La séance est ouverte à quinze heures quinze.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du Sénat tout entier, je voudrais exprimer notre émotion et notre compassion à l’égard des trop nombreuses victimes de la catastrophe qui s’est abattue, dans la nuit de samedi à dimanche, sur le département des Alpes-Maritimes.
Mme la secrétaire d’État, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.
Nos pensées vont aux familles des victimes et à tous ceux qui ont été touchés par le déferlement des eaux.
Je tiens à exprimer notre solidarité à nos collègues du département ainsi qu’à tous les élus des territoires concernés.
Je réunirai ce soir l’ensemble des collègues de ce département pour faire le point de la situation, à la suite des différents contacts que j’ai eus avec le président du conseil départemental et certains des maires concernés. Ayons une pensée pour tous ceux qui ont vécu ce drame.
Mmes et MM. les sénateurs, Mme la secrétaire d’État observent un instant de silence.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureux de saluer la présence dans notre tribune d’honneur de M. Asser Kuveri Kapere, président du Parlement de Namibie, accompagné de son collègue, M. Johannes Nakwafila.
Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.
Leur présence parmi nous fait suite au déplacement, en 2013, d’une délégation du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique australe, présidé par notre collègue Antoine Lefèvre, que je salue, de même que René Danesi, présent à ses côtés.
Au cours de leur séjour, nos collègues namibiens auront de nombreux entretiens de haut niveau sur les thèmes sensibles des ressources énergétiques et de l’élevage. Ils visiteront notamment un centre de recherche sur l’eau, un parc éolien ainsi que des établissements d’élevage.
Nous connaissons tous les enjeux liés à la lutte contre le changement climatique et savons à quel point la Namibie est affectée par ses conséquences. Nous connaissons et apprécions aussi la détermination de ce pays pour remédier aux effets des dérèglements climatiques.
Nous souhaitons, dans ce contexte, la plus cordiale bienvenue et de fructueux travaux à M. Kapere, et à la délégation qui l’accompagne. Nous espérons vivement pouvoir les accueillir de nouveau, le 6 décembre prochain, à l’occasion du volet parlementaire de la Conférence des Parties, la COP 21, qui se tiendra, sous l’égide de l’Union interparlementaire, au Sénat.
Applaudissements.
L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote solennel par scrutin public sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé (projet n° 406, texte de la commission n° 654, rapport n° 653 [tomes I et II], avis n° 627 et 628).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des Conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure maximum.
Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, à seize heures trente, puis je donnerai la parole au Gouvernement.
J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe CRC.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, durant deux semaines, nous avons examiné un projet de loi ayant pour ambition de moderniser notre système de santé.
Nous avions un défi considérable à relever compte tenu de la situation de la santé publique, notamment en termes d’offre de soins au regard des besoins de santé sur l’ensemble du territoire.
Or la logique qui nous a été imposée dès le départ a été le redéploiement et l’aménagement de l’offre de soins dans une enveloppe contrainte. En effet, le postulat qui fait consensus dans cet hémicycle, à l’exception de notre groupe, est qu’il faut restreindre les dépenses en matière de santé publique.
L’une des pistes privilégiées pour y parvenir est l’instauration des groupements hospitaliers de territoire ou GHT, de même que le développement de l’ambulatoire, qui serait moderne et efficace face à l’immobilisme de l’hospitalisation classique, sans compter l’encadrement de la médecine de ville par les agences régionales de santé, les ARS. Mais c’est un leurre de dire que les groupements hospitaliers de territoire sont destinés à éviter la disparition des établissements au profit de leurs regroupements.
C’est faire fi du lien de proximité indispensable à une médecine humaine. Je rappelle qu’il s’agit, après déjà de nombreuses fermetures, de passer de 1 300 hôpitaux sur l’ensemble de notre territoire à environ 150 GHT !
Pour la psychiatrie, qui a été la première discipline à s’ouvrir au travail en réseau et aux collaborations interdisciplinaires, c’est la mort annoncée de la politique de secteur et la poursuite d’une vision sécuritaire de cette discipline, autant de raisons qui nous ont conduits à voter contre l’article 13 du projet de loi.
Pourquoi vouloir en réalité rendre obligatoires ces GHT, qui plus est à marche forcée ? En effet, les directeurs des ARS les mettent déjà en place, sans même attendre le vote de la loi !
N’est-ce pas essentiellement par souci de restreindre les budgets, puisque cette réforme se traduirait par environ 400 millions d’euros de dépenses en moins sur trois ans ?
Comment imaginer, dans ces conditions, répondre aux besoins de la population et aux souffrances des personnels de santé ?
Par ailleurs, vouloir opposer l’ambulatoire à l’hospitalisation sous prétexte de réduire les inégalités d’accès aux soins est, là encore, bien illusoire. Cela revient à demander plus aux familles en termes d’assistance, de relais… Or, vous le savez pertinemment, tous les patients ne peuvent s’appuyer sur des parents vivants, disponibles, capables financièrement et moralement de s’occuper d’eux.
Cela revient également à privatiser une partie de l’activité hospitalière tout en multipliant des soins infirmiers et de kinésithérapie, ce que dénonce la Cour des comptes.
Quant aux déserts médicaux, pensez-vous régler le problème en permettant aux médecins hospitaliers d’exercer jusqu’à soixante-douze ans ?
Toutes ces mesures s’inscrivent, de surcroît, dans un déni de démocratie puisque vous refusez l’instauration de contre-pouvoirs à ceux des directeurs d’ARS qui deviennent hégémoniques !
Les quelques mesures positives – ouverture de salles de consommation à moindre risque, suppression du délai de réflexion pour l’IVG, reconnaissance des centres de santé dans le parcours de soins, effort de transparence quant aux liens d’intérêt… – sont loin de suffire pour changer la donne, à savoir transformer cette loi en une loi-cadre de santé publique. D’autant que la majorité de droite a refusé un certain nombre de propositions qui allaient dans le bon sens et que nous avons soutenues.
Je pense, bien évidemment, au tiers payant généralisé en 2017, qui est une aide utile à l’accès aux soins, même si, dans les conditions d’aujourd’hui, c’est aussi une incitation à la généralisation des complémentaires, donc des assurances.
Je pense, également, à l’inscription, dans chaque région, d’un plan d’action pour l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, élaboré par les ARS.
À ce propos, je voudrais dénoncer la manœuvre de la majorité de droite, qui a consisté à refuser de voter les mesures en faveur de l’avortement sous le prétexte qu’elles relevaient de la bioéthique ! §Je laisse nos concitoyennes et concitoyens en juger.
(Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Nous ne mêlons donc pas nos voix aux leurs, eux qui défendent la loi « HPST » ou « Bachelot », et qui soutiennent toujours davantage de restrictions budgétaires.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Si nous sommes contre ce projet de loi, nous n’oublions pas la responsabilité de la droite dans la « casse » de la santé publique. §
Nos critiques sont diamétralement opposées, comme nous l’avons clairement exprimé au cours de ces deux semaines de débat.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je le redis ici, pour mon groupe, la région est bien le niveau pertinent concernant les questions de santé, tout comme le département l’est pour celles de la perte d’autonomie et de la petite enfance. C’est aussi le niveau de l’organisation de la formation professionnelle médicale et paramédicale.
Mais cela suppose de partir des besoins de santé de la population, à l’opposé de la recherche prioritaire par le Gouvernement de la répartition de l’offre de soins la moins-disante.
Le moteur de notre projet est la démocratie concrétisée à tous les niveaux. Elle doit permettre d’exprimer les besoins de santé, mais aussi d’assurer un contrôle démocratique des décisions et de la mise en œuvre des réponses à ces besoins.
Ainsi, madame la secrétaire d’État, nous aurions souhaité voir figurer dans ce projet de loi l’arrêt immédiat des suppressions d’activité et des fermetures de services de santé, donc le renoncement aux GHT, la relance des services d’urgence dans chaque bassin de vie, la suppression des franchises, des forfaits et des dépassements d’honoraires, l’attribution de moyens spécifiques aux missions des centres de santé, la relance d’une médecine préventive avec le développement de la médecine scolaire et de la médecine du travail, qui nécessite des moyens humains et financiers, un pôle public du médicament, une loi de santé mentale digne de ce nom, ainsi que l’affirmation d’un soutien au remboursement par la sécurité sociale des soins prescrits, avec le retour à 80 % tout de suite et à 100 % pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans et les étudiants, avant d’atteindre 100 % pour tous et pour tous les soins prescrits.
Évidemment, pour cela, il faut des moyens, et nous allons à présent vous donner quelques idées de recettes supplémentaires.
Ainsi, pourquoi ne pas soumettre au taux actuel des cotisations sociales employeurs les profits financiers ? Cela pourrait générer plus de 87 milliards d’euros de recettes et, en rendant moins profitable la finance, on ouvrirait la voie à une réorientation de l’économie vers la production de richesses réelles.
De manière plus pérenne, nous proposons de supprimer la CSG et de combiner cette suppression avec un mouvement général de hausse des cotisations patronales, associé à un dispositif de modulation des cotisations sociales employeurs incitant l’entreprise à adopter une gestion vertueuse à l’égard de l’emploi et des salaires.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Mme Laurence Cohen. Ces propositions constituent de véritables marqueurs de gauche qui font défaut dans ce projet de loi. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.
Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Pour finir, mes chers collègues, j’ai davantage eu l’impression, durant ces quelques minutes, de me trouver dans une classe d’école maternelle…
Mme Laurence Cohen.… ou dans un hall de gare que dans l’hémicycle… Mais il est vrai que vous êtes très nombreux aujourd’hui !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. –Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pendant quinze jours, la Haute Assemblée a beaucoup travaillé sur le sujet de l’organisation de notre système de santé.
Au nom du groupe d’opposition sénatoriale, je remercie chaleureusement Mme la ministre de son écoute et de son engagement à défendre une République sociale : mieux prévenir, mieux soigner dans la proximité, renforcer les droits en intégrant le progrès médical, la recherche et l’innovation.
Je remercie également les rapporteurs, quand bien même nous avons été peu entendus sur le sujet de la modernisation sociale de notre système de santé.
Nos rapporteurs, d’ailleurs, n’ont pas toujours été suivis par une partie de la majorité sénatoriale – je pense, par exemple, à l’interruption volontaire de grossesse –, mais je dois aussi prendre acte du fait qu’ils se sont impliqués sur des enjeux de santé publique contre la majorité sénatoriale – je fais référence à leur soutien à l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque.
Concernant l’analyse plus précise des débats, notre groupe acte la réécriture de l’article 1er qui, au-delà des principes généraux de prévention et de promotion de la santé, insiste sur la gestion du « risque santé » et met en évidence la notion de parcours de santé. Nous nous félicitons de la réintroduction de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’analyse des politiques de santé, ainsi que de celle des enjeux de santé environnementale et de la référence aux exposomes.
Nous pensons importante l’introduction du concept de prévention partagée, qui doit permettre aux non-spécialistes de la prévention et aux publics cibles d’être responsabilisés en tant qu’acteurs force de proposition.
Nous regrettons que la majorité sénatoriale, en refusant le rétablissement de l’article 2, ne reconnaisse pas que l’école est un lieu privilégié de prévention.
La lutte contre le tabac a beaucoup occupé nos débats. À côté de plusieurs dispositions permettant une meilleure prévention, en particulier le rétablissement de mesures de lutte contre la fraude, nos débats ont porté sur la mise en place du paquet neutre. Notre groupe a affirmé avec force que cette mesure trouve sa légitimité dès lors que la recherche d’une harmonisation fiscale du prix du tabac au niveau européen est voulue, ce qui doit permettre de lutter contre les marchés parallèles. Nous connaissons l’engagement de Mme la ministre de la santé sur cette question. Par ailleurs, le Gouvernement a également la responsabilité de traiter la question du maintien de la situation des buralistes ; nous sommes attentifs aux propositions de notre collègue député Fréderic Barbier sur cette question.
Nécessité de synthèse oblige, j’en viens au chapitre relatif à la prévention. Notre groupe acte le rétablissement de la non-discrimination relative à l’orientation sexuelle concernant le don du sang et, je le répète, l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque.
Nous avons eu de longs échanges concernant l’organisation de la médecine de proximité, articulée autour du médecin traitant. Notre groupe déplore le conservatisme de notre président-rapporteur
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
De même, si le groupe socialiste se félicite du rétablissement du pacte territoire-santé permettant de proposer des solutions de rééquilibrage dans l’implantation des médecins sur nos territoires, il regrette le non-rétablissement du service public hospitalier. Cette absence constitue un point négatif lourd pour l’organisation de notre système de santé quand il s’agit de maintenir des garanties fondamentales – accessibilité financière, égal accès et permanence des soins – et quand l’ensemble des établissements de santé sont éligibles au service public hospitalier, dès lors qu’ils répondent aux garanties exigées.
Nous actons aussi le maintien des groupements hospitaliers de territoire, contrairement à nos collègues. La mutualisation de projets médicaux hospitaliers doit être au service de l’optimisation qualitative des soins.
Le groupe socialiste et républicain note positivement la décision de la Haute Assemblée de supprimer le délai de réflexion de sept jours pour accéder à l’interruption volontaire de grossesse, d’autoriser la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer une IVG médicamenteuse et d’ouvrir la possibilité aux centres de santé, dès lors qu’existe un environnement chirurgical, de pratiquer les IVG instrumentales.
Nous nous félicitons que, grâce à un amendement du Gouvernement, soient précisés les moyens de proposer en permanence des solutions adaptées aux personnes handicapées et à leur famille afin, notamment, d’éviter les ruptures de parcours.
Nous soutenons aussi avec intérêt la proposition du Gouvernement d’expérimenter l’organisation de la filière visuelle : médecins ophtalmologistes, orthoptistes, opticiens, la spécialité d’optométrie n’ayant pas été reconnue en tant que telle. Nous serons très attentifs à l’évaluation de cette expérimentation.
Par ailleurs, nous avons salué la volonté du Gouvernement de reconnaître un nouveau droit : l’accès de nos concitoyens au droit à l’oubli, à la suite de la guérison de pathologies cancéreuses. Le débat a été passionné, et si la loi a obligation de prendre en compte les résultats du progrès médical, elle ne doit pas pour autant en être le prescripteur.
Notre groupe regrette que la majorité sénatoriale n’ait pas accepté un amendement gouvernemental délimitant les conditions du don d’organe. Si le principe de « consentement présumé » est acté par la majorité de nos collègues, beaucoup d’interrogations ont été soulevées concernant l’information ou la place de la famille, quand bien même le sujet de la famille n’est pas traité dans la loi actuellement. Il est dommage que la majorité sénatoriale n’ait pas accepté que l’année 2016 soit une année de débat d’autant plus nécessaire que la demande de greffons est très prégnante.
Mais c’est sur le sujet de l’organisation de la médecine de proximité que nous avons exprimé une opposition frontale avec les rapporteurs et la majorité sénatoriale, je veux parler de la généralisation du tiers payant, qui constitue une mesure technique, mais aussi une mesure de justice sociale.
L’enjeu essentiel de cette disposition est de garantir, ou du moins de favoriser, l’accès aux soins de certains de nos concitoyens qui peuvent être amenés à y renoncer pour des raisons financières.
Nous connaissons les pratiques de certains médecins généralistes qui trouvent des solutions pour que l’argument financier ne soit pas un obstacle à la consultation. Mais l’absence de recours aux soins se situe souvent en amont de l’entrée dans le cabinet du médecin.
Nous écoutons les arguments des médecins généralistes quand ils expriment leur inquiétude face à la surcharge administrative que cette mesure peut engendrer. Cependant, Mme la ministre a été catégorique quant aux conditions d’application de cette disposition, mettant en particulier en avant la production d’un rapport le 31 octobre 2015. Ce rapport doit présenter un état des lieux de la situation actuelle et dégager des propositions pour la mise en place d’un dispositif permettant un paiement rapide du ticket modérateur.
Enfin, la médecine ambulatoire est et reste un exercice libéral dans un cadre socialisé.
Je termine en indiquant que nous aurions pu traiter de nombreux sujets. Nous avons notamment apprécié les dispositions relatives à la démocratie sanitaire.
Au-delà du constat d’un certain nombre d’acquis, notre groupe estime que le compte n’y est pas au vu de tout ce qui n’a pas été accepté par la majorité sénatoriale ! Forts de ce constat, nous ne pouvons pas voter le texte tel qu’il est issu des travaux de la Haute Assemblée et nous nous abstiendrons.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, nous tirons un bilan en demi-teinte de l’examen en première lecture au Sénat de ce projet de loi.
D’un côté, notre groupe se félicite du caractère très constructif du débat et du fait que la défense de la santé publique ait pu rassembler, à de nombreuses reprises, par-delà les appartenances politiques. Le texte adopté en juillet par la commission des affaires sociales a été nettement amélioré en séance plénière.
Avec vingt-cinq amendements adoptés, le groupe écologiste du Sénat se satisfait d’avoir fait progresser le débat sur un certain nombre de points.
Concernant la santé environnementale, tout d’abord, alors qu’en France plus de 80 % des dépenses remboursées par l’assurance maladie sont consécutives à des affections chroniques dont l’apparition et l’aggravation sont, le plus souvent, liées à nos modes de vie et à la pollution de notre environnement, il est salutaire que le Sénat ait rétabli, à l’article 1er, la mention de l’exposome et qu’il ait permis que le plan national « santé environnement » soit placé au cœur de la stratégie nationale de santé.
Notre groupe se réjouit également de l’adoption de l’amendement « amiante », qui permettra la mise à disposition du public, sur un site internet en accès libre, de la liste des rapports annuels d’activité des diagnostiqueurs de présence d’amiante, ainsi que des résultats de leurs analyses. Nous nous félicitons aussi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, soit désormais appelée à remettre au Gouvernement un rapport sur l’identification des substances ayant un effet de perturbateur endocrinien et sur leurs effets cumulatifs.
L’adoption d’une demande de rapport sur la présence de nanomatériaux dans les médicaments et les dispositifs médicaux, le rétablissement de l’interdiction du bisphénol A –bien qu’elle soit désormais plus circonscrite – dans les jouets ou encore l’extension à l’ensemble des causes de pollution atmosphérique de la possibilité, pour le Gouvernement, de fixer par décret des règles générales d’hygiène sont également des avancées à saluer.
Sur le plan de l’accès aux droits, ensuite, le Sénat a, sur notre proposition, rendu automatiques l’ouverture et le renouvellement des droits à la couverture maladie universelle complémentaire pour les allocataires du RSA socle. Il s’agit d’une victoire non négligeable, qui était très attendue, étant donné que plus de 36 % des personnes éligibles à la CMU complémentaire n’y ont pas recours, parce qu’elles sont confrontées à une double procédure extrêmement complexe.
Je me félicite à mon tour du travail intergroupes que nous avons pu mener sur le droit à l’oubli, lequel doit permettre aux anciens malades du cancer de souscrire des emprunts bancaires. Grâce à deux amendements que nous avons déposés avec plusieurs autres groupes, le Sénat en a élargi la portée : l’avenant à la convention Aeras signé fin mars par le Gouvernement et les assureurs de santé pour mettre en œuvre le droit à l’oubli a désormais valeur législative et des décrets d’application sont prévus pour définir les sanctions en cas de manquement à cette obligation. Par ailleurs, le délai maximal au-delà duquel aucune information médicale ne peut être recueillie en cas de pathologie cancéreuse est désormais fixé à dix ans au lieu de quinze, et même à cinq ans pour les enfants.
La réintroduction du programme régional d’accès à la prévention et aux soins – le PRAPS – dans le schéma régional de santé, conformément aux objectifs du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, est également une bonne nouvelle en matière d’accès aux soins. Il en va de même de la meilleure évaluation par le Gouvernement des risques psychosociaux et des pathologies auxquels sont confrontés les aidants familiaux.
Enfin, sur le sujet de l’égalité quels que soient le genre et l’orientation sexuelle, notre groupe se félicite de la réintroduction de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans la définition des politiques de santé, mais aussi du rétablissement de diverses mesures importantes relatives à l’IVG et de la possibilité ouverte aux homosexuels de donner leur sang dans les mêmes conditions que le reste de la population.
Sur tous les thèmes que je viens d’évoquer, notre groupe souhaite vivement que la poursuite du parcours législatif de ce texte permette de préserver les acquis en matière de santé environnementale et de lutte contre la précarité.
Sur le don d’organes, sujet crucial sachant que 20 000 malades sont en attente d’une greffe, nous espérons que la suite de la navette permettra de trouver un compromis satisfaisant, dans la sérénité.
D’un autre côté, notre groupe regrette très fortement que, à l’issue des débats au Sénat, le projet de loi marque, sur plusieurs points très importants, un recul par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Par exemple, nous déplorons que l’on ait profité de l’examen d’un texte relatif à la santé pour donner un coup de canif à la loi Évin, au travers d’un amendement qui fait fortement reculer l’encadrement de la publicité pour l’alcool, alors que celui-ci est responsable de 50 000 morts par an.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
De même, le recul sur le paquet de cigarettes neutre nous paraît très négatif. La mise en place de ce dispositif dans d’autres pays a significativement réduit l’attractivité du paquet de cigarettes et des marques de tabac, et par là même l’envie de fumer, notamment chez les jeunes. On le sait, un tiers des fumeurs réguliers sont des jeunes.
Sur ces points, chacun a pris ses responsabilités ! Ces deux amendements sont pour nous inacceptables. Nous regrettons aussi fortement le rejet de la généralisation du tiers payant, dans une société en pleine crise, où les ruptures de situation sont rapides, imprévisibles et peuvent concerner tous les citoyens, y compris ceux qui se sentent à l’abri des difficultés.
En conclusion, le texte adopté en séance plénière présente des avancées, mais trois décisions concernant le tabac, l’alcool et le tiers payant font que nous ne pouvons pas le voter. Les écologistes se mobiliseront à l’Assemblée nationale pour maintenir ces avancées, mais aussi pour soutenir le rétablissement du tiers payant, de l’intégralité du dispositif de la loi Évin et de la mise en place du paquet neutre.
Le groupe écologiste du Sénat s’abstiendra.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.
La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec plaisir que je voterai en faveur de l’adoption de ce projet de loi « santé » tel qu’il est issu de nos travaux au Sénat. Alors que certains rêvent de supprimer le Sénat dans un proche avenir, à gauche comme à droite, …
… nous faisons, une fois de plus, la démonstration de notre utilité : nous ne sommes soumis ni à un gouvernement ni à la bien-pensance de je ne sais quel parti et de ses cadres parisiens !
J’en veux pour preuve deux modifications apportées par le Sénat au projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Il s’agit, tout d’abord, de la clarification de la législation existante afin de favoriser la promotion touristique de nos paysages viticoles. Tout le monde le sait, la prohibition, l’interdit n’améliorent rien, bien au contraire !
L’encadrement de la publicité en faveur des boissons alcooliques, tel qu’il existe aujourd’hui, était la cause d’un flou juridique insupportable : au gré des jurisprudences, un contenu journalistique, culturel ou œnotouristique devenait de la publicité et était interdit. Si la lutte contre l’alcoolisme justifie que des restrictions soient apportées à la publicité, il est essentiel d’opérer une distinction claire entre publicité, d’une part, et contenus journalistiques informatifs tels qu’on en trouve dans les reportages, d’autre part.
Je le dis à mes collègues députés : il faudrait être fou pour revenir là-dessus ! Partout dans le monde, la France est vue comme le pays du vin et de la viticulture : n’allons pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis ! Nous devons, au contraire, tout faire pour promouvoir nos terroirs et nos paysages viticoles, ainsi que nos produits et savoir-faire, qui contribuent aussi au rayonnement de la France dans le monde.
Par ailleurs, concernant le tabac, je me réjouis également de l’adoption de l’amendement relatif au remplacement du dispositif du « paquet neutre » par une stricte transposition de la directive européenne prévoyant de porter à 65 % la surface des paquets de cigarettes consacrée aux avertissements sanitaires.
Pourquoi faire des excès de zèle dans beaucoup de domaines et chercher à « surtransposer », au risque d’agacer profondément nos compatriotes, quand il s’agit, simplement, de transposer ? Aller plus loin n’entraînerait que lourdeur et surcharge législatives. Plus que les paquets neutres, qui compliqueraient considérablement le quotidien des buralistes, déjà difficile, les messages sanitaires constituent un frein parfait à l’excès de tabac et à ses conséquences pour la santé.
Entre le tout et le rien, il y a un point d’équilibre sain, qui s’appelle la modération. C’est dans cet esprit que nous devons faire œuvre de pédagogie, pour le vin, le tabac, mais aussi pour toute l’alimentation, toutes les activités, notamment sportives, et y compris celle de législateur !
Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe Les Républicains.
(Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En revenir aux officiers de santé d’antan ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Que veut le Gouvernement ? Une médecine étatisée ? §
L’éminent professeur américain Albert Lyons soulignait, il y a quelque temps, la contradiction entre le rôle essentiel dévolu au médecin et la volonté de l’assimiler à un commerçant, à un fournisseur de soins gratuits, de le taxer comme un chef d’entreprise et de soumettre ses actes au contrôle de groupes de pression extérieurs à la profession.
Madame la secrétaire d’État, les médecins en ont assez !
Si, aujourd’hui, d’une manière quasiment unanime – fait exceptionnel dans la profession – les médecins se rebellent, c’est certes du fait de l’accumulation des contraintes pesant sur l’exercice, mais c’est aussi en raison du risque majeur de voir se rompre le dialogue singulier entre médecin et patient, fondé sur le respect mutuel.
