre générosité s'explique peut-être par des aides publiques à l'apprentissage moins massives qu'en France. En Allemagne, en 2010, elles ont atteint 1,439 milliard, soit quasiment la moitié de celles versées en France (2,869 milliards), alors que notre pays compte trois fois moins d'apprentis. En Autriche, seulement 150 millions d'euros d'aides ont été versées aux entreprises par l'intermédiaire du fonds de protection des salariés en cas de faillite.