La séance est ouverte à 16 h 07.
En application de l'article 13 de la Constitution, les commissions des finances des deux assemblées sont aujourd'hui appelées à rendre un avis sur le candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de Gouverneur de la Banque de France. Eu égard à l'importance d'une telle nomination, tant pour la vie économique française qu'européenne, il nous a semblé utile de consulter différentes personnalités susceptibles d'apporter à notre commission un éclairage sur les enjeux juridiques voire économiques se rattachant à cette fonction : Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Jean-Claude Magendie, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris et ancien membre de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, Jean Maïa, directeur des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, et Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Gouverneur honoraire de la Banque de France, président du Comité d'éthique professionnelle de la Banque centrale européenne.
Jézabel Couppey-Soubeyran nous exposera les objections qui peuvent être soulevées à l'encontre de la nomination d'une personnalité issue du secteur bancaire au poste de Gouverneur de la Banque de France.
Merci de donner suite à la lettre ouverte que nous vous avons adressée, avec Laurence Scialom et Anne-Laure Delatte, soutenus par 150 collègues économistes et personnalités de la société civile. Nous y appelions l'attention sur le caractère très inquiétant de la proposition de nommer un ancien banquier au poste de Gouverneur de la Banque de France et sur la nécessité de préserver, autant que possible, l'indépendance des banques centrales et des autorités de supervision vis-à-vis du secteur bancaire et financier.
Nous dénonçons le risque de conflit d'intérêts - notion mal comprise -, non en raison de liens personnels ou financiers que M. Villeroy de Galhau a coupés, c'était un minimum, mais d'une imprégnation des valeurs du secteur bancaire qui laisse penser qu'il sera enclin à en préserver les intérêts. Sans instruire un procès d'intention, on peut supposer que sa façon de penser et d'agir est influencée par son expérience récente de douze années dans le secteur bancaire, où réside une partie de son identité sociale. Les liens sociaux et affectifs qu'il y a noués le rendront plus conciliant, même inconsciemment, à l'égard de ce secteur, qu'une personne sans cette expérience. Sans prédire l'avenir, je m'appuie sur des enseignements élémentaires de psychologie sociale. Un ancien dirigeant de la première banque française aura-t-il, dans le cadre de son travail de supervision, le réflexe de dénoncer la taille excessive des quatre premiers groupes bancaires, qui pèsent près de trois fois la dette publique, et le risque systémique encouru ? Dénoncera-t-il le risque dû aux produits dérivés de ces banques, dont le montant représente quarante fois la dette publique ?
Les fonctions et pouvoirs du Gouverneur de la Banque de France seraient-ils honorifiques, tout se décidant à Bruxelles ou à Francfort ? Ceux qui le prétendent se trompent. Le Gouverneur siège au Conseil des gouverneurs de la BCE et participe à l'orientation de la politique monétaire européenne. La Banque de France appartient au Système européen de banques centrales. Le Gouverneur préside l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et ses deux collèges, de supervision et de résolution. Il participe à ce titre au système de supervision bancaire européen. Tous les pouvoirs n'ont pas été transférés à Francfort en vertu de l'union bancaire. Depuis novembre 2014, la Banque centrale européenne supervise directement les 123 groupes bancaires dits importants, représentant 1 200 banques ; pour ce faire, elle coopère étroitement avec les autorités nationales comme l'ACPR. Les contrôles sont effectués par des équipes jointes de superviseurs ; les autorités nationales fournissent des informations importantes, notamment pour les stress tests, et supervisent les établissements de moindre importance. Bref, elles sont pleinement engagées dans la supervision. En tant que président de l'ACPR, le Gouverneur de la Banque de France est donc, ainsi, fortement impliqué dans la supervision bancaire.
En outre, la supervision d'ordre public demeure purement nationale. Elle porte par exemple sur la lutte contre le blanchiment et la protection des consommateurs, domaine dans lequel BNP Paribas fait l'objet d'une enquête judiciaire. L'ACPR mettra-t-elle en cause la gestion passée du nouveau Gouverneur ? Celui-ci sera impliqué dans les dispositifs de résolution, avec une voix prépondérante en fait, sinon en droit. Le président de l'ACPR est le représentant de la France dans les instances internationales, au Comité de Bâle ou au Conseil de stabilité financière. Quel intérêt y défendra-t-il ? Celui des champions nationaux du secteur bancaire, que l'on encouragera à croître encore et encore au mépris du risque pour la stabilité financière, ou celui de la collectivité qui souffre encore des conséquences de la crise financière ?
L'expertise acquise dans le secteur bancaire est-elle d'une grande utilité pour conduire la politique monétaire et de supervision ? Non. Elle ne confère aucune compétence en matière monétaire, ni en matière de surveillance globale du système financier. L'on m'opposera sans doute que la meilleure des expertises est celle qui s'acquiert une fois passé aux commandes de la banque centrale ou du superviseur, que l'on peut être passé par le secteur bancaire et faire un bon banquier central ou, à l'inverse, être issu de la haute fonction publique et devenir un excellent lobbyiste ; cela n'est pas faux, chacun pourra présenter son exemple. Pour autant, une expertise acquise dans le secteur bancaire ne confère pas, a priori, un avantage en ce qui concerne la stabilité monétaire et financière et qu'elle présente aussi, de prime abord, l'inconvénient du risque de conflit d'intérêts et de manque d'indépendance vis-à-vis du secteur bancaire.
Jean-Claude Magendie va rappeler la définition de la notion de conflit d'intérêts et les enjeux qui s'y rapportent.
Les analyses et conclusions de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique ont fait l'objet d'un rapport à l'origine de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Si la tradition française de service public et l'attachement aux valeurs sous-jacentes constituent un rempart contre le risque de conflits d'intérêts, les acquis ne suffisent plus. Les attentes des citoyens sont plus élevées. Par ailleurs, les passages du secteur privé au secteur public sont plus fréquents, d'où un risque de conflits d'intérêts plus important. La législation française en matière de conflit d'intérêts, ancienne, est surtout répressive, avec le délit de prise illégale d'intérêts. Le volet préventif est insuffisant.
Une définition opérationnelle, raisonnable et effective du conflit d'intérêts est nécessaire à l'articulation cohérente de dispositifs de prévention. La notion n'a guère fait l'objet de tentatives de définition, sauf très récemment, par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Conseil de l'Europe ou le Canada, pays souvent précurseur. Aucune définition n'est universelle, mais dépend des attentes collectives. Toutefois, celle de l'OCDE offre un socle commun de réflexion : « Un conflit d'intérêts implique un conflit entre la mission publique et les intérêts privés d'un agent public, dans lequel l'agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s'acquitte de ses obligations et de ses responsabilités. » On y retrouve les notions de présent et de passé, de conflit potentiel, à la suite d'une nomination notamment, et d'apparence. Cette définition se place en partie sur le terrain extra-juridique, celui des comportements individuels et des pratiques organisationnelles.
Les différentes définitions du conflit d'intérêts présentent des caractéristiques communes fondamentales, dont l'importance des apparences : la personne investie de fonctions publiques possède des intérêts personnels susceptibles d'influer ou de paraître influer sur l'exercice de ces fonctions. Il s'agit de s'assurer de l'impartialité tant subjective qu'objective. Autre caractéristique, l'existence d'un conflit, opposition ou convergence de nature à susciter un doute objectivement justifié. L'OCDE a invité les États à identifier les situations de conflits d'intérêts inacceptables en posant la question suivante : « Une personne raisonnable ayant connaissance de l'ensemble des faits pertinents risque-t-elle de penser que l'intégrité de l'administration est menacée par des conflits d'intérêts non résolus ? » Afin d'éviter la paralysie de l'action des décideurs publics, tout est question de degré.
Les intérêts personnels, outre moraux, sont aussi matériels : patrimoniaux, financiers et professionnels - contrats de travail en cours ou passés, commerciaux ou civils. La temporalité, multiple, porte sur les intérêts détenus avant, pendant et après l'exercice des fonctions. Les risques de conflit d'intérêts sont moins élevés quand les intérêts sont antérieurs ou postérieurs plutôt que simultanés à la période, mais les frontières sont poreuses. L'avantage personnel n'est pas nécessairement immédiat ni direct. Il s'agit d'apprécier la péremption des intérêts concernés, au-delà d'une durée raisonnable et pertinente.