Ainsi, à ce jour, on n’avait jamais vu autant de médecins, jeunes ou moins jeunes, se détourner de l’exercice libéral. Il ne sert à rien de se lamenter sur la désertification médicale, qu’elle soit rurale ou périurbaine, si l’on ne recrée pas des conditions d’exercice plus acceptables.
Le Gouvernement a voulu faire du tiers payant généralisé l’emblème, la devise, l’étendard de son projet ; c’est en quelque sorte son trophée. Il a focalisé tous les mécontentements sur ce point, rendant inaudible le reste du texte, dont il faut constater, sinon la vacuité, à tout le moins l’insuffisance, notamment en matière de mesures propres à résoudre les difficultés actuelles du système : rien sur le numerus clausus, rien sur la restructuration de la codification, rien sur la réorganisation hospitalière publique, rien sur l’inégalité flagrante entre nos concitoyens, inégalité territoriale, mais aussi qualitative !
Cette loi a-t-elle pour objet de casser ce qui a fait depuis près de cent cinquante ans la valeur et la grandeur de la médecine française, fondée avant tout sur la liberté du médecin et la liberté du patient ? Telle n’est sans doute pas la volonté de Mme la ministre des affaires sociales, mais ce texte avalise un modèle idéologique extrême, tenant pour intolérable que plus du tiers des soins hospitaliers aigus soient dispensés dans le secteur privé. Nous avons davantage affaire à une idéologie dévastatrice qu’à un pragmatisme de bon aloi !
De fait, ce projet de loi manque cruellement de fil conducteur et les chapitres aux titres ronflants apparaissent viser davantage à un impact médiatique qu’à l’efficacité, et sont sous-tendus par des positions souvent surprenantes, voire contradictoires.
Par exemple, il est très bien de vouloir lutter contre le tabagisme, mais pourquoi refuser de prendre des mesures efficaces pour lutter contre la consommation de cannabis ? On cherche à comprendre…
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI -UC.
Vous voulez lutter contre la drogue et, parallèlement, ouvrir des salles de consommation, dans un déni du droit de notre pays : quel message pour le public !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Vous voulez imposer une norme hexagonale avec le paquet neutre, en contradiction avec le règlement européen : pourquoi pas ? Mais vous refusez la limitation du dosage du 4-méthylimidazole dans les sodas au nom du respect de ce même droit européen : allez comprendre !
Nos rapporteurs, au prix d’un très gros travail, ont profondément modifié la version de l’Assemblée nationale, dont Mme la ministre des affaires sociales a fait valoir, tout au long de la discussion, qu’elle était l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin pour une modernisation idyllique du système de santé. Le texte initial me paraissait pourtant déjà plus compréhensible, sinon plus raisonnable.
Cependant, je regrette que le texte dit « de la commission » soit un peu trop le texte des rapporteurs. Je le sais, les aléas du calendrier n’ont pas permis une concertation qui aurait peut-être évité à la majorité de cette assemblée d’avoir à déposer plusieurs centaines amendements en séance publique. Cette concertation aurait aussi permis d’éviter les décisions pour le moins surprenantes d’une majorité s’engouffrant, par exemple, dans l’adoption de mesures coercitives pour lutter contre la désertification médicale, ou encore attaquant violemment les experts médicaux, qui, certes, ne sont pas tous des saints, mais dont la très grande majorité effectuent consciencieusement leur travail.
Plusieurs sujets délicats auraient mérité un meilleur sort qu’une simple évocation au détour de l’examen d’un amendement : je veux parler des problèmes touchant à l’éthique, à la bioéthique, à l’interruption volontaire de grossesse. On a alors, à gauche de l’hémicycle, invoqué Simone Veil, en oubliant que si sa détermination a certes été fondamentale, elle a agi avec l’accord du Président de la République de l’époque et de deux de ses Premiers ministres. Monsieur Mézard, votre père a suffisamment défendu ce projet de loi pour que vous puissiez en parler !
Pour moi, ce texte reste très insuffisant au regard du défi de la modernisation nécessaire. Il a été sur plusieurs points toiletté et amélioré, mais, compte tenu de l’ampleur du sujet, il aurait mérité au moins de faire l’objet de la procédure normale, plutôt que de la procédure accélérée. Nous avons bien ressenti que Mme la ministre des affaires sociales entendait faire rétablir par les députés beaucoup des articles que nous avons supprimés. Soit, mais je crains que, par là même, les grands défis ne restent à relever.
Alors, quelle est la position des membres du groupe RDSE au moment du vote de ce texte, qui comporte des mesures pouvant être considérées comme positives et d’autres comme négatives ou insuffisantes ? Cette position sera déterminée essentiellement par l’appréciation que chacun d’entre nous porte sur le sujet phare, celui qui nous divise : le tiers payant généralisé.
Assistant à notre débat du haut de son piédestal, Michel de L’Hospital a dû penser que l’esprit de tolérance qu’il défendait en son siècle n’avait pas fait beaucoup de progrès dans la société moderne !
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI -UC.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail accompli en tant que rapporteurs par Mmes Deroche et Doineau, MM. Reichardt et Longeot, trop peu souvent cités dans ce débat.
Le groupe Les Républicains du Sénat a clairement marqué sa position, en soutien à celle de la commission des affaires sociales. Confronté à un texte portant diverses dispositions d’ordre sanitaire, notre groupe a fait le choix de se concentrer sur les enjeux réellement importants pour l’organisation des soins sur notre territoire.
Ce choix imposait notamment de ne pas traiter, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, les questions qui relèvent à nos yeux des débats sur la bioéthique : je pense en particulier au don d’organes. On ne peut aborder sereinement ces sujets graves et complexes que dans le cadre de débats spécifiques et cohérents, et non pas au milieu de l’examen de mesures techniques portant sur divers sujets.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Le groupe Les Républicains a également souhaité s’opposer aux dispositions purement déclaratoires ou redondantes par rapport au droit existant, ainsi qu’aux très nombreuses – cinquante-trois en tout – demandes de rapport.
La loi doit disposer pour tous les Français sur l’ensemble du territoire national. Multiplier les approches partielles, c’est prendre le risque d’affirmer que la santé des uns est plus importante que celle des autres. Répéter des dispositions existantes, au motif qu’elles ne sont pas suffisamment appliquées, c’est décrédibiliser la loi et le travail du législateur. Oui, l’action du Gouvernement pour l’application des textes est insuffisante dans plusieurs domaines essentiels. Oui, plusieurs sujets méritent débat. C’est pour cette raison que le Parlement dispose d’un pouvoir de contrôle, qu’il nous appartient d’utiliser dans toute son étendue.
Le groupe Les Républicains a fait le choix de construire notre système de santé avec les professionnels de santé, et non pas contre eux, comme cela est fait, par exemple, avec la généralisation du tiers payant.
De même, nous avons jugé indispensable de prendre davantage en compte les initiatives de terrain, sans lesquelles rien ne peut se faire. C’est pourquoi nous soutenons le renforcement des pôles de santé, tel que l’a voulu le Sénat, plutôt que la création, madame Génisson, de nouvelles structures, à savoir les communautés professionnelles territoriales de santé. Il ne semble pas opportun, en effet, de remettre en cause, à l’occasion de l’élaboration de chaque nouvelle loi de santé, des dispositifs qui ont à peine eu le temps de se mettre en place, d’autant plus lorsque ceux-ci fonctionnent bien, comme plusieurs de nos collègues ont pu le constater sur leur territoire.
Nous estimons que tous les acteurs de santé, publics et privés, sont indispensables pour répondre aux besoins de la population. Si nous sommes favorables au rétablissement du service public hospitalier, nous estimons nécessaire de maintenir des missions de service public susceptibles d’être exercées par les cliniques privées. Les réalités de terrain ne se plient pas aux approches idéologiques.
Nos choix concernant ce texte s’inscrivent dans la continuité de ceux que nous avions faits lors de l’élaboration de la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST. Six ans après son adoption, des adaptations étaient nécessaires, et nous les avons accompagnées par le biais de nos amendements, notamment au sujet des groupements hospitaliers de territoire. La loi HPST n’était donc pas si mauvaise, puisque aujourd’hui le Gouvernement reprend son cadre et renforce le pouvoir des agences régionales de santé.
Le texte élaboré par le Sénat reflète, pour l’essentiel, les choix de cohérence et de responsabilité du groupe Les Républicains et la confiance que celui-ci place dans les acteurs de terrain pour relever les défis que pose la santé des Français. Concernant, par exemple, le droit à l’oubli, je rappellerai que la première convention Aeras date de 1991, et non de 2015, une nouvelle convention ayant été signée en 2001.
Le groupe Les Républicains considère que ce texte, tel qu’il a été largement remanié par le Sénat, marque une amélioration notable par rapport tant à la version initiale du Gouvernement, qui faisait contre elle l’unanimité des professionnels de santé, qu’à celle de l’Assemblée nationale. Nous le voterons donc résolument.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je voudrais le redire, il m’apparaît que l’on ne peut aujourd’hui discuter d’une loi de santé publique sans engager parallèlement une réforme permettant de financer durablement l’accès aux soins de tous. La réflexion ne devra pas porter uniquement sur les sources de financement des dépenses sociales, mais également sur l’architecture même de la sécurité sociale.
Du fait qu’il n’aborde pas la question du financement pérenne des soins, le projet de loi demeure nécessairement incomplet, et nous devrons donc poursuivre nos débats, notamment à l’occasion de l’examen du PLFSS.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI -UC.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion générale, notre collègue Gérard Roche saluait le travail de coproduction auquel l’examen de ce texte avait donné lieu.
C’est dans le même état d’esprit, que nous mettons au crédit de nos rapporteurs, avec une mention particulière pour notre collègue Élisabeth Doineau, dont c’était le premier rapport
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC.
Nos débats ont aussi permis de nourrir le dialogue avec le Gouvernement. En tant que centristes, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Sur le plan des principes généraux, par exemple, notre commission a souhaité simplifier et clarifier.
C’est le cas au sujet de l’affirmation du droit à donner son sang, quelle que soit son orientation sexuelle.
C’est aussi le cas de la suppression du délai de sept jours entre deux rendez-vous pour accéder à l’IVG : quarante ans après son vote, la loi Veil est parvenue à l’âge adulte, et il a semblé opportun à une majorité des membres de mon groupe de simplifier sa mise en œuvre.
La même recherche de tempérance a présidé à nos travaux en matière de prévention.
Par exemple, l’article 5 bis A, qui interdit les fontaines à boissons sucrées proposant une offre à volonté, nécessitait un délai d’application. Je me félicite donc d’avoir fait adopter, avec l’accord de Mme la ministre, un amendement qui fixe une période transitoire de douze mois.
Dans le même ordre d’idées, les industriels du jouet se sont vivement émus du contenu de l’article 11 quater, qui interdit le bisphénol A dans les jouets et amusettes. Là encore, l’amendement du Gouvernement liant cette interdiction à des seuils de concentration et de migration du bisphénol A permet d’atteindre l’objectif de santé publique sans mettre en danger toute une filière de production.
Un dernier exemple, et non des moindres, pour ce qui concerne le volet prévention, a trait au tabac. Certes, il s’agit d’un fléau sanitaire contre lequel il ne faut pas désarmer. Pour autant, les mesures prises doivent avoir du sens. Qu’aurait apporté une « surtransposition » hexagonale de la directive européenne sur le paquet neutre ? Rien de plus au regard des éléments sanitaires dont nous disposons actuellement, sinon un probable accroissement du trafic clandestin et frontalier.
Le dialogue législatif a aussi porté sur le parcours de santé et la structuration de l’offre de soins.
Nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée de l’article 27, qui met en œuvre les groupements hospitaliers de territoire, en donnant notamment une plus grande place aux élus.
Le constat est identique pour ce qui concerne le dossier médical partagé et, plus globalement, la lettre de liaison ville-hôpital, qui, dématérialisée et obligatoire, a maintenant valeur législative.
Tels sont, à nos yeux, les aspects du texte les plus porteurs d’avenir.
Cependant, il demeure encore, bien sûr, des divergences de fond entre le Gouvernement et la Haute Assemblée.
Elles portent, évidemment, sur le tiers payant généralisé. Nous partageons l’objectif de faciliter l’accès aux soins pour tous ; il s’agit d’un acquis social essentiel, que l’on ne saurait remettre en cause au moment où la sécurité sociale fête ses soixante-dix ans. Soit dit entre parenthèses, cela soulève la question de la place de plus en plus importante des assurances complémentaires santé et du désengagement de l’assurance maladie.
La généralisation du tiers payant pose deux questions, une fausse et une vraie, la fausse ayant eu tendance à éclipser la vraie.
La fausse question est celle des délais de remboursement des médecins par la sécurité sociale et les complémentaires en cas de mise en place du dispositif. Nous savons que, techniquement, cela ne poserait pas de difficultés majeures et ne serait pas coûteux.
La vraie question porte sur la crainte qu’ont les médecins de passer insidieusement d’un système libéral à un salariat qui ne dit pas son nom.
Nous regrettons que, pour l’heure, le doute subsiste et que l’adhésion des professionnels de santé fasse défaut. Madame la secrétaire d’État, comme le disait Michel Crozier il y a très longtemps, « on ne change pas la société par décret ».
C’est d’ailleurs exactement la même logique qui a structuré nos débats sur la désertification médicale et l’offre de soins conventionnée. Le Sénat parie sur la négociation, en demandant que cette dernière ait lieu dans le cadre de la convention nationale entre les médecins et l’assurance maladie.
Le dernier point de divergence que je souhaite évoquer porte sur le don d’organes.
Personne ne remet en cause le don d’organes automatique en l’absence de refus exprimé par la personne concernée, mais sa mise en œuvre soulève une double question.
Sur le plan pratique, les chiffres cités lors du débat par Alain Milon sont édifiants : il n’est pas normal que le refus de prélèvement d’organes soit de 20 % à Nantes et de 40 % en Île-de-France. De tels chiffres montrent bien qu’il s’agit d’une question non pas de loi, mais de pédagogie, de formation des praticiens et d’information du public.
En revanche, une question de droit se pose, s’agissant de la relation du corps médical avec la famille. Elle doit être résolue au plus vite, car des milliers de vies sont en jeu.
Coiffant ma casquette de rapporteur général du PLFSS, je conclurai en souhaitant que les orientations les plus prometteuses du présent texte contribuent à l’amélioration non seulement de la qualité des soins, mais aussi des soldes sociaux.
Au bénéfice de ces observations, le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption du texte issu de nos débats, sans doute imparfait, mais équilibré.
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC et du groupe Les Républicains.
Sourires.
Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Il aura lieu en salle des conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’Instruction générale du Bureau.
Je remercie nos collègues M. Serge Larcher, Mme Valérie Létard et M. Philippe Nachbar, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :
Nombre de votants346Nombre de suffrages exprimés215Pour l’adoption185Contre 30Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la santé dans le texte de la commission, modifié.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs, je vous remercie du travail effectué au cours des deux dernières semaines.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous demande en premier lieu de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, qui participe actuellement à la célébration des soixante-dix ans de la sécurité sociale, manifestation à laquelle je vais d’ailleurs me rendre dans quelques instants.
La ministre des affaires sociales a eu l’occasion de le dire jeudi dernier, les débats autour de ce texte ont été de grande qualité et toujours respectueux. Chacun a pu faire valoir son point de vue et défendre ses convictions.
Vous le savez, l’ambition de ce texte est de moderniser notre système de santé pour lui permettre de répondre aux grands défis qui en bouleversent les équilibres.
Le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, les inégalités en matière de santé : tous ces enjeux appellent une action déterminée. Les débats ont montré que ce constat était très largement partagé, même si l’accord sur les moyens propres à concrétiser l’ambition d’un système modernisé est parfois moins large.
Deux mesures phares, la généralisation du tiers payant pour renforcer l’accès aux soins et la mise en place du paquet neutre pour lutter contre le tabagisme, ne figurent plus dans le texte que vous avez adopté. Marisol Touraine a dit sa détermination à réintroduire ces mesures à l’occasion de l’examen du texte par l’Assemblée nationale
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Enfin, vous me permettrez de me réjouir, en tant que secrétaire d’État chargée des droits des femmes, de l’adoption par votre assemblée de plusieurs mesures issues du plan IVG que nous avions présenté en janvier dernier, Marisol Touraine et moi-même.
Ce sont là des avancées majeures pour les femmes et le Sénat peut être fier d’avoir permis leur adoption.
Je ne doute pas, au vu de la qualité des débats et de nos échanges, que cette même assemblée aura à cœur, la semaine prochaine, de défendre à nouveau les droits des femmes en faisant encore progresser la lutte contre les violences faites aux femmes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Merci, madame la secrétaire d'État.
Je souhaite, bien sûr, un bon soixante-dixième anniversaire à la sécurité sociale ! Du reste, j’ai moi-même participé ce matin, dans le cadre de cette célébration, à un débat à la Mutualité.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.
L’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette séance du mardi est véritablement une première. Je remercie, une nouvelle fois, le Gouvernement et vous en particulier, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, d’avoir compris notre démarche et de l’avoir acceptée.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
L’auteur de chaque question dispose de deux minutes, y compris la réplique.
La durée de deux minutes s’applique également à la réponse des membres du Gouvernement, même si M. le Premier ministre bénéficie d’une horloge spéciale…
Sourires.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Monsieur le Premier ministre, la France a découvert hier des images ahurissantes, saisies à l’occasion de la réunion du comité central d’entreprise d’Air France. Ces images ont fait le tour du monde : des dirigeants molestés, presque lynchés, obligés de fuir sous les insultes d’un groupe minoritaire de salariés agissant au mépris des lois et du simple respect de la personne humaine.
Ces actes méritent la plus ferme des réprobations et appellent des poursuites pénales.
Les auteurs de ces délits ne sauraient engager la compagnie Air France, qui est au cœur du patrimoine français, qui a toujours porté haut les valeurs de travail d’équipe, de solidarité et de respect, et qui a su relever le défi de la conquête des passagers du monde entier.
Air France est et restera une source de fierté pour nos concitoyens, une compagnie fidèle aux standards internationaux les plus élevés du transport aérien. Mais Air France doit aussi s’adapter à une nouvelle donne, redevenir pleinement compétitive, après plusieurs plans de performance, baisser ses coûts et renégocier son pacte social.
Le principal syndicat de pilotes est pointé du doigt, à juste titre, pour avoir refusé les propositions de la direction. L’ensemble du personnel est inquiet devant les mesures sociales annoncées, qui incluent des réductions très nettes de capacité et des licenciements en grand nombre.
L’émotion, comme vous le savez, monsieur le Premier ministre, est considérable ; la situation est bloquée.
Que compte faire le Gouvernement pour aider Air France à franchir cette étape, parmi les plus rudes de son histoire ? Chacun a connaissance des difficultés très graves du secteur du transport aérien français.
Détenteur de 17 % du capital de la compagnie, l’État ne peut pas en rester au stade de la condamnation des délits.
Allez-vous, monsieur le Premier ministre, agir pour favoriser le dialogue. Certes, il faut amener les pilotes à « bouger », mais aussi répondre aux problèmes spécifiques du transport aérien français, qui se trouve malheureusement à l’écart de l’augmentation mondiale du trafic.
Certaines rigidités du transport aérien français découlent de notre réglementation : souhaitez-vous y répondre en même temps que vous renouerez le dialogue social ?
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord, à mon tour, puisque je sais que vous l’avez fait tout à l'heure, rendre hommage à toutes les victimes des intempéries que les Alpes-Maritimes ont connues ce week-end.
Le Président de la République et le ministre de l’intérieur étaient sur place dimanche pour saluer l’engagement de tous ceux qui sont venus au secours des populations affectées par ces terribles inondations : sapeurs-pompiers, policiers et des gendarmes, agents de l’État et des collectivités territoriales, élus et citoyens. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet au cours de cette séance de questions au Gouvernement.
Monsieur le sénateur Capo-Canellas, Air France est une très grande compagnie aérienne, la cinquième du monde. Elle porte nos couleurs, mais sa situation n’est pas bonne, confrontée qu’elle est depuis plusieurs années à des défis majeurs : l’émergence des compagnies low cost et la concurrence de grandes compagnies – celles du Golfe, certes, mais d’autres aussi – qui ont su se restructurer.
Pour survivre, pour se redresser, la compagnie doit impérativement renforcer sa compétitivité : il n’y a pas d’autre choix, comme M. Alain Vidalies et moi-même avons déjà eu l’occasion de le dire. L’État soutient donc cette seule voie possible, cet effort indispensable vers le redressement. Le statu quo ne saurait être une option quand l’avenir de l’entreprise est véritablement en jeu.
Comme vous le savez, les discussions engagées entre la direction et les syndicats de pilotes sur la réalisation, par les pilotes, des engagements du plan Transform 2015 et du plan de productivité Perform 2020 ont échoué mercredi soir. Ce dernier plan vise des gains de compétitivité à hauteur de 17 %.
L’effort de productivité demandé est un passage obligé pour restaurer la compétitivité. Chacun doit y participer, à commencer par les pilotes.
Je veux donc lancer aux pilotes un appel à la responsabilité et à la lucidité : ils ont, parmi d’autres acteurs, l’avenir de la compagnie entre leurs mains et doivent, par conséquent, s’engager. Je demande à leurs syndicats de prendre leurs responsabilités.
J’étais ce matin à Roissy pour rencontrer les dirigeants d’Air France-KLM et d’Air France, ainsi que les deux hommes qui ont été humiliés et agressés par une foule. Ces actes sont intolérables : ils devront être punis avec la plus grande des sévérités.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, puis de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste. – Murmures de réprobation sur les travées du groupe CRC
Rien ne peut justifier de tels actes, qui doivent être condamnés de manière absolue.
Je veux aussi saluer la dignité des victimes.
J’ai également rencontré trois secrétaires des instances représentatives du personnel, trois syndicalistes de la CFDT, de la CFE-CGC et de la CGT. Je tiens d’ailleurs à rappeler aussi que, hier, des syndicalistes ont protégé les hommes qui étaient frappés.
Quoi qu'il en soit, il ne saurait y avoir quelque ambiguïté, quelque confusion que ce soit : la violence d’un conflit social ne peut être assimilée à celle qu’ont subie des hommes dont la mission est précisément d’entretenir le dialogue social.
Les images qui ont été diffusées sont terribles pour la compagnie elle-même et, bien évidemment, pour notre pays. Des sanctions lourdes doivent donc être prises contre des actes qui relèvent du droit pénal.
Bien sûr, j’ai voulu exprimer la solidarité du Gouvernement à l’égard de ces hommes, des vigiles qui se sont interposés et de la direction de l’entreprise. En effet, nous assumons pleinement nos responsabilités.
L’urgente priorité, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, est de reprendre le dialogue. La solution aux problèmes de l’entreprise devra être trouvée en son sein. L’État, actionnaire à hauteur de 17 %, assume et assumera toujours pleinement son rôle. C’est pourquoi nos représentants soutiennent les plans de la direction et, notamment, ce qu’on a appelé le plan A. C’est en effet celui qui doit permettre de faire reposer l’effort sur l’ensemble des salariés.
M. Vincent Capo-Canellas acquiesce.
J’en appelle donc, comme je l’ai déjà fait ce matin, comme M. Vidalies a déjà eu l’occasion de le faire, à la reprise du dialogue.
Monsieur le sénateur, je crois comme vous aux vertus du dialogue social ; je ne pense pas qu’on puisse mettre de côté les syndicats, représentants des salariés. Notre pays, au contraire, a besoin d’un dialogue constructif, à condition que chacun prenne ses responsabilités et condamne la violence.
Il est encore temps de redresser la compagnie : tel est l’appel que je veux ici relayer.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste .
La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur et porte sur les conséquences des dramatiques intempéries survenues dans le département des Alpes-Maritimes, qui ont causé vingt et un morts et provoqué de lourds dégâts.
Je tiens à exprimer toute ma tristesse et ma compassion à l’égard des familles des victimes. Je veux également exprimer tout mon soutien aux milliers de sinistrés. Je me dois aussi de saluer la mobilisation exceptionnelle des services de secours, qui a permis d’éviter que le bilan du drame ne soit plus lourd.
Monsieur le ministre, le Président de la République et vous-même vous êtes rendus sur place pour constater le désastre humain et matériel. L’état de catastrophe naturelle a été annoncé par le Président de la République. Néanmoins, les exemples passés de La Faute-sur-Mer ou de Draguignan montrent que les procédures sont lentes et que seul l’État a la main pour venir en aide aux élus locaux, en publiant rapidement les arrêtés interministériels et en mettant tout en œuvre pour que la mobilisation des experts et des assureurs soit totale.
Monsieur le ministre, les communes des Alpes-Maritimes pourront-elles compter sur la parole de l’État et sur sa réactivité pour mobiliser le fonds de soutien aux collectivités ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. Face à de tels drames, aucune question taboue ne doit être éludée. Quand l’État mettra-t-il en œuvre une vraie politique de prévention des inondations ?
Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.
La facture du déluge qui s’est abattu sur la Côte d’Azur pourrait atteindre 500 millions d’euros ; or le budget annuel consacré à la prévention des crues ne dépasse pas 300 millions d’euros !
