Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 6 octobre 2015 à 15h15
Situation et avenir de l'agriculture — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Stéphane Le Foll :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a souhaité - et c’était légitime - organiser un débat sur la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire, compte tenu des crises que nous traversons et qui sont très difficilement vécues, en particulier par les éleveurs de notre pays.

Nous subissons effectivement une crise de grande ampleur, affectant simultanément trois secteurs de l’élevage : le secteur laitier, le secteur bovin et le secteur porcin.

S’agissant du secteur laitier, cette crise est mondiale. S’agissant des secteurs bovin et porcin, elle a des aspects spécifiquement européens, l’embargo russe ayant des effets à la fois diplomatiques, économiques et sanitaires. C’est d’ailleurs pourquoi, j’en informe la représentation nationale, je me rendrai en Russie jeudi matin, pour deux jours, afin de renouer des contacts sur le sujet.

La crise mondiale affectant le secteur laitier est liée à une surproduction laitière et, surtout, à des débouchés, notamment au niveau de la Chine, qui se sont révélés, en 2015, bien moindres que ce que de nombreux pays, en particulier tous les acteurs économiques européens et français, avaient pu anticiper. D’où, comme dans le secteur porcin, une offre excédentaire, qui se traduit par une baisse des prix.

Je voudrais rappeler les décisions importantes qui avaient été prises concernant ce marché en 2008, à l’occasion du bilan de santé de la politique agricole commune – la PAC –, qui, à l’époque, prévoyait des quotas laitiers. La suppression de ces quotas avait été adoptée, marquant la fin d’une gestion de l’offre laitière.

Pour autant, je le dis de façon tout à fait transparente, une gestion de l’offre au niveau européen ne nous prémunirait pas contre les effets de la situation mondiale puisque les prix de la poudre de lait et du beurre sont désormais établis à partir d’un prix spot, largement dépendant du marché asiatique, qui comprend de grands producteurs comme la Nouvelle-Zélande.

Mais le sujet prête à discussion et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous ne manquerez pas de porter ce débat.

En ce qui concerne l’Europe, je rappelle que le budget consacré à la politique agricole commune a baissé d’environ 12 %, mais que la part de ce budget attribué à la France a seulement diminué de 2 %. La négociation conduite par le Président de la République à l’époque a d’ailleurs été largement saluée par l’ensemble des syndicats professionnels, qui en ont reconnu les bons résultats.

La France a défendu la politique agricole commune ! La France a défendu son agriculture !

La problématique des choix en matière de verdissement a aussi souvent été évoquée.

De manière tout à fait logique, j’ai entendu à de nombreuses reprises les agriculteurs, mais aussi de nombreux parlementaires, évoquer la question de l’harmonisation fiscale, sociale et environnementale. Le choix qui fut le mien, à l’époque, de défendre dans le cadre de la négociation de la PAC un verdissement sur le premier pilier était précisément un choix en faveur d’une harmonisation environnementale à l’échelle de tous les pays européens, et ce afin d’éviter ce que l’on appelle le dumping environnemental.

J’assume ce choix, qui a aujourd'hui des conséquences, mais qui était absolument nécessaire pour lever les ambigüités sur cette question.

J’ai également relancé le débat avec l’Europe concernant la convergence des aides et le couplage des aides pour l’élevage, débat qui était très mal engagé.

Je me suis toujours opposé, même quand j’étais député européen, à la disparition annoncée des aides couplées et, pour reprendre le terme consacré, au découplage total des aides. En effet, je n’ai jamais cessé de considérer que, dès lors que l’agriculteur pouvait choisir entre production céréalière ou élevage, la suppression d’aides spécifiques à l’élevage, d’aides directement liées aux animaux, faisait courir le risque d’une disparition de cette activité.

Non seulement les aides couplées ont été maintenues, mais elles ont été portées à 13 % du montant des aides relevant du premier pilier, avec, grâce au Parlement européen, et dans le cadre du développement de l’autonomie fourragère de l’Europe, donc de la France, la possibilité d’augmenter ce taux de 2 points.

La compétitivité compte également parmi les sujets souvent évoqués.

J’ai lu avec attention l’interview que vous avez donnée à Agrafil, monsieur le président Larcher. Je n’ai jamais changé d’avis sur cette question !

La perte de parts de marché de l’agriculture et du secteur agroalimentaire français est, je le rappelle, parfaitement datée : elle remonte à 2003. En outre, les dernières mesures prises par les majorités précédentes en matière de baisse des charges datent de 2006. Il s’agit des réductions dites « Fillon », qui s’appliquent toujours aujourd'hui.