La définition de la Commission de réflexion a été reprise dans la loi. Dans l'esprit de ses membres, la relation professionnelle susceptible d'être regardée comme problématique doit s'entendre de relations ayant donné lieu à un contrat de travail, une rémunération ou un mandat éventuellement social quelconque.
Ces considérations objectives tirées du rapport de la Commission de réflexion excluent toute interprétation personnelle qui m'exposerait au risque de partialité et d'immixtion dans votre mission constitutionnelle.
Jean Maïa, quelles analyses juridiques ont été retenues par le Gouvernement le conduisant à constater l'absence de conflit d'intérêts ? Que disent le droit français et le droit européen sur la nomination d'une personnalité issue du secteur bancaire au poste de Gouverneur de la Banque de France ?
Il faut distinguer les notions d'intérêts actuels et d'intérêts passés et postérieurs, ainsi que les règles générales valables pour l'ensemble des agents de la fonction publique et celles, spécifiques, qui s'attachent à la fonction de Gouverneur de la Banque de France. La jurisprudence administrative et constitutionnelle consacre le devoir d'impartialité des agents publics, devoir d'autant plus fort que les responsabilités sont grandes. Longtemps, l'approche a été de nature pénale. La répression de la prise illégale d'intérêt est abordée aux articles 432-12 et 432-13 du code pénal, le premier interdisant que le contrôleur ait des intérêts chez le contrôlé, le second régissant le passage du secteur public au secteur privé - il n'existe pas d'interdiction en sens inverse. Le président Magendie a expliqué comment ces règles avaient mûri au sein de la commission Sauvé. La loi du 11 octobre 2013 est venue inscrire dans la loi la définition même du conflit d'intérêts.
Des règles spécifiques s'appliquent aux prérogatives dévolues au Gouverneur de la Banque de France. En tant que membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, il est soumis au code de déontologie de 2002 et doit indiquer l'ensemble des mandats qu'il exerce. Le Gouverneur de la Banque de France a interdiction formelle, selon le code monétaire et financier, d'exercer toute autre activité professionnelle, publique ou privée, durant son mandat ou au cours des trois années suivant son terme. En tant que président de droit de l'ACPR, il a l'obligation de déclarer l'ensemble des fonctions occupées dans les deux années précédant sa nomination et l'interdiction formelle de détenir tout intérêt, mandat ou fonction durant l'exercice de ses fonctions. Il doit s'abstenir dans les affaires liées à des intérêts passés, dans les deux ans précédant la délibération, selon l'article L. 612-10 du code monétaire et financier.
Le Gouverneur de la Banque de France est soumis à l'ensemble du régime imposé par la loi de 2013, dont les déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. En qualité de membre du Haut Conseil de stabilité financière, cette déclaration est publique. La prohibition de la détention d'intérêts actuels est donc particulièrement stricte - François Villeroy de Galhau a dit qu'il s'en déferait. Les intérêts passés font l'objet d'une obligation de déclaration et d'une règle conduisant à l'abstention au cas par cas - François Villeroy de Galhau a choisi d'aller au-delà en indiquant qu'il se déporterait dans les affaires concernant son ancien employeur. Enfin, en raison de ses attributions de Gouverneur de la Banque de France, en tant que président de l'ACPR, il est soumis au contrôle permanent de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Jean-Claude Trichet, pouvez-vous préciser le rôle du Gouverneur de la Banque de France dans le Système européen de banques centrales et dans le mécanisme de supervision unique ?
ancien président de la BCE, Gouverneur honoraire de la Banque de France, président du Comité d'éthique professionnelle de la BCE. - Je retrouve avec plaisir le Sénat, que j'ai fréquenté pendant dix ans lorsque j'étais Gouverneur de la Banque de France.
Pour cette nomination, la procédure est démocratique : décision du Président de la République, appréciation du Parlement. Certains ont toutefois dénoncé une anomalie dans le choix du candidat retenu. Avec mes collègues Michel Camdessus et Jacques de Larosière, issus comme moi de la fonction publique, n'ayant exercé aucune fonction privée, nous avons envoyé une lettre à François Villeroy de Galhau pour ne pas donner crédit à la thèse rejetant un candidat issu du secteur privé. Nous avons pensé qu'il fallait regarder l'état actuel, non du droit - qui présente une asymétrie entre les préventions a posteriori et non a priori - mais des faits. Il existe beaucoup d'exemples, dans les grands pays avancés, de gouverneurs ayant eu une expérience privée : le gouverneur de la Banque centrale canadienne, devenu gouverneur de la Banque d'Angleterre et président du Conseil de stabilité financière ; le gouverneur de la Banque d'Italie, devenu président de la BCE, ou encore Stanley Fischer, numéro deux de la banque centrale américaine, qui était auparavant gouverneur de la Banque d'Israël. Il eut été très dommageable pour notre pays d'ériger une règle de non-éligibilité pour les personnes ayant eu une expérience bancaire privée, qui ne correspondrait pas aux possibilités offertes sur le plan international. L'icône des banquiers centraux, Paul Volcker, a eu une expérience dans le secteur privé avant de présider la banque centrale américaine. A contrario, il ne faut pas non plus en faire un critère d'éligibilité, si l'on pense aux bons exemples de Janet Yellen, actuelle présidente de la Réserve fédérale américaine, ou de Jens Weidmann, président de la Bundesbank.
La procédure de nomination française, où l'implication parlementaire est très importante, est proche de la procédure américaine, même si les majorités qualifiées sont différentes. Elles ne sont pas généralisées pour le moment. Citons l'exemple singulier de la Banque d'Angleterre, qui demandait, dans le cahier des charges de la succession de Mervyn King, une expérience significative au sein d'une banque centrale ou bien à un haut niveau de responsabilité dans une banque majeure ou dans une autre institution financière. Le gouvernement britannique juge les deux critères également pertinents.
Merci d'avoir répondu à notre invitation : cette procédure inédite est à la hauteur de nos interrogations. Jean-Claude Trichet citait plusieurs exemples de banquiers centraux, dont Mario Draghi. Madame Couppey-Soubeyran, estimez-vous qu'ils sont en situation de conflit d'intérêts potentiel ? Monsieur Magendie, la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique avait-elle évoqué le passage du privé au public ? Faut-il étendre les pouvoirs de la commission de déontologie, qui est compétente sur la situation inverse ? Monsieur Maïa, avez-vous eu des échanges avec la BCE ou la Commission européenne sur cette nomination ? Vous a-t-on fait part de difficultés ?
Jean-Claude Trichet, avec tout le respect que je lui dois, a omis un point fondamental en citant ces exemples : le délai de carence. Mario Draghi a été nommé à la BCE six ans après avoir quitté Goldman Sachs.
Neuf ans se sont écoulés entre le départ de Mark Carney de Goldman Sachs et son arrivée à la tête d'une banque centrale. Paul Volcker a quitté la Chase Manhattan Bank - où il était économiste de banque, non banquier d'affaires - dix ans avant d'être nommé à la Réserve fédérale en 1979. Dans le cas que vous aurez à examiner aujourd'hui, le délai de carence serait de six mois, ce qui est tout à fait inédit. Est-ce suffisant pour constituer un sas de désimprégnation ? À mon humble avis, non !
Le passage du secteur public au secteur privé est soumis à une autorisation préalable. La vision est asymétrique, mais, intellectuellement, les principes jouent dans un sens comme dans l'autre : la temporalité des intérêts existe toujours, dans le passage du secteur privé au secteur public. Aucune saisine n'a été prévue dans ce sens. J'avoue ne pas savoir pourquoi.
Il n'existe pas d'autres règles que celles que j'ai citées, dans le droit européen, et donc aucune interdiction de ce mouvement du secteur bancaire vers le Conseil des gouverneurs. Pendant deux ans, la personne issue du secteur privé doit s'abstenir sur les sujets liés à des intérêts passés. Par ailleurs, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique exerce un contrôle sur d'éventuels conflits d'intérêts tout au long du mandat.