Quand les pouvoirs publics arrêteront-ils leurs discours schizophrènes ? Quand cesseront-ils de dire tout et son contraire, de dénoncer les ravages de la « bétonisation » tout en exigeant des communes qu’elles construisent toujours plus, au péril de la vie de leurs administrés ?
Brouhaha sur les mêmes travées.
Les élus locaux ne cessent de subir la pression de l’État pour construire : durcissement de la loi SRU, préemption des terrains prévue par la loi ALUR, surtaxe foncière pour les terrains constructibles mais non bâtis.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Il est temps, monsieur le ministre, de mettre un terme à l’application uniforme de telles lois et de tenir compte des spécificités de nos territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.
Madame la sénatrice, vous demandez quel est l’engagement de l’État après le drame qui s’est produit dans les Alpes-Maritimes ce week-end et qui a conduit le Président de la République à se rendre sur place. Vous souhaitez savoir si la mobilisation de l’État sera à la hauteur du drame. Je veux vous apporter des réponses extrêmement précises.
Tout d’abord, le Président de la République a indiqué que l’état de catastrophe naturelle serait évoqué en conseil des ministres dès demain. À la demande du Président de la République et du Premier ministre, j’y ferai une communication, et l’arrêté sera publié dès jeudi.
Par ailleurs, dès la fin de cette séance de questions, je vais réunir des représentants de l’ensemble des administrations qui concourent au déblocage des fonds de soutien aux collectivités locales, auxquels se joindra le président de la Fédération française des sociétés d’assurance. Il s’agit, d’une part, de déterminer dans quelles conditions des avances peuvent être versées avant le délai de trois mois qui s’impose en règle générale et, d’autre part, de mobiliser dès les prochaines semaines, voire les prochains jours, le fonds de solidarité en faveur des collectivités territoriales touchées par des catastrophes naturelles, afin que ces collectivités puissent procéder aux travaux en avance de phase et remettre en état les équipements publics du ressort de leur territoire.
Vous vous inquiétez de la longueur potentielle des délais. Ils ne seront pas longs du fait de la réforme – réalisée par ce gouvernement – du dispositif d’accompagnement des collectivités locales après une catastrophe naturelle. On a réduit le temps des inspections ; on a simplifié les procédures ouvrant droit à indemnisation ; enfin, on a fusionné les fonds qui viennent en aide aux collectivités locales pour faciliter l’indemnisation. J’ai d’ailleurs rehaussé le niveau des avances pour éviter que les collectivités locales ne soient confrontées aux problèmes rencontrés dans le passé.
Vous évoquez enfin les problèmes d’urbanisme. J’ai pu me rendre sur place avec le Président de la République : à mes yeux, la sururbanisation observée n’est pas due aux conséquences de la loi SRU ou de la loi ALUR. En effet, les bâtiments atteints par ces inondations avaient été construits, dans leur majorité, dans les années 1970 et 1980.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste.
Au moment où la loi sur les nouveaux droits des patients en fin de vie revient à l’Assemblée nationale, une question reste en suspens : celle de la tarification des soins palliatifs et des soins en fin de vie dans le cadre rigide de la T2A, sigle un peu barbare qui signifie « tarification à l’activité ». Selon les propres termes de Mme la ministre de la santé, cette tarification n’est pas une fin en soi.
Au-delà de la réflexion globale sur cet outil de gestion financière, se pose la question de l’articulation entre soins palliatifs et tarification ; je parle bien de soins palliatifs et non pas seulement de soins en fin de vie.
Dès 2007, la Cour des comptes alertait sur la misère des soins palliatifs et un possible effet pervers de la tarification. En 2015, elle notait encore une absence de valorisation spécifique des soins palliatifs en moyen et long séjours.
Seul un malade sur trois bénéficiaires potentiels de soins palliatifs y a réellement accès. Le remboursement des douze premiers jours est basé sur un forfait de 6 100 euros, qui est dû même si le patient décède après le premier jour. En étant cynique et en poussant le raisonnement à son terme, je dirai que, plus vite le patient décède après son admission en unité de soins palliatifs, mieux c’est pour l’équilibre financier de l’établissement !
Cette vision de la tarification à l’acte est complètement délétère pour l’accompagnement en fin de vie. Bien pis, elle cantonne le concept de soins palliatifs aux derniers jours de vie du patient.
Alors que la culture palliative fait cruellement défaut dans notre pays par manque de formation des professionnels, comment expliquer à des patients qui sont orientés vers les soins palliatifs qu’il ne s’agit pas de la fin de leur accompagnement ?
Je souhaite donc connaître les propositions de Mme la ministre des affaires sociales en vue de favoriser une meilleure prise en charge des soins palliatifs, s’agissant notamment de la tarification des soins prodigués aux patients en fin de vie.
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, permettez-moi d’excuser tout d’abord Marisol Touraine, qui participe en ce moment à la célébration du soixante-dixième anniversaire de la création de la sécurité sociale.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Elle a aussi rendu possibles, notamment grâce à votre travail – le vôtre, monsieur Amiel, mais aussi celui de votre collègue Gérard Dériot –, un certain nombre d’améliorations à la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, notamment en matière de soins palliatifs. Vous avez ainsi permis que soit reconnu à toute personne, sur l’ensemble du territoire, le droit à l’accès à des soins palliatifs.
Vous soulevez de façon très pertinente la question de la tarification à l’activité, la fameuse T2A, qui, vous en avez fait la démonstration, n’est absolument pas adaptée aux conditions de la prise en charge des soins palliatifs.
Vous le savez, la T2A participe aussi à d’autres éléments de financement de la vie hospitalière, sur lesquels le Gouvernement est déjà revenu, concernant les petits hôpitaux de proximité, l’amélioration de la qualité des soins, etc. Il nous faut néanmoins aller plus loin. C’est pourquoi le Président de la République s’est engagé à renforcer directement, c'est-à-dire par des crédits fléchés, les moyens mobilisés pour les soins palliatifs, et ce dans le cadre d’un plan triennal. Se tiendra très prochainement une réunion avec les admirations concernées pour faire évoluer le financement des soins palliatifs.
Tel est l’engagement du Gouvernement.
Monsieur le sénateur, sur ce sujet, je tiens à saluer votre implication, comme celle de la Haute Assemblée tout entière.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé du budget.
Monsieur le secrétaire d'État, le scandale Volkswagen est très grave. Toutes les enquêtes épidémiologiques – un rapport sénatorial l’a confirmé – ont montré que, chaque année, des enfants et des personnes fragiles mouraient prématurément d’une concentration dangereuse dans l’air d’oxydes d’azote, phénomène auquel ont donc sciemment contribué les ingénieurs et dirigeants d’une entreprise qui se disait exemplaire.
Face à des consommateurs de plus en plus défavorables à une technologie qui ne répond pas aux défis environnementaux, agir de façon résolue est aujourd’hui une urgence, y compris pour l’avenir de l’industrie automobile française et européenne.
Les écologistes se félicitent tout d’abord de la volonté affirmée de la ministre de l’écologie quant au rattrapage de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence. C’est une mesure nécessaire. Toutefois, il faut une cohérence d’ensemble.
Aussi vous poserai-je deux questions très précises, monsieur le secrétaire d'État.
Pour accélérer cette transition, d'une part, êtes-vous prêt à remédier à l’absurdité d’une situation où l’exonération de TVA sur les carburants diesel, et uniquement diesel, des véhicules professionnels rend l’achat d’un véhicule à essence prohibitif, par exemple pour les taxis parisiens ? Êtes-vous favorable, d'autre part, au renforcement du bonus automobile sur les petites cylindrées, bonus réduit aujourd’hui à un montant quasi symbolique, alors qu’il s’agit presque exclusivement de véhicules à essence peu polluants ?
Ces deux mesures simples et ciblées favoriseront les constructeurs français, très bien positionnés sur le segment des petites cylindrées à essence, véhicules qui émettent aussi le moins de gaz à effet de serre.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Monsieur le sénateur, à la suite de la publication d’un rapport de la Haute Assemblée sur le coût économique et financier de la pollution de l’air et après le scandale Volkswagen, mais aussi à l’approche de la COP 21, votre question a toute sa légitimité. Il convient de la resituer dans un contexte plus général.
La fiscalité environnementale a de multiples composantes. Il faut citer la CSPE, la contribution au service public de l’électricité, qui atteint plus de 5 milliards d’euros et est en forte augmentation ; la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, que vous avez évoquée, la contribution climat-énergie, qui a été mise en place avec succès par le Gouvernement, et diverses mesures fiscales que vous avez rappelées.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Pour autant, des évolutions doivent avoir lieu. Ainsi, s’agissant de la CSPE, Bruxelles nous met en demeure d’en modifier le dispositif pour des questions de compatibilité par rapport aux aides aux entreprises, notamment en ce qui concerne les énergies renouvelables.
Si, cela a un rapport : aujourd'hui, la CSPE ne porte que sur l’électricité, ...
... alors qu’un certain nombre de membres du Gouvernement et de parlementaires souhaiteraient en élargir l’assiette pour diversifier les sources d’énergie.
On peut également citer les interférences entre les différents dispositifs, par exemple la contribution climat-énergie et l’exonération de la TVA sur le diesel.
Pour y remédier, il faut aborder ces questions de façon globale. Le Gouvernement s’engage à le faire lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative. Ce travail est en cours. Le Sénat, l’Assemblée nationale, vous-même, y serez associés.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Je ne peux que m’étonner de cette réponse sur la CSPE, alors que ma question portait sur la TVA sur le diesel.
Nous formulons des questions très précises qui appellent des réponses tout aussi précises.
Je regrette vivement que M. le secrétaire d’État n’ait pas confirmé la dynamique engagée cette semaine par la ministre de l’écologie
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.
, qui a affirmé qu’il était temps d’opérer un rattrapage entre les fiscalités. Ma question avait trait à cette cohérence d’ensemble, mais nous y reviendrons en loi de finances.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Monsieur le Premier ministre, des violences inadmissibles, que mon groupe et moi condamnons sans réserve, ont été perpétrées contre des salariés d’Air France, dont deux dirigeants. Leur dignité humaine a été mise en cause et nous ne l’acceptons pas. Je l’affirme d’emblée, cette colère incontrôlée est une impasse pour les salariés.
Ce n’est pas ce que vous avez dit tout à l’heure !
C’est un piège redoutable. Les organisations syndicales et l’immense majorité des salariés de l’entreprise le savent.
Ceux qui ont toujours combattu le monde salarial s’en donnent à cœur joie, du MEDEF à M. Sarkozy, qui assène : « C’est la chienlit ! »
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
N’y a-t-il pas des responsables de cette situation ? Pourquoi ne pas mettre en avant l’incurie de la direction, Qui n’a pas de stratégie, qui a déjà sacrifié 5 500 emplois depuis 2012, avec le plan Perform 2020, et qui a annoncé hier la suppression de 2 900 autres emplois ?
Monsieur le Premier ministre, ne croyez-vous pas qu’il est temps d’avoir un mot pour ces milliers de drames humains, ces milliers de violences, certes hors écran, infligées par des décideurs qui servent non l’intérêt national, mais celui des actionnaires privés ?
Le choc, c’est la violence des images d’hier.
Mais le choc, c’est aussi de voir un pays comme la France, quatrième puissance économique mondiale, incapable de préserver sa compagnie nationale.
L’État actionnaire ne peut laisser ainsi enterrer Air France, en particulier face à la concurrence des compagnies hors droit. Comment l’État actionnaire, l’État responsable, va-t-il agir en ce sens ?
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente Assassi, hier, après les incidents, chacun a trouvé les mots justes, de manière qu’aucune confusion ne soit possible entre l’action syndicale et ce qui s’est passé. Il ne faut pas tomber dans le piège des commentateurs qui continuent à faire des assimilations. Tout le monde ici s’est exprimé clairement : il s’agit d’agissements inacceptables, de violences dont la seule issue envisageable est la sanction pénale.
Vous interrogez le Gouvernement sur sa stratégie. Le Premier ministre a répondu sur le rôle de l’État actionnaire et rappelé cette réalité incontestable : la compagnie perd de l’argent sur les longs courriers. C’est pourquoi, aujourd’hui, le projet est de supprimer une quinzaine d’avions. Un avion, c’est 320 salariés. Voilà la réalité.
Pour atteindre cet objectif, il n’y a que deux voies possibles. La première, c’est celle de la négociation, et c’est celle que la compagnie a proposée. Cela veut dire que l’effort est partagé entre tous les salariés, y compris les pilotes, puisque c’est de leur décision que dépend la possibilité de négocier avec les autres salariés. Si cette solution est retenue, il n’y aura aucun licenciement.
Comme il y a eu échec du dialogue, la compagnie a annoncé 2 900 licenciements. C’est la seconde voie.
Cela étant, le temps du dialogue n’est jamais terminé.
La direction méprise les salariés. Il suffit de voir les images d’hier !
On peut trouver les moyens d’atteindre l’objectif fixé et faire en sorte que la compagnie poursuive son activité.
L’État, en tant que régulateur, a modifié la redevance sur les passagers en correspondance. Cela a représenté 28 millions d’euros l’année dernière et représentera 63 millions d’euros cette année. En d’autres termes, 90 millions d’euros de fonds publics ont été octroyés à la compagnie aérienne.
S’agissant des compagnies du Golfe, la France a, sur mon initiative et avec l’aide de l’Allemagne, demandé à la Commission européenne d’engager une procédure, ce que la Commission a accepté.
L’État ne reste pas immobile. Même en tant que régulateur, il défend la compagnie française. Encore faut-il aujourd’hui que le principe de réalité nous guide tous pour trouver ensemble des solutions permettant de garantir l’avenir d’Air France.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le secrétaire d’État, oui, l’avenir d’Air France est en jeu et c’est d’autant plus vrai quand cette entreprise contribue pour 1, 4 % au PIB français. L’État, qui en est actionnaire à hauteur de 17 %, ne peut laisser mourir cette grande entreprise et, de facto, faire perdre leur emploi à des milliers de salariés.
Oui, le dialogue doit exister. Encore faut-il qu’il s’agisse d’un vrai dialogue social et non d’un dialogue à sens unique. Comme le disait Jaurès, « le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ».
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
(Marques d’étonnement et protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je rappelle que le Premier ministre a droit à une horloge spéciale…
Sourires.
… exercice nouveau, je me permets de m’exprimer de nouveau sur ce sujet et je vous remercie de m’en donner la possibilité.
(M. Pierre Laurent s’exclame.) Il faut à tout prix que les pilotes entament ce dialogue, monsieur Laurent. Sinon, ce sont tous les autres salariés qui seront pénalisés.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.
Madame la sénatrice, nous appelons au dialogue social. Nous l’avons rappelé chaque fois et à tous les salariés. §
Ce matin, j’ai rencontré trois organisations syndicales. Elles disent exactement la même chose.
Nous avons demandé et nous continuerons à demander à chacun d’avancer.
Toutefois, parce que nous partageons le même but, au moment où ces images choquent le monde, choquent les Français et choquent d’abord tous les salariés d’Air France, je ne confonds pas les violences. S’attaquer ainsi à la dignité de ces hommes, comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, est intolérable. Il ne peut pas y avoir de confusion dans les propos.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.
La parole est à M. Marc Daunis, pour le groupe socialiste et républicain.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Dans la nuit de samedi à dimanche, nous avons vécu dans les Alpes-Maritimes un véritable déluge, et ce n’était pas un mythe : plus de vingt morts, des écoles et des entreprises saccagées, des routes broyées, des ponts emportés, des habitations lourdement endommagées, mais surtout des hommes et des femmes traumatisés.
En tant que maire de Valbonne Sophia Antipolis, j’ai vécu ces pluies diluviennes sur le terrain. Élus, personnels municipaux et territoriaux, policiers, pompiers, citoyens : la solidarité s’exprime. Elle est remarquable, chaleureuse et réconfortante. Elle tranche d’ailleurs fort heureusement avec la teneur de certaines déclarations, y compris aujourd'hui dans cet hémicycle.
Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Ayons la décence de ne pas nous laisser aller à des polémiques stériles – qui, parfois, fleurent bon la politique politicienne – sur la couleur de l’alerte, gardons-nous de tirer des conclusions hâtives sous le coup d’une légitime émotion concernant des sujets aussi complexes que l’urbanisme, la prévention des risques ou encore l’application de la loi ALUR. Du reste, au jeu des responsabilités, il ne faut pas exclure le risque de voir l’arroseur arrosé…
Dès dimanche midi, le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, vous vous êtes rendus sur place – de même que, lundi, Mme Rossignol – et vous avez constaté l’ampleur de la catastrophe. Des mesures d’urgence ont été prises ; je m’en félicite. Néanmoins, l’inquiétude est vive pour aujourd'hui et pour demain.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous procéder pour que les engagements pris soient efficaces le plus rapidement possible et pour qu’ils soient scrupuleusement tenus à moyen et à plus long termes ?
Je le répète, l’inquiétude est très grande chez les élus locaux et dans la population.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.
Monsieur le sénateur, vous étiez présent, comme les élus de toutes sensibilités, qu’ils soient maires ou parlementaires, lors de la visite du Président de la République. Comme vous, j’ai pu constater sur le terrain la belle unité des élus, qui manifestaient bien légitimement leurs préoccupations face au drame terrible qui venait de se produire. Tous ceux qui étaient présents, quel que soit leur niveau de responsabilité, ont fait part de leur compassion.
Nous y avons également vu les pompiers des services départementaux d’incendie et de secours, valeureux, courageux, qui avaient travaillé toute la nuit pour sauver des vies, et qui en ont sauvé en nombre, les marins-pompiers de Marseille, les sapeurs-sauveteurs des formations militaires de la sécurité civile, les FORMISC, 300 policiers et gendarmes qui ont, eux aussi, apporté leur concours.
Nous le constatons tous, lorsque des épreuves terribles, qui sont de véritables tragédies, surviennent dans notre pays, des hommes et des femmes représentant le service public s’unissent et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cela justifie que, dans cette enceinte, nous leur adressions nos remerciements, nous leur faisions part de toute notre reconnaissance et de notre profonde gratitude.
Aujourd'hui, nous nous mobilisons pour que les réparations interviennent très vite. L’état de catastrophe naturelle sera déclaré demain en conseil des ministres ; l’arrêté sera publié dès jeudi. Un fonds de calamité nationale sera débloqué dans la foulée. La durée des inspections sera réduite le plus possible de manière que les fonds soient versés dans les meilleurs délais.
Je réunis les compagnies d’assurance tout à l’heure pour examiner les conditions dans lesquelles il sera possible de procéder au versement des avances dans un laps de temps extrêmement court.
La mobilisation est donc générale afin que les indemnisations soient rapidement versées, que les réparations puissent intervenir, que les collectivités locales et les particuliers puissent être aidés. C’est ainsi que nous honorerons les engagements qui ont été pris dimanche dans le département des Alpes-Maritimes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste.
M. le président. La parole est à M. François Baroin, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
À l’heure de cette séance de questions d’actualité au Gouvernement, un policier de trente-six ans se trouve entre la vie et la mort. Cet homme a déjà payé un lourd tribut, les médecins évoquant un cas de détresse vitale. Qu’il me soit permis, au nom du groupe au nom duquel je m’exprime, Les Républicains, mais aussi de la représentation nationale, d’adresser nos pensées les plus émues à sa famille, à ses proches, à ses collègues de la brigade anti-criminalité, ainsi qu’à l’ensemble des forces de l’ordre – policiers et gendarmes – de notre territoire qui, dans un contexte de terrorisme développé, s’efforcent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de garantir la sécurité de nos compatriotes.
Nous avons appris que le meurtrier faisait l’objet d’une surveillance, d’une fiche S, cette classification n’étant pas anodine puisqu’elle renvoie à la sûreté de l’État. Nous avons également appris qu’il avait obtenu une permission de sortie le 27 mai, mais qu’il n’avait pas réintégré sa prison. Plusieurs mois se sont écoulés depuis.
Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous confirmer que cet individu, dont le casier judiciaire était long comme le bras, faisait bien l’objet d’une fiche S en raison de ses relations avec une mouvance islamiste ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer comment travaillent les services de la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, avec les juges d’application des peines ? Comment se fait-il qu’un individu de cette nature, surveillé à ce titre, ait pu bénéficier d’une permission ?
Enfin, quelles mesures comptez-vous prendre pour lever l’incompréhension qu’a suscitée cette affaire dans le pays et apaiser la colère qui gronde ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur Baroin, je me suis rendu hier après-midi auprès des policiers de Seine-Saint-Denis pour leur faire part de ma solidarité et de ma tristesse et pour être auprès d’eux, comme le Premier ministre et moi avons été à leurs côtés lorsque des policiers du service de protection des hautes personnalités sont tombés au mois de janvier et lorsqu’un policier, Ahmed Merabet, a trouvé la mort, froidement abattu par des barbares. Cette solidarité est normale : elle est un devoir d’État.
Que s’est-il passé précisément ? Dans les conditions qu’a précisées la garde des sceaux tout à l’heure…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et conformément aux dispositions législatives en vigueur, un détenu a bénéficié d’une permission
Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
pour accomplir des formalités après le décès de son père. Moi, je n’ai pas à me prononcer sur une décision ayant été prise par un juge, parce que la séparation des pouvoirs existe.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.
Après son évasion, cet individu a été signalé comme s’étant radicalisé. C’est à ce moment-là qu’une fiche S a été établie le concernant, donc seulement après qu’il n’eut pas regagné son lieu de détention, non pas avant. Il était normal que cet individu soit inscrit au fichier des personnes recherchées et qu’une fiche S soit établie, car c’était la seule manière de pouvoir le récupérer dans le cas où il aurait tenté de quitter le territoire national.
L’ensemble des services de l’État se sont ensuite mobilisés pour procéder à la récupération de cet individu.
Hier, les services de police ont payé un lourd tribut lorsqu’ils ont procédé à la neutralisation de cet individu, qui était extrêmement dangereux.
Je veux rendre hommage aux policiers, car, dans ces circonstances §…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … ils ont effectué un travail absolument remarquable, qui mérite toute notre considération.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.
La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain.
Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.
La rentrée universitaire confirme l’attractivité croissante de nos établissements d’enseignement supérieur : alors que le nombre d’étudiants qu’ils accueillent avait augmenté de 30 000 par an en 2013 et 2014, il a crû de 65 000 en 2015.
Ces chiffres sont la manifestation tangible du succès de nos universités et de nos écoles. Plus généralement, ils attestent que le double mouvement de démocratisation de notre enseignement supérieur et d’élévation des qualifications et des diplômes est désormais engagé. Cette évolution s’est accompagnée d’efforts renforcés et continus depuis trois ans en matière de qualité des enseignements, de soutien à la vie étudiante et d’amélioration des conditions matérielles et humaines d’accueil des étudiants.
Néanmoins, certaines inquiétudes demeurent. À la fin du mois de septembre, des étudiants manifestaient pour réclamer une meilleure lisibilité des formations dans le domaine du sport et la fin du tirage au sort instauré à l’entrée dans les études, faute de places suffisantes. Une journée de mobilisation de tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche est prévue le 16 octobre prochain.
Monsieur le secrétaire d’État, le comité d’expertise chargé de définir la stratégie nationale pour l’enseignement supérieur propose d’accroître le niveau général de qualification dans notre pays en fixant à l’horizon de dix ans un objectif de 60 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. Cette ambition soulève une double question : comment et avec quels moyens ? Elle est centrale et suscite des controverses dans un contexte marqué par une baisse des investissements destinés à l’enseignement supérieur et à la recherche dans les contrats de plan État-région pour les années 2015-2020.
La semaine dernière, lors d’un déplacement à Avignon, M. le Premier ministre a annoncé qu’il n’y aurait pas de ponction des fonds de roulement des universités, comme cela avait été le cas dans le budget de 2015. Il a pris l’engagement qu’un « effort exceptionnel » de 100 millions d’euros supplémentaires serait fait pour le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 2016.
Mme Corinne Féret. Ma question est donc la suivante : les 100 millions d’euros annoncés par M. le Premier ministre sont-ils des crédits nouveaux ou sont-ils le résultat de la « non-ponction » sur les fonds de roulement des universités ? Ces 100 millions d’euros seront-ils affectés uniquement au programme 150, donc aux universités, ou concerneront-ils l’éducation nationale dans son ensemble ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Madame la sénatrice Corinne Féret, la rentrée 2015 confirme et amplifie la tendance enregistrée depuis 2012, c'est-à-dire un accroissement sans précédent du nombre d’étudiants inscrits. C’est une chance pour notre pays, le diplôme restant l’une des meilleures protections contre le chômage.
L’année 2015-2016 marque une nouvelle étape dans l’amélioration de la situation sociale des étudiants. Après la mobilisation de près de 500 millions d’euros en faveur des bourses sur critères sociaux depuis 2012, le Président de la République a présenté la semaine dernière un plan national de la vie étudiante visant à simplifier les démarches, à renforcer la vie du campus et à permettre l’accès au droit à la santé pour tous les étudiants. Nous poursuivons également l’effort de construction de 40 000 nouveaux logements d’ici à la fin de l’année 2017. Ces mesures illustrent bien notre volonté de renforcer les moyens.
Je vous confirme que les dotations des établissements d’enseignement supérieur progresseront de 165 millions d’euros en 2016. Cet investissement permettra notamment de financer une nouvelle vague de 1 000 créations d’emplois, d’accompagner les établissements qui doivent faire face à une augmentation du nombre d’étudiants et de favoriser la réussite en premier cycle.
