Les travaux que nous vous présentons nous ont occupés un peu plus de six mois. Ils s'inscrivent dans un cadre particulier, non parce qu'ils ont été conduits par deux sénateurs de sensibilité politique différente - ce qui est habituel dans notre assemblée - mais parce qu'ils concernent un sujet politiquement très sensible : le financement, et plus généralement l'organisation, de l'audiovisuel public. Nous aurions pu, sur ce sujet souvent polémique, rester prisonniers de nos engagements respectifs et de nos préjugés, mais la gravité de la situation de notre audiovisuel public nous a invités à ne pas céder à cette tentation.
Notre constat est en effet sans appel : nos sociétés de l'audiovisuel public sont dans une situation difficile et leur modèle économique traverse une grave crise qui appelle une véritable refondation. Les ressources de ces sociétés ont tendance à devenir plus fragiles et incertaines quand leurs charges ne cessent de s'alourdir, faute de réformes satisfaisantes.
Certaines dépenses ont été particulièrement commentées dans les médias ou au sein du monde politique. Le chantier de Radio France a souffert d'une augmentation continue de ses coûts, qui ont atteint 575,5 millions d'euros, près du double de leur estimation initiale. L'absence de pilotage du chantier, dénoncée par la Cour des comptes, explique en grande partie cet « accident » financier. La négociation d'accords collectifs très favorables pour les salariés constitue une autre tendance coûteuse : l'accord collectif de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) prévoit une hausse annuelle de la rémunération moyenne comprise entre 1,65 % et 1,85 %, tandis que le coût de l'accord négocié à Radio France est estimé à 4,5 millions d'euros pour le personnel non journaliste et à 800 000 euros pour les journalistes. Les plans de départs volontaires ne sont pas exempts de tout reproche : les syndicats de France Télévisions nous ont indiqué qu'une part très importante des indemnités était consacrée aux très hauts cadres de l'entreprise, proches de l'âge légal de la retraite. Que dire de la pratique consistant pour ces hauts cadres à quitter l'entreprise pour créer des sociétés de production qui deviennent des prestataires de France Télévisions ? Au-delà, nous avons été frappés par le fait que la plupart des dirigeants des entreprises que nous avons rencontrés ne nous ont pas déclaré avoir pour objectif de réduire les dépenses.
Tous les indicateurs sont au rouge. Les coûts de grille de France Télévisions n'ont pas baissé depuis 2010, parallèlement, les charges de personnel ont augmenté de 93 millions d'euros. De 2010 à 2014, les dépenses de Radio France sont passées de 624 millions à 691 millions d'euros, voire 733 millions si l'on considère les estimations pour 2015. Les dépenses d'Arte France ont augmenté de 20 millions d'euros sur la même période, mais au moins cette hausse s'explique-t-elle par un accroissement des investissements dans les programmes. La hausse des charges atteint 8 millions d'euros à l'INA, où elle correspond entièrement à des hausses de la masse salariale. Seule exception à ce tableau, France Médias Monde a vu ses charges globales baisser de 12 millions d'euros depuis 2011. Grâce au seul rapprochement des structures de France 24 et de RFI, près de 14 millions d'euros ont été économisés et redéployés depuis cette date, ce qui peut donner une idée de la marche à suivre à l'avenir.
Si cette hausse globale des dépenses pose aujourd'hui problème, c'est aussi parce que les ressources ne peuvent plus suivre. Le montant de la CAP - l'ancienne redevance - est passé de 121 euros en 2010 à 136 euros en 2015, soit une augmentation de 15 euros par foyer. La CAP constitue l'essentiel des ressources des sociétés de l'audiovisuel public, mais elle est assise sur la détention d'un poste de télévision, selon une interprétation restrictive des services fiscaux. Son évolution, stratégique, suscite donc beaucoup d'interrogations. Le décrochage menace, car les jeunes générations renoncent de plus en plus à acquérir un téléviseur et préfèrent accéder aux programmes via des objets connectés. Le taux d'équipement des ménages en télévision, qui a atteint un point haut en 2010 à 97,8 %, est retombé à 97,1 % en 2012 et ne devrait pas cesser de baisser : nous ne disposons pas encore des chiffres de l'INSEE pour 2013, mais les enquêtes de Médiamétrie confirment cette tendance. Le rendement de la CAP n'est pas encore affecté par cette évolution, du fait du dynamisme démographique, de la hausse des décohabitations et de l'inflation : la direction du budget considère qu'à droit constant, il devrait progresser jusqu'à quatre milliards d'euros en 2020, mais qu'une accélération de la baisse du taux d'équipement pourrait être perceptible dès 2018. Se pose aussi une question d'acceptabilité de la CAP, puisque des personnes peuvent aujourd'hui accéder aux programmes télévisés de l'audiovisuel public à travers des objets connectés, sans s'en acquitter.
Ainsi, une extension de l'assiette de la CAP est indispensable pour préserver son rendement et assurer l'équité fiscale, mais il reste un peu de temps pour concevoir le dispositif le mieux adapté. Le problème à régler dans l'immédiat tient à l'avenir des dotations budgétaires qui avaient été prévues pour compenser la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions. Nous avions tous salué comme une garantie d'indépendance la décision du Gouvernement de mettre un terme d'ici 2017 à ces dotations, qui s'élevaient encore à 160 millions d'euros en 2015, grâce à une réforme de la CAP. Or, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement s'oriente vers une hausse du taux de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, ce qui semble augurer de la pérennisation des dotations budgétaires, ainsi que des mécanismes de régulation qui les accompagnent et qui nuisent à la prévisibilité des ressources des sociétés. Avec un tel système, les directions des entreprises peinent à inscrire leurs décisions d'investissement dans la durée.
Concernant la question des ressources propres, c'est-à-dire hors dotations de l'Etat et redevance, je présenterai en deux mots les principaux problèmes liés à la production pour les diffuseurs publics. D'une part, le cadre légal a pour conséquence de limiter drastiquement leurs retours sur investissements, alors que la loi impose à France Télévisions d'investir chaque année 400 millions d'euros dans la création audiovisuelle. D'autre part, l'opacité des relations avec les producteurs - les devis n'ont pas fait l'objet, comme dans le cadre de la production cinématographique, d'un formatage précis - ne permet ni des remontées de recettes satisfaisantes, ni un contrôle efficace des dépenses de production.
Ce sujet doit être traité en priorité, car les coûts d'achat des programmes de France Télévisions aux producteurs indépendants sont supérieurs à ceux de la masse salariale de l'entreprise !