Mario Draghi - qui a été un excellent successeur à la Banque centrale européenne - a d'abord été à la banque centrale italienne, immédiatement après avoir été banquier commercial chez Goldman Sachs.
Il travaillait au Trésor avant.
Avant ! Notre candidat a également été au Trésor : je l'ai moi-même recruté quand j'étais directeur.
Mario Draghi a effectué un mouvement inverse de celui de François Villeroy de Galhau.
Non, pas du tout. Mario Draghi est passé directement de la banque commerciale à la Banque d'Italie.
J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les différents points de vue. La question de la réelle incompatibilité de quelqu'un qui a assumé des responsabilités importantes dans le domaine financier se pose. Je reste très prudent.
La définition des conflits d'intérêts exposée par le président Magendie est essentiellement matérielle, ou porte éventuellement sur des responsabilités. N'y a-t-il pas, de façon plus grave, des conflits d'intérêts moraux ou intellectuels ? On reproche souvent à l'Inspection générale des finances d'être présente partout, au Trésor, à la Banque de France et à la tête des grandes banques commerciales. Ce petit monde se connaît et se protège. Jézabel Couppey-Soubeyran, dans sa pétition, donne sa préférence à un profil universitaire. Des universitaires sont-ils équipés pour diriger une institution de 15 000 personnes et siéger au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne ?
En matière de conflits d'intérêts, des traitements différenciés s'appliquent selon les secteurs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) interdit à ses membres d'exercer des fonctions dans les médias pendant une période d'un an à compter de la cessation de leurs fonctions, comme si l'influence d'un membre du collège était déterminante. C'est aberrant ! Dans nombre d'autres domaines, rien n'est prévu. Le service public, la haute fonction publique impliquent un parcours et des concours, qui fondent l'esprit même de l'élite républicaine. Le pantouflage des énarques me gêne beaucoup. Il entraîne une confusion des élites qui ne s'inscrivent plus dans le service de la République. Si François Villeroy de Galhau avait fait un doctorat ou deux ans de professorat, le sens de son parcours serait différent. Jean Maïa a reconnu une situation de conflit d'intérêts flagrante, en précisant que François Villeroy de Galhau ne s'engagera pas dans les dossiers ayant trait à BNP Paribas pendant deux ans.
Le plus important, c'est la compétence. Les arguments de Jézabel Couppey-Soubeyran sont intéressants. Mais ceux qui sortent d'une fonction ne la défendent pas forcément pour autant. Qui aime bien châtie bien ! Un Président de la République venu directement de la présidence d'un conseil général n'a-t-il pas eu envie de les supprimer ? Et sans délai de carence !
Ayant quitté le secteur privé il y a vingt-cinq ans et fourni une déclaration de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, je peux donc être Gouverneur de la Banque de France ? L'important, c'est la compétence. De hautes personnalités de l'actuel gouvernement sont venues du secteur bancaire, et retourneront probablement dans le privé. Peut-on parler de conflit d'intérêts dans ce cas-là ? Nous nous sommes focalisés sur le Gouverneur de la Banque de France, mais il faut regarder au-delà.
La question est double. François Villeroy de Galhau a-t-il les qualités et les compétences requises ? Existe-t-il des raisons juridiques d'écarter sa candidature ? L'obligation d'abstention sur les questions portant sur des fonctions précédentes est classique. Y a-t-il d'autres dispositions juridiques traduisant des incompatibilités ? Nous avons tous à coeur que la fonction publique bénéficie des talents de ceux qui ont eu un parcours dans d'autres domaines de la sphère économique. Devoir écarter tout candidat issu du secteur privé représenterait une contrainte dans beaucoup de domaines.
J'ai entendu les précisions sur la participation du futur Gouverneur aux travaux du collège de l'ACPR. L'intéressé a déclaré qu'il se déportera sur les questions relatives à ses anciennes fonctions. C'est une règle habituelle, et de bon sens. En matière d'intérêts personnels, tout est strictement réglementé.
Les fonctions exercées antérieurement peuvent-elles entraîner des comportements divergents de ce qui est attendu peuvent ? C'est la vraie question. Jean-Claude Trichet a rappelé que plusieurs gouverneurs de banques centrales avaient travaillé dans le secteur privé, comme Mario Draghi, nommé à la Banque d'Italie juste après avoir quitté Goldman Sachs. N'ayons pas la suffisance de penser que la Banque d'Italie est une petite banque ! Jean-Claude Trichet a-t-il eu le sentiment que les positions défendues par ses collègues étaient influencées par leurs parcours antérieurs ? Cela a-t-il nui aux décisions à prendre au nom de l'intérêt général ? Les allers et retours entre secteurs public et privé sont souhaitables pour irriguer le système. Ces expériences utiles, voire recommandées, servent la collectivité ; d'autres pays les encouragent d'ailleurs. La faiblesse ne résiderait-elle pas dans les missions de la commission de déontologie ? Ne devrait-elle pas émettre un avis en cas de passage du secteur privé vers le secteur public ? Nous sortirions enfin de ces débats si franco-français...
Nous avons tous en tête la crise financière débutée en 2007-2008, dont nous subissons encore les conséquences. La zone euro peine à se rétablir.
Dans un tel contexte nous avons besoin de banquiers centraux et de superviseurs extrêmement sensibles à la question de la stabilité financière afin que cela ne se reproduise pas. On est d'autant plus soucieux des risques d'instabilité financière, d'autant plus promoteur de la régulation financière que l'on n'est pas lié au secteur bancaire. Il faut donc impérativement des banquiers centraux et des superviseurs indépendants à l'égard de ce secteur. Dans les années 1990, quand Jean-Claude Trichet occupait cette fonction, l'indépendance par rapport au pouvoir politique a été inscrite dans les statuts des banques centrales, au nom de la stabilité monétaire. Il s'agit désormais de stabilité financière : pour la garantir, il est indispensable de mettre en oeuvre un principe d'indépendance vis-à-vis du secteur bancaire et financier. Je ne défends pas un candidat universitaire, mais il faut privilégier celui qui présente les meilleurs gages d'indépendance et d'expertise ; or l'expertise acquise dans le secteur bancaire et financier n'est pas la plus appropriée pour cette fonction.
Le principe de l'abstention du Gouverneur sur les affaires concernant un établissement où il a travaillé a été présenté comme un garde-fou. Mais BNP Paribas représente le quart du secteur bancaire français ! Est-ce à dire que lorsqu'il présidera l'ACPR, le futur Gouverneur n'assumera que 75 % de sa mission ?
La Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts a écarté la prise en compte des intérêts moraux, philosophiques, syndicaux et religieux parce que trop intrusive et susceptible d'attenter à la liberté d'expression. Nous le justifions ainsi dans notre rapport : « le principe en la matière doit rester celui de la confiance et de la responsabilité de la personne concernée, qui est réputée ne pas être influencée par ses convictions dans l'exercice de ses missions, sauf pour certains types de fonctions, d'actes ou de mesures pour lesquels l'existence de telles convictions, dès lors qu'elles se traduiraient par un engagement concret, pourrait être regardée comme structurellement problématique. » Ces cas restent marginaux ; la principale préoccupation porte bien sur les intérêts matériels.
Sur ce point, un parallèle avec la magistrature s'impose : la règle d'impartialité est certes très importante, mais un magistrat indépendant et incompétent ne serait guère utile. La compétence est presque aussi importante que l'indépendance. Nous balançons entre les règles de protection et la nécessaire compétence du décideur. J'estime pour ma part que plus on est compétent, plus on est indépendant.
Il y a en effet une tension fondamentale entre compétence et impartialité. Des règles d'abstention s'appliquent déjà au Gouverneur de la Banque de France ; pour le reste, l'important est de saisir l'intensité du conflit. Dans ce cas précis, un contrôle permanent est exercé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Je partage entièrement le sentiment de Jézabel Couppey-Soubeyran sur l'indépendance de la banque centrale, qui a nécessité une modification de la Constitution. Sur le plan français comme sur le plan européen, il est explicitement indiqué que les banques centrales ne sauraient solliciter ni recevoir d'instructions de quelque gouvernant ou lobby que ce soit. C'est fondamental.