Grâce à ces moyens, nous serons en mesure de prendre dans les prochaines semaines des décisions tendant à développer la formation professionnelle continue à l’université. Nous apporterons également des réponses concrètes aux difficultés d’orientation des jeunes.
C’est à ces conditions que nous pourrons parvenir à l’objectif fixé par le Président de la République
M. Francis Delattre s’exclame.
, qui est d’atteindre le taux de 60 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans une classe d’âge.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et porte sur le problème des migrations.
Monsieur le Premier ministre, la justice vient de nous infliger un nouveau camouflet. Ce week-end, pour la énième fois, des migrants se sont rués sur le site d’Eurotunnel, provoquant des dégâts très importants. Seuls vingt-trois des cent treize migrants qui se sont introduits par effraction dans le tunnel ont pu être interpellés par la police et placés en garde à vue.
Or, à la surprise générale, le procureur a décidé de ne pas engager de poursuites pour ces faits graves, survenus sur un site aussi sensible que le tunnel sous la Manche. Selon le procureur, ces vingt-trois personnes ne peuvent être considérées comme les instigateurs de cette action ni être légitimement poursuivies dès lors qu’une majeure partie des coupables n’a pas été interpellée.
Monsieur le Premier ministre, de qui se moque-t-on ?
Quand la justice prendra-t-elle enfin au sérieux les troubles à l’ordre public que cause le phénomène migratoire à Calais ?
En refusant de sanctionner ces personnes, en renonçant à leur faire quitter le territoire français, l’État donne le sentiment d’abandonner le Calaisis. Car cette situation a des effets catastrophiques pour l’économie locale : chute de la fréquentation touristique, délocalisations, découragement des investisseurs.
On n’admet plus le laxisme de l’autorité judiciaire !
Monsieur le Premier ministre, quand la justice et l’État vont-ils enfin se décider à faire respecter l’ordre public à Calais ? Les Calaisiens, comme tous les Français, y ont droit !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, vous évoquez la justice et l’État. Je ne veux pas vous compromettre, mais je vous rappelle que nous discutons vous et moi très régulièrement des questions de sécurité à Calais. Comme vous le savez, j’ai délégué à Calais près de 550 personnels à titre de forces supplémentaires. En outre, alors que Calais compte 7, 5 unités de forces mobiles, j’ai décidé ce week-end d’accroître le nombre de ces forces compte tenu des intrusions auxquelles vous faites référence.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
C’est encore à Mme Taubira de répondre ! La question porte sur la justice !
Si j’ai pris cette décision, c’est parce qu’il y a des violences, des migrants qui perdent la vie, qu’il y a des risques pour les infrastructures de transport, mais surtout parce qu’il y a des risques pour les migrants eux-mêmes – c’est ce qui me préoccupe le plus – et un trafic organisé par des passeurs, que nous démantelons.
Vous demandez ce que fait l’État pour ce qui concerne le démantèlement des réseaux de passeurs, mais vous le savez parfaitement : nous avons démantelé en France 190 réseaux de passeurs représentant près de 3 300 personnes. Une trentaine de ces 190 réseaux opèrent à Calais et à Dunkerque et représentent 800 personnes.
Donc, nous agissons.
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous m’interrogez sur la décision prise par le procureur concernant les vingt-trois migrants qui ont été récupérés dans le tunnel et qui n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires. Je vous le redis, même si cela doit susciter les hauts cris sur vos travées : en tant que ministre de l’intérieur, par respect pour l’État de droit et pour les principes constitutionnels, je ne commente pas les décisions de justice.
Exclamations renouvelées sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cela étant, j’ai pris des dispositions ce week-end, dont je vous ai fait part, madame Bouchart, en demandant à la préfète du Pas-de-Calais de se mettre en contact, dans le respect de l’indépendance de la justice, avec le procureur de la République, de manière que nous puissions judiciariser avec beaucoup de fermeté le comportement de ceux qui font usage de violences à Calais et dans les infrastructures de transports. Cette réunion a eu lieu ce matin, précisément, et je suis convaincu que la fermeté dont fait preuve le ministère de l’intérieur sur ces sujets sera suivie d’effet.
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain.
Mme Natacha Bouchart. Monsieur le ministre, vous avez bien compris ma question. Les officiers de police judiciaire, les forces de l’ordre font un travail remarquable, et je tiens à les saluer. Il n’empêche qu’ils sont épuisés parce que le représentant de la justice porte des jugements subjectifs.
Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.
Par conséquent, ne pourrait-on pas saisir, dans ce type de situation, une instance qui reste à définir, …
Mme Natacha Bouchart. … premièrement, quand on relâche des personnes prises en flagrant délit, deuxièmement, quand on convoque des personnes en situation irrégulière non identifiées deux ou trois mois après, sachant que, entre-temps, elles se seront évaporées dans la nature ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.
Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Un mot, et je pense que le message sera entendu : dans le strict respect de l’indépendance de la justice, chacun doit se comporter avec une totale responsabilité dans cette affaire, et donc assumer ses responsabilités.
Exclamations sur les mêmes travées. – Mme Françoise Laborde, M. Michel Mercier et Mme Valérie Létard applaudissent.
La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.
mais je sais qu’elle est absente parce qu’elle célèbre actuellement un formidable anniversaire.
Oui, mes chers collègues, notre sécurité sociale fête soixante-dix ans d’existence. Cet anniversaire confirme la justesse de la vision de ses pères fondateurs. Depuis soixante-dix ans, elle assure, comme nulle part ailleurs, la meilleure couverture des risques, de la manière la plus juste, au plus grand nombre et au moindre coût.
La gestion du régime général représente moins de 4 % des prestations versées : c’est presque trois fois moins que toute autre assurance. Le reste à charge est parmi le plus faible de l’OCDE et il s’est encore réduit cette année.
Cela mérite d’être dit et répété parce que, comme en chaque période difficile, les voix conservatrices de l’ancien système, celles qui avaient baissé le ton en 1945, se font de nouveau entendre, jusqu’à susciter des désaffiliations. Il est donc d’autant plus important de marquer avec solennité ce jour anniversaire.
À cette occasion, seront récompensés les lauréats du concours « Les jeunes et la sécurité sociale ». L’un des groupes de lycéens a écrit : « L’absence d’une véritable sécurité sociale lors de la grande dépression d’avant-guerre a probablement été un facteur aggravant parmi toutes les causes qui ont conduit à l’horreur. »
La sécurité sociale constitue un filet de sécurité sans lequel l’affaiblissement du lien social et l’exclusion seraient bien pires.
Afin que vive la sécurité sociale, notre gouvernement en a proposé une nouvelle approche de long terme à travers la stratégie nationale de santé.
Merci de nous rappeler les réformes déjà mises en œuvre et celles qui sont programmées au service de ce projet d’avenir…
… par ceux qui entendent la modernité comme l’expression de la solidarité, de la justice et de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Nous savons en effet que c’est une des valeurs fondamentales de notre société, un capital essentiel pour l’ensemble de nos concitoyens.
Monsieur Daudigny, ainsi que vous l’avez rappelé, depuis 2012, nous avons agi, et d’abord pour défendre les prestations sociales, faire en sorte qu’elles cessent de reculer et que nos compatriotes puissent enfin bénéficier, dans tous les domaines, d’une égale qualité d’accès aux soins et aux prestations.
Nous avons aussi avancé sur de nouveaux droits. Nous avons réformé, qu’il s’agisse des retraites §avec le compte personnel de prévention de la pénibilité, qu’il s’agisse de la modernisation de nos prestations familiales, qu’il s’agisse du domaine de la santé. Ainsi, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, nous allons développer la « protection universelle maladie », qui permettra effectivement, avec la complémentaire, dans le prolongement de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, une véritable prise en charge de l’ensemble de nos concitoyens.
Mais nous n’avons pas fait que défendre et améliorer les droits, moderniser la gestion. Nous avons aussi réduit les déficits. Depuis 2012, plus de 40 % des déficits ont diminué grâce à la gestion de la majorité §qui a fait en sorte que l’avenir de notre protection sociale, de notre sécurité sociale soit assuré par des financements et une gestion qui le garantissent.
Voilà comment et pourquoi nous sommes les défenseurs de cette sécurité sociale : parce que nous la construisons, nous la modernisons et nous la défendons en lui donnant une bonne gestion.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.
L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur la situation et l’avenir de l’agriculture, en application de l’article 50-1, de la Constitution.
La parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a souhaité - et c’était légitime - organiser un débat sur la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire, compte tenu des crises que nous traversons et qui sont très difficilement vécues, en particulier par les éleveurs de notre pays.
Nous subissons effectivement une crise de grande ampleur, affectant simultanément trois secteurs de l’élevage : le secteur laitier, le secteur bovin et le secteur porcin.
S’agissant du secteur laitier, cette crise est mondiale. S’agissant des secteurs bovin et porcin, elle a des aspects spécifiquement européens, l’embargo russe ayant des effets à la fois diplomatiques, économiques et sanitaires. C’est d’ailleurs pourquoi, j’en informe la représentation nationale, je me rendrai en Russie jeudi matin, pour deux jours, afin de renouer des contacts sur le sujet.
La crise mondiale affectant le secteur laitier est liée à une surproduction laitière et, surtout, à des débouchés, notamment au niveau de la Chine, qui se sont révélés, en 2015, bien moindres que ce que de nombreux pays, en particulier tous les acteurs économiques européens et français, avaient pu anticiper. D’où, comme dans le secteur porcin, une offre excédentaire, qui se traduit par une baisse des prix.
Je voudrais rappeler les décisions importantes qui avaient été prises concernant ce marché en 2008, à l’occasion du bilan de santé de la politique agricole commune – la PAC –, qui, à l’époque, prévoyait des quotas laitiers. La suppression de ces quotas avait été adoptée, marquant la fin d’une gestion de l’offre laitière.
Pour autant, je le dis de façon tout à fait transparente, une gestion de l’offre au niveau européen ne nous prémunirait pas contre les effets de la situation mondiale puisque les prix de la poudre de lait et du beurre sont désormais établis à partir d’un prix spot, largement dépendant du marché asiatique, qui comprend de grands producteurs comme la Nouvelle-Zélande.
Mais le sujet prête à discussion et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous ne manquerez pas de porter ce débat.
En ce qui concerne l’Europe, je rappelle que le budget consacré à la politique agricole commune a baissé d’environ 12 %, mais que la part de ce budget attribué à la France a seulement diminué de 2 %. La négociation conduite par le Président de la République à l’époque a d’ailleurs été largement saluée par l’ensemble des syndicats professionnels, qui en ont reconnu les bons résultats.
La France a défendu la politique agricole commune ! La France a défendu son agriculture !
La problématique des choix en matière de verdissement a aussi souvent été évoquée.
De manière tout à fait logique, j’ai entendu à de nombreuses reprises les agriculteurs, mais aussi de nombreux parlementaires, évoquer la question de l’harmonisation fiscale, sociale et environnementale. Le choix qui fut le mien, à l’époque, de défendre dans le cadre de la négociation de la PAC un verdissement sur le premier pilier était précisément un choix en faveur d’une harmonisation environnementale à l’échelle de tous les pays européens, et ce afin d’éviter ce que l’on appelle le dumping environnemental.
J’assume ce choix, qui a aujourd'hui des conséquences, mais qui était absolument nécessaire pour lever les ambigüités sur cette question.
J’ai également relancé le débat avec l’Europe concernant la convergence des aides et le couplage des aides pour l’élevage, débat qui était très mal engagé.
Je me suis toujours opposé, même quand j’étais député européen, à la disparition annoncée des aides couplées et, pour reprendre le terme consacré, au découplage total des aides. En effet, je n’ai jamais cessé de considérer que, dès lors que l’agriculteur pouvait choisir entre production céréalière ou élevage, la suppression d’aides spécifiques à l’élevage, d’aides directement liées aux animaux, faisait courir le risque d’une disparition de cette activité.
Non seulement les aides couplées ont été maintenues, mais elles ont été portées à 13 % du montant des aides relevant du premier pilier, avec, grâce au Parlement européen, et dans le cadre du développement de l’autonomie fourragère de l’Europe, donc de la France, la possibilité d’augmenter ce taux de 2 points.
La compétitivité compte également parmi les sujets souvent évoqués.
J’ai lu avec attention l’interview que vous avez donnée à Agrafil, monsieur le président Larcher. Je n’ai jamais changé d’avis sur cette question !
La perte de parts de marché de l’agriculture et du secteur agroalimentaire français est, je le rappelle, parfaitement datée : elle remonte à 2003. En outre, les dernières mesures prises par les majorités précédentes en matière de baisse des charges datent de 2006. Il s’agit des réductions dites « Fillon », qui s’appliquent toujours aujourd'hui.
Or je tiens à souligner que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le pacte de responsabilité et de solidarité représentent un montant de 4 milliards d’euros pour l’ensemble de la filière agricole et agroalimentaire, soit exactement le double de ce que dégageaient les mesures existantes à notre arrivée aux responsabilités.
Donc, sur la question de la compétitivité et de l’allégement des charges globales affectant les activités agricole et agroalimentaire, nous fournissons un effort deux fois plus important que celui que les majorités précédentes avaient consenti. Mais c’était absolument nécessaire !
Cela nous renvoie aux grandes questions liées à un maillon actuellement très faible en France : le secteur de l’abattage et de la découpe. Je pense en particulier à la concurrence que l’Allemagne a pu mettre en place grâce à une utilisation abusive du travail détaché, sans salaire minimum ni règles d’application stricte de la directive correspondante. Pendant des années, ces pratiques illégales ont donné de nombreux avantages compétitifs à l’industrie allemande de la découpe et de l’abattage. Mais nous sommes en train de combler notre retard, grâce, à la fois, au CICE, aux mesures contenues dans le pacte de responsabilité et de solidarité et aux engagements à hauteur de 50 millions d’euros que nous avons pris pour investir dans l’abattage en France et permettre au secteur d’être compétitif et productif.
Nous avons donc opéré des changements et fait des choix stratégiques en termes de compétitivité.
Les éléments dont nous disposons montrent que l’écart entre la France, l’Espagne et l’Allemagne, en particulier dans le domaine porcin, s’est creusé à partir de 2003 et qu’il faudra un peu de temps pour le réduire.
Au-delà de ces aspects se posent également des questions structurelles. Ce débat, nous ne pourrons pas l’évacuer ! Dès 2012, quand j’ai pris mes fonctions, j’ai demandé des rapports, rendus publics en 2013, à la fois sur la filière porcine, dont j’ai tout de suite mesuré les difficultés, et sur la filière volailles. Cette dernière, après la fermeture et la liquidation de Doux et de Tilly-Sabco, est aujourd’hui en voie de redressement et l’ensemble de ses acteurs sont en train, comme je l’avais souhaité et même demandé, de mettre en place une interprofession.
J’annonce également devant la représentation nationale que, comme pour la filière porcine, nous avons mis en place voilà trois jours une procédure d’enregistrement, qui facilitera les investissements productifs dans cette filière.
Comme je l’avais annoncé, ce que nous avions fait avec le porc, nous le ferions avec la volaille ! C’est maintenant chose faite.
Précisément, la filière porcine a fait l’objet de bien des débats, et j’ai entendu beaucoup de choses à ce sujet. Fondamentalement, elle est confrontée à des problèmes avant tout structurels.
Notre production porcine nous assure une autosuffisance à hauteur de 107 % ; en revanche, les exploitations porcines françaises ne valorisent que 60 % de leur production. Autrement dit, nous ne valorisons pas la totalité des carcasses, et cette valorisation insuffisante de notre production porcine explique fondamentalement à la fois les difficultés du secteur de l’abattage et de la découpe et la faiblesse globale de la filière.
Comme je l’ai fait avec la filière bovine et avec la filière laitière, j’ai engagé des négociations afin de trouver un accord entre la grande distribution, les industriels et les producteurs pour relever le prix du marché payé au producteur.
Cette politique, que j’ai donc conduite dans les secteurs laitier, bovin et porcin, a abouti à un relèvement significatif du prix du porc fixé au fameux marché de Plérin. Toutefois, les unions et groupements de producteurs, considérant que ce prix était trop élevé par rapport à la concurrence allemande, en ont décidé autrement et ont souhaité que le prix baisse de nouveau. C’est ce qui s’est passé.
Chacun prendra ses responsabilités, mais, pour ma part, je ne changerai ni de ligne ni de stratégie. C’est pourquoi, s’agissant tant de la filière bovine que de la filière porcine, nous avons fait des propositions de contractualisation de manière à les organiser et à les structurer en fonction des débouchés et des capacités à valoriser l’ensemble de la carcasse.
À cette fin, nous avons fait une proposition spécifique, à savoir créer une caisse de sécurisation, afin d’offrir aux contractants des moyens défiscalisés destinés à assurer la gestion des contrats et à garantir aux producteurs un niveau de prix pour des durées plus longues. Cela doit permettre aux uns et aux autres de passer le cap de périodes difficiles, quand les prix sont élevés – cela concerne les industriels – ou quand ils sont très bas – cela concerne les producteurs.
Ces caisses de sécurisation sont à la disposition de tous les acteurs de la filière. Et c’est là la nouveauté, soit dit en passant : ces contrats concernent non plus seulement les producteurs et les industriels de la transformation, mais aussi, potentiellement, la grande distribution, qui doit prendre ses responsabilités – elle les a prises dans les négociations que nous avons menées – dans les grands choix stratégiques qui devront être faits en matière de contractualisation, pour faire en sorte que les producteurs bénéficient de prix rémunérateurs et, surtout, pour que les carcasses soient mieux valorisées dans notre pays !
De fait, nous avons besoin de développer des stratégies de filières et de valorisation de la matière première agricole, porcine et bovine. C’est un travail de moyen et de long terme, qui nécessite que chacune des parties au contrat prenne ses responsabilités. Telle est la ligne que je suivrai.
Le 22 octobre prochain se tiendra une réunion spécifique sur la complète modification du système de cotation de la viande bovine et des critères qualitatifs applicables à cette dernière. En même temps, de nouvelles propositions de contractualisation seront formulées.
En effet, je souhaite que ce débat soit aussi l’occasion d’envisager la manière dont ces filières pourront aborder l’avenir, pour leur donner toutes les chances non seulement de reconquérir le marché national, mais aussi d’être présentes et conquérantes à l’international.
L’exportation reste un objectif. Aujourd’hui, en dépit de la crise consécutive à la fièvre catarrhale ovine, la FCO, nous négocions – difficilement – avec nos partenaires pour maintenir notre capacité à l’exportation avec des certificats sanitaires. Nous faisons en sorte d’aller vite et de répondre à ce besoin et à cette demande des producteurs.
Nos exportations se redressent doucement. Pour regagner nos parts de marché, nous avons un travail à mener, qui passe par des mesures conjoncturelles et par des mesures structurelles.
Parmi les mesures structurelles, citons le logo « Viande de France », que nous avons promu dès 2014 – c’est cette année-là qu’il a été présenté au salon de l’agriculture. Citons également la mise en place de la traçabilité pour valoriser la production française, avec un logo repérable par les consommateurs qui, on le sait, sont demandeurs en la matière.
Nous nous sommes engagés dans une démarche volontariste, parce que les règles d’étiquetage sont fixées par l’Europe. À cet égard, compte tenu du temps que prendra la négociation d’une nouvelle directive, je crains que nous n’ayons perdu que trop de temps pour répondre aux besoins immédiats des filières laitière, porcine et bovine.
Nous avons également engagé une démarche en faveur de l’approvisionnement local, qui dépend bien sûr de l’État et de ses administrations, mais aussi des collectivités locales. Sur le terrain, les choses bougent, avec en particulier la mise en place partout des projets alimentaires territoriaux, et d’abord au niveau régional.
À cet égard, le débat précédant les élections régionales sera intéressant : chacun doit aujourd’hui s’engager à favoriser, partout, l’approvisionnement local.
Un guide spécifique a été mis à la disposition des collectivités territoriales. Des expériences ont été conduites il y a longtemps, en particulier dans la Drôme, avec ce qu’on a appelé le projet Agrilocal. Celui-ci fait partie des plates-formes que nous avons mises à la disposition des collectivités locales départementales, des chambres d’agriculture et de la Fédération nationale d’agriculture biologique en faveur de l’approvisionnement local, dans le développement duquel, je le répète, chacun doit avoir sa part de responsabilité.
Cette crise a également mis au jour des besoins conjoncturels auxquels il fallait répondre. C’est pourquoi a été mis en place en juillet dernier, par le Président de la République et le Premier ministre, le plan de soutien à l’élevage, lequel a fait l’objet d’un réajustement en septembre. Ce plan vise à alléger une nouvelle fois les charges qui pèsent sur les exploitations en difficulté qui ne peuvent pas faire face au paiement de leurs charges, en particulier le remboursement des annuités d’emprunt.
Le Premier ministre et moi-même avons décidé ce qu’on appelle une année blanche : 100 millions d’euros pour le fond d’allégement de charges, 50 millions d’euros pour les allégements de charges au titre de la mutualité sociale agricole, la MSA. Cette année blanche doit permettre aux agriculteurs non pas d’obtenir de nouveaux prêts de trésorerie, mais de « reprofiler » l’ensemble de leurs remboursements de dette.
C’est ce que demandaient les agriculteurs et c’est ce que nous avons fait, même si je constate que, auprès des banques, en particulier de celle qui devrait être la plus à même de traiter ces questions, nous avons quelques difficultés à traduire cette décision… Cela étant, nous ferons en sorte que cette année blanche s’applique partout.
Nous y avons ajouté des mesures fiscales consistant en des allégements et des remises de taxe foncière sur les propriétés non bâties et de taxe d’habitation pour les fermiers, en des reports et des remises d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, et en des mesures relatives à l’encaissement anticipé de TVA.
Quelque 8 000 dossiers sont aujourd’hui traités dans les cellules d’urgences que nous avons mises en place, sans attendre la crise, dès le mois de février 2015 – nous en avions parlé ici même, au Sénat. Elles constituent un guichet unique au sein duquel il appartient désormais à l’administration fiscale, à la MSA, aux banques et aux services déconcentrés de l’État de traiter les dossiers qu’y déposent les agriculteurs.
Ces cellules d’urgence seront actives jusqu’à la fin de l’année, et tous les dossiers qui ont été traités avant le 30 septembre devront aboutir au versement des aides dont les agriculteurs ont besoin pour franchir cette étape.
Nous avons également décidé des baisses de cotisations sociales, en particulier des cotisations maladie, au profit des très petites exploitations, et ce au titre de l’année 2015. Pour vous indiquer un ordre de grandeur, mesdames, messieurs les sénateurs, cela représente une économie de 400 euros environ. C’est un élément important du plan de soutien.
S’agissant des prix, j’ai veillé, dans la négociation, à ce que chacun prenne sa part de l’effort nécessaire devant permettre aux agriculteurs de passer ce moment difficile.
Ce n’est pas moi qui ai remis en cause l’accord qui avait été passé dans la filière porcine. Chacun peut en mesurer les conséquences aujourd’hui. Contrairement à ce que j’ai cru entendre, les prix qui avaient été définis n’étaient pas des prix politiques ; ces prix étaient ceux qui étaient demandés par les éleveurs et les producteurs ! La négociation avait pour objectif de conduire les acteurs de la filière – la grande distribution et les industriels – à relever les prix payés aux producteurs en les répercutant sur l’ensemble de la filière.
C’est ce à quoi je me suis employé et ce à quoi je continuerai de m’employer, en particulier avec la filière bovine, avec laquelle le résultat que nous avons obtenu s’est révélé être en deçà de l’engagement qui avait été pris le 17 juin dernier. Comme je l’ai indiqué à l’instant, le 22 octobre prochain, nous allons entièrement modifier le système des cotations et la prise en compte des carcasses bovines, de même que nous introduirons de nouveaux indices, en particulier en ce qui concerne le steak haché.
Des discussions ont lieu aussi au niveau européen. Je le rappelle, c’est sur l’initiative de la France que s’est tenu un conseil extraordinaire « agriculture et pêche », le 7 septembre dernier. Je rappelle également que le commissaire européen à l’agriculture et au développement rural considérait au mois de juillet qu’il n’était pas forcément utile de se réunir, estimant alors qu’il n’y avait pas de crise.
Les choses ont depuis lors évolué, l’Europe ayant débloqué 500 millions d’euros. Pour autant, j’aurais préféré que cette aide soit structurée différemment et qu’elle soit orientée vers des mesures de marché – en particulier un relèvement du prix d’intervention sur le lait –, plutôt qu’elle ne prenne la forme d’aides directes et de mesures de stockage.
Nous avions trouvé un accord en ce sens avec quatre autres pays – l’Espagne, où je m’étais rendu, le Portugal, l’Italie et l’Irlande. Toujours est-il que nous n’avons pu réunir une majorité qualifiée pour aller à l’encontre la proposition de la Commission, qui ne voulait pas relever le prix d’intervention.
L’Europe a donc mis en place son plan d’aide de 500 millions d’euros, sur lesquels la France disposera de 63 millions d’euros, qui s’ajouteront – je le dis très clairement – au plan de soutien à l’élevage. Cela nous permettra en particulier d’aller encore plus loin dans les mesures décidées au titre de l’année blanche, auxquelles sont consacrés 150 millions d’euros, fonds d’allégement des charges et allégements MSA compris. Il faut pouvoir débloquer les situations et faire en sorte que cette demande prioritaire des agriculteurs et des éleveurs devienne enfin réalité. Il y a urgence !
