… avait bouleversé les producteurs de lait et de viande. Quelles conséquences en a-t-on tirées ? Six ans plus tard, cette même filière est de nouveau touchée. Il est donc temps d’admettre que cette crise est non pas seulement conjoncturelle, mais aussi structurelle. Il importe de se poser les bonnes questions, avec courage et détermination.
Sans jouer la provocation, il faut s’interroger sur l’organisation de la filière, sur le fonctionnement de nos exploitations, sur la guerre des prix à laquelle se livrent les transformateurs et les grandes surfaces, asphyxiant ainsi les producteurs, sur les organisations professionnelles qui ne cessent de prôner le libéralisme tout en demandant toujours plus de protection de l’État.
Pour être très clair, je regrette la position de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, notamment, qui alterne entre le libéralisme à tous crins pour conquérir des marchés à l’export et un protectionnisme supposé justifier la négociation d’un prix minimum. Je dois l’avouer, j’ai du mal à comprendre comment on peut vouloir vendre à l’export tout en exigeant un prix au kilo sur le marché national… C’est contradictoire.
La nécessité pour notre agriculture aujourd’hui, c’est de faire un constat partagé et d’établir une stratégie à long terme.
Il faut engager une restructuration profonde de notre modèle pour permettre à toutes les formes d’agriculture – grande, moyenne, petite – de trouver leur place. On ne peut raisonnablement penser que l’on va toujours vendre moins cher : cela ne correspond pas à l’image de la France et, à ce jeu-là, nous trouverons toujours une concurrence déloyale sur notre chemin. Optons plutôt pour des signes de qualité.
La mutation vers l’agroécologie choisie par le Gouvernement constitue ainsi une voie à suivre. Elle revêt de nombreuses formes : la biodiversité, l’agriculture raisonnée – j’aime souvent parler d’« agriculture raisonnable » –, l’agriculture bio, les circuits courts, qui transmettent une image positive et des valeurs aux consommateurs.
Lors d’une réunion organisée récemment par le préfet de l’Hérault, les filières et les collectivités territoriales ont constaté combien il est compliqué d’organiser, par exemple, un approvisionnement local pour la restauration collective. Je veux cependant citer en exemple les démarches engagées par l’association Agrilocal, que vous avez citée, monsieur le ministre. Toutefois, il faut simplifier la réglementation des marchés publics.
En effet, n’est-il pas choquant de constater que quelque 80 % de la viande servie dans la restauration hors domicile sont importés ? Comme l’a rappelé Interbev, l’interprofession bétail et viande, la restauration collective draine près de 300 000 tonnes sur 1, 5 million de tonnes de viandes consommées en France. Il y a là un chantier important à développer.
Pour réussir cette agriculture durable, définie dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, il va falloir accepter de travailler ensemble, sans œillères ni partis pris.
Comme vous, monsieur le ministre, je pense que la solution n’émergera que d’un consensus trouvé de manière collective par filière à tous les niveaux de la chaîne. Néanmoins, ceux qui doivent mouiller la chemise, si je puis dire, ce sont les agriculteurs eux-mêmes et, surtout, leurs responsables professionnels, avec, bien sûr, l’aide de l’État.
Contrairement à certains agriculteurs qui estiment que notre agriculture française a été sacrifiée sur l’autel de l’Europe, je veux espérer.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la semaine dernière l’exemple des vins du Languedoc devant les députés. La transition exemplaire de la viticulture du Languedoc avait également été abordée lors de la réunion organisée, en juillet dernier, par le président Gérard Larcher au Sénat.
À cet égard, je souhaite, moi aussi, témoigner, car je crois en l’avenir de notre agriculture, comme j’ai cru, en tant qu’acteur, en l’avenir de la viticulture du Languedoc. La mutation fondamentale et réussie qu’a connue notre filière doit donner espoir à la filière de l’élevage.
Jusqu’en 1976, avec 30 millions d’hectolitres, les vins de la région du Languedoc-Roussillon représentaient quelque 45 % de la production française. J’avais vingt et un ans en 1980, quand la crise de la viticulture, qui a touché de front notre région, s’est amplifiée. Je venais de reprendre l’exploitation familiale. Il a fallu faire un constat. Il a fallu faire des choix. Il a fallu décider. Il a fallu composer. Il a fallu faire preuve de courage en arrachant définitivement des vignes et en perdant ainsi un certain potentiel. Il a fallu se diversifier, face aux doutes et à l’incompréhension de nombreux vignerons. Et il a fallu, pour certains, tout arrêter.