Or je tiens à souligner que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le pacte de responsabilité et de solidarité représentent un montant de 4 milliards d’euros pour l’ensemble de la filière agricole et agroalimentaire, soit exactement le double de ce que dégageaient les mesures existantes à notre arrivée aux responsabilités.

Donc, sur la question de la compétitivité et de l’allégement des charges globales affectant les activités agricole et agroalimentaire, nous fournissons un effort deux fois plus important que celui que les majorités précédentes avaient consenti. Mais c’était absolument nécessaire !

Cela nous renvoie aux grandes questions liées à un maillon actuellement très faible en France : le secteur de l’abattage et de la découpe. Je pense en particulier à la concurrence que l’Allemagne a pu mettre en place grâce à une utilisation abusive du travail détaché, sans salaire minimum ni règles d’application stricte de la directive correspondante. Pendant des années, ces pratiques illégales ont donné de nombreux avantages compétitifs à l’industrie allemande de la découpe et de l’abattage. Mais nous sommes en train de combler notre retard, grâce, à la fois, au CICE, aux mesures contenues dans le pacte de responsabilité et de solidarité et aux engagements à hauteur de 50 millions d’euros que nous avons pris pour investir dans l’abattage en France et permettre au secteur d’être compétitif et productif.

Nous avons donc opéré des changements et fait des choix stratégiques en termes de compétitivité.

Les éléments dont nous disposons montrent que l’écart entre la France, l’Espagne et l’Allemagne, en particulier dans le domaine porcin, s’est creusé à partir de 2003 et qu’il faudra un peu de temps pour le réduire.

Au-delà de ces aspects se posent également des questions structurelles. Ce débat, nous ne pourrons pas l’évacuer ! Dès 2012, quand j’ai pris mes fonctions, j’ai demandé des rapports, rendus publics en 2013, à la fois sur la filière porcine, dont j’ai tout de suite mesuré les difficultés, et sur la filière volailles. Cette dernière, après la fermeture et la liquidation de Doux et de Tilly-Sabco, est aujourd’hui en voie de redressement et l’ensemble de ses acteurs sont en train, comme je l’avais souhaité et même demandé, de mettre en place une interprofession.

J’annonce également devant la représentation nationale que, comme pour la filière porcine, nous avons mis en place voilà trois jours une procédure d’enregistrement, qui facilitera les investissements productifs dans cette filière.

Comme je l’avais annoncé, ce que nous avions fait avec le porc, nous le ferions avec la volaille ! C’est maintenant chose faite.

Précisément, la filière porcine a fait l’objet de bien des débats, et j’ai entendu beaucoup de choses à ce sujet. Fondamentalement, elle est confrontée à des problèmes avant tout structurels.

Notre production porcine nous assure une autosuffisance à hauteur de 107 % ; en revanche, les exploitations porcines françaises ne valorisent que 60 % de leur production. Autrement dit, nous ne valorisons pas la totalité des carcasses, et cette valorisation insuffisante de notre production porcine explique fondamentalement à la fois les difficultés du secteur de l’abattage et de la découpe et la faiblesse globale de la filière.

Comme je l’ai fait avec la filière bovine et avec la filière laitière, j’ai engagé des négociations afin de trouver un accord entre la grande distribution, les industriels et les producteurs pour relever le prix du marché payé au producteur.

Cette politique, que j’ai donc conduite dans les secteurs laitier, bovin et porcin, a abouti à un relèvement significatif du prix du porc fixé au fameux marché de Plérin. Toutefois, les unions et groupements de producteurs, considérant que ce prix était trop élevé par rapport à la concurrence allemande, en ont décidé autrement et ont souhaité que le prix baisse de nouveau. C’est ce qui s’est passé.

Chacun prendra ses responsabilités, mais, pour ma part, je ne changerai ni de ligne ni de stratégie. C’est pourquoi, s’agissant tant de la filière bovine que de la filière porcine, nous avons fait des propositions de contractualisation de manière à les organiser et à les structurer en fonction des débouchés et des capacités à valoriser l’ensemble de la carcasse.

À cette fin, nous avons fait une proposition spécifique, à savoir créer une caisse de sécurisation, afin d’offrir aux contractants des moyens défiscalisés destinés à assurer la gestion des contrats et à garantir aux producteurs un niveau de prix pour des durées plus longues. Cela doit permettre aux uns et aux autres de passer le cap de périodes difficiles, quand les prix sont élevés – cela concerne les industriels – ou quand ils sont très bas – cela concerne les producteurs.