Quelque 30 millions d’euros supplémentaires seront mobilisés – l’objectif étant de parvenir à 50 millions d’euros – en faveur de l’investissement dans les abattoirs. Cela représente deux fois les montants investis entre 2002 et 2012 ! Deux fois !
Je ne dis pas que tout va bien, monsieur le sénateur, mais ces investissements, il faudra les faire et ils auront un impact. Par ailleurs, il était nécessaire de rappeler ces chiffres et la faiblesse de l’investissement dans la découpe pendant des années.
Pour terminer, j’évoquerai un certain nombre de choix que nous avons opérés pour demain, qui sont liés plus particulièrement à la loi d’avenir pour l’agriculture et aux nombreuses mesures, souvent critiquées, dont nous avons débattu alors au Sénat, notamment s'agissant des groupements d’intérêt économique et environnemental, et qui sont aujourd’hui mis en application.
Ainsi, s’agissant de l’élevage et de la question essentielle de l’autonomie fourragère, nous trouverons des outils pour préparer l’avenir et assurer la compétitivité de demain, dont l’alimentation des animaux d’élevage sera l’un des éléments.
Je citerai également notre capacité à mettre en place 128 GIEE – 200 d’ici à la fin de l’année –, couvrant plus de 250 000 hectares, avec des stratégies d’autonomie fourragère qui sont au cœur des grands enjeux de la compétitivité de demain.
En outre, plus de 6 000 GAEC, ou Groupements agricoles d’exploitation en commun, vont être agréés en 2015, après les 2 000 de 2014. Ce choix stratégique a été opéré dans le cadre de la négociation de la PAC, afin de regrouper et de mutualiser les moyens, pour que nous soyons capables de répondre aux difficultés, de ne pas laisser les agriculteurs et les éleveurs seuls décideurs, et de créer des dynamiques collectives. Il s’agit de donner à l’agriculture, ensemble, la capacité de répondre aux défis de demain.
Pour ce qui est des mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAE, près de 23 000 demandes ont été formulées, pour couvrir 1, 5 million d’hectares, contre à peine 800 000 hectares lors de la précédente PAC. Ces mesures intéressent les agriculteurs, qui sont eux-mêmes demandeurs. Tous ces éléments doivent être versés au débat.
Nous avons besoin, en termes stratégiques, de lutter contre la volatilité des prix, de renforcer, dans certains pays, la déduction fiscale pour aléas, ou DPA, de mettre en place le contrat socle pour que les agriculteurs puissent faire des provisions lorsque les prix sont élevés et les utiliser lors des périodes plus délicates, lorsque les prix sont plus bas.
Ce principe des caisses de sécurisation, consistant à mettre de l’argent de côté, permet d’assurer à terme des prix plus stables pour les producteurs. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le prix de vente moyen du lait, de 365 euros les mille litres l’an dernier, est tombé à 305 ou 307 euros – nous travaillons à sa remontée –, soit 30 % de moins pour les producteurs laitiers en l’espace de sept à huit mois. Telle est la réalité du marché qu’il faut intégrer, mais contre laquelle il convient de lutter.
Lors de ce débat, l’État et le ministre concerné ont toujours été à l’écoute. À cet égard, je n’ai jamais changé d’avis et laissé penser que j’aurais pris conscience de la crise seulement au moment où elle est arrivée. Je vous l’ai dit, qu’il s’agisse du rapport sur la viande porcine ou de celui sur la viande de volaille, une médiation a été mise en œuvre dès 2014. Pour les questions laitières, il a été question dès 2013 d’augmenter de 25 centimes par litre le prix du lait et d’anticiper ainsi l’évolution du prix constatée auparavant.
Au demeurant, je ne conteste en aucun cas la difficulté rencontrée aujourd’hui, car elle est lourde de conséquences pour nombre d’agriculteurs. Nous avions besoin, je le sais, de mobiliser plus d’argent pour apporter un soutien immédiat et conjoncturel.
Toutefois, si nous voulons redresser la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire sur le moyen et le long terme, avec les atouts qui sont les nôtres, nous devons être capables de mettre en œuvre des réformes structurelles, d’apporter des réponses plus collectives, d’organiser les choses en vue de créer de la valeur ajoutée et de viser la compétitivité hors prix, et pas simplement la compétitivité prix, même si cette dernière est nécessaire.
C’est ainsi que l’on assurera l’avenir de l’agriculture, de l’industrie agroalimentaire et, surtout, la belle idée que l’on se fait de l’agriculture française en Europe et dans le monde.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain.
Monsieur le ministre, vous venez de terminer votre intervention en évoquant « la belle idée que l’on se fait de l’agriculture française en Europe et dans le monde ». Je voudrais commencer par là, car, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous avons une belle idée de l’agriculture, de son histoire et de son avenir, et les crises qu’elle traverse en ce moment suscitent chez nous des interrogations.
Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord insister sur le fait que certains secteurs de l’agriculture fonctionnent bien et bénéficient de prix rémunérateurs.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.
Oui, cher collègue, la viticulture enregistre une année exceptionnelle, et c’est tant mieux ! Quant à l’arboriculture, même si ses résultats n’ont pas compensé les pertes des années antérieures, elle a connu une belle année. De plus, comme l’a dit M. le ministre, le secteur de la volaille se redresse.
Malheureusement, les crises et les difficultés sont nombreuses. Les agriculteurs et les éleveurs souffrent dans nos territoires.
Le Gouvernement a répondu par l’intermédiaire du ministre, de façon conjoncturelle et structurelle, à la crise qu’a traversée notre élevage.
Permettez-moi tout d’abord de remercier Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de son engagement sans faille durant tout l’été, aux côtés des éleveurs et des agriculteurs qui souffrent.
Mes chers collègues, nous sommes face à une situation difficile, et il me semble que nous pourrions tous nous rassembler, sans posture politique ou politicienne, quelles que soient nos orientations politiques ou notre histoire, liée ou non au milieu de l’agriculture, sur quelques orientations simples et claires.
Il faut d’abord répondre de façon conjoncturelle à cette crise, qui vient de très loin – elle remonte à dix ou quinze ans. Henri Cabanel interviendra tout à l’heure sur la situation dans le Languedoc-Roussillon et sur les évolutions de la viticulture languedocienne, qui est passée de la médiocrité à l’excellence.
Les majorités successives ont édicté des lois, qui doivent chaque fois tout régler, avant que l’on ne s’aperçoive que la situation est plus compliquée.
C’est pourquoi les procès qui ont été intentés à ce gouvernement et à ce ministre étaient à mon sens exagérés.
En effet, la loi d’avenir pour l’agriculture a été votée, qui portera peut-être ses fruits dans quelque temps ; en tout cas, nous l’espérons.
Quel modèle voulons-nous ? Nous nous dirigeons vers l’agroécologie : la mise en place des GIEE, au nombre de 100, se poursuit.
Nous avons par ailleurs eu de nombreux débats dans cet hémicycle sur la compétitivité et sur l’augmentation des efforts en matière d’enseignement supérieur et de recherche, car c’est la seule solution. Je me bats toujours contre toutes les postures, contre ceux qui veulent sans cesse favoriser le bio en circuit court – c’est bien ! –, et à l’autre extrémité, ceux qui ne veulent que des circuits longs et de l’export – c’est indispensable. En agriculture, il ne faut jamais opposer les uns et les autres, ni les différents types d’agriculture : c’est tout le secteur qui doit avancer et qui est indispensable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Lorsque nous avons voté ici la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous pensions que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires réglerait le problème des prix, notamment celui de la viande. Cela n’a pas fonctionné !
Lorsque nous avons voulu mettre en place, par le biais de ce texte, la contractualisation d’amont en aval, pour régler les problèmes, ce n’est pas ce qui s’est produit.
Nous avons défendu certaines orientations de la loi de modernisation de l’économie qui ont eu des effets positifs, dans un certain nombre d’entreprises, sur l’économie d’industrie, mais nous nous sommes aperçus que d’autres dispositions de la LME étaient négatives pour l’agriculture.
C’est la raison pour laquelle chacun s’aperçoit, après avoir élaboré des lois sur l’agriculture, que la situation est beaucoup plus complexe. Pourquoi ? Parce qu’il faut repenser de fond en comble le système agricole français, à l’échelle du marché français, du marché européen et du marché mondial.
C’est dans ce cadre que le Gouvernement a pris de nombreuses mesures – M. le ministre les a évoquées –, comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, l’année blanche, les 3 milliards d’euros sur trois ans qui ont été mis en place à la demande du puissant syndicat majoritaire. Nous verrons si ces mesures portent leurs fruits dans les années à venir.
Peut-être, cher collègue, mais il faut avancer dans cette direction. Jusqu’à maintenant, les idées des uns et des autres ont été mises sur la table, et les principales propositions présentées par la profession ont été reprises par le Gouvernement. Or, pour l’instant, hormis ces propositions et la réponse du Gouvernement, il n’y a rien.
Monsieur le président du Sénat, dans l’interview que vous avez accordée aujourd’hui même à Agra Presse, vous avez déclaré que vous étiez en train de rédiger une proposition de loi pour préparer – sans naïveté – les enjeux de demain.
Notre groupe est prêt à vous suivre, …
Sourires.
… si tel est le cas dans ce texte, auquel nous espérons d’ailleurs être associés le plus tôt possible. Toutefois, il faut d’abord répondre aux enjeux d’aujourd’hui. C’est un lieu commun de dire que les agriculteurs veulent vivre des fruits de leur travail, et non de subventions. Cependant, c’est plus facile à dire qu’à faire.
Aujourd’hui, lorsque nous regardons l’état de la politique agricole commune pour les années 2014-2020, nous pouvons tous reconnaître que le travail du Président de la République et du ministre concerné a permis d’engranger pour la France, alors que personne n’aurait cru cela possible avant la fin des négociations, une enveloppe de 9, 1 milliards d’euros, soit deux fois le budget de la France !
Je tiens à saluer M. le ministre, ainsi que le Gouvernement, car la réduction de 2 % du budget de l’agriculture, fixé à 4, 5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances qui nous sera présenté dans les semaines à venir, portera seulement sur le fonctionnement, et non sur les interventions directes du premier et du deuxième pilier en faveur de l’agriculture, qui ne perdront pas un centime. Grâce aux aides de la PAC et au budget national, la France va pouvoir intervenir auprès des filières et des agriculteurs, ce qui est essentiel à mes yeux.
Monsieur le président, sans naïveté, vous allez recevoir M. le commissaire européen Phil Hogan. Dans la discussion que vous aurez avec lui, même si je ne me permettrai pas de vous donner le moindre conseil, …
… il faudra sûrement lui faire prendre conscience de son aveuglement et de son incapacité à régler les problèmes de l’agriculture et de l’élevage en Europe, notamment en raison de son refus de relever le prix du lait.
Il n’existe aucune possibilité, tout le monde le sait bien, d’obtenir sur ce point une majorité qualifiée en Europe, mais nous ne pouvons pas accepter qu’un commissaire européen chargé de l’agriculture déclare : « L’Europe, c’est le libéralisme. En aucun cas, nous ne devons avoir des prix d’aide pour les États. » Ce n’est pas cette Europe-là que nous voulons !
L’Europe que nous appelons de nos vœux aidera solidairement l’ensemble des pays et des élevages de nos pays. Voilà la réalité. Depuis des mois, M. le ministre formule une demande très forte, qui devra être relayée par le Sénat, en direction de M. Hogan : « Si nous comprenons la règle que vous fixez, elle ne nous convient pas ; il faut la dépasser, sans quoi il n’y aura pas d’avenir, avec ou sans naïveté, pour notre agriculture. »
Cette triple crise du porc, du bœuf et du lait n’est sûrement pas terminée. Aujourd’hui, des mesures conjoncturelles ont été prises, qui sont très fortes. Toutefois, nous devrons absolument travailler, les uns avec les autres – je suis certain que M. le ministre s’y emploie –, à réorganiser les filières en lien avec les professionnels. Si nous conservons la physionomie actuelle de l’agriculture, nous ne nous en sortirons pas. Pour espérer construire un avenir – et il y en aura un –, nous devons repenser l’organisation de ces filières, et ce avec les professionnels. Ce point est absolument prioritaire.
Lors de la table ronde du 17 juin dernier, des mesures ont été prises. Lors de la rencontre très intéressante organisée sous votre autorité, monsieur le président, nous avons engagé un certain nombre d’initiatives. Nous nous sommes aperçus ensuite que les prix annoncés par le ministre et acceptés par l’ensemble de la profession étaient passés par pertes et profits. Lorsque la profession elle-même a décidé de redémarrer le marché au cadran et de ne pas accepter le prix de 1, 40 euro, nous avons dû constater que les choses ne pouvaient pas fonctionner.
Nous sommes tiraillés, d’un côté, par les éleveurs qui veulent des prix, et, de l’autre, par les grands distributeurs, les abatteurs, les metteurs en marché, pour qui cela ne peut pas fonctionner à l’échelle européenne.
C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, on le sait très bien, la réponse à cette crise est évidemment nationale, franco-française – le Gouvernement y travaille –, mais surtout européenne. Il faut travailler encore, avec la Russie, avec d’autres pays – M. le ministre s’est rendu en Iran – pour obtenir d’autres marchés, qui sont indispensables.
Je conclurai, monsieur le président, par une note plus positive. Je crois en effet que nous pouvons être optimistes pour notre agriculture, parce que les femmes et les hommes qui travaillent au cœur de la ruralité, dans toutes les filières agricoles, notamment l’élevage, apprécient leur métier, aiment leur territoire et pensent qu’ils peuvent s’en sortir. Ils travaillent beaucoup, sept jours sur sept.
Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. On peut se contenter de dire : « Il n’y a qu’à, il faut qu’on, ce qui est fait est insuffisant » – tel n’est pas d'ailleurs le propos de la Haute Assemblée. On peut également dire : « Trouvons ensemble la bonne voie ».
On peut, à des fins politiques notamment, estimer qu’il est judicieux de taper sur le Gouvernement ou sur M. le ministre…
Protestations amusées sur les travées du groupe socialiste.
Toutefois, tel n’est pas le sujet. Ce n’est pas ainsi que l’on fera avancer les choses.
Que l’on soit dans l’opposition ou dans la majorité, il y a une chose à faire. Avec les organisations professionnelles agricoles – non seulement avec le syndicat majoritaire, mais aussi avec tous les autres – nous devons nous réunir autour d’une table, y poser une feuille blanche et aboutir à un accord nous permettant d’avancer, pour faire gagner l’agriculture.
Or nous ne disposons pas encore d’un accord de cette nature. C’est le constat que je dresse aujourd’hui.
Dès lors, les membres du groupe socialiste et républicain soutiennent, sans la moindre incertitude, l’action menée par le Gouvernement.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Après les négociations menées avec les autorités de l’État, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, a accepté le plan préparé par le ministre de l’agriculture et présenté par le Premier ministre. Or, pour ma part, ce qui me surprend, c’est que l’ensemble des parlementaires de droite ne soutient pas ce plan, peut-être pour des raisons que j’ignore…
Chers collègues de la majorité, le débat d’aujourd’hui vous conduira sans doute à émettre des propositions. J’espère qu’elles seront constructives.
Je le dis et je le répète : il y a un avenir pour l’agriculture, …
… si, sans posture politicienne, nous avançons, non seulement pour élaborer des aides conjoncturelles, comme le Gouvernement l’a fait, en vue d’aider les exploitations et de maintenir les prix, mais, surtout, pour préparer l’agriculture de demain.
Monsieur le président, les sénateurs socialistes et républicains seront à vos côtés, sans naïveté, pour vous aider à définir la voie de l’avenir pour l’agriculture, en France et en Europe !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.
Sourires.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est trop grave pour que l’on parle des petits oiseaux et des petites fleurs, quoiqu’ils aient leur importance !
Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.
À mon tour, je tiens à vous exprimer la belle idée que je me fais de l’agriculture et de son avenir, à condition que l’on remette en cause la domination de l’agrobusiness…
M. Joël Labbé. … et que l’on refuse les diktats du syndicat majoritaire, qui sévit depuis trop longtemps dans notre pays.
Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.
C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative d’inviter jeudi dernier les représentants des syndicats minoritaires à s’exprimer en toute liberté, ici, au Sénat.
Aujourd’hui, nous sommes appelés à débattre une nouvelle fois de la situation et de l’avenir de notre agriculture.
Il est temps que l’on cesse de se raconter des histoires : le monde agricole est dans une situation de profond malaise. Les crises s’y succèdent. On ne peut que dresser le constat de la faillite d’un système et d’un modèle, à savoir le modèle productiviste, qui, après un demi-siècle de fuite en avant, a dépassé ses limites.
Nos campagnes connaissent une profonde détresse morale. Dans le monde agricole, le taux de suicide est désormais supérieur de 20 % à la moyenne nationale.
On ne peut l’ignorer. En outre, comme M. le ministre l’a affirmé cet été, plus de 20 000 exploitations sont actuellement au bord de la faillite.
Aussi, les réponses d’urgence qui ont été apportées étaient nécessaires et salutaires.
À présent, il s’agit d’envisager un avenir stable pour notre agriculture et de donner des perspectives à celles et ceux qui ont depuis toujours la noble fonction de nous nourrir. Il s’agit de construire avec eux cet avenir, en reliant de manière systématique l’agriculture, l’alimentation et les territoires, en renouant des liens étroits entre les agriculteurs et les populations qu’ils nourrissent, mais aussi en réconciliant l’agriculture avec le sol, un sol fertile, riche en matières organiques – nos terres en ont perdu ! –, un sol ménagé et respecté, un sol bien vivant qui, en plus de nourrir, apporte une réponse essentielle à la régulation climatique.
J’insisterai encore à l’avenir pour dénoncer ce modèle productiviste, qui présente un bilan accablant. Un grand nombre d’agriculteurs sont les premières victimes de ce système. Ils sont enserrés dans des trajectoires dont il est, pour eux, difficile, sinon impossible de sortir.
Il faut le reconnaître, les crises successives sont le fruit des orientations qui ont été imprimées à l’agriculture au cours des dernières décennies : le nombre d’exploitations a été divisé par quatre en quarante ans, et la part des actifs agricoles n’a cessé de se réduire, au point de ne plus représenter que 3 % de la population active.
Dans un contexte de chômage de masse, l’équivalent de 20 000 emplois disparaît chaque année dans les fermes de France. À ce jour, ces pertes ne sont plus compensées par la création d’emplois nouveaux.
Pourtant, certains leaders particulièrement influents et liés à l’agrobusiness voudraient encore étendre notre modèle à la planète entière. Ils osent affirmer que leur but est de lutter contre la faim, d’assurer l’alimentation de la population mondiale.
C’est sans scrupule qu’ils voient les bouches à nourrir comme autant de nouvelles parts de marché !
N’oublions pas que, aujourd’hui encore, les paysans représentent près de la moitié des travailleurs dans le monde, et que, en valeur, l’agriculture familiale et paysanne fournit encore, selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 80 % des productions alimentaires mondiales.
Cette agriculture résiliente doit être préservée et renforcée. Elle est l’une des solutions essentielles d’adaptation au changement climatique.
Toutefois, les forces contraires sont très puissantes. Dans l’immense marché planétaire qui met en concurrence les économies du monde entier, cette agriculture familiale et paysanne est touchée de plein fouet, partout dans le monde, au nord et, plus encore, au sud.
Dès lors, si on laisse libre cours à cette logique infernale, nombre de nos fermes sont condamnées, soit à disparaître, soit à se concentrer, à s’agrandir toujours plus, à se mécaniser davantage, voire à se robotiser et, de ce fait, à s’endetter plus encore – la compétitivité l’exige.
Toujours accroître le rendement par vache ou par hectare, avec toujours moins d’agriculteurs : voilà la logique de la compétitivité. Est-ce cela que l’on appelle maintenant « l’agriculture intelligente » ? Aujourd’hui, on entend même parler d’une agriculture climato-intelligente !
Sourires sur les travées du RDSE.
Mes chers collègues, de qui se moque-t-on ?
Dès lors, comment faire ? Didier Guillaume l’a souligné à l’instant, ce n’est pas avec de grands discours simplistes, dans un sens ou dans l’autre, que nous trouverons des solutions.
Il s’agit de transformer à grande échelle, en profondeur et progressivement nos manières de produire et de consommer.
Monsieur le ministre, nous avons longuement débattu, dans cet hémicycle, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que vous avez conçu comme un instrument de transition vers l’agroécologie.
Nombre d’outils sont inscrits dans ce texte. Je pense aux groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui ont été précédemment évoqués. Je songe également aux projets alimentaires territoriaux qui relient producteurs et consommateurs. Ces dispositifs ont été élaborés avec l’objectif affiché de mettre en œuvre les principes fondamentaux de l’agroécologie. À présent, il faut faire converger, en cohérence, les soutiens publics communautaires, nationaux et régionaux allant dans ce sens.
Accélérons la mise en œuvre de notre plan « Protéines végétales », afin de rendre nos fermes plus autonomes, en les libérant de la dépendance au soja sud-américain. Évoluons vers des productions de qualité, pour plus de valeur ajoutée. Autour de l’agriculture familiale, restaurons un développement local à même de revivifier les territoires ruraux.
La loi d’avenir pour l’agroécologie doit marquer la reprise en main de l’avenir de l’agriculture par les politiques que nous sommes. Nous en avons la responsabilité devant nos concitoyens.
Il convient de programmer, de planifier, de donner des perspectives à moyen et long termes.
Enfin, en cette veille de COP 21, il faudra veiller à la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale de l’alimentation : l’avenir de la planète en dépend !
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grave crise agricole que nous traversons met en lumière la folle politique agricole que vous menez depuis trente ans. Aussi, c’est à un changement radical que je vous invite.
Tout d’abord, il s’agit de ne pas aggraver la situation actuelle, ce qui passe par l’abrogation impérative du traité transatlantique en cours de négociation. Un tel texte serait une catastrophe pour notre agriculture. La levée des droits de douane aurait des répercussions terribles pour les Français. En définitive, l’ensemble de ce traité se résume par l’alignement de l’Europe sur la déréglementation du marché américain. Rien ne serait pire !
Ensuite, il faut lutter contre le dumping social au sein de l’Union européenne. À cette fin, il faut abroger la directive relative au détachement des travailleurs, qui permet aux grandes entreprises de l’agroalimentaire de recourir à une main-d’œuvre étrangère. Ces travailleurs sont payés 4 euros de l’heure, ce qui représente deux à trois fois moins que les salaires pratiqués en France. Cette directive européenne est un fléau.
Introduisons dans le code des marchés publics, comme critère d’attribution des marchés, des clauses environnementales et sociales favorisant enfin l’emploi français.
De plus, il faut arrêter les règlements absurdes et les normes européennes sans cesse durcies qui étouffent nos agriculteurs. Passons des paroles aux actes, pour mettre en œuvre un grand patriotisme de consommation.
Créons un label « Viande française », destiné à valoriser les productions à l’export.
Votons une grande loi « Achetons français », pour manger français dans les établissements de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques, y compris les cantines scolaires. Aujourd’hui, quelque 75 % des fruits, des légumes et de la viande bovine consommés dans les établissements publics sont importés.
Élaborons des seuils d’achat de produits français pour les administrations publiques et les restaurations hors foyer.
Néanmoins, pour agir en ce sens, il nous faut bien entendu nous libérer du carcan européen. Par ailleurs, la levée des sanctions contre la Russie est une nécessité.
L’embargo russe est une absurdité totale. Il aggrave un peu plus encore la ruine de nos agriculteurs. Les fonds débloqués par la Commission européenne, à hauteur de 344 millions d’euros, pèsent peu face au milliard d’euros de débouchés perdus à ce titre par l’agriculture et par l’agroalimentaire français.
Enfin, l’essentiel est d’en finir avec la PAC, …
… cette fameuse politique agricole commune qui tue à petit feu notre agriculture.
Si la France est le premier pays bénéficiaire des reversements de la PAC, n’oublions pas de préciser que, contre les 21 milliards d’euros que nous versons à l’Union européenne – cette somme est même de 22 milliards d’euros cette année –, nous n’en recevons, en retour, que 13.
Le principe absurde de sectoriser les agricultures entre pays a tué notre spécificité française. D’immenses ensembles agricoles ont ainsi été poussés au détriment des petites exploitations, qui maillaient notre territoire et qui animaient nos campagnes. Produire toujours plus et, ainsi, faire baisser les prix : cette logique imposée par la grande distribution a conduit notre monde agricole à ne plus vivre que de subventions, puisque la PAC est là pour financer les pertes programmées de la surproduction.
Nous devons inverser ce système et lutter contre les ententes sur les prix dans la grande distribution et les centrales d’achat, pratiqués au détriment de la qualité des produits et contre les intérêts des consommateurs. C’est au producteur de fixer le prix de sa production !
Écoutons la détresse de ceux qui travaillent sans relâche, nuit et jour, pour un salaire de misère ; de ceux qui travaillent sans jamais avoir un jour de repos ni de vacances et qui doivent dépenser les quelques sous qui leur restent pour répondre à je ne sais quelle norme imbécile.