Les viticulteurs de notre région ont fait face à trois défis : la baisse de la consommation, qui est passée de 165 litres par an et par personne en 1965 à 75 litres en 1996, puis à 44 litres aujourd'hui ; une extension de la concurrence européenne, avec la libre circulation des vins italiens et espagnols, qui étaient moins chers ; enfin, l’arrivée des vins du Nouveau Monde, avec la diffusion internationale des cépages.
Ces trois défis ont eu pour conséquence un véritable séisme sur les prix, avec une chute qui n’est pas sans rappeler certaines courbes contemporaines, surtout après la suppression des systèmes de régulation voulue par cette Europe libérale.
La réponse s’est incarnée dans la création des vins de pays d’oc, symbole du virage vers la recherche de davantage de qualité, avec, notamment, un réencépagement de grande ampleur, puis dans celle de l’IGP « Pays d’oc » en 2009. Cette indication géographique protégée représente la reconnaissance d’un savoir-faire lié à un territoire, une constante qualitative, une typicité aromatique et des contrôles rigoureux.
En quelques années, c’est une véritable révolution qui s’est opérée au travers d’un véritable changement de modèle économique : la diminution du poids de la viticulture avec un développement des services et du tourisme.
Aujourd’hui, les volumes ne sont plus de la même ampleur : la production représentera 13 millions d’hectolitres environ en 2015, ce qui correspond à une diminution de 60 % des volumes et implique la disparition d’un grand nombre de viticulteurs. Des terres ont été sacrifiées, des familles ont fait le choix d’abandonner. En effet, on ne décide pas de réorganiser des filières, de les restructurer, sans en accepter le prix. Il faut le savoir dès le départ, pour anticiper les conséquences humaines.
Il faut du courage et, surtout, une stratégie commune pour ne laisser tomber personne et pour accompagner les mutations. Toutefois, le parti pris de la qualité, de l’identification, de la labellisation paye toujours. Nos vins ont changé d’image : ils sont reconnus. C’est tout un art de vivre qui s’exporte, ce qui permet à nos vignerons de diversifier leur activité grâce à l’écotourisme. C’est certainement un exemple à suivre.
En juillet dernier, le Gouvernement a mis en place un plan exceptionnel de soutien. De nombreuses dispositions ont ainsi été adoptées pour apporter un soutien financier et fiscal à l’ensemble des éleveurs français : allégement de trésorerie, restructuration des dettes, remboursement accéléré de la TVA, mobilisation du Fonds d’allégement des charges et du Fonds national de gestion des risques en agriculture ou encore accompagnement des prêts auprès des banques.
Face à la persistance de la crise, et afin de satisfaire les attentes du monde agricole, le Premier ministre a présenté le 3 septembre dernier des mesures complémentaires à ce plan de soutien. Ces dernières portent à 3 milliards d’euros en trois ans les aides qui pourront être investies dans l’agriculture et l’élevage français.
Toutefois, au-delà de ces mesures, il y a des engagements à tenir pour ne pas cumuler les charges des entreprises et des exploitations.
Depuis 2012, il n’y a pas eu de normes de surtransposition des directives européennes. Dans le plan annoncé par le Premier ministre, il y aura un point d’étape avec la profession en 2016 pour connaître les normes à supprimer, en vue d’une meilleure compétitivité.
J’en suis convaincu, mes chers collègues, notre agriculture, dans sa globalité, doit opérer une mutation semblable à celle de la viticulture languedocienne. Cela se fera grâce à l’action de l’État, dans l’urgence, mais aussi au travers de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Toutefois, cette action ne pourra être entreprise qu’avec les filières concernées et les responsables professionnels. Ces dernières doivent s’emparer de la coconstruction de leur avenir. C’est de leur responsabilité, car on ne peut tout attendre de l’État. Je suis sûr que nous pouvons faire confiance à nos agriculteurs pour trouver des solutions.
L’agriculture, la France y croit ! Et le sénateur paysan que je suis veut garder ses rêves d’une agriculture fière des défis qu’elle a relevés, des mutations qu’elle a réussies, pour que nous puissions conserver l’image d’une agriculture humaine, d’une agriculture forte, d’une agriculture de qualité et, donc, d’une agriculture durable.