Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 21h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • d’asile
  • frontière
  • l’immigration
  • l’immigration irrégulière
  • migratoire
  • reconduite
  • séjour

La séance

Source

La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, lors du scrutin n° 3 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la santé, j’ai été inscrite comme ayant voté pour, alors que je souhaitais m’abstenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le ministre, le 16 septembre au soir, lors du débat en séance sur la question des réfugiés, après que j’avais évoqué le retard pris par l’exécutif pour faire face à cette crise humanitaire majeure, à court d’arguments, vous n’avez trouvé rien de mieux que de chercher à m’humilier publiquement.

Vous m’avez réduite à une marionnette télévisuelle, courant frénétiquement les plateaux, y débitant des inexactitudes, voire des mensonges, histoire de faire avancer mon petit plan de communication personnel. Vous m’avez reproché de théoriser dans la presse, à longueur de colonnes, sur ce « Waterloo moral » qui vous gêne tant, oubliant que la formule est de Cécile Duflot, et pas de moi.

Ce n’est pas tout. Avec une grossièreté que je ne vous connaissais pas, vous avez achevé par ces mots : « Du reste, je pense même que, le soir, certains qui ne passent pas à la télévision après avoir fait de telles déclarations parlent aux caméras de surveillance de leur parking pour être sûrs de figurer sur un écran. »

Dois-je vous rappeler les propos tenus récemment par le directeur des études politiques du parti socialiste, l’historien Alain Bergougnioux ? Il déclarait : « Les problèmes qui se posaient en Méditerranée étaient suffisamment graves pour agiter les consciences. On aurait peut-être dû être plus actifs. » Comptez-vous, monsieur le ministre, le ridiculiser lui aussi ? J’en doute.

Avec une petite sénatrice écologiste, on pourrait donc tout se permettre. Je ne suis pas prête, voyez-vous, à renoncer à mon droit de critique. Et j’ai, comme chaque personne assise sur ces travées, le respect de mon métier de parlementaire. J’aurais seulement aimé qu’un éminent représentant de notre exécutif l’ait aussi, ce respect. C’est le seul moyen d’assurer un débat nécessaire à la démocratie elle-même.

Monsieur le ministre, vous avez, ce 16 septembre, proféré des paroles peu dignes de votre fonction et peu respectueuses de notre Haute Assemblée. Je pense humblement que cela justifie des excuses.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Madame la sénatrice, pendant des semaines, à ce banc, sur la question de l’immigration et sur d’autres, j’ai dû subir silencieusement des propos constamment réitérés qui étaient autant de contre-vérités. J’ai éprouvé, à un moment donné, le besoin de rétablir, après des semaines et des mois d’écoute de ces propos, une certaine forme de vérité.

Quand on est en politique, on peut en permanence mettre en cause l’action d’un gouvernement. Mais, puisque si souvent vous aviez proféré ces attaques avec des arguments que j’estimais ne pas être justes, j’ai considéré à un moment donné qu’il était de mon droit de vous répondre. Et si, quand on profère des attaques réitérées, un ministre à un moment donné éprouve le besoin de rétablir la vérité, c’est une insulte, alors il n’y a plus de place pour le débat démocratique.

Aussi longtemps que j’entendrai dans cet hémicycle des contre-vérités qui mettent gravement en cause et l’honneur et l’action du Gouvernement, j’estimerai qu’il est non seulement de mon droit, mais aussi de mon devoir d’y répondre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Madame Benbassa, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (projet n° 655 [2014–2015], texte de la commission n° 717 [2014–2015], rapport n° 716 [2014–2015], avis n° 2).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons ce soir d’un sujet qui a fait l’objet d’une discussion approfondie en commission des lois il y a quelques jours et qui vient consécutivement à un autre texte adopté par le Parlement, dont nous avons débattu en juillet dernier et qui était relatif à l’asile.

Le texte que nous examinons ce soir est relatif au droit des étrangers en France. Il s’agit, après que nous avons pris de nouvelles dispositions sur l’asile à propos desquelles je reviendrai dans quelques instants, de mettre en œuvre un ensemble de dispositions qui reposent sur trois principes simples : mieux accueillir ceux que nous avons vocation à accueillir en France et aussi mieux intégrer ces personnes ; accueillir davantage de talents, notamment dans nos universités et nos centres de recherche ; enfin, lutter résolument contre l’immigration irrégulière, car tout ce que nous faisons en matière d’amélioration de l’accueil et d’attractivité des talents n’est pas soutenable si nous ne procédons pas à la reconduite à la frontière de tous ceux qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire national parce qu’ils relèvent de l’immigration économique irrégulière.

Avant d’aborder le contenu du texte et de faire quelques remarques sur les modifications qui y ont été apportées à l’occasion des débats en commission des lois, je voudrais profiter de notre échange de ce soir pour revenir sur un certain nombre de propos, d’excès, d’outrances, d’amalgames, qui circulent sur la question migratoire en France et qui contribuent à convoquer davantage les instincts que la raison, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… sur un sujet qui mériterait qu’on convoque davantage la raison que les instincts. Ils consistent d’ailleurs à susciter des peurs qui ne se justifient pas, compte tenu de ce que sont les flux migratoires auxquels notre pays est confronté, et donnent parfois de l’action des pouvoirs publics, sur ces sujets compliqués qui appelleraient qu’on prenne le temps de l’analyse plutôt que de convoquer des idées simplificatrices, une image fausse.