M. David Rachline. À quand une politique agricole française ? Vous mentez à la France. Vous mentez à nos agriculteurs en faisant croire que vous êtes capables d’arranger la situation. En réalité, ce qui tue notre agriculture, c’est l’Union européenne, mais vous ne voulez pas le voir. Agissez avant qu’il ne soit trop tard !
M. Stéphane Ravier applaudit longuement et fait un signe de victoire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la France a besoin de maintenir et de développer une capacité de production industrielle, il lui est également impératif de donner à son agriculture et à son industrie agroalimentaire les moyens nécessaires à leur vie.
Notre agriculture, les femmes et les hommes qui s’y consacrent, le plus souvent avec passion, ont un rôle et une importance particuliers. De nos territoires, ils sont la substance même.
Aujourd’hui, d’aucuns voudraient supprimer les communes.
Sourires.
Sachez que c’est avant tout la disparition de nos exploitations agricoles qui, hélas, leur permettra d’arriver à leurs fins.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune : chaque fois qu’une exploitation s’arrête et qu’une lumière s’éteint dans une ferme, chez nous, c’est la vie qui s’en va. La crise laitière a déjà conduit à la disparition de centaines d’exploitations depuis cet été.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Bruno Sido applaudit également.
Dans nombre de nos territoires ruraux, le fragile équilibre qui subsistait est en train de se rompre. Je crains que cette rupture ne soit durable, si ce n’est irrémédiable. Dans nos communes, quand il n’y a plus d’agriculteurs et que ne subsistent que quelques grands ranchs, les écoles disparaissent, les médecins ne sont pas remplacés, les boulangeries, les bureaux de postes, les gendarmeries et les trésoreries ferment.
La responsabilité de cette faillite, provoquée par l’absence de politique d’aménagement du territoire, elle-même abandonnée au profit d’une décentralisation ratée, n’incombe pas seulement à l’actuel gouvernement : elle est collective. Quand, de surcroît, la crise économique frappe durablement, il est encore plus difficile de réagir, en vertu de la formule célèbre de Choiseul : « Quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas de la grange ».
Il faut être sourd pour ne pas entendre la colère des éleveurs, dont la filière est la plus directement et la plus lourdement frappée par l’accumulation des difficultés tant conjoncturelles que structurelles.
Monsieur le ministre, au Sénat ou dans mon département, j’ai souvent défendu la négociation que vous avez menée dans le cadre de la politique agricole commune, la PAC. Elle a été efficace et favorable aux éleveurs français.
À une grande partie d’entre eux. Dont acte ! Imaginons ce que serait la situation dans le cas contraire. Toutefois, la négociation de la PAC est une chose, l’anticipation des crises en est une autre.
Au sein des filières bovine, porcine et laitière, la dégradation alarmante des prix à la production a fortement fragilisé la rémunération des éleveurs et la trésorerie de leurs exploitations. Ces difficultés ont révélé le mal-être général d’une profession à qui l’on demande de faire toujours mieux pour gagner moins. Les crises sont devenues cycliques, compte tenu des différents aléas, parfois cumulés, qui frappent l’agriculture : sanitaire, climatique, de marché, voire diplomatique – songeons aux conséquences extrêmement néfastes de l’embargo russe.
À court terme, la réponse est toujours la même : on colmate, de plan de soutien en plan de soutien. C’est ainsi que le Gouvernement, acculé par la gronde à laquelle nous avons assistée, a adopté des plans d’urgence, dans l’urgence ! Pourtant, cette dernière semblait prévisible.
Ces plans étaient nécessaires, en particulier pour secourir les exploitations au bord de la cessation d’activité. La plupart des mesures prises allaient dans le bon sens, même si elles ont donné lieu à quelques effets d’annonce quant aux montants réellement débloqués.
Les pouvoirs publics doivent cependant travailler sur le long terme, pour redonner espoir à nos agriculteurs. Nous savons en effet que, au-delà de la crise des prix, se joue une crise de modèle agricole. L’agriculture française a des qualités incontestables. Pourtant, non seulement nombre de nos agriculteurs vivent mal de leur métier, mais, à l’échelle internationale, le secteur perd régulièrement des parts de marché. Deuxième nation agricole il y a encore dix ans, la France occupe aujourd’hui le cinquième rang.
Cette baisse de compétitivité ne tient pas au manque d’ambition ou de savoir-faire de nos exploitants. Au contraire, les agriculteurs ont toujours été capables de se moderniser. Aujourd’hui, le monde agricole est composé d’hommes et de femmes courageux, investis et passionnés, qui souhaitent seulement avoir un avenir et vivre dignement de leur travail. À cette fin, ils doivent pouvoir exercer leur activité dans un cadre normatif équitable, sécurisé et clair.
Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Or tel n’est pas vraiment le cas. Entre les distorsions de concurrence à l'échelle mondiale et les exigences contradictoires des pouvoirs publics, comment peuvent-ils s’en sortir ?
Est-il équitable de demander à l’agriculture française et européenne de subir à l’excès des normes environnementales, certaines utiles, d’autres déraisonnables, quand une grande partie du reste du monde produit selon les standards du moins-disant social et environnemental ?
Est-il équitable de priver les producteurs de lait européens, au travers de la nouvelle PAC, des mécanismes de régulation de la production, alors que le Canada et les États-Unis font l’inverse ? Le comble, c’est que ce sont ces mêmes pays qui négocient le TAFTA – le Transatlantic Free Trade Area – et le CETA – le Comprehensive Economic and Trade Agreement –, des accords de libre-échange. Monsieur le ministre, l’Europe ferait mieux de ne pas systématiquement adopter le rôle de la bonne élève en se faisant hara-kiri, quand ses partenaires ne jouent pas la carte de la transparence.
Est-il équitable de voir figurer parmi les plus grandes fortunes françaises les géants de la distribution, qui captent une partie de la valeur ajoutée des agriculteurs, alors qu’il faut toute la pression du Gouvernement pour augmenter les prix à la production de la viande de cinq centimes ?
Monsieur le ministre, nous avons besoin de nouvelles prospectives, d’un plan pour l’agriculture et de décisions, afin d’empêcher que les agriculteurs ne soient systématiquement les victimes des marchandages entre grande distribution et transformateurs.
Les aléas des marchés et les baisses de prix ne sont pas toujours prévisibles à court terme dans une économie mondialisée. Il en va de même des aléas climatiques ou des épidémies, comme la fièvre catarrhale ovine, la FCO, aujourd’hui. En revanche, nous savons que ces crises sont cycliques. Pour y faire face, des politiques de lissage sont indispensables, afin de gérer ces phénomènes en équilibrant les bonnes et les mauvaises années. De la même manière, il faut davantage réfléchir, selon nous, à la généralisation de systèmes assurantiels.
De plus, monsieur le ministre, il est indispensable que, lorsqu’il n’a pu, ou su, prévoir, l’État soit capable de réagir dans l’urgence. Ce n’est pas propre au gouvernement actuel, mais, concernant la fièvre catarrhale, nous venons encore de constater que les jours perdus ne se rattrapent pas, ou difficilement. Ces épidémies sont récurrentes, nous devons donc être prêts dès leur déclenchement et ne pas nous trouver à court de vaccin. Cela n’a pas été le cas pour l’épidémie actuelle, et vous vous en rendrez compte encore en vous rendant au sommet de l’élevage de Cournon.
Il est nécessaire d’accélérer les vaccinations, d’instaurer des tests, de fusionner les zones d’interdiction, bref, de prévoir qu’un tel épisode peut se produire, voire qu’il se produira.
Nous savons les combats que vous menez, monsieur le ministre. Nous savons que vous regrettez que la négociation européenne n’ait pas retenu, le 15 septembre dernier, l’intervention publique. Toutefois, il convient au moins que, en France, tout soit fait pour faire face à cette situation de crise !
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Didier Guillaume applaudit également.
La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat se tient à l’initiative de notre président Gérard Larcher, et je l’en remercie. Le Gouvernement en organisait un à l’Assemblée nationale et, compte tenu de la forte mobilisation du Sénat sur ces sujets, il était naturel qu’il vînt également devant nous. C’est chose faite. Merci, monsieur le président, de ce débat comme de votre engagement en faveur de l'agriculture !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Ce débat est une étape pour la Haute Assemblée. Monsieur le ministre, j’avais sollicité votre présence le 1er juin dernier devant la commission des affaires économiques, car nous savions, par de nombreux témoignages, que la situation de l’élevage devenait dramatique. Vous êtes venu, et nous vous en remercions.
En relisant votre intervention avant de monter à la tribune, j’ai perçu un décalage entre ce que vous disiez alors et ce que vous dites aujourd’hui. Entre-temps, il me semble que vous avez pris la pleine mesure de la crise profonde que connaît l’élevage français.
Ensuite, le président Gérard Larcher a pris l’initiative d’organiser l’importante réunion du 16 juillet dernier, à laquelle ont participé, en particulier, l’ensemble des acteurs des filières, depuis la production jusqu’à la distribution. Nous avons organisé une nouvelle réunion de la commission des affaires économiques le 22 septembre, en dehors de la session extraordinaire, et nous allons recevoir dans deux jours le commissaire européen Phil Hogan, que vous avez déjà rencontré, monsieur le ministre.
À cet égard, je note que vous semblez n’avoir pas entendu exactement ce que les observateurs de cette rencontre ont retenu. Je relirai vos propos au Journal officiel, mais vous sembliez porter une appréciation plutôt sympathique sur cette rencontre avec M. Hogan, alors que tout le monde avait noté qu’il n’y avait pas été question de la crise de l’élevage français. Je vous renverrai sur ce point à un certain nombre d’observations qui ont été publiées dans la presse.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une grave crise. Monsieur le ministre, vous avez répété les propos que vous aviez tenus devant l’Assemblée nationale : « Les autres majorités, les autres gouvernements, n’ont pas fait autant que nous ! » Cet argument est réversible, car il reste à expliquer pourquoi la crise est aujourd’hui plus profonde, malgré les engagements pris par l’État !
Au sujet des éleveurs, monsieur le ministre, il faut à mon sens cesser de polémiquer et de tirer le débat vers un terrain politicien.
Cher collègue, il vous suffit de m’écouter pour le vérifier !
Force est de le constater, ce débat est utile – la preuve, il a lieu – pour permettre à l’ensemble de nos compatriotes de mesurer la gravité de la situation, ses conséquences sur les territoires ruraux, qui ont été rappelées par le préopinant, mais également les conséquences que cette crise emporte pour l’économie en général.
Des mesures ont bien sûr été prises, vous les avez rappelées, monsieur le ministre : diminution ou suppression des taxes foncières, recours au fonds social de la mutualité sociale agricole et année blanche pour les éleveurs les plus endettés.
Une véritable stratégie est maintenant nécessaire, qui doit permettre de fixer des caps en faveur des filières de l’élevage. Un mot s’impose, qui a déjà été prononcé à plusieurs reprises : compétitivité. La France agricole n’est plus suffisamment compétitive.
Le sujet a été traité à plusieurs reprises, la dernière fois à l’occasion de la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014. Avouons-le, monsieur le ministre, nous sommes alors quelque peu passés à côté de cette problématique, tant les esprits étaient préoccupés par des questions agroenvironnementales.
M. Bruno Retailleau applaudit.
… mais il me semble parfois que l’expression publique révèle un décalage entre l’attente des éleveurs et ce que vous en pensez.
Un agriculteur m’appelait tout à l'heure, pour partager ce qu’il avait lu sur le site du ministère de l’agriculture à propos d’agroécologie : « L’agroécologie est une façon de pratiquer l’agriculture en utilisant au mieux les ressources de la nature tout en préservant ses capacités de renouvellement. En maintenant un haut niveau de production et en réduisant ses coûts […], l’agriculteur sécurise son revenu et peut améliorer la performance économique de son exploitation. »
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Voilà un robinet d’eau tiède qui n’apporte aucune bonne réponse à ceux qui se posent des questions ! Disons-le vertement, monsieur le ministre, aujourd’hui, les agriculteurs ont la tête ailleurs.
Nous avons besoin de renforcer la compétitivité, d’améliorer les financements en faveur des entreprises agricoles, d’alléger les charges qui pèsent sur l’agriculture – financières, mais également administratives –, liées aux nombreuses normes qui se sont empilées notamment au cours des derniers mois, voire des deux ou trois dernières années.
Je crois comprendre que vous niez cette évidence, monsieur le ministre, mais le Sénat a pris ses responsabilités. Nous avons d’abord confié à notre collègue Daniel Dubois la présidence d’un groupe de travail sur les normes agricoles, dont nous recevrons les résultats prochainement.
Comme cela a été annoncé par le président du Sénat, nous allons également bientôt déposer une proposition de loi, laquelle doit beaucoup à sa persévérance et au travail que Gérard Larcher a accompli avec d’autres – dont je suis – pendant l’été.
Vous n’êtes pas le seul à avoir travaillé cet été, monsieur le ministre ! Nous nous sommes rendus au plus près des agriculteurs et des responsables agricoles, de façon à pouvoir proposer à la Haute Assemblée un texte cohérent auquel, j’en suis persuadé, d’autres parlementaires que ceux qui appartiennent à mon groupe pourront se joindre.
Quels sont les objectifs de cette proposition de loi ? Il s’agit de faire en sorte que la transparence soit mieux garantie sur les produits carnés, que l’accès aux financements nécessaires pour les investissements, nécessaires pour restaurer la compétitivité des entreprises agricoles, soit amélioré, que les déductions pour aléas et pour amortissement soient facilitées, dans la mesure où des difficultés se font jour qui retardent les résultats attendus.
Nous souhaitons également que la France n’en fasse pas plus que ce que demande l’Europe. Parmi les textes qui ont été adoptés, certaines mesures, notamment à caractère environnemental, sont excessives. Je pense par exemple aux dispositions concernant les établissements classés.
Monsieur le ministre, je voudrais pour terminer dire un mot des normes et des charges au sujet desquelles nous allons vous proposer un certain nombre de mesures qui, je l’espère, mériteront votre intérêt.
J’étais le week-end dernier dans la ville d’Alençon, à laquelle s’adosse en quelque sorte la lisière du pays sarthois. Il s’y tenait un festival de l’élevage tenant lieu de salon régional de l’agriculture et dont le nom, depuis des années, est La Ferme en fête.
En me promenant dans les allées, j’ai été frappé par le contraste entre les produits extraordinaires qui font l’honneur de notre élevage – ils sont d’ailleurs souvent retenus parmi les meilleurs au Salon international de l’agriculture – et l’attitude d’un certain nombre d’agriculteurs et d’éleveurs, qui sont inquiets, soucieux, interrogatifs et pourtant déterminés.
M. Jean-Claude Lenoir. Pour répondre à cette détermination extraordinaire de nos éleveurs malgré les difficultés, je veux le dire, en écho aux propos de M. le président du Sénat dans la presse de ce matin, nous sommes de ceux qui veulent les aider !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour le groupe UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris assez largement à l’état des lieux qui vient d’être dressé par les précédents intervenants.
Après une crise conjoncturelle, l’agriculture française souffre d’une crise structurelle. Les plans d’aide d’urgence peuvent être des « bouffées d’oxygène », mais ils n’apporteront pas de solution durable à nos agriculteurs. L’Europe ne fait plus de régulation, et cela a déstabilisé notre modèle.
Je voudrais, pour ma part, aborder plus spécifiquement la question des normes, qui constituent un véritable frein à la compétitivité du secteur. Le constat est simple : les procédures administratives sont trop complexes et trop longues. Elles rigidifient un système qui devrait être assoupli.
C’est pourquoi, comme je l’avais proposé lors de l’examen du projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, nous animons, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de travail sénatorial sur l’excès de normes agricoles.
Dès nos premières auditions, un point nous est apparu essentiel : avec l’abandon des quotas, les agriculteurs sont devenus des acteurs économiques à part entière. Ils sont donc confrontés à une concurrence mondiale, face à laquelle nous ne pouvons pas les désarmer. Ce sont des acteurs économiques responsables, pleinement conscients de l’impact de leur activité sur leur écosystème. Ils sont bien formés, et leurs pratiques évoluent. Dès lors, nous devons leur faire confiance, cesser de les présumer coupables – en l’occurrence, de les présumer pollueurs.
Faire confiance à nos agriculteurs, c’est engager systématiquement un réel dialogue avec la profession avant l’établissement de toute nouvelle norme. Je souhaite, a minima, une concertation préalable et approfondie. C’est important pour la compréhension et l’acceptation des normes par les agriculteurs.
Aujourd’hui, certains documents indispensables ne sont pas renvoyés à cause d’une indigestion de paperasse parfois superflue. Les demandes d’avances au titre de la PAC en sont un bel exemple. Il faudrait aussi, pour simplifier, diminuer les délais de recours auprès des autorités administratives.
Faire confiance à nos agriculteurs, c’est ne pas se satisfaire d’un moratoire sur les normes jusqu’en mars 2016, tel que l’a annoncé le Premier ministre. Faire confiance à nos agriculteurs, c’est oser remettre à plat la réglementation actuelle. Nous devons identifier tous les cas de surtransposition des directives européennes et annuler toute surenchère.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Je voudrais citer quelques exemples : lorsque la législation européenne en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, ne fixe pas de seuil pour les veaux de boucherie, la France, elle, en fixe !
Lorsque la législation européenne en matière d’ICPE ne fixe pas de seuil pour les vaches laitières, la France, elle, en fixe ! Et bien sûr, la complexité dans les procédures d’autorisation des élevages s’accentue et suit naturellement ces contraintes.
Lorsqu’une directive européenne impose des plans de réduction d’impact des produits phytosanitaires, la France traduit « impact » par « réductions d’usage ». Nous sommes donc face à des problèmes essentiels de transposition. Je le répète, on ne peut plus appliquer à l’agriculture française des normes plus strictes que celles qui sont définies au sein de l’Union européenne. Cela crée une réelle distorsion de concurrence, qui la tire vers le bas : la France est passée du deuxième au cinquième rang mondial en moins de vingt ans.
Si on lance un vaste plan de modernisation des établissements d’élevage, comme cela a été envisagé, grâce à des fonds publics, j’invite le Gouvernement à se poser la question suivante : allons-nous engager ce plan de modernisation sur les normes actuelles ou aurons-nous le courage de reposer et de réétudier les difficultés soulevées par les normes ?
Je regrette que, ces cinq dernières années, le Parlement ait adopté deux textes majeurs concernant l’agriculture sans aborder la question de la compétitivité. Lors de la création de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, j’avais proposé qu’il soit aussi celui de la compétitivité, via l’analyse des normes, sans succès malheureusement.
Faire confiance à nos agriculteurs, c’est réfléchir à un nouveau système de régulation interne qui puisse anticiper les crises. Les institutions européennes manquent de réactivité en cas de chute des prix. Elles interviennent trop tard, à des prix de retrait en dessous de 20 % du prix d’équilibre pour nos agriculteurs. Nous ne pouvons pas continuer à demander à nos agriculteurs de travailler à perte !
Je ne vous apprends pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, en agriculture, les années sont parfois bonnes, parfois moins bonnes et parfois catastrophiques. Le régime assurantiel présente donc des limites.
Cette nouvelle régulation pourrait prendre la forme d’une exonération fiscale d’une partie des bénéfices, les bonnes années compensant les mauvaises, sur un roulement de sept ans. Il faut que nous ayons une approche souple des risques et aléas agricoles, que nous soyons dans la prévention des crises, et non dans le curatif !
J’invite le Gouvernement à examiner avec beaucoup d’attention la proposition de loi qui sera déposée prochainement au Sénat.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais l’angoisse du lendemain n’a été si forte pour nos agriculteurs et les 800 000 emplois du secteur agricole. Leur combat est juste et légitime.
Si nous ne sommes pas capables de défendre et de promouvoir ce secteur vital, notre pays risque de connaître un avenir bien sombre. Lait, viande bovine, porc : voilà trois secteurs essentiels gravement touchés, qui pourraient enregistrer une perte d’au moins 10 % du nombre d’éleveurs, soit plus de 20 000 au total.
Monsieur le ministre, malgré les aides de la PAC couplées qui ont été maintenues grâce à vous, l’abandon des quotas, auquel vous étiez opposé, menace des filières agricoles entières. Victimes de la dégradation rapide des prix d’achat des productions, les agriculteurs ne s’en sortent plus.
La déréglementation des relations commerciales entre producteurs, abatteurs et distributeurs et la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente ont ruiné bon nombre de producteurs.
Les grandes centrales concentrent désormais plus de 90 % des achats. Jamais elles n’ont été aussi puissantes. Les Bigard, Cooperl, Lactalis, Savencia, Carrefour, Intermarché, Auchan, Leclerc, etc., poursuivront leur politique de prix bas, l’État se contentant visiblement d’un rôle d’observateur, certes à l’écoute, mais impuissant, car aucune mesure d’encadrement des relations commerciales n’est prévue. À Plérin, j’ai vu Cooperl et Bigard refuser de participer au marché au cadran pour montrer à quel point ils sont puissants et ne se soucient pas de l’État.
Les marges pour les producteurs sont en régression, alors qu’elles éclatent pour la grande distribution. En 2014, le résultat net du groupe Carrefour, par exemple, s’élevait à 1, 2 milliard d’euros. Pourtant, aucune mesure législative n’a été proposée, alors que nous attendions la remise en cause de la loi Chatel.
L’urgence est de garantir un prix de vente rémunérateur pour l’ensemble des producteurs. Je trouve anormal qu’un éleveur disposant d’un cheptel de cinquante bovins ne gagne que l’équivalent du SMIC, comme on l’a vu récemment à la télévision.
Nous proposons d’encadrer les pouvoirs exorbitants et destructeurs des grands groupes. Nous demandons depuis des années l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles périssables. Ainsi, un lien direct entre le prix payé au producteur et le prix vendu au consommateur serait créé.
Toutefois, ce n’est pas suffisant. Il faut des mécanismes de régulation permettant aux interprofessions de définir des prix minimums indicatifs pour chaque filière agricole, dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs, les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles.
Au Québec et aux États-Unis, un tel mécanisme existe, garantissant une juste rémunération aux producteurs. Le gouvernement américain subventionne l’écart entre le prix du marché et le prix objectif, qui tient compte des coûts de production.
En France, le coefficient multiplicateur est inscrit dans la loi pour les fruits et les légumes, mais il faudrait l’actionner. Ce serait un filet de sécurité pour une profession en détresse !
De plus, au fil des années les outils de gestion des marchés ont été supprimés. Le libéralisme effréné provoque la course sans fin à l’agrandissement des exploitations, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.
Tout au long de l’été, monsieur le ministre, vous avez multiplié les déplacements et les annonces de moyens chiffrés comme remèdes. Cependant, lors du débat sur le dernier projet de loi de finances, nous avions dénoncé les coupes budgétaires qui relativisent les aides ponctuelles apportées aujourd’hui aux éleveurs.
Les aides européennes sont utiles dans l’urgence, mais probablement pas dans la durée, car, comme vous l’avez dit tout à l’heure, des réformes structurelles s’imposent. Quelque 600 millions d’euros d’aides supplémentaires sur trois ans, cela vaut mieux que rien, mais cela ne réglera pas la crise. En effet, les problèmes sont non pas conjoncturels, mais structurels.
Depuis la première loi de finances du quinquennat, le budget de l’agriculture aura baissé de 756 millions d’euros ! Le projet de loi de finances pour 2016 entérine malheureusement la baisse programmée dans le plan triennal 2015-2017, avec près de 200 millions d’euros de moins qu’en 2015.
Alors que la plupart des filières connaissent des difficultés importantes, il est anormal que l’État ne conforte pas les leviers qui ont vocation à favoriser le redressement de certaines exploitations. Il est urgent de réinvestir dans l’agriculture, par rapport à des politiques budgétairement restrictives.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaitais attirer votre attention sur la filière de la canne à sucre réunionnaise. Les quotas de production, ainsi que le prix garanti, seront supprimés à partir du 1er octobre 2017, mettant en péril près de 20 000 producteurs à la Réunion. Dès lors, quelles mesures comptez-vous prendre ? Encore une fois, on nous parle d’un plan d’aide, mais, vous le savez, ce ne sera pas suffisant. C’est d’un soutien pérenne, de l’ordre de 120 millions d’euros par an de subventions à compter de 2017, que la filière a besoin !
Enfin, la concentration des secteurs de la collecte, de la transformation et de la distribution place les petits et moyens paysans dans un rapport de subordination qui les élimine implacablement. C’est conforme à la logique de la politique européenne, qui a abandonné les mécanismes de régulation pour laisser cours à la « concurrence libre et non faussée », moteur de la compétitivité sans fin qui tire tout vers le bas. Cette logique lamine les travailleurs de la terre et les territoires ruraux.
En matière d’agriculture et d’alimentation, le libéralisme sans limites, à la recherche de toujours plus de compétitivité, nous conduit droit dans le mur. Nous pensons qu’il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes.
Les négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange, mais aussi sur l’accord France-Canada, nous font craindre le pire. L’accord transatlantique de libre-échange nous amènerait loin de l’agroécologie que vous défendez, monsieur le ministre ! C’est pourquoi il faut tracer de nouvelles perspectives pour la grande distribution et prendre des engagements dans la durée pour réinventer notre modèle agricole.