Ces caisses de sécurisation sont à la disposition de tous les acteurs de la filière. Et c’est là la nouveauté, soit dit en passant : ces contrats concernent non plus seulement les producteurs et les industriels de la transformation, mais aussi, potentiellement, la grande distribution, qui doit prendre ses responsabilités – elle les a prises dans les négociations que nous avons menées – dans les grands choix stratégiques qui devront être faits en matière de contractualisation, pour faire en sorte que les producteurs bénéficient de prix rémunérateurs et, surtout, pour que les carcasses soient mieux valorisées dans notre pays !

De fait, nous avons besoin de développer des stratégies de filières et de valorisation de la matière première agricole, porcine et bovine. C’est un travail de moyen et de long terme, qui nécessite que chacune des parties au contrat prenne ses responsabilités. Telle est la ligne que je suivrai.

Le 22 octobre prochain se tiendra une réunion spécifique sur la complète modification du système de cotation de la viande bovine et des critères qualitatifs applicables à cette dernière. En même temps, de nouvelles propositions de contractualisation seront formulées.

En effet, je souhaite que ce débat soit aussi l’occasion d’envisager la manière dont ces filières pourront aborder l’avenir, pour leur donner toutes les chances non seulement de reconquérir le marché national, mais aussi d’être présentes et conquérantes à l’international.

L’exportation reste un objectif. Aujourd’hui, en dépit de la crise consécutive à la fièvre catarrhale ovine, la FCO, nous négocions – difficilement – avec nos partenaires pour maintenir notre capacité à l’exportation avec des certificats sanitaires. Nous faisons en sorte d’aller vite et de répondre à ce besoin et à cette demande des producteurs.

Nos exportations se redressent doucement. Pour regagner nos parts de marché, nous avons un travail à mener, qui passe par des mesures conjoncturelles et par des mesures structurelles.

Parmi les mesures structurelles, citons le logo « Viande de France », que nous avons promu dès 2014 – c’est cette année-là qu’il a été présenté au salon de l’agriculture. Citons également la mise en place de la traçabilité pour valoriser la production française, avec un logo repérable par les consommateurs qui, on le sait, sont demandeurs en la matière.

Nous nous sommes engagés dans une démarche volontariste, parce que les règles d’étiquetage sont fixées par l’Europe. À cet égard, compte tenu du temps que prendra la négociation d’une nouvelle directive, je crains que nous n’ayons perdu que trop de temps pour répondre aux besoins immédiats des filières laitière, porcine et bovine.

Nous avons également engagé une démarche en faveur de l’approvisionnement local, qui dépend bien sûr de l’État et de ses administrations, mais aussi des collectivités locales. Sur le terrain, les choses bougent, avec en particulier la mise en place partout des projets alimentaires territoriaux, et d’abord au niveau régional.

À cet égard, le débat précédant les élections régionales sera intéressant : chacun doit aujourd’hui s’engager à favoriser, partout, l’approvisionnement local.

Un guide spécifique a été mis à la disposition des collectivités territoriales. Des expériences ont été conduites il y a longtemps, en particulier dans la Drôme, avec ce qu’on a appelé le projet Agrilocal. Celui-ci fait partie des plates-formes que nous avons mises à la disposition des collectivités locales départementales, des chambres d’agriculture et de la Fédération nationale d’agriculture biologique en faveur de l’approvisionnement local, dans le développement duquel, je le répète, chacun doit avoir sa part de responsabilité.

Cette crise a également mis au jour des besoins conjoncturels auxquels il fallait répondre. C’est pourquoi a été mis en place en juillet dernier, par le Président de la République et le Premier ministre, le plan de soutien à l’élevage, lequel a fait l’objet d’un réajustement en septembre. Ce plan vise à alléger une nouvelle fois les charges qui pèsent sur les exploitations en difficulté qui ne peuvent pas faire face au paiement de leurs charges, en particulier le remboursement des annuités d’emprunt.

Le Premier ministre et moi-même avons décidé ce qu’on appelle une année blanche : 100 millions d’euros pour le fond d’allégement de charges, 50 millions d’euros pour les allégements de charges au titre de la mutualité sociale agricole, la MSA. Cette année blanche doit permettre aux agriculteurs non pas d’obtenir de nouveaux prêts de trésorerie, mais de « reprofiler » l’ensemble de leurs remboursements de dette.

C’est ce que demandaient les agriculteurs et c’est ce que nous avons fait, même si je constate que, auprès des banques, en particulier de celle qui devrait être la plus à même de traiter ces questions, nous avons quelques difficultés à traduire cette décision… Cela étant, nous ferons en sorte que cette année blanche s’applique partout.