Richard Yung a suggéré que les inspecteurs des finances étaient partout. Je tiens à signaler que Michel Camdessus, Christian Noyer ou encore le précédent directeur du Trésor, ne l'étaient pas. La France n'est pas aussi étroite que vous ne semblez le croire dans le recrutement de ses élites ! Je rappelle également que François Villeroy de Galhau a enseigné la politique économique à Sciences Po pendant dix ans - une expérience significative, même si elle n'est pas universitaire à proprement parler - après avoir été directeur de cabinet du ministre de l'économie et des finances, ce qui lui donne certaines compétences en la matière.
Mais le problème crucial est l'élimination de tout conflit d'intérêt. Lorsque je présidais la BCE et le Comité de Bâle, je n'ai pas constaté de différence, au point de vue de l'indépendance, entre ceux qui étaient passés par un établissement bancaire et les autres. La double expérience est-elle possible ? Je le crois.
Les missions des banques centrales n'étaient pas les mêmes à cette époque ! Aujourd'hui, elles sont impliquées dans la stabilité financière.
J'en sais quelque chose, pour avoir contribué à cette évolution. La politique monétaire joue un rôle très important dans la stabilité financière. D'autres gouverneurs de banque centrale se sont montrés plus bienveillants que moi à l'égard des marchés financiers, ce qui a conduit à des catastrophes. Dans notre pays même, j'ai vu le balancier partir dans l'autre sens. On se dit aujourd'hui que je n'avais peut-être pas tort...
Aux termes de l'article L. 142-8 du code des marchés financiers, le Gouverneur de la Banque de France est nommé par décret en conseil des ministres pour une durée de six ans, renouvelable une fois. En application de la loi du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les candidats proposés par le Président de la République sont entendus par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cela s'explique par l'importance de la fonction de Gouverneur de la Banque de France « pour la vie économique et sociale de la Nation ». Pour cette même raison, la commission a procédé à l'audition de quatre personnalités pour l'éclairer sur les enjeux juridiques, voire économiques, de cette nomination. Je rappelle également à mes collègues qu'ils ont reçu, le 10 septembre dernier, un curriculum vitae de François Villeroy de Galhau, ainsi qu'une copie de la lettre qu'il m'a adressée, ainsi qu'au président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, et précisant les dispositions prises afin de garantir son indépendance et son impartialité au regard de ses responsabilités passées.
La nomination ne sera effective que si l'addition des votes négatifs dans chacune des commissions ne dépasse pas les trois cinquièmes des suffrages. Les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Merci de votre accueil. Il vous revient aujourd'hui d'apprécier si je peux remplir une mission dont je mesure toute la responsabilité au service de notre pays. Cette procédure, exercée pour la première fois s'agissant de la Banque de France, donne des garanties de transparence et de contrôle qui confèrent à un mandat davantage de légitimité et d'impartialité. Je crois à la démocratie et au respect de nos institutions. Voilà pourquoi j'ai décidé, depuis la proposition du Président de la République, de réserver aux parlementaires - et à eux seuls - mon intervention ainsi que les réponses à vos questions légitimes, sereinement. Cette règle n'a pas toujours été facile, mais elle s'imposait. Je suis donc heureux que le temps de cette audition soit venu.
Pour apprécier mon aptitude à cette fonction, vous avez à juger d'une personne, de sa compétence, et de son indépendance. Sur la personne, pour aller au-delà de certaines étiquettes parfois hâtivement collées, deux ou trois éclairages sur mon histoire : je suis un homme de l'Est, né à Strasbourg et dont les racines familiales sont depuis longtemps en Lorraine, et même en Sarre, autrefois terre française et aujourd'hui de l'autre côté de la frontière. Nous avons choisi de rester français, ce qui crée un lien encore plus profond avec mon pays. Et je suis en même temps un Européen de conviction et de pratique, en Allemagne ou plus récemment en Italie.
Je suis avant tout un homme de service public. J'y ai passé déjà vingt ans de ma vie professionnelle, marqués notamment par deux grands engagements : la construction de l'Union économique et monétaire, à Paris et à Bruxelles ; la réforme de la direction générale des impôts que j'ai eu l'honneur de diriger. En 2003, quand je suis allé en entreprise, j'ai dit que c'était pour moi une autre façon de servir notre pays et la force de son économie. L'expression a, paraît-il, surpris, de part et d'autre, mais je crois qu'il ne faut pas opposer à l'excès ces deux mondes. J'ai appris à bien connaître les entrepreneurs ; mais l'intérêt pour la chose publique ne m'a jamais quitté.
J'espère enfin être un homme de convictions. Sans prétendre donner de leçons, avec humilité, je crois à la responsabilité sociale - de chacun mais d'abord des dirigeants, y compris économiques. Je crois à l'éthique, y compris en matière financière : j'ai toujours dit ce que je pensais des excès de la finance et de certaines rémunérations ; je me suis engagé pour le développement du microcrédit et de l'entrepreneuriat social. Je crois au débat d'idées et au dialogue entre personnes respectueuses de leurs différences : ce dialogue est pour notre pays aujourd'hui, avec toutes ses peurs et le drame du chômage, le défi le plus difficile ; vous le ressentez plus quotidiennement encore que moi.
Sur mes compétences, la question n'est évidemment pas d'inventer une querelle entre les inspecteurs et les docteurs. C'est plutôt la variété de mon parcours professionnel, construit cependant autour d'une continuité d'engagement, qui m'a - je l'espère -bien préparé pour cette mission. Outre les connaissances européennes et en économie - que j'ai enseigné dix ans - il y a trois savoir-faire spécifiques que j'ai davantage développés, y compris par mon expérience bancaire : le management de grandes équipes et d'un réseau ; la connaissance du terrain, des entreprises, notamment des PME, et de leur financement ; le sens, ou le goût, de la pédagogie sur des sujets rapidement trop techniques. Le rapport que j'ai remis fin août sur le financement de l'investissement montre, je l'espère, cette valeur ajoutée. Ce plus de compétence risque-t-il d'entraîner un moins d'indépendance ?
Cette question de l'indépendance est légitime, et je l'ai prise très au sérieux. J'ai d'abord voulu garantir qu'il n'y aurait jamais de situation de conflit d'intérêts, telle que vous l'avez définie à l'article 2 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique : que jamais ne puisse exister un intérêt privé « de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif » de mes responsabilités. Après avoir examiné rigoureusement l'ensemble des dispositions existant en droit français, j'ai indiqué dans la lettre que j'ai fait parvenir à votre présidente dès le 9 septembre que je n'aurai plus aucun intérêt présent ni différé dans BNP Paribas ni dans aucune banque ou institution financière, et que j'ai renoncé pour cela définitivement à tous mes droits financiers. Par ailleurs, les décisions individuelles concernant les grandes banques ont été significativement réduites par le transfert de leur surveillance à Francfort depuis le 1er novembre dernier ; je m'engage cependant, à titre de précaution supplémentaire, à ne participer à aucune décision individuelle d'aucune sorte concernant BNP Paribas dans les deux ans suivant mon départ.
Mais l'indépendance, c'est davantage que cette absence de tout conflit d'intérêts. C'est veiller à ce que la réglementation collective du secteur des banques et assurances soit toujours prise en fonction de l'intérêt général. J'ai lu parfois que, si j'étais nommé, je risquais d'être prisonnier de la finance. C'est extrêmement mal me connaître : j'ai mes limites, comme chacun ; mais je suis un homme libre, et je suis un homme droit. Et je déciderai en fonction seulement de ce que je crois être bon pour notre pays et son économie. Je m'appuierai pour cela sur l'expertise forte des équipes de la Banque de France, et sur ce que je connais du secteur - et je crois que c'est un atout. L'exemple des pays étrangers montre combien cette expérience peut apporter pour des banquiers centraux. L'indépendance, ce sont des règles le plus rigoureuses possibles, mais aussi un caractère, et une éthique. C'est sur ces trois composantes que vous apprécierez la confiance à m'accorder ; et si vous le faites, ce sont ces trois composantes - des règles, un caractère, une éthique - que j'aurai ensuite à appliquer chaque jour, pour défendre le bien commun qu'est la monnaie.