Prenons le cas des restaurants scolaires – cet exemple a été évoqué précédemment – et des cuisines centrales intercommunales, dont les élus locaux ont la charge. Nous pourrions envisager de nouveaux critères, afin de faciliter les appels d’offres, en vue de favoriser l’alimentation bio, l’agriculture raisonnée et les circuits courts, avec une mise valeur de la traçabilité. C’est un gage de la qualité des produits et cela évite toute la logistique du transport des denrées. En effet, pourquoi acheter un poireau à un grossiste en Espagne alors que l’agriculteur de la commune ou de la commune voisine peine à vendre le sien ?
La dernière mutation agricole était fondée sur le « forçage » de la production et entraînait le gaspillage : excès d’engrais, de pesticides souvent et d’irrigation, entre autres. L’évolution actuelle doit modifier complètement cette situation. D’ailleurs, nombre agriculteurs en sont conscients, et il y a eu de nombreuses tentatives visant à changer de logique, afin de recourir aux propriétés de production de la nature elle-même.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y aura pas de développement durable et solidaire sans une orientation nouvelle, construite avec l’ensemble des acteurs. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités pour exiger des prix minimums européens, rétablir les quotas et défendre un modèle agricole vertueux. C’est un changement de modèle qu’il faut opérer d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard.
C’est pourquoi le groupe CRC croit en un nouveau modèle d’exploitation, qui devra respecter cinq conditions : favoriser l’installation et le renouvellement des agriculteurs, assurer un revenu décent aux exploitants en activité, répondre aux enjeux alimentaires de la planète, affirmer la double performance économique et écologique et assurer la traçabilité de tous les produits.
M. Michel Le Scouarnec. Un autre avenir est à construire. Notre devoir est de protéger nos territoires, comme l’a relevé précédemment notre collègue Jacques Mézard, ainsi que nos filières agricoles, tout en assurant un vrai développement durable et solidaire.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention est celle d’un sénateur paysan, qui a des rêves pour l’agriculture. Toutefois, entre les rêves et la réalité, il y a surtout la volonté, celle d’y voir clair, de ne pas se voiler la face, de changer la donne, de ne pas sombrer dans des querelles et des débats politiciens stériles qui opposent systématiquement l’entreprise à l’État, les agriculteurs à l’État.
Aujourd'hui, l’agriculture française doit faire face à de nombreux défis, et elle doit d’abord compter sur elle-même pour y répondre : concurrence à l’export, mais aussi sur le marché national, réchauffement climatique, nouvelle PAC, exigences sociales, santé publique, aménagement du territoire, mutation des besoins et des goûts des consommateurs.
Pour répondre à ces enjeux, vous avez proposé, monsieur le ministre, des axes forts autour d’un même objectif : une agriculture durable, qui s’inscrit dans le temps. Ces deux mots – « agriculture durable » – recouvrent toutes les questions que se posent nos agriculteurs sur l’avenir de leur activité. Et on ne peut, sous couvert de déclarations politiciennes, se jouer d’eux, en surfant sur leur mal-être et leur désespoir pour s’opposer à l’action du Gouvernement. Ce n’est ni responsable ni raisonnable face à des femmes et des hommes qui exercent l’un des métiers les plus beaux, mais aussi l’un des plus rudes, en ce qu’il dépend des aléas climatiques et des conditions sanitaires.
Pour les éleveurs, s’ajoute à ces paramètres l’obligation de nourrir les animaux et de s’occuper d’eux 365 jours sur 365.
Les éleveurs sont frappés une fois encore par une crise. Celle de 2009, sous une autre majorité, …
Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
… avait bouleversé les producteurs de lait et de viande. Quelles conséquences en a-t-on tirées ? Six ans plus tard, cette même filière est de nouveau touchée. Il est donc temps d’admettre que cette crise est non pas seulement conjoncturelle, mais aussi structurelle. Il importe de se poser les bonnes questions, avec courage et détermination.
Sans jouer la provocation, il faut s’interroger sur l’organisation de la filière, sur le fonctionnement de nos exploitations, sur la guerre des prix à laquelle se livrent les transformateurs et les grandes surfaces, asphyxiant ainsi les producteurs, sur les organisations professionnelles qui ne cessent de prôner le libéralisme tout en demandant toujours plus de protection de l’État.
Pour être très clair, je regrette la position de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, notamment, qui alterne entre le libéralisme à tous crins pour conquérir des marchés à l’export et un protectionnisme supposé justifier la négociation d’un prix minimum. Je dois l’avouer, j’ai du mal à comprendre comment on peut vouloir vendre à l’export tout en exigeant un prix au kilo sur le marché national… C’est contradictoire.
La nécessité pour notre agriculture aujourd’hui, c’est de faire un constat partagé et d’établir une stratégie à long terme.
Il faut engager une restructuration profonde de notre modèle pour permettre à toutes les formes d’agriculture – grande, moyenne, petite – de trouver leur place. On ne peut raisonnablement penser que l’on va toujours vendre moins cher : cela ne correspond pas à l’image de la France et, à ce jeu-là, nous trouverons toujours une concurrence déloyale sur notre chemin. Optons plutôt pour des signes de qualité.
La mutation vers l’agroécologie choisie par le Gouvernement constitue ainsi une voie à suivre. Elle revêt de nombreuses formes : la biodiversité, l’agriculture raisonnée – j’aime souvent parler d’« agriculture raisonnable » –, l’agriculture bio, les circuits courts, qui transmettent une image positive et des valeurs aux consommateurs.
Lors d’une réunion organisée récemment par le préfet de l’Hérault, les filières et les collectivités territoriales ont constaté combien il est compliqué d’organiser, par exemple, un approvisionnement local pour la restauration collective. Je veux cependant citer en exemple les démarches engagées par l’association Agrilocal, que vous avez citée, monsieur le ministre. Toutefois, il faut simplifier la réglementation des marchés publics.
En effet, n’est-il pas choquant de constater que quelque 80 % de la viande servie dans la restauration hors domicile sont importés ? Comme l’a rappelé Interbev, l’interprofession bétail et viande, la restauration collective draine près de 300 000 tonnes sur 1, 5 million de tonnes de viandes consommées en France. Il y a là un chantier important à développer.
Pour réussir cette agriculture durable, définie dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, il va falloir accepter de travailler ensemble, sans œillères ni partis pris.
Comme vous, monsieur le ministre, je pense que la solution n’émergera que d’un consensus trouvé de manière collective par filière à tous les niveaux de la chaîne. Néanmoins, ceux qui doivent mouiller la chemise, si je puis dire, ce sont les agriculteurs eux-mêmes et, surtout, leurs responsables professionnels, avec, bien sûr, l’aide de l’État.
Contrairement à certains agriculteurs qui estiment que notre agriculture française a été sacrifiée sur l’autel de l’Europe, je veux espérer.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la semaine dernière l’exemple des vins du Languedoc devant les députés. La transition exemplaire de la viticulture du Languedoc avait également été abordée lors de la réunion organisée, en juillet dernier, par le président Gérard Larcher au Sénat.
À cet égard, je souhaite, moi aussi, témoigner, car je crois en l’avenir de notre agriculture, comme j’ai cru, en tant qu’acteur, en l’avenir de la viticulture du Languedoc. La mutation fondamentale et réussie qu’a connue notre filière doit donner espoir à la filière de l’élevage.
Jusqu’en 1976, avec 30 millions d’hectolitres, les vins de la région du Languedoc-Roussillon représentaient quelque 45 % de la production française. J’avais vingt et un ans en 1980, quand la crise de la viticulture, qui a touché de front notre région, s’est amplifiée. Je venais de reprendre l’exploitation familiale. Il a fallu faire un constat. Il a fallu faire des choix. Il a fallu décider. Il a fallu composer. Il a fallu faire preuve de courage en arrachant définitivement des vignes et en perdant ainsi un certain potentiel. Il a fallu se diversifier, face aux doutes et à l’incompréhension de nombreux vignerons. Et il a fallu, pour certains, tout arrêter.
Les viticulteurs de notre région ont fait face à trois défis : la baisse de la consommation, qui est passée de 165 litres par an et par personne en 1965 à 75 litres en 1996, puis à 44 litres aujourd'hui ; une extension de la concurrence européenne, avec la libre circulation des vins italiens et espagnols, qui étaient moins chers ; enfin, l’arrivée des vins du Nouveau Monde, avec la diffusion internationale des cépages.
Ces trois défis ont eu pour conséquence un véritable séisme sur les prix, avec une chute qui n’est pas sans rappeler certaines courbes contemporaines, surtout après la suppression des systèmes de régulation voulue par cette Europe libérale.
La réponse s’est incarnée dans la création des vins de pays d’oc, symbole du virage vers la recherche de davantage de qualité, avec, notamment, un réencépagement de grande ampleur, puis dans celle de l’IGP « Pays d’oc » en 2009. Cette indication géographique protégée représente la reconnaissance d’un savoir-faire lié à un territoire, une constante qualitative, une typicité aromatique et des contrôles rigoureux.
En quelques années, c’est une véritable révolution qui s’est opérée au travers d’un véritable changement de modèle économique : la diminution du poids de la viticulture avec un développement des services et du tourisme.
Aujourd’hui, les volumes ne sont plus de la même ampleur : la production représentera 13 millions d’hectolitres environ en 2015, ce qui correspond à une diminution de 60 % des volumes et implique la disparition d’un grand nombre de viticulteurs. Des terres ont été sacrifiées, des familles ont fait le choix d’abandonner. En effet, on ne décide pas de réorganiser des filières, de les restructurer, sans en accepter le prix. Il faut le savoir dès le départ, pour anticiper les conséquences humaines.
Il faut du courage et, surtout, une stratégie commune pour ne laisser tomber personne et pour accompagner les mutations. Toutefois, le parti pris de la qualité, de l’identification, de la labellisation paye toujours. Nos vins ont changé d’image : ils sont reconnus. C’est tout un art de vivre qui s’exporte, ce qui permet à nos vignerons de diversifier leur activité grâce à l’écotourisme. C’est certainement un exemple à suivre.
En juillet dernier, le Gouvernement a mis en place un plan exceptionnel de soutien. De nombreuses dispositions ont ainsi été adoptées pour apporter un soutien financier et fiscal à l’ensemble des éleveurs français : allégement de trésorerie, restructuration des dettes, remboursement accéléré de la TVA, mobilisation du Fonds d’allégement des charges et du Fonds national de gestion des risques en agriculture ou encore accompagnement des prêts auprès des banques.
Face à la persistance de la crise, et afin de satisfaire les attentes du monde agricole, le Premier ministre a présenté le 3 septembre dernier des mesures complémentaires à ce plan de soutien. Ces dernières portent à 3 milliards d’euros en trois ans les aides qui pourront être investies dans l’agriculture et l’élevage français.
Toutefois, au-delà de ces mesures, il y a des engagements à tenir pour ne pas cumuler les charges des entreprises et des exploitations.
Depuis 2012, il n’y a pas eu de normes de surtransposition des directives européennes. Dans le plan annoncé par le Premier ministre, il y aura un point d’étape avec la profession en 2016 pour connaître les normes à supprimer, en vue d’une meilleure compétitivité.
J’en suis convaincu, mes chers collègues, notre agriculture, dans sa globalité, doit opérer une mutation semblable à celle de la viticulture languedocienne. Cela se fera grâce à l’action de l’État, dans l’urgence, mais aussi au travers de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Toutefois, cette action ne pourra être entreprise qu’avec les filières concernées et les responsables professionnels. Ces dernières doivent s’emparer de la coconstruction de leur avenir. C’est de leur responsabilité, car on ne peut tout attendre de l’État. Je suis sûr que nous pouvons faire confiance à nos agriculteurs pour trouver des solutions.
L’agriculture, la France y croit ! Et le sénateur paysan que je suis veut garder ses rêves d’une agriculture fière des défis qu’elle a relevés, des mutations qu’elle a réussies, pour que nous puissions conserver l’image d’une agriculture humaine, d’une agriculture forte, d’une agriculture de qualité et, donc, d’une agriculture durable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les agriculteurs français sont désabusés, souvent en colère, en proie au désespoir. Ils ont le sentiment que, quoi qu’ils fassent, ce n’est jamais assez ! Ils ont les compétences, les équipements, les atouts, mais la crise que traverse notre agriculture trouve son origine dans le manque d’adaptation de ce secteur à la nouvelle donne européenne et mondiale.
Les quotas laitiers étaient le dernier symbole de la régulation administrative de la production. La PAC plaisait aux Français, parce qu’elle était conçue par eux et pour eux, mais elle a tant évolué qu’elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Les agriculteurs français espèrent des régulations dont nos partenaires ne veulent plus. Et pendant qu’ils attendent un avenir qui ressemble au passé, nos compétiteurs, eux, avancent et se préparent sans doute mieux que nous.
Le débat d’aujourd’hui doit être politique, dans le sens noble de ce terme, et responsable.
Ma première réflexion porte sur les outils de régulation. Inutile de s’accuser réciproquement et de demander une fois encore le retour des quotas. Je suis désolé de le dire à l’adresse de Michel Le Scouarnec, les quotas, c’est fini ! À vingt-huit, personne n’en veut plus.
Certains mêmes de nos partenaires sont bien décidés à produire beaucoup plus qu’avant. Toutefois, nous avions réussi à faire accepter à Bruxelles un ersatz de régulation par le biais de la contractualisation…
… et des organisations de producteurs, les OP.
Pas une fois pendant la crise, il ne fut fait mention des OP, ni par les agriculteurs, ni par les syndicats, ni par les autorités publiques. Or il me semble qu’il s’agit là d’un outil utile, qui est malheureusement encore délaissé. Selon moi, l’appropriation de cette nouvelle approche de gestion est vraiment encore insuffisante aujourd'hui.
M. Michel Raison applaudit.
Dans un an, nous préparerons les contrats laitiers de deuxième génération. C’est un rendez-vous qu’il ne faut pas manquer. Comment comptez-vous, monsieur le ministre, favoriser cette négociation contractuelle ? À entendre votre intervention liminaire, j’ai senti certaines évolutions et j’ai le sentiment que vous avez pris quelques engagements. Comment favoriser les regroupements, même par le biais des organisations de producteurs de bassin, qui donneraient du poids – davantage de poids – aux éleveurs ?
Certains industriels seraient disposés à faire figurer dans les contrats des références aux coûts de production, qui compléteraient les indices de tendance bien connus : il s’agit à mes yeux d’une évolution capitale, qu’il faut encourager.
Ma deuxième série d’observations a trait aux choix stratégiques.
Il n’est pas possible d’admettre sans rien faire que notre agriculture, année après année, soit dépassée par nos concurrents. C’est pourtant bien ce qui se produit, et si le phénomène est à l’œuvre depuis quelques années – je vous le concède, monsieur le ministre –, il prend aujourd’hui une ampleur considérable.
M. Hubert Falco opine.
Les deux voies du succès sont de gagner en compétitivité et de gagner en valeur ajoutée. À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous avez prononcé les mots « compétitivité » et « productivité » ; mais s’il est bon de parler, il est beaucoup mieux d’agir !
Pour y parvenir, je pense qu’il faut accepter des concentrations. Comme nos collègues Michel Raison et Claude Haut nous y invitent dans leur excellent rapport, osons certains regroupements : des regroupements techniques, industriels, des regroupements d’exploitations agricoles, toutes évolutions qui doivent faire l’objet d’expérimentations inspirées de ce que font d’autres pays, qui, eux, gagnent sur les marchés.
Certaines régions ont tous les atouts pour être de grandes régions agricoles et pour réussir à s’imposer dans la compétition européenne. Néanmoins, il faut admettre qu’il n’y aura pas d’élevage laitier partout, comme aujourd’hui – sauf si les régions investissent massivement, ce qui n’est pas vraiment le cas.
Ma troisième et dernière série d’observations se rapporte à la politique agricole commune, qui est à bout de souffle, au bout de son exercice.
La PAC d’origine, qualifiée de productiviste, avait des effets pervers, qui ont été corrigés ; la PAC réformée des paiements directs en a tout autant, mais je pense que la PAC compliquée d’aujourd’hui en a encore davantage ! De fait, il est incompréhensible que l’on puisse dépenser 50 milliards d’euros par an pour un tel résultat, en faisant de si nombreux mécontents.
La dernière réforme a été une occasion manquée. D’une part, tous les pays ont tendance à privilégier ce qu’ils ont aujourd’hui plutôt que de se lancer dans des réformes sans savoir ce qu’ils auront demain. D’autre part, on avait promis aux États entrés dans l’Union européenne en 2004 des paiements directs à taux plein à partir de 2013, de sorte qu’il n’était pas possible de leur dire : maintenant que vous y avez droit, on va changer de régime ! Il y a donc une réelle inertie.
Je ne condamne personne, mais cette inertie n’est plus possible : il faut s’atteler à une véritable réforme de la PAC, loin des idéologies dépassées ou dévastatrices.
Je l’ai dit et écrit : paiement unique, paiement inique. Chacun peut comprendre qu’il n’est pas pertinent d’aider l’agriculture lorsque les prix sont rémunérateurs. En revanche, les subventions sont nettement insuffisantes dans une période de crise comparable à celle que nous traversons. À la vérité, l’aide directe doit être de plus en plus conçue de manière contracyclique. Je vais même plus loin : il faut évoluer vers une PAC à connotation assurantielle, comme nos amis américains l’ont fait dans le cadre du Farm bill.
Cette approche me semble beaucoup plus pertinente aujourd’hui, dans l’hypothèse où le traité transatlantique serait signé demain matin.
M. Joël Labbé s’exclame.
Telles sont les questions que nous souhaitons aborder avec vous, monsieur le ministre, lorsque sera examinée, dans quelques semaines, la proposition de loi à laquelle certains d’entre nous ont commencé de travailler.
Je répète que je vous ai entendu nommer les deux exigences qui devraient remettre l’agriculture française en compétition avec, notamment, les agricultures allemande, néerlandaise et danoise : compétitivité et productivité. De même, je prends acte des propos de Didier Guillaume et de sa main tendue. Pourquoi pas ? Au Sénat, nous pouvons mener une réflexion qui transcende les clivages politiques.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est trop importante pour qu’on en fasse de la petite politique !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour le groupe UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je sais bien que la critique est aisée et l’art difficile. Il reste que votre satisfaction, monsieur le ministre, n’est vraiment pas justifiée par l’état de notre agriculture. Je n’insisterai d’ailleurs pas sur le tableau très préoccupant que les orateurs précédents en ont brossé ; je me bornerai à présenter quatre observations.
Monsieur le président, le principal objectif de la proposition de loi sur laquelle nous travaillerons avec vous devrait être de favoriser un changement du regard dominant porté sur l’agriculture. Je puis vous assurer qu’elle en a grandement besoin !
Voici ma première observation : de grâce, n’opposons pas les solutions. Au contraire, valorisons-les ! En d’autres termes, sortons des procès paralysants qui opposent les différentes solutions s’offrant à nous. Ces oppositions souvent professionnelles, très souvent politiques, sont l’une des causes de la paralysie qui affecte le développement de notre agriculture.
Des solutions très variées et très différentes existent. Ainsi, on oppose beaucoup trop souvent les circuits courts et l’agriculture biologique, solutions que nous jugeons tout à fait convenables, mais dont on sait que la généralisation ne serait pas un remède efficace pour toute l’agriculture, à l’agriculture dite « de production de masse ». Nous devons permettre à ces deux modèles de s’épanouir de concert en se respectant, et surtout en respectant les contraintes environnantes qui s’imposent à eux. Je persiste à penser que c’est possible. Chacune de ces agricultures présente ses inconvénients, qu’il faut surmonter ; à nous de trouver les solutions correspondantes.
Ainsi, les circuits courts, quelles que soient leurs formes, entrent dans une phase qui nécessitera d’autres modes d’organisation, d’autres moyens de mise en marché et des dispositifs de respect de la certification des produits.
Quant à l’agriculture de production de masse, elle a fait d’incontestables efforts : même si tout n’est pas réglé, la profession agricole a bien montré son aptitude à respecter les contraintes environnantes. Nous gagnerions désormais à examiner très concrètement et très lucidement au plan législatif les différents cadres de production que nous pourrions non seulement accepter, mais aussi promouvoir, en matière, par exemple, d’utilisation des intrants et de l’eau.
Il faut réconcilier cette agriculture avec l’opinion ! De fait, les procès qui lui ont été intentés, les mots qui ont été employés à son égard, parfois fondés, le plus souvent démagogiques, ont été beaucoup trop fréquemment destructeurs de notre économie agricole.
Ma deuxième observation porte sur l’agroalimentaire, un secteur qui était un fleuron de notre économie et qui le reste dans certains domaines.
Dans nombre de filières, notamment celles du lait et de la viande, les risques sont réels que l’industrie agroalimentaire rencontre des difficultés d’approvisionnement. L’abandon du métier d’agriculteur est la cause principale de cette situation. Nous devons restaurer les relations de confiance avec l’industrie agroalimentaire, afin de déterminer avec elle les meilleures conditions possible pour assurer le maintien de l’agriculture.
En particulier, nous devons travailler en profondeur sur la notion de contrats. Nous connaissons, monsieur le ministre, la pugnacité avec laquelle vous agissez dans ce domaine. Seulement, nous pensons qu’il faut donner ses chances à chacun des contractants : il est bien évident que des contrats ne peuvent pas tenir si tous les contractants, notamment les agriculteurs, ne sont pas en situation de les négocier et de les honorer.
Par ailleurs, la relation entre l’agroalimentaire et la distribution, abordée jusqu’ici sans grand résultat, doit être redéfinie et codifiée ; à cet égard, j’attends beaucoup de la proposition de loi en cours d’élaboration. Il y a sur ce plan un réel débat politique, non abouti. Cette régulation devra s’appuyer sur une utilisation beaucoup plus encadrée des différents signes de qualité. Sortons le plus vite possible des stratégies trop envahissantes de marketing et d’usage abusif, pour nous recentrer sur les véritables signes de qualité – Dieu sait si, en France, nous en avons ! L’agriculture gagnerait à une telle clarification, tout comme les consommateurs, qui pourraient enfin s’y retrouver.
Ma troisième observation a trait à la sauvegarde des outils de production, qu’ils soient individuels ou collectifs.
Monsieur le ministre, vous savez que, dans toutes les régions de France, il y a extrême urgence. Des points de non-retour sont d’ores et déjà atteints. La population agricole vieillit et, dans le même temps, les outils de production individuels et collectifs deviennent totalement obsolètes, tandis que toute initiative en matière de développement devient de plus en plus difficile.
J’aborderai seulement deux sujets : l’hydraulique et les bâtiments d’élevage.
En ce qui concerne l’hydraulique, sortons, par pitié, des clichés paralysants et de l’exploitation émotionnelle ! L’utilisation de l’eau et la gestion de sa ressource sont actuellement bien maîtrisées sur le plan technique. L’eau restera toujours un facteur de développement et de garantie de celui-ci. Faisons preuve de lucidité et de dynamisme et cessons d’instrumentaliser ces questions à des fins politiques !
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – Mme Sophie Primas applaudit également.
Pour ce qui est des bâtiments d’élevage, vous savez tous que les contraintes environnementales rendent quasiment impossibles les équipements des exploitations agricoles. Profitons des circonstances présentes pour mettre en cohérence l’intervention de l’État, celle des régions, qui sont désormais renforcées en matière économique et responsables de la gestion des fonds européens, et celle des départements, qui conserveront bien quelques responsabilités.
Ma quatrième observation touche aux coûts de production. Le développement de la compétitivité, laquelle devrait cesser d’être un gros mot, passera forcément par une action sur ces coûts.
Examinons-les donc, en particulier ceux qui sont liés à la fiscalité, à la parafiscalité et aux charges sociales.
Tel est, monsieur le président, l’état d’esprit dans lequel les membres de mon groupe travailleront à vos côtés pour préparer la future loi, sur laquelle ils fondent de grandes espérances. Changeons l’état d’esprit au sujet de l’agriculture en nous appuyant sur des éléments que nous avons jusqu’ici trop souvent bannis !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, je tiens à vous remercier d’avoir suscité ce débat fort intéressant, qui nous a permis d’entendre M. le ministre, lequel, sans doute, reprendra la parole dans quelques instants pour répondre à nos questions.
Monsieur le ministre, vous êtes convenu que tout le secteur de l’élevage était en crise. Sur ma tablette, j’ai consulté une plaquette émanant de votre ministère, selon laquelle quelque 25 000 exploitations d’élevage pourraient déposer le bilan. De fait, la trésorerie de nombre d’éleveurs est dégradée. Il faut dire que, aujourd’hui, les prix de vente sont souvent inférieurs aux coûts de production. Une telle situation ne peut pas durer longtemps. C’est dire si la crise est grave !
Or, malheureusement, cette crise va durer au moins plusieurs mois. En effet, à l’heure où l’on rentre les troupeaux dans les étables, la mévente est complète. Pas plus tard qu’hier, j’ai encore rencontré un marchand de bestiaux : il m’a dit qu’il n’y avait pas de demande et qu’il fallait absolument que les exportations reprennent. Nous espérons vraiment qu’elles vont repartir ! Et je vous remercie, monsieur le ministre, pour tous les efforts que vous accomplissez. Toutefois, il faudrait qu’ils soient plus importants encore pour que la demande se redresse !
Vous savez que, de surcroît, de nombreux territoires ont été frappés par la sécheresse. Aussi, il y a peu de fourrage dans un certain nombre d’exploitations.
De nombreux animaux, peu de fourrage, des prix très bas : dans ces conditions, la situation ne risque pas de s’améliorer, ce qui provoque une vive angoisse et même une désespérance dans le monde agricole.
