Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 6 octobre 2015 à 21h45
Droit des étrangers en france — Discussion générale

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

… parfois délétère, qui nuit à la qualité des débats et contribue à faire monter la peur de l’autre dans notre pays. Et c’est pour cela que, sur ce texte, nous vous soutenons sans ambiguïté.

« Étrangement, l’étranger nous habite. [...] De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même », écrivait Julia Kristeva. L’altérité nous met face à nous-mêmes et à nos responsabilités.

Sur un sujet aussi sensible, nous aurions ainsi souhaité que cette question ne soit pas une nouvelle fois une variable électoraliste, mais qu’au contraire soit élaboré un cadre législatif consensuel, réaliste et donc plus stable, en ce qu’il serait le fruit d’une concertation entre les différentes sensibilités politiques.

Nous savons que nous pouvons nous entendre sur les principes les plus essentiels de l’accueil des étrangers en France. Il suffit pour cela de ne pas céder aux sirènes des extrêmes, qu’elles soient sécuritaires ou angélistes. Tant que ce sujet sera traité sans le recul nécessaire, en réaction à l’actualité la plus immédiate, la plus médiatique et la plus populiste, nous n’avancerons pas. Par ce jeu malsain, nous prenons le risque de devenir étrangers à nous-mêmes, à nos valeurs républicaines d’ouverture et de tolérance.

Or que souhaitent nos concitoyens ? Nous le savons pertinemment : ils veulent une politique qui allie l’accueil des étrangers en situation régulière et la fermeté à l’égard de l’immigration irrégulière. Cette dernière constitue un facteur de déstabilisation de notre société en ce qu’elle alimente un fort sentiment de défiance à l’égard des pouvoirs publics et d’impuissance de leur part. La loi doit donc en la matière être plus simple et plus stable, pour être effectivement appliquée. Pour cela, des moyens humains et financiers doivent être mis en place.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’on peut accueillir tout le monde et à n’importe quelle condition. Nous sommes profondément attachés à la tradition d’ouverture et d’accueil à l’étranger et son étrangeté, qui n’est pas toujours inquiétante – loin de là ! et qui a construit notre nation dans l’histoire.

Notre position pourrait se résumer ainsi : le syncrétisme d’individus d’origines et de cultures diverses dans le creuset républicain que nous ne confondons pas avec la dissolution de la nation dans le communautarisme ; le devoir d’intégration qui oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale, dans sa capacité à respecter les différences ; et bien sûr, par-dessus, tout le respect intangible des droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par la dignité.

Le projet de loi répond à ces principes, en ce qu’il met en œuvre une simplification appréciable du droit des étrangers et renforce, dans le même temps, les moyens légaux d’expulsion des personnes en situation irrégulière.

La création de la carte pluriannuelle, dont la délivrance advient après un premier titre de séjour, remplit cet équilibre. L’accueil des étudiants étrangers notamment, talents et potentiels entrepreneurs futurs, est ainsi rendu plus aisé. Il s’agit d’une manne importante que d’autres pays savent mieux que nous exploiter ! Cette avancée importante était attendue, après la confusion induite par les circulaires ministérielles dites « Guéant », qui avaient inopportunément durci les critères de délivrance d’un titre de séjour aux diplômés hors Union européenne.

Le principe de la priorité de l’assignation à résidence, l’encadrement du placement en rétention d’étrangers accompagnés d’un enfant mineur de moins de 13 ans et l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention constituent aussi, à ce titre, des progrès majeurs. Ces dispositions s’inscrivent dans la lignée du rapport de nos deux collègues Éliane Assassi et François-Noël Buffet, qui, il y a quelques mois, constataient le manque d’humanité du fonctionnement de tels lieux et préconisaient, dans leur proposition n° 10, de ne permettre la rétention qu’en cas d’échec d’une mesure coercitive préalable.

Cela me conduit à faire deux constats.

Le premier est le suivant : si la simplification proposée dans le projet de loi est réelle sur certains points, nous considérons que le texte aurait pu aller plus loin sur d’autres. Rien n’est dit par exemple du traitement des mineurs étrangers, notamment des mineurs isolés. De même, le sort des victimes étrangères de la traite humaine est ignoré. Il aurait été souhaitable que le projet de loi aille au bout de la simplification suggérée par différents rapports, ainsi que par le Défenseur des droits, en prévoyant notamment le rétablissement de la délivrance de plein droit de la carte de résident après quelques années de mariage, mais aussi la délivrance automatique d’une carte de résident de 10 ans sur demande de l’étranger à l’expiration de la carte pluriannuelle, ou encore en fusionnant plus complètement les différents titres de séjour, afin de ne pas créer un trop-plein de dérogations au principe.

Nous proposerons des amendements en ce sens, ainsi qu’une limitation du droit de communication tentaculaire de l’administration prévu à l’article 25.

A contrario, et cela n’étonnera personne, nous sommes opposés à la logique qui a été suivie par la commission des lois du Sénat sur plusieurs points. Nous sommes en particulier hostiles à la création d’une peine d’emprisonnement du fait du maintien irrégulier sur le territoire. Compte tenu de l’encombrement de nos prisons, il nous semble qu’il s’agit là d’une mesure d’affichage. Il faut plutôt privilégier la lutte contre l’immigration illégale.

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