Ces missions s'exercent bien sûr dans le contexte nouveau créé par l'euro, depuis seize ans, et l'union bancaire depuis l'an dernier, mais la Banque de France joue toujours un rôle essentiel pour l'économie française et européenne. Je ne prétendrai pas aujourd'hui vous en donner déjà une lecture achevée, et je serais heureux dans l'avenir d'avoir sur ces sujets un dialogue aussi fréquent et complet que possible avec votre commission. Je résumerai ma vision des missions de la Banque de France autour de trois grands objectifs : la stratégie monétaire ; le service économique, pour la collectivité nationale ; la stabilité financière, afin d'assurer une meilleure prévention des crises.
L'euro repose sur un système fédéral efficace, composé de la BCE et des banques centrales nationales. De cet eurosystème, la Banque de France est le pilier français. Elle a donc tout son rôle à jouer en amont, dans les débats et décisions de politique monétaire qui appartiennent au Conseil des Gouverneurs, comme en aval dans la réalisation des opérations qui lui incombent pour notre territoire, ainsi que la monnaie fiduciaire. Je crois que la politique monétaire active menée avec Mario Draghi est la bonne pour tendre vers une inflation proche de 2 %. Elle est nécessaire pour soutenir la croissance, même si elle ne peut y suffire : il y faut des réformes dans chaque pays, dont le nôtre ; il faut un renforcement de la zone euro, et il ne faut pas renoncer à l'ambition d'un meilleur ordre monétaire mondial. Notre monnaie, ce sont bien sûr les règles des traités, mais c'est à mes yeux beaucoup plus qu'un outil technique : une bonne monnaie comme l'euro doit porter pour nos concitoyens des valeurs essentielles de confiance et de justice. Au titre de cette stratégie monétaire, je veux poursuivre l'ambition incarnée par Christian Noyer d'une Banque de France en position de leadership européen, en particulier sur les opérations de marché ou les moyens de paiement.
Le service économique à la collectivité nationale, ensuite. À ce titre, la Banque de France doit d'abord apporter, notamment aux élus, le meilleur diagnostic possible sur la conjoncture, la situation des entreprises, les financements en soutien du développement. Elle doit rendre des services concrets aux particuliers, à commencer par les plus défavorisés, dans le traitement du surendettement, l'accès aux comptes bancaires, la protection et l'éducation financière des consommateurs. Et elle est également au service des PME, à travers la cotation et la médiation du crédit. Ces missions de service économique s'ancrent très heureusement sur le terrain : je compte aller dans chacune des nouvelles régions dans la première année de mes fonctions pour rencontrer les équipes de la Banque mais aussi les acteurs publics et privés dans les territoires. Cet ancrage éclaire en retour la stratégie monétaire : la Banque de France a cette grande chance d'avoir la tête dans l'Europe et les pieds sur le terrain ; je compte développer encore ce lien.
La stabilité financière, enfin. Cette mission s'est évidemment renforcée depuis la crise financière et ses ravages. Elle a son volet individuel, pour garantir la sécurité de l'épargne : la supervision des assurances et des banques, avec le grand progrès de l'union bancaire. Un système financier sain sert notre pays. Mais la stabilité financière exige surtout un volet collectif : le renforcement de la réglementation financière et la surveillance des risques d'enchaînement dits macroprudentiels. Un travail complexe, considérable, indispensable, a été mené depuis 2009 à Bâle, à Bruxelles, à Paris. Ce travail est souvent critiqué, excessivement. Les règles du jeu n'ont plus rien à voir avec celles de l'avant-crise : les banques ont dû considérablement renforcer leurs protections. À l'inverse, Bâle III ne pèse pas à mon sens sur la croissance. Pour autant, nous devons rester très vigilants pour l'avenir, ce qui suppose notamment une présence active, dans les discussions de Bâle, de la France comme de la zone euro - qui partage en général le même modèle de financement par des banques intégrées.
Stratégie, service, stabilité : voici le triangle fondateur des missions de la Banque de France. Triangle dynamique, car chacune des missions nourrit les deux autres. Encore faut-il pour cela deux conditions transversales du succès. La première est de contribuer davantage encore au débat économique rigoureux dans notre pays. Nos défis sont immenses ; notre culture économique collective passe pour être faible ; nos affrontements sont souvent stéréotypés ; nos cloisons sont trop étanches entre responsables publics, entrepreneurs, recherche économique. Notre pays a pourtant une communauté d'économistes parmi les plus reconnues au monde ; la Banque de France a en son sein beaucoup de talents et de données pour nourrir avec cette communauté extérieure l'éclairage des problèmes, et la recherche de leurs solutions. Je m'engagerai en ce sens.
La seconde clé du succès, ce sont les équipes de la Banque de France et leur management : 12 000 hommes et femmes très attachés à leur métier et reconnus pour leur fiabilité et leur professionnalisme. La moitié est hors des services centraux, dans le réseau ou la fabrication des billets. La Banque est engagée dans un plan résolu d'adaptation de ce réseau qui combine efficacité et visibilité dans chaque département. Au-delà, il y a un bel horizon de management : la Banque de France peut être exemplaire dans la transition des générations, la modernisation de ses méthodes de travail, l'ouverture de sa culture.
La Banque de France peut regarder l'avenir avec ambition, parce qu'elle est forte de son nom et de son histoire, mais plus encore parce que ses missions en font un instrument exceptionnel au service d'une monnaie fiable, et plus largement d'une croissance saine et d'un emploi durable. Telles sont les finalités qui m'animeront, si vous me confiez cette responsabilité pour notre pays.
Je vous remercie. L'union bancaire repose sur trois piliers. Les deux premiers, déjà engagés, sont les mécanismes de supervision et de résolution communs. Le troisième est une garantie des dépôts mutualisée, qui semble au point mort, notamment en raison de l'opposition de l'Allemagne. Considérez-vous que l'union bancaire réduit véritablement le lien entre le risque souverain et le risque bancaire tant qu'un épargnant n'est couvert que par son système de garantie des dépôts national ? Faut-il attendre l'achèvement de la mise en place des règles de résolution, notamment le renflouement interne, avant d'envisager de mutualiser les fonds de garantie ?
Les banques françaises ont été impliquées, au cours des dernières années, dans des contentieux liés à leurs opérations avec des pays sous embargo ainsi qu'à des affaires de blanchiment. À vos yeux, le Gouverneur de la Banque de France doit-il proposer des mesures pour renforcer les règles en la matière ? Je précise que ma question n'est pas liée à vos fonctions passées au sein de BNP Paribas, où vous étiez chargé des marchés domestiques.
Notre commission a beaucoup travaillé sur la sécurité financière et la solvabilité des banques. Les règles prudentielles telles que Bâle III ou Solvabilité II ne risquent-elles pas de contraindre à l'excès le financement de notre économie ? Quid d'un éventuel Bâle IV ?
Enfin, comment appréciez-vous le risque de remontée des taux d'intérêt américains ? Quelle devrait-être la politique des banques centrales en la matière ?
Je salue le progrès que constitue la construction des deux premiers piliers de l'union bancaire, inimaginable il y a deux ans. La supervision, assurée à Francfort par la BCE, est une réalité depuis le 1er novembre ; quant au mécanisme de résolution, il sera mis en place le 1er janvier 2016. En cas de résolution d'une grande banque française, la décision serait prise par le Conseil de résolution qui siège à Bruxelles, la Banque de France étant chargée de la seule mise en oeuvre.