Quelles sont les causes de cette situation ? Il y a, bien entendu, la fin des exportations vers la Russie ; c’est bien le monde agricole qui paie cette décision politique. Quant aux exportations vers la Chine, elles sont en baisse. La question de la viande dans les cantines a déjà été abordée.
Ce qui nous préoccupe aussi, ce sont toutes ces campagnes de promotion du régime végétarien, qui incitent à manger moins de viande.
Sourires.
Et par-dessus le marché, voici la fièvre catarrhale ovine ! Vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu’elle n’aurait pas de conséquences sur les exportations. Pourtant, on me dit que, dans le Massif central, quelque 25 000 animaux attendent de partir. Pouvez-vous nous donner des éclaircissements à cet égard ?
Ensuite, j’évoquerai – c’est un peu mon dada ! – la course aux prix bas. Mes chers collègues, sachez que les produits agricoles – je ne parle pas des produits alimentaires, mais uniquement des produits agricoles – ne représentent plus aujourd'hui que 4 % des dépenses des ménages.
En lisant, hier, Le Progrès, j’ai encore eu une illustration de cette course aux prix bas à laquelle se livre toute la grande distribution.
M. Gérard Bailly brandit un article de journal.
Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous souhaitiez personnellement la remontée des prix agricoles. Toutefois, comme un certain nombre d’entre nous, je me pose une question : en est-il de même pour le Gouvernement dans son ensemble ? Ces prix bas ne l’arrangent-ils pas ?
Après tout, avec des prix bas dans le secteur alimentaire, ce sont les pensions de retraite que l’on n’est pas obligé de revaloriser et le SMIC que l’on n’est pas obligé d’augmenter !
Monsieur le ministre, il faudrait que vous tapiez davantage sur la table ! En 2014, les marges des grandes et moyennes surfaces, les GMS, ont augmenté. La même année, alors que le prix du porc a baissé de 33 centimes d’euros à l’entrée des abattoirs, il a augmenté de 28 centimes d’euros dans le réseau de la distribution. Il existe bien un Observatoire de la formation des prix et des marges des produits agricoles et un Médiateur des relations commerciales agricoles, mais on se demande ce qu’ils font réellement.
Les agriculteurs souhaiteraient obtenir des réponses à d’autres questions qu’ils se posent.
Tout d’abord, ils s’interrogent sur l’aide de l’Europe, comme sur celle – trop modeste – de la France, même si chacun connaît la situation financière de notre pays. Monsieur le ministre, quand ces aides seront-elles perceptibles au niveau des exploitations agricoles ?
Par ailleurs, je me suis laissé dire – peut-être n’ai-je pas les bonnes informations – qu’en Rhône-Alpes, pour compléter un dossier, il faut remplir vingt-quatre pages !
M. le ministre le conteste.
Ensuite se pose la question des vaccins, dont on sait qu’elle aura des incidences sur les exportations. Quand les agriculteurs pourront-ils disposer de suffisamment de vaccins pour leurs exploitations ?
J’ai également souvent évoqué à cette tribune le feuilleton burlesque des loups. Quel est son coût ? N’existe-t-il pas d’autres priorités ? On perçoit un découragement des éleveurs, qui sont méprisés, voire condamnés. Quand reverra-t-on la convention de Berne ?
Monsieur le ministre, vous avez tenu de belles paroles sur l’agriculture, et je vous crois d’ailleurs sincère. Cependant, le budget de l’agriculture baissera tout de même de 2, 8 % en 2016 ! Comment trouvera-t-on, dans les semaines à venir, les moyens nécessaires pour développer l’énergie biomasse ou l’énergie photovoltaïque dans les exploitations, ainsi que pour tous les outils de transformation ? Comment favoriser l’adaptation de la fiscalité à l’agriculture ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, à quand une Europe avec des salaires harmonisés ? Mes chers collègues, nos agriculteurs auront bien du mal à faire la différence par rapport à la concurrence s’ils paient le double, en France, du prix acquitté ailleurs pour transformer leurs produits !
Il y a également l’exemple de l’Espagne, qui verse 300 euros par vache laitière. Si nous vous avions demandé une telle aide, monsieur le ministre, vous nous auriez sûrement répondu que l’Europe n’autorise pas le versement de primes directes pour des raisons de concurrence. Pourtant, il semblerait que l’Europe le permette en Espagne !
M. le ministre le conteste.
Enfin, j’aimerais que vous fassiez le point sur la question du stockage de la viande et du lait.
Je conclurai, monsieur le président, en indiquant que l’Europe s’est d’abord construite sur le fondement de sa politique agricole commune. Or celle-ci est peut-être aujourd'hui agonisante.
Sachez que, dans les élevages agonisants, la foi en l’Europe est malheureusement bien éteinte, comme l’est la foi dans tous les décideurs, en vous, monsieur le ministre, comme en nous tous, élus. C’est donc à nous tous qu’il appartient de réagir plus vigoureusement encore, et vite !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui prend, en effet, tout son sens au Sénat, compte tenu des incidences de l’agriculture sur l’aménagement du territoire dans l’ensemble de nos régions.
Premièrement, l’enjeu alimentaire n’a jamais été aussi présent. C’est pourquoi nous souhaiterions, monsieur le ministre, que la France affirme davantage sa volonté et sa détermination d’exister en la matière à l’horizon 2020-2030 et jusque dans les années 2050. En effet, c’est maintenant que cela se prépare !
Deuxièmement, s’il existe un secteur stratégique en matière d’aménagement du territoire – nous l’avons tous évoqué –, c’est bien celui de l’élevage.
Mesurons bien les conséquences de nos décisions si nous ne sommes plus capables, demain, de donner des perspectives économiques et de bonnes conditions d’existence aux exploitants sur nos différents territoires : combien tout cela coûtera-t-il à la société ? Quel en sera le coût pour la vie locale, pour le monde rural – certains d’entre nous se sont interrogés sur ce sujet –, pour les racines, en quelque sorte, de notre pays ? Il s’agit du fameux principe des « 80-20 » : quelque 20 % de la population ont la charge de 80 % du territoire. Quelles en seront les conséquences financières ?
Troisièmement, toujours en matière d’aménagement du territoire – sur ce sujet, vous n’avez pas de chance, monsieur le ministre –, dont le Sénat a d'ailleurs récemment débattu dans le cadre de la réforme territoriale, nous aurions besoin d’une clarification des compétences entre l’État, l’Union européenne et les régions, …
… surtout à l’heure où l’on attribue une compétence économique à ces dernières.
Mes chers collègues, dans les semaines et les mois à venir, la capacité d’intervention des régions aux côtés de l’État sur le plan stratégique, notamment en ce qui concerne les financements, sera significativement perturbée.
M. le ministre le conteste.
Mes chers collègues, je souhaiterais que vous relisiez, lorsque vous en aurez le temps, le traité de Rome signé le 25 mars 1957, surtout son article 39, qui prévoit que la politique agricole commune doit assurer « un niveau de vie équitable à la population agricole ».
À cet égard, comme l’a rappelé Jean Bizet, nous vivons véritablement une rupture : depuis que l’Europe existe, c’est la première fois que les agriculteurs se trouvent seuls face au marché. Quand on se bat, mais que l’on ne réussit pas à gagner, comme sur le dossier laitier, il n’y a plus rien !
Elles sont simples, cher collègue !
Monsieur le ministre, lorsque vous avez réuni une table ronde sur le secteur laitier le 24 juillet dernier, vous n’avez apporté une réponse que pour 16 % de l’ensemble des produits. Pour le reste de la filière laitière, ce sont les propositions retenues lors de l’accord du mois de février 2015 qui s’appliquent, à savoir une baisse des prix !
Lorsque vous décidez de demander à la grande distribution de maintenir un statu quo pour l’année 2016 lors de la réunion du 1er octobre dernier, cela veut dire que vous entérinez progressivement une baisse de 5 % des prix pour les 84 % des produits laitiers qui ne sont pas concernés par l’accord du 24 juillet.
Monsieur le ministre, nous estimons que vos propositions conduisent à intégrer la grande distribution dans l’interprofession laitière et le monde paysan.
C’est l’une des recommandations que nous vous faisons, car nous constatons aujourd’hui une situation de grande fragilité.
Monsieur le ministre, le prix n’induit pas forcément le revenu. Prenons l’exemple de l’Allemagne, où 2 % du chiffre d’affaires sont liés au différentiel de TVA. J’aurai d’autres exemples, et les réponses ne peuvent se limiter à la mise en œuvre des circuits courts. Certes, il faut développer ces derniers, mais il faut également travailler sur le dossier de la restauration collective, car les questions de fond se posent aussi au niveau structurel.
Quand seulement 57 % des agriculteurs ont confiance dans notre agriculture, c’est inquiétant.
Cela montre bien leur ras-le-bol. Pourtant, l’enjeu est très simple. Nous avons besoin, aujourd’hui, de travailler sur le renouvellement des générations. On ne peut continuer avec la politique d’installation actuelle. Il faut imaginer des prêts sur une plus longue durée, mais aussi travailler sur le dossier de l’emploi et sur la fiscalité.
Je terminerai, mes chers collègues, en rappelant le titre du rapport de Michel Raison et de Claude Haut : La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier ? Monsieur le ministre, vous avez rendez-vous avec l’Histoire. En tant que ministre de l’agriculture, mais aussi porte-parole du Gouvernement, vous avez une grande responsabilité : il vous faut imaginer une France qui a de l’ambition pour son agriculture et qui fait confiance aux hommes et aux femmes travaillant sur l’ensemble de ses territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord me féliciter de ce débat.
Au-delà même des questions de fond qui ont été soulevées – auxquelles je vais bien entendu répondre –, avouez tout de même que, compte tenu de la crise dans laquelle nous nous trouvons et que vivent avant tout les éleveurs, nous essayons d’apporter des réponses à la fois conjoncturelles et structurelles, en prenant des mesures sur les allégements de charges, en mobilisant 350 millions d’euros par an et en créant ainsi un effet de levier de 1 milliard d’euros sur les 3 milliards d’euros investis au total pour les trois ans qui viennent !
Je souhaiterais répondre à plusieurs interventions.
Monsieur Gremillet, vous avez évoqué l’accord sur le lait. Oui, il concernait entre 25 % et 30 % du volume de la collecte laitière.
Cependant, je tiens à vous le dire : je parviens à de tels accords en négociant !
Si le Gouvernement a négocié un tel accord, c’est parce que, à la demande de la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL, il visait de manière spécifique tous les produits sous marque de distributeur, ou MDD, notamment les crèmes fraîches, les yaourts nature et le lait de consommation. Il s’agissait aussi de déterminer si les industriels possédant de grandes marques – je ne les citerai pas – devaient relever leurs prix, une mesure qui, par définition, n’allait vraiment pas de soi pour eux.
Monsieur Gremillet, j’ai étudié les chiffres depuis le début de l’année : certaines grandes entreprises et grandes laiteries ont réalisé des bénéfices ! En réalité, ceux qui n’en font pas, aujourd’hui, ce sont les producteurs.
Certes, notre discussion n’a porté que sur 30 % de la collecte. Néanmoins, contrairement à ce que vous affirmez, c’est parce que nous le souhaitions ! Je vous renvoie aux discussions qui ont eu lieu avec les professionnels du secteur. Pour ma part, je n’invente pas ces stratégies, je les construis et les négocie.
Lorsque nous avons abordé l’autre partie de la discussion, en particulier la question de ce qui est collecté et porte sur des marques, il y a bien eu négociation. C’est à cette occasion que, le 1er octobre dernier, j’ai indiqué aux industriels qu’ils devaient faire un effort en direction des producteurs, car on ne peut pas tout demander à la grande distribution.
Si l’on veut surmonter la crise actuelle, il faut que tout le monde s’y mette. C’est vrai, par exemple, pour l’application des allégements de charge, notamment pendant l’année blanche, puisque les banques doivent faire un effort à ce titre. En effet, c’est la capacité des banques à pérenniser les activités des éleveurs et à assurer le futur remboursement d’un certain nombre de prêts qu’elles ont pu consentir qui est en jeu. Chacun doit donc faire des efforts ! Sur la question laitière, les négociations ont donc bien eu lieu avec les professionnels.
Monsieur Gremillet, vous avez également évoqué les organisations de producteurs, les OP, et la logique contractuelle que la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, la LMAP, a mis en place.
Il est vrai que, aux termes de la LMAP, la sortie des quotas devait aboutir à un système de contractualisation. Toutefois, lors des débats sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt – c’est ce texte qui a soutenu et conforté les organisations de producteurs –, il a bien été question de contrats, mais pas au niveau des OP.
Dans cette loi d’avenir, que certains d’entre vous – pas tous – ont voté, figurait la possibilité pour les organisations de producteurs de saisir un tribunal si les prix ou les modalités de la collecte n’étaient pas respectés. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez conscients que cette disposition a des incidences : auparavant, rien de tout cela n’existait ! Je salue donc tous ceux qui ont voté en faveur de cette loi.
Nous avons renforcé le rôle des OP, et ce n’est pas fini. Vous avez raison de dire qu’il va falloir franchir une étape en matière de contractualisation laitière, monsieur le sénateur. On le fera parce qu’on aura proposé de nouvelles formes de contractualisation pour les filières porcine et bovine.
Vous me dites également de faire attention à la grande distribution, que j’ai en effet souhaité faire entrer dans la négociation menée dans le cadre de contrats tripartites. J’en profite pour le dire au passage : c’est la loi de modernisation de l’économie, la LME, que vous avez votée, qui le permet ! C’est une loi sur laquelle on pourrait revenir, et j’attends d’ailleurs vos propositions, monsieur le président du Sénat, sur ce sujet.
Cette loi permet d’intégrer les critères de rémunération du producteur dans une négociation entre un grand distributeur et un industriel. Aussi, pourquoi s’en priver ? Serait-ce une bonne chose ? Non, trois fois non !
Par ailleurs, oui, j’ai bien demandé que l’on intègre la grande distribution dans l’interprofession laitière. Parce que les deux négociations distinctes, entre les industriels et les producteurs d’une part, entre les industriels et la grande distribution d’autre part, avec des producteurs qui ne sont jamais au courant du contenu réel de la seconde négociation, cela ne peut plus durer !
Si l’on veut stabiliser notre marché, si l’on veut, en particulier, se donner les moyens de favoriser l’origine française des productions, évoquée tout à l’heure par le sénateur non inscrit, cela passe par des accords de valorisation de cette production.
Le label « Viande de France », je n’ai pas attendu des propos de tribune pour le mettre en œuvre ! Pour la première fois, depuis février 2014, nous avons mis en place, de manière volontaire, une traçabilité sur l’origine de la viande et même dans les produits transformés.
Aujourd’hui, en Bretagne, certains me demandent de prendre un décret pour rendre ce label obligatoire, les mêmes d’ailleurs qui, coopératives ou industriels, ne l’appliquent toujours pas de manière volontaire. C’est toujours facile de venir voir le ministre ! Mais encore faut-il que chacun assume sa part de responsabilité !
Vous prétendez, monsieur, qu’il n’y a plus besoin d’Europe, plus besoin de PAC !
Mais avant de faire cela, sachez tout de même que la France agricole et agroalimentaire est en tête sur les marchés mondiaux. Et si nous avons ainsi la première industrie mondiale, c’est parce que nous exportons !
Le jour où vous prétendrez que la fermeture des frontières permettra de redresser notre agriculture, vous verrez débarquer les mêmes que ceux qui sont venus me voir pour d’autres raisons… Et ils vous diront : Ne faites surtout pas cela, vous ne vous rendez pas compte que nous sommes aujourd’hui une puissance agricole parce que nous exportons !
D’ailleurs, la plupart de vos interventions disaient en substance : nous avons besoin d’exporter, mais nous devrions nous extraire des règles européennes afin de mettre en œuvre des stratégies différentes. Croyez-vous réellement que l’on puisse réussir de cette manière ?
Au moins, les propos de M. Bizet ont le mérite de la cohérence. Il a rappelé à M. Le Scouarnec que les quotas, c’était fini. Je suis obligé de faire le constat avec vous, monsieur Bizet. Mais ensuite, quelle conclusion en tirez-vous ?
J’ai en tête l’exemple d’un groupement d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui s’est mis en place dans le Gers, permettant de réunir trente-cinq exploitations, soit 5 000 hectares. Mais, derrière ce regroupement, il y a aussi trente-cinq agriculteurs. La stratégie collective ne remet pas en cause notre volonté de conserver des agriculteurs, des éleveurs et des exploitants, mais elle permet dans le même temps d’enclencher des dynamiques de groupe. Au fond, sur le point qui consiste à ne pas refuser de regroupements, nous n’avons pas de divergence, monsieur Bizet, au contraire ! Je vous invite toutefois à être objectif et à accomplir le saut culturel nécessaire. Les regroupements, ce ne sont pas seulement de grands bâtiments, ce sont aussi des dynamiques collectives. Si j’annonçais que des exploitations de 5 000 hectares allaient se créer en France, vous diriez que le ministre a perdu la tête. Mais je vous rassure, il sait très bien où il va !
D’ici à la fin de l’année, le rapport « Agriculture – innovation 2025 » sera remis. Nous devons être capables d’innover dans le domaine technique, scientifique, mais aussi social. Car la condition de l’acceptation et de l’appropriation de l’évolution technique et de l’innovation réside aussi dans la dimension sociale de l’organisation collective.
L’autonomie fourragère constitue l’un des enjeux de demain, car la compétitivité de la France passera aussi par sa capacité à avoir un coût des aliments plus bas qu’ailleurs. Réfléchissez, monsieur Bizet, et, surtout, ne vous bloquez pas culturellement !
L’autonomie fourragère permettra d’assurer la compétitivité de l’élevage français de demain. Les Danois, les Néerlandais, et même les Allemands sont obligés d’importer des protéines végétales sur le marché mondial. J’attends le jour où les prix de ces protéines végétales vont augmenter. C’est d’ailleurs déjà le cas ! Nous avons donc un avantage compétitif, mais encore faut-il l’organiser.
Sur le problème de la taille, il s’agit simplement de savoir comment nous devons nous y prendre. Je veux garder des agriculteurs, mais que n’ai-je entendu quand nous avons fait le choix des groupements agricoles d’exploitation en commun, ou GAEC !
Monsieur Gremillet, nous nous accordons pour dire qu’il sera nécessaire, demain, de réaliser des investissements et d’avoir des exploitations agricoles fortement capitalisées. Mais comment fait-on pour renouveler ce capital s’il est tellement important que plus personne n’a les moyens d’investir, en particulier les jeunes agriculteurs ? La seule voie pour réussir à garder des agriculteurs tout en ayant des tailles d’exploitations économiquement viables à l’échelle de l’Europe et du monde, c’est de mettre en place des organisations collectives permettant de séparer la part du capital revenant à chacun tout en lui assurant un renouvellement régulier, avec l’installation de jeunes agriculteurs.
C’est exactement le sens de la ligne que j’ai choisie, au niveau européen comme dans la loi d’avenir. C’est en effet le cœur du sujet, mais ne dites pas que je n’y ai pas pensé avant. Au contraire, nous en avons débattu et c’est en train de voir le jour.
Je ne suis pas satisfait pour autant, car la crise, une crise de marché, est bien là. Elle a d’ailleurs été très bien décrite, en particulier pour le lait, avec un marché chinois qui n’a pas été à la hauteur des anticipations faites par les acteurs économiques.
Je voudrais également répondre à M. Bailly sur la question des aides versées en Espagne. Les éleveurs espagnols ont demandé que la ministre espagnole prenne les mêmes mesures que celles que nous avons prises en France, réclamant des avancées sur la revalorisation des prix et la négociation. Vous parlez de 300 euros par exploitation, pour des exploitations de 10 à 25 vaches en Galice. Faites le calcul ! Nous donnons bien plus, et heureusement, en soutien au plan d’élevage. Je n’ai jamais dit que baisser les charges posait un problème, et je n’ai jamais prétendu qu’il était impossible de verser des aides. Elles sont absolument nécessaires, et nous allons les verser. Pourquoi avons-nous toujours l’impression, en France, de ne pas mieux faire qu’ailleurs ? En l’occurrence, nous faisons mieux qu’ailleurs, et j’en veux pour preuve que nous avons été amplement copiés. Beaucoup de pays, dont l’Allemagne, sont d’ailleurs venus me voir pour me demander comment fonctionnait le système de la médiation. Je leur ai répondu que l’on en discuterait si l’on se mettait d’accord sur l’augmentation du prix d’intervention. Finalement, nous n’avons discuté ni du prix d’intervention ni de la médiation, mais cela viendra sans doute le jour où l’on aura surmonté cette crise.
Sur la question des normes, seul M. Dubois a été précis, lorsqu’il a évoqué notamment celles qui sont relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, sur les veaux de boucherie et les vaches laitières. Nous avons vérifié : ces normes ont été adoptées en 2011, à la satisfaction d’ailleurs de la FNSEA s’agissant des vaches laitières. Nous appliquons donc des règles que vous avez vous-mêmes fixées, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité.
M. Yannick Botrel opine. – M. Jean-Yves Roux sourit.
De notre côté, nous avons fait en sorte d’assouplir les procédures d’enregistrement relatives aux IPCE sur le porc, et nous allons également le faire, comme je l’ai annoncé mais vous n’avez pas écouté, pour la volaille, puis nous poursuivons pour les vaches laitières, revenant ainsi sur ce que vous aviez décidé – je reconnais toutefois que les normes arrêtées en 2011 représentaient déjà une amélioration par rapport à la situation antérieure. Nous progressons donc, mais il est faux de prétendre que l’on aurait « surtransposé » depuis 2012.
La fièvre catarrhale ovine, ou FCO, vient ajouter une difficulté sanitaire au tableau. Pour les sérotypes auxquels nous sommes confrontés, les vaccins n’existaient presque plus. Nous en avons commandé plus de 3 millions et nous pouvons aujourd’hui vacciner quelque 900 000 bêtes – nous en exportons 600 000 à 700 000.
Ce n’est pas un problème de réactivité. Lorsque nous avons pris connaissance des cas, nous sommes, dès la semaine suivante, partis à la recherche des doses. Nous avons déjà passé un contrat afin de pouvoir les produire. En effet, pour ce genre de virus, chaque vaccin doit être produit, puisque personne ne réalise de stocks dans l’attente d’un éventuel problème. La relance des contrats de production prend du temps, et je n’ignore pas que c’est autant de temps perdu pour les éleveurs.
De plus, quand on a découvert ces cas de FCO, nous avons été obligés de renégocier les contrats sanitaires avec les pays qui importaient les animaux vivants. Cela se passe bien avec l’Espagne, mais l’accord est plus difficile à trouver avec l’Italie. Nous avons également rencontré l’ambassadeur de Turquie en France afin d’engager des négociations. Nos acheteurs doivent avoir confiance en nos productions et c’est pourquoi j’ai toujours recherché la transparence, sans nier les difficultés.
Pour le ministre qui accueillait, aux quatre jours du Mans, le concours national charolais, apprendre la veille qu’il y avait un cas de FCO, ce n’était pas agréable, croyez-moi ! Et j’ai vu la détresse dans les yeux des éleveurs, comme s’ils se disaient : « Décidément, cela ne va jamais s’arrêter ! » Pourtant, face à une difficulté de cet ordre, il faut apporter des réponses avec célérité et transparence. En effet, pour pouvoir continuer à exporter, les acheteurs doivent avoir confiance : il ne faut donc rien leur cacher et essayer de trouver des solutions.
Nous avons aussi engagé des discussions avec l’Europe pour obtenir que la réglementation sur la FCO, et d’autres maladies du même ordre, soit légèrement assouplie. La maladie est peu contagieuse et, même si l’on observe une mortalité, en particulier chez les ovins, la maladie n’a aucune conséquence sur la qualité de la viande pour le consommateur.
Je poursuivrai donc mes efforts pour tenter de dégager quelques marges supplémentaires à l’échelle européenne. Et, justement parce que nous avons joué la transparence, l’Europe est prête à discuter.
Sur le fond, on constate que le débat est souvent posé de la même manière : je ne reviendrai pas sur le problème de la compétitivité, mais je n’ai pas peur d’aborder cette question.
La semaine prochaine, nous présenterons le plan « Innovation 2025 ». Dans la foulée, nous organiserons un grand colloque sur l’innovation technique, scientifique, agro-écologique, génétique, économique, mais aussi dans le domaine du machinisme agricole. Nous avons besoin d’une stratégie globale, en effet. Nous rassemblerons les conclusions en neuf grands points, seize ou dix-sept grands objectifs et donnerons à lire ces pistes pour l’avenir de l’agriculture à l’ensemble des agriculteurs.
Malgré la crise, malgré le doute qui peut s’installer, malgré les difficultés, la responsabilité du politique est de se projeter, pour essayer de donner un sens et un avenir à l’agriculture. Ce que je souhaite le plus ardemment, dans ce moment difficile, c’est que l’on puisse, comme l’a dit Didier Guillaume, trouver les voies et moyens de redresser la barre et d’offrir un avenir à notre agriculture. Elle est la première d’Europe et elle doit le rester ! C’est une fierté, ainsi qu’un enjeu économique, social et territorial, qui mérite que l’on se mobilise.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec et Joël Labbé applaudissent également.
Nous en avons terminé avec le débat sur la situation et l’avenir de l’agriculture.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-et-une heures cinquante, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.