Intervention de Jézabel Couppey-Soubeyran

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2015 à 16h07
Nomination du gouverneur de la banque de france — Audition de Mme Jézabel Couppey-soubeyran et de Mm Jean-Claude Magendie jean maïa et jean-claude trichet

Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne :

Merci de donner suite à la lettre ouverte que nous vous avons adressée, avec Laurence Scialom et Anne-Laure Delatte, soutenus par 150 collègues économistes et personnalités de la société civile. Nous y appelions l'attention sur le caractère très inquiétant de la proposition de nommer un ancien banquier au poste de Gouverneur de la Banque de France et sur la nécessité de préserver, autant que possible, l'indépendance des banques centrales et des autorités de supervision vis-à-vis du secteur bancaire et financier.

Nous dénonçons le risque de conflit d'intérêts - notion mal comprise -, non en raison de liens personnels ou financiers que M. Villeroy de Galhau a coupés, c'était un minimum, mais d'une imprégnation des valeurs du secteur bancaire qui laisse penser qu'il sera enclin à en préserver les intérêts. Sans instruire un procès d'intention, on peut supposer que sa façon de penser et d'agir est influencée par son expérience récente de douze années dans le secteur bancaire, où réside une partie de son identité sociale. Les liens sociaux et affectifs qu'il y a noués le rendront plus conciliant, même inconsciemment, à l'égard de ce secteur, qu'une personne sans cette expérience. Sans prédire l'avenir, je m'appuie sur des enseignements élémentaires de psychologie sociale. Un ancien dirigeant de la première banque française aura-t-il, dans le cadre de son travail de supervision, le réflexe de dénoncer la taille excessive des quatre premiers groupes bancaires, qui pèsent près de trois fois la dette publique, et le risque systémique encouru ? Dénoncera-t-il le risque dû aux produits dérivés de ces banques, dont le montant représente quarante fois la dette publique ?

Les fonctions et pouvoirs du Gouverneur de la Banque de France seraient-ils honorifiques, tout se décidant à Bruxelles ou à Francfort ? Ceux qui le prétendent se trompent. Le Gouverneur siège au Conseil des gouverneurs de la BCE et participe à l'orientation de la politique monétaire européenne. La Banque de France appartient au Système européen de banques centrales. Le Gouverneur préside l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et ses deux collèges, de supervision et de résolution. Il participe à ce titre au système de supervision bancaire européen. Tous les pouvoirs n'ont pas été transférés à Francfort en vertu de l'union bancaire. Depuis novembre 2014, la Banque centrale européenne supervise directement les 123 groupes bancaires dits importants, représentant 1 200 banques ; pour ce faire, elle coopère étroitement avec les autorités nationales comme l'ACPR. Les contrôles sont effectués par des équipes jointes de superviseurs ; les autorités nationales fournissent des informations importantes, notamment pour les stress tests, et supervisent les établissements de moindre importance. Bref, elles sont pleinement engagées dans la supervision. En tant que président de l'ACPR, le Gouverneur de la Banque de France est donc, ainsi, fortement impliqué dans la supervision bancaire.

En outre, la supervision d'ordre public demeure purement nationale. Elle porte par exemple sur la lutte contre le blanchiment et la protection des consommateurs, domaine dans lequel BNP Paribas fait l'objet d'une enquête judiciaire. L'ACPR mettra-t-elle en cause la gestion passée du nouveau Gouverneur ? Celui-ci sera impliqué dans les dispositifs de résolution, avec une voix prépondérante en fait, sinon en droit. Le président de l'ACPR est le représentant de la France dans les instances internationales, au Comité de Bâle ou au Conseil de stabilité financière. Quel intérêt y défendra-t-il ? Celui des champions nationaux du secteur bancaire, que l'on encouragera à croître encore et encore au mépris du risque pour la stabilité financière, ou celui de la collectivité qui souffre encore des conséquences de la crise financière ?

L'expertise acquise dans le secteur bancaire est-elle d'une grande utilité pour conduire la politique monétaire et de supervision ? Non. Elle ne confère aucune compétence en matière monétaire, ni en matière de surveillance globale du système financier. L'on m'opposera sans doute que la meilleure des expertises est celle qui s'acquiert une fois passé aux commandes de la banque centrale ou du superviseur, que l'on peut être passé par le secteur bancaire et faire un bon banquier central ou, à l'inverse, être issu de la haute fonction publique et devenir un excellent lobbyiste ; cela n'est pas faux, chacun pourra présenter son exemple. Pour autant, une expertise acquise dans le secteur bancaire ne confère pas, a priori, un avantage en ce qui concerne la stabilité monétaire et financière et qu'elle présente aussi, de prime abord, l'inconvénient du risque de conflit d'intérêts et de manque d'indépendance vis-à-vis du secteur bancaire.

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