La résolution concerne les dépôts au-delà de 100 000 euros, les créanciers étant désormais sollicités, plutôt que les contribuables, pour combler les besoins - ce qui est une bonne chose ; en deçà de 100 000 euros, c'est la garantie des dépôts qui s'applique. La Commission européenne a formulé des propositions en la matière et Jean-Claude Juncker s'est prononcé en faveur de la garantie des dépôts. Je ne préjuge pas de l'issue des discussions, qui seront difficiles en raison de la position de l'Allemagne mais aussi d'autres pays. J'observe simplement qu'il existe un lien entre le deuxième pilier et le besoin d'une garantie harmonisée des dépôts. Une fois la résolution achevée - elle ne l'est pas tout à fait - nous aurons une souplesse supplémentaire pour la mise en oeuvre du troisième pilier.
Je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur les affaires à l'international, n'ayant jamais eu à connaître du contentieux entre BNP Paribas et les autorités américaines lors de mon passage dans cette banque. Les affaires que vous évoquez nous renvoient à la problématique de la conformité, sujet de préoccupation pour tous les établissements occidentaux. Les banques - y compris américaines - se voient en effet infliger des pénalités de plus en plus importantes, ce qui les a conduites à mettre en place des procédures internes de prévention. Chaque banque française a ainsi renforcé ses équipes dédiées à la conformité. Il n'y a plus de zone grise : ce qui n'est pas explicitement autorisé par la législation internationale et l'ensemble des législations nationales doit désormais être considéré comme prohibé. Nous ne pouvons nous permettre la moindre faiblesse.
Contrairement aux craintes affichées par les banques - dont, comme vous le voyez, je ne partage pas toujours les vues - les effets positifs de la politique monétaire sont bien plus importants que les effets négatifs potentiels de Bâle III sur la disponibilité et le coût du crédit. Quant à ce que l'on appelle « Bâle IV », des règles comme le TLAC (Total Loss Absorbing Capacity) - sorte de coussin amortisseur -, le ratio de levier sur les risques non pondérés et la révision des risques opérationnels qui sont en discussion pénaliseraient davantage les banques européennes que leurs homologues américaines, la réglementation existante aux États-Unis étant plus proche des règles envisagées. Cette situation appelle une vigilance particulière, afin de maintenir l'équilibre entre le renforcement de la sécurité financière et les effets économiques potentiellement négatifs. Le rapport sur l'investissement des entreprises que j'ai remis au Gouvernement propose de réactiver l'instance internationale d'évaluation des effets économiques des réglementations, réunie en 2010 mais jamais reconvoquée depuis. Vis-à-vis des responsables publics que vous êtes, on ne peut se permettre de dire « circulez, il n'y a rien à voir » ; une évaluation ex ante est nécessaire.
Les taux américains sont appelés à augmenter - je me garderai de faire des pronostics de calendrier - mais une éventuelle inflexion de la politique américaine ne modifiera pas la politique monétaire européenne, Mario Draghi et le Conseil des Gouverneurs des banques centrales ayant indiqué leur intention de maintenir durablement les taux à un niveau bas. Les taux de long terme européens sont inférieurs aux taux américains, une situation très rare : ils sont de 0,6 % en Allemagne et de 1 % en France, contre 2 % aux États-Unis. Au demeurant, ce n'est pas un motif de satisfaction, puisque cette déconnexion montre que les États-Unis sont plus avancés que l'Europe sur le chemin de la croissance.
Vous estimiez dans votre propos liminaire que Bâle III ne pèse pas sur la croissance, mais votre dernière réponse est plus nuancée. L'une des questions fondamentales tient à l'encadrement bancaire et aux normes prudentielles, car les modes de financement des économies européenne et nord-américaine sont très différents. Quelle attitude faut-il adopter face aux exigences de nos partenaires d'outre-Atlantique, sachant qu'une grande partie du système bancaire américain échappe à toute régulation ?
Le continent africain semble appelé à connaître une croissance soutenue. Le franc CFA a conservé sa parité fixe avec l'euro ; est-ce un atout ou un handicap, et ce système doit-il évoluer ?
En tant que président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), vous serez amené à exercer un contrôle prudentiel sur le secteur assurantiel. Les taux d'intérêt bas vous semblent-ils durablement supportables par ce secteur ?
Le Gouverneur de la Banque de France siège au Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale européenne, il a son mot à dire dans la politique de la BCE. Vous avez déclaré approuver les orientations et l'action de Mario Draghi, en particulier sa politique monétaire. Or quels en sont les effets ? L'objectif d'inflation a été fixé à 2 %, or elle stagne aujourd'hui à 0,1 ou 0,2 % en France. Les effets tardent à se faire sentir. Quelles propositions formulerez-vous à ce sujet au sein du Conseil des Gouverneurs ?
Vous avez récemment publié un ouvrage intitulé L'Espérance d'un Européen. Pouvez-vous nous en présenter les principales idées ?
À travers le shadow banking, que l'Agefi a qualifié de « cas de conscience des régulateurs », au moins la moitié des activités financières échappent à toute régulation. On en sait les raisons : une régulation bancaire trop stricte, entraînant le développement, alentours, d'activité plus risquées, offrant un taux de rendement plus intéressant. L'Institute of International Finance parle d'un risque systémique. Le Gouverneur de la Banque de France s'est exprimé hier, de manière mesurée, sur les possibilités de régulation. Quelle est votre doctrine personnelle au sujet de ces acteurs qui permettent de générer plus de profits en contournant la régulation ? Quelle régulation pour cette sphère parallèle ?
La différence entre les modes de financement de l'économie en Europe et aux États-Unis est incontestable. Si l'on considère le financement par la dette, 20 % des entreprises européennes se financent sur les marchés, 80 % auprès des banques ; aux États-Unis, la proportion est presque inversée, à 25 % contre 75 %. De plus, le financement par fonds propres sous la forme d'actions, qui est la marque d'une économie de l'innovation, est bien plus important aux États-Unis.
Concernant le financement par la dette, je me méfie du discours sur la désintermédiation. Il y a eu quelques discours excessifs autour du paquet Barnier, alors même que l'intention de son auteur n'était aucunement d'aligner l'Europe sur le modèle américain. Pour ma part, je crois à la diversification tirée par la demande, adaptée aux besoins des entreprises - surtout les ETI, mais aussi les PME - qui devraient pouvoir faire appel aux marchés, aux placements privés ou encore aux plateformes de financement participatif, une solution encore marginale mais très en vue. Nous avons besoin d'une réglementation cohérente sur ce point, mais pas d'une désintermédiation forcée. J'ai pu constater, lors de mes rencontres avec les ETI et PME, à quel point cette liberté était demandée.
Tout cela pose deux questions. En premier lieu, il faut éviter que le modèle américain ne s'impose dans les discussions autour de « Bâle IV ». Il n'y a aucune raison de transposer la réglementation américaine.
En second lieu, ce modèle de financement diversifié ne doit pas comporter de trous dans la régulation. L'appellation « shadow banking » est parlante, mais elle a perdu en précision ce qu'elle a gagné en notoriété. Pour certains, cela recouvrirait tout ce qui n'est pas banque : c'est excessif. Il est vrai, cela dit, que des masses considérables de financements se déplacent du secteur régulé vers le secteur non régulé. Il existe quatre grandes catégories d'intermédiaires financiers : les banques, les assurances, les gestionnaires d'actifs et les fonds de pension - ces derniers ne concernent pas la France. Pour les deux premiers, le gros du travail a été fait. Reste à réguler les gestionnaires d'actifs. Yves Perrier, qui dirige Amundi, plus gros gestionnaire d'actifs français et seul acteur européen d'importance mondiale, a courageusement pris parti pour un renforcement de la réglementation. C'est aussi la priorité du Conseil de stabilité financière de Bâle. Certes, les intérêts en la matière diffèrent de part et d'autre de l'Atlantique. Mais Mark Carney, Gouverneur de la Banque d'Angleterre, et Stefan Ingves, président du Comité de Bâle, semblent décidés à progresser sur ce dossier. Il est souhaitable qu'un accord soit trouvé d'ici 2016, qui ne devra évidemment pas consister en une transposition pure et simple de la réglementation bancaire : imposer des obligations de capital à des gestionnaires d'actifs n'a guère de sens. Mais instaurer des règles de liquidité, surveiller les effets de levier et imposer des stress tests aussi puissants que ceux appliqués aux banques permettra de diminuer l'ampleur des arbitrages réglementaires.