Nous y avons ajouté des mesures fiscales consistant en des allégements et des remises de taxe foncière sur les propriétés non bâties et de taxe d’habitation pour les fermiers, en des reports et des remises d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, et en des mesures relatives à l’encaissement anticipé de TVA.

Quelque 8 000 dossiers sont aujourd’hui traités dans les cellules d’urgences que nous avons mises en place, sans attendre la crise, dès le mois de février 2015 – nous en avions parlé ici même, au Sénat. Elles constituent un guichet unique au sein duquel il appartient désormais à l’administration fiscale, à la MSA, aux banques et aux services déconcentrés de l’État de traiter les dossiers qu’y déposent les agriculteurs.

Ces cellules d’urgence seront actives jusqu’à la fin de l’année, et tous les dossiers qui ont été traités avant le 30 septembre devront aboutir au versement des aides dont les agriculteurs ont besoin pour franchir cette étape.

Nous avons également décidé des baisses de cotisations sociales, en particulier des cotisations maladie, au profit des très petites exploitations, et ce au titre de l’année 2015. Pour vous indiquer un ordre de grandeur, mesdames, messieurs les sénateurs, cela représente une économie de 400 euros environ. C’est un élément important du plan de soutien.

S’agissant des prix, j’ai veillé, dans la négociation, à ce que chacun prenne sa part de l’effort nécessaire devant permettre aux agriculteurs de passer ce moment difficile.

Ce n’est pas moi qui ai remis en cause l’accord qui avait été passé dans la filière porcine. Chacun peut en mesurer les conséquences aujourd’hui. Contrairement à ce que j’ai cru entendre, les prix qui avaient été définis n’étaient pas des prix politiques ; ces prix étaient ceux qui étaient demandés par les éleveurs et les producteurs ! La négociation avait pour objectif de conduire les acteurs de la filière – la grande distribution et les industriels – à relever les prix payés aux producteurs en les répercutant sur l’ensemble de la filière.

C’est ce à quoi je me suis employé et ce à quoi je continuerai de m’employer, en particulier avec la filière bovine, avec laquelle le résultat que nous avons obtenu s’est révélé être en deçà de l’engagement qui avait été pris le 17 juin dernier. Comme je l’ai indiqué à l’instant, le 22 octobre prochain, nous allons entièrement modifier le système des cotations et la prise en compte des carcasses bovines, de même que nous introduirons de nouveaux indices, en particulier en ce qui concerne le steak haché.

Des discussions ont lieu aussi au niveau européen. Je le rappelle, c’est sur l’initiative de la France que s’est tenu un conseil extraordinaire « agriculture et pêche », le 7 septembre dernier. Je rappelle également que le commissaire européen à l’agriculture et au développement rural considérait au mois de juillet qu’il n’était pas forcément utile de se réunir, estimant alors qu’il n’y avait pas de crise.

Les choses ont depuis lors évolué, l’Europe ayant débloqué 500 millions d’euros. Pour autant, j’aurais préféré que cette aide soit structurée différemment et qu’elle soit orientée vers des mesures de marché – en particulier un relèvement du prix d’intervention sur le lait –, plutôt qu’elle ne prenne la forme d’aides directes et de mesures de stockage.

Nous avions trouvé un accord en ce sens avec quatre autres pays – l’Espagne, où je m’étais rendu, le Portugal, l’Italie et l’Irlande. Toujours est-il que nous n’avons pu réunir une majorité qualifiée pour aller à l’encontre la proposition de la Commission, qui ne voulait pas relever le prix d’intervention.

L’Europe a donc mis en place son plan d’aide de 500 millions d’euros, sur lesquels la France disposera de 63 millions d’euros, qui s’ajouteront – je le dis très clairement – au plan de soutien à l’élevage. Cela nous permettra en particulier d’aller encore plus loin dans les mesures décidées au titre de l’année blanche, auxquelles sont consacrés 150 millions d’euros, fonds d’allégement des charges et allégements MSA compris. Il faut pouvoir débloquer les situations et faire en sorte que cette demande prioritaire des agriculteurs et des éleveurs devienne enfin réalité. Il y a urgence !

Quelque 30 millions d’euros supplémentaires seront mobilisés – l’objectif étant de parvenir à 50 millions d’euros – en faveur de l’investissement dans les abattoirs. Cela représente deux fois les montants investis entre 2002 et 2012 ! Deux fois !

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