Votre question sur le franc CFA m'a touché, car mon premier poste à la direction du Trésor a été au bureau de la zone franc. J'y ai cru, j'y crois toujours. La dévaluation de 1994 a consolidé la zone franc CFA en rendant la croissance compatible avec la stabilité monétaire. Cette zone est un atout pour le développement des pays d'Afrique francophone et constitue un lien important entre ces pays et la France.
La faiblesse des taux d'intérêt est en effet préoccupante pour le secteur assurantiel. Lors de sa réunion de début septembre, le Haut Conseil de stabilité financière - l'un des grands progrès issus de la loi de 2013 - a souligné la nécessité d'une baisse ordonnée des rendements servis sur l'assurance-vie. Sujet sensible, mais il est nécessaire d'anticiper la baisse à venir sur le stock. Tout est affaire de pilotage en finesse. Le plus grand risque serait, du reste, une remontée brutale des taux, qui diminuerait la valeur du portefeuille obligataire. Ce risque semble toutefois lointain : ce n'est pas l'orientation actuelle de la politique monétaire.
La politique du Conseil des Gouverneurs n'a pas eu d'effet immédiat sur l'inflation dans la zone euro, en effet. Notons toutefois que celle-ci est sortie du territoire négatif, où elle était au début de l'année, pour s'établir en août à 0,1 %. Pour autant, nous sommes loin du compte. Une partie de l'explication réside dans la faiblesse du prix du pétrole, des matières premières et des produits alimentaires. Hors énergie et alimentation, l'inflation dans la zone euro est d'ailleurs comprise entre 0,6 % et 0,9 % selon les pays. Cela dit, les anticipations ont remonté : on attend désormais 1,5 % ou plus pour la fin de l'année 2017. De plus, le coût de financement des États, des entreprises et des ménages a baissé, ce qui est bon pour la croissance européenne. Cette politique a enfin eu un effet sensible sur les taux de change : 1 euro vaut 1,12 dollars, contre 1,30 à 1,40 début 2014, ce qui est bon pour notre compétitivité. Mario Draghi et les membres du Conseil des Gouverneurs se sont dits prêts à adapter leur politique s'il fallait en faire plus et à intensifier ou prolonger le programme de rachat d'actifs si besoin, faisant preuve d'un grand pragmatisme.
L'Espérance d'un Européen est un titre délibérément un peu provocateur...
J'ai voulu raconter l'Europe du terrain, telle que je la vis dans mon village sarrois, ou telle que je l'ai vue en Italie. Trop souvent abstraite, assimilée à des querelles institutionnelles qui n'intéressent guère, l'Europe gagnerait à être présentée différemment : il s'y passe beaucoup de choses passionnantes chez nos voisins, dont nous gagnerions parfois à nous inspirer. Ma conviction est que l'identité européenne s'exprime essentiellement à travers un modèle social, caractérisé par un service public plus fort et des inégalités plus faibles que le monde américain ou émergent. Ce modèle social européen, loin d'être synonyme de conservatisme, est compatible avec le succès dans la mondialisation économique, au prix d'une réforme permanente. Nous ne sommes pas condamnés à choisir : l'Allemagne, entre autres, montre qu'une trajectoire de réformes, dans la durée, est gage de réussite. Nous sommes nombreux, je crois, à souhaiter que notre pays poursuive et avance sur le chemin qu'il s'est tracé.
Une nomination à ces fonctions prestigieuses et importantes n'est ni banale, ni technique. Votre candidature a suscité des commentaires, et même des polémiques. En particulier, un risque de conflit d'intérêts a été évoqué. Pouvez-vous présider l'ACPR alors qu'elle a infligé à la banque dont vous fûtes responsable une amende de 10 millions d'euros, pour une affaire de dossiers de contrats d'assurance-vie en déshérence ? Vous avez tenté de couper court à toute polémique en adressant un courrier aux présidents des deux commissions des finances, dont la presse s'est fait l'écho. Vous y prenez l'engagement de ne percevoir aucune rémunération différée de BNP Paribas de ne plus détenir aucune action de cette banque, même si vous ne pouvez pas céder les actions dites de performance avant mars 2016, et de ne participer à aucune décision individuelle concernant BNP Paribas dans un délai de deux ans. Tous ces engagements vont de soi mais montrent bien que se pose une vraie question éthique. Nous avons à nous prononcer non pas sur votre personne, j'insiste sur ce point, mais sur des principes qui doivent prévaloir dans une République qui se veut exemplaire.
Dans une récente décision relative au cas de François Pérol - qui n'a rien à voir avec le vôtre - le tribunal a souligné que la « singulière porosité entre secteur privé et secteur public et l'apparente familiarité avec laquelle les plus proches collaborateurs d'un ministre sont traités » - vous avez été directeur de cabinet d'un ministre de l'économie - « donnent l'apparence d'une connivence pour des affaires privées, particulièrement regrettable au titre du respect dû aux institutions de la République. » Nous ne sommes pas au tribunal, mais que pensez-vous de ces attendus ?
Nous constatons que les candidatures à ce type de fonctions sont très souvent issues de la banque privée : ainsi, celles de Mathilde Lemoine ou de Valérie Plagnol au Haut Conseil des finances publiques. Les critères mis en avant sont l'expertise et la compétence. Soit, mais n'y aurait-il de compétences que chez les personnalités issues de la finance privée ?
Nous avions auditionné Jean-Pierre Jouyet avant sa nomination à la tête de la Caisse des dépôts et consignations. Il s'était engagé à ne pas prendre de poste dans les filiales de cet établissement et je m'étais étonné de cette restriction. D'ailleurs, peu de temps après, il avait été nommé administrateur de la CNP, et heureusement ! Pour des postes aussi importants, on ne peut prédire l'avenir et il est dangereux de prévoir de telles limitations. D'ailleurs, il n'y a eu aucune réaction. Je souhaite donc que vous soyez délié des engagements que vous avez pris par lettre, dès lors que vous aurez reçu l'approbation de la commission des finances : en cas de crise, vous devez pouvoir intervenir en toute indépendance. Voulons-nous aller vers des nominations parcellaires ou conditionnelles ?
Ne pensez-vous pas qu'une impulsion plus forte sur la demande est nécessaire à l'économie française et européenne ? Vous formulez dans votre rapport sur le financement de l'investissement certaines propositions qui ne vont guère dans cette direction, hormis votre soutien à certaines mesures du plan Junker. Après les efforts consentis par notre pays pour restaurer la situation financière des entreprises, nous devons nous interroger sur les instruments dont nous disposons pour renforcer la demande.
N'y a-t-il de compétences que chez les personnalités issues de la finance privée ? Non, évidemment. Il se trouve que trois anciens Gouverneurs de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, Michel Camdessus et Jacques de Larosière, sont issus du service public. Ils ont affirmé que mon parcours mixte leur paraissait compatible avec l'indépendance requise par l'exercice de ces fonctions. D'ailleurs, j'ai effectué les deux tiers de ma vie professionnelle dans le service public. Ceux qui me connaissent savent que la fibre du service public est bien ancrée en moi, et je ne crois pas, en travaillant dans la banque de détail en France et en Europe, m'en être tellement éloigné. Je ne ferai aucun commentaire sur la décision du tribunal relative à François Pérol, mais je souligne qu'il s'agit du cas d'une personne passant du public à une responsabilité bancaire. Pour moi, il s'agit de quitter la banque et tous les liens que je pouvais y avoir pour me remettre au service de mon pays. Cela représente un certain nombre de renoncements : c'est normal, mais pas si fréquent.
La lettre d'engagement que je vous ai envoyée résulte d'une étude assez précise que j'ai faite, avec des juristes, de l'ensemble des dispositions en droit français relatives à ma situation. J'en ai fait la réunion, au sens mathématique du terme. Personne ne m'a proposé d'engagement supplémentaire que je puisse prendre. Ces engagements gêneront-ils l'exercice de mes fonctions ? Je ne le crois pas. Le collège de l'ACPR est certes présidé par le Gouverneur, mais il ne traite que de questions transversales. Les décisions individuelles relèvent de trois collèges : un collège bancaire, présidé par un sous-gouverneur nommé pour six ans par décret en conseil des ministres ; le collège des assurances, présidé par un vice-président ad hoc de l'ACPR ; et une commission des sanctions, présidée par un conseiller d'État, et dans laquelle le Gouverneur ne siège pas. Celui-ci n'est donc pas, sauf circonstances exceptionnelles, en situation de prendre des décisions individuelles concernant une banque. Je me suis appliqué la règle des deux ans à titre de précaution supplémentaire car l'article L. 612-10 du code monétaire et financier la prévoit pour l'ACPR.
Quid si une crise grave devait frapper BNP Paribas d'ici au 1er mai 2017 ? Il s'agirait de circonstances absolument exceptionnelles : même lors de la pire crise financière que nous avons connue depuis des décennies, cela ne s'est pas produit. Si nous en étions à une situation de résolution de BNP Paribas, il y aurait des problèmes beaucoup plus graves que mon éventuel conflit d'intérêts ! Dans ce cas, je reviendrais, si vous le souhaitez, devant chacune des deux commissions pour prendre vos instructions. S'il devait se produire un contentieux américain similaire à celui que vous avez évoqué, je ne m'en occuperais pas.
Je me méfie des débats trop simplifiés opposant l'offre et la demande. Le bon sens indique qu'il faut à la fois une politique d'offre et une politique de demande. Actuellement, la demande est soutenue par la faiblesse du prix du pétrole et par celle de l'inflation, qui favorise le pouvoir d'achat - qui augmente à un rythme annuel de 1 % en France -, tout comme les taux d'intérêts très bas. Ces circonstances favorables entraînent une amélioration conjoncturelle mais ne suffisent pas à enclencher une franche reprise. Comment transformer l'essai ? Par l'investissement, qui a le mérite de réunir les partisans de l'offre et de la demande ! Ce qui stimule l'investissement, outre la demande anticipée, c'est la confiance des entrepreneurs, qui nécessite un travail de simplification et de stabilisation des règles et des normes, et les perspectives de rentabilité, surtout pour les PME. À cet égard, le pacte de responsabilité et le CICE vont dans le bon sens, pour le financement des PME et donc la consolidation de la croissance.
Plus qu'au risque de conflit d'intérêts, je m'intéresse au risque de conformisme. Lors de la crise des subprimes, la presse américaine était unanime à minimiser la situation. Actuellement, il faut être lucide sur les risques que le ralentissement de l'économie chinoise fait peser sur la nôtre. Le fond de résolution unique doit être abondé pendant huit ans pour atteindre son volume de cinquante milliards d'euros. Quid si une crise survient avant ? Certes, un responsable n'a pas pour rôle de semer la panique. Pour autant, il ne doit pas ignorer les dangers. Le Sénat a souhaité que les contributions des banques à ce fonds, qui atteignent une quinzaine de milliards d'euros, ne soient pas déductibles, comme c'est le cas en Allemagne. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une décision juste ?
Comment voyez-vous l'évolution de la présence de la Banque de France dans nos territoires ? Le directeur de la Banque de France, dans un petit département comme mon département des Ardennes, assure une présence humaine fondamentale, notamment pour les entreprises en difficulté.
Les chambres de compensation peuvent constituer aussi un facteur de risque systémique. Comment garantir qu'elles restent des facteurs de stabilité ? La BCE ne risque-t-elle pas d'avoir à en secourir en cas de crise majeure ? Que pensez-vous de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne qui, en mars dernier, a débouté la BCE qui souhaitait qu'une chambre de compensation ayant une activité significative en euros soit obligatoirement située dans la zone euro ?
J'ai beaucoup apprécié votre rapport sur le financement de l'investissement des entreprises. Vous y préconisez, pour favoriser le développement des nouveaux contrats d'assurance-vie Euro-croissance, d'autoriser des transferts de richesse entre fonds en euros et supports Euro-croissance. L'ACPR peut-elle accueillir favorablement une telle proposition ?
J'y ai insisté : je suis un homme libre. La diversité de mon expérience professionnelle m'a ouvert à une certaine diversité d'opinions. Personne n'est à l'abri du conformisme, cependant. Vous verrez toutefois que dans certaines de ses parties, mon rapport aborde la question du coût du capital d'une manière assez originale. J'ai bien conscience que le fonds de résolution n'est pas achevé, sa montée en puissance devant être progressive. L'accélérer simplifierait les discussions sur le troisième pilier que doit constituer la garantie des dépôts. Il est juste que l'Europe ait défini des règles protégeant mieux les contribuables et mettant à contribution les créanciers - ce qui n'a nullement déclenché un écroulement du marché des créances bancaires, comme certains l'annonçaient. Rendre les contributions non déductibles est une décision de politique fiscale, qui appartient très légitimement au Parlement, et sur laquelle je n'ai pas à faire de commentaire. Je puis toutefois vous dire que cette décision n'a pas mis à mal la compétitivité des banques françaises. Il convient toutefois de veiller à préserver celle-ci.
Avec ses missions de service économique, la Banque de France a la chance, comme je l'ai dit, d'avoir à la fois les pieds sur le terrain et la tête en Europe. Nous devons adapter le réseau à l'évolution des missions : par exemple, la mise en circulation des billets ne se fait plus comme il y a quinze ans. La Banque de France a adopté un plan Réseau 2020, que je ne saurais encore vous décrire en détail, mais qui me semble trouver un équilibre entre la nécessité d'accroître l'efficacité, pour contribuer au budget national, et celle de maintenir une présence active et visible dans chaque département. Vous avez évoqué le rôle du directeur de la Banque de France dans chaque département : je souhaite le conforter, et même le développer. La Banque de France peut beaucoup aider à l'information économique dans notre pays. La cotation a parfois mauvaise presse, mais il s'agit d'un atout unique de la France au sein de l'eurosystème, qui facilitera le financement non bancaire de nos PME. La médiation, notamment pour les TPE, peut aussi être développée.
Je ne puis vous répondre sur les chambres de compensation comme facteur de stabilité, car je ne connais pas encore suffisamment ce sujet pour vous faire une réponse étayée. Nous avons tous regretté la décision de la Cour de justice de l'Union européenne : l'enjeu était d'obtenir que les chambres de compensation ne soient plus situées à Londres. L'arrêt se fondant sur des motifs de procédure, peut-être pourrons-nous relancer cette question, même si c'est devenu plus délicat à la veille du référendum britannique.
L'assurance-vie, qui est aujourd'hui le premier placement des Français - 1 600 milliards d'euros - doit servir davantage à financer les entreprises et l'investissement productif. Le produit Euro-croissance, imaginé en 2014 par le Parlement en liaison avec les professionnels, me paraît une bonne solution : en échange du renoncement à la liquidité immédiate, une garantie sur le capital est offerte pendant huit ans. Ainsi, l'assureur peut investir dans des actions, et l'assuré bénéficie d'un rendement supérieur. Malheureusement, le démarrage du produit est trop lent, car le taux du fonds Euro est plus favorable. Pour l'aider à décoller, nous devrions autoriser l'assuré qui souhaite transférer une part de ses avoirs sur un fonds Euro-croissance à y transférer aussi la part de ses plus-values à laquelle il a droit. La discussion avec l'ACPR est en cours, elle avance avec prudence.
La commission procède au vote sur la proposition de nomination du Gouverneur de la Banque de France et au dépouillement simultané du scrutin au sein des commissions des finances des deux assemblées.
MM. François Marc et Philippe Dallier, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.
Voici le résultat du vote :
Nombre de votants : 32 ; Blancs : 2 ; Pour : 25 ; Contre : 5.
Ce vote sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
La commission émet un avis favorable à la nomination de M. François Villeroy de Galhau aux fonctions de Gouverneur de la Banque de France
La réunion est levée à 18 h 50.