Le premier point sur lequel je voudrais dire quelques mots, c’est sur la réalité des flux migratoires dans notre pays.

Est-ce que nous assistons, compte tenu de la crise migratoire à laquelle l’Union européenne est confrontée, à une augmentation sensible de la demande d’asile en France et à un déferlement sur le territoire français, y compris de ceux qui auraient vocation à y être accueillis et qui relèvent du statut de réfugié en France et en Europe ?

Lorsque je regarde l’évolution de la demande d’asile en 2014, je constate qu’elle a baissé de près de 2, 34 %. Lorsque je regarde l’évolution de la demande d’asile depuis le début de l’année 2015, alors qu’il y a une pression très forte qui s’exerce sur un certain nombre de pays de l’Union européenne – je renvoie notamment à la situation en Allemagne et en Autriche –, je constate qu’il n’y a pas d’augmentation de la demande d’asile en France.

La raison ne tient pas à ce que la France n’est pas disposée à accueillir ceux qui pourraient bénéficier du statut de réfugié sur son sol. Elle tient tout simplement au fait que, pour des raisons liées à la géographie, parfois à la démographie et à l’économie, les flux conduisent les migrants qui arrivent sur le territoire de l’Union européenne après avoir franchi ses frontières extérieures soit en Grèce, soit en Italie, à se diriger vers l’Allemagne ou vers la Grande-Bretagne. Les réseaux de passeurs, qui sont de véritables réseaux de traite des êtres humains, incitent ces migrants à aller vers ces pays, non sans avoir préalablement prélevé sur eux, notamment sur les plus vulnérables d’entre eux, des sommes absolument considérables. Ces sommes considérables ne les conduisent pas nécessairement vers la Grande-Bretagne ou vers l’Allemagne, mais parfois aussi vers la mort, comme en témoignent les milliers de personnes qui ont perdu la vie en Méditerranée centrale ou orientale depuis le début de l’année 2015. En 2014, ils étaient 3 000 à avoir ainsi perdu la vie.

Est-ce que l’immigration légale, c’est-à-dire des migrants auxquels des titres de séjour sont octroyés chaque année, explose ?

Ce n’est pas le cas. Lorsque l’on regarde ce qu’est l’immigration en France, on se rend compte que depuis des années, voire des décennies, le nombre de ceux qui bénéficient de titres de séjour n’excède pas en moyenne 200 000. Ils se répartissent de la manière suivante : 45 % d’entre eux, soit 90 000, relèvent de la politique familiale, dont 20 000 procèdent du regroupement familial. Ces 20 000 personnes représentent seulement 10 % du nombre de ceux que nous accueillons et auxquels est attribué un titre de séjour. Donc, penser que le cantonnement du regroupement familial, qui, je le répète, représente 10 % de ceux auxquels on attribue un titre de séjour, est la solution pour procéder à la maîtrise des flux migratoires est, compte tenu des proportions que je viens d’indiquer, tout simplement illusoire.

Sur les 200 000 titres de séjour délivrés chaque année, 65 000 le sont à des étudiants. Nous avons souhaité que ceux-ci puissent être accueillis dans nos universités et centres de recherche en procédant à une modification de la circulaire Guéant de 2011, qui avait considérablement contingenté le nombre d’étudiants étrangers accueillis dans nos universités. En même temps, cette circulaire avait envoyé un signal quant à l’image que la France entendait donner d’elle-même dans le monde, qui n’était conforme ni aux intérêts économiques de notre pays ni à son image historique.

Par conséquent, nous accueillons dans nos universités 65 000 étudiants étrangers, ingénieurs, chercheurs ou sociologues. Pour avoir rencontré ces étudiants, avec la ministre de l’éducation nationale et le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai pu constater qu’ils reconnaissaient la qualité de l’accueil qui leur est réservé. Ils sont une chance pour notre système éducatif et pour notre économie

M. Stéphane Ravier s’exclame.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Enfin, parmi les 200 000 titres que nous attribuons, 20 000 personnes bénéficient d’un titre de séjour pour des raisons de santé.

Le nombre des titres de séjour délivrés reste assez constant : on ne constate donc pas d’explosion de l’immigration légale en France, qui représente 0, 3 % de la population totale. Quant aux étrangers présents en France, ils représentent 6 % de la population totale : ce chiffre est exactement le même que celui qui était observé au début du XXe siècle et il est nettement inférieur au pourcentage de présence d’étrangers enregistré dans les autres pays de l’Union européenne.

Je souhaitais rappeler cette réalité statistique incontestable, car ces chiffres ne sont pas produits par un service du ministère de l’intérieur : ils sont élaborés par l’INSEE et communiqués annuellement en toute transparence. Ils infirment donc l’idée d’une vague de migrants arrivant sur le territoire français, contrairement à ce que certaines images convoquées, certains discours tenus ou certaines peurs suscitées pourraient laisser penser.

Ensuite, je tiens à insister sur le fait que la politique de la France s’est considérablement affermie à l’égard des migrants économiques en situation irrégulière qui ont décidé de s’installer sur notre territoire en pensant qu’ils pourraient y bénéficier d’une totale impunité et que rien ne leur imposerait de retourner dans leur pays en application du droit.

Je veux vous indiquer des chiffres extrêmement précis. En effet, si je ne conteste pas les chiffres figurant dans le rapport de votre commission, leur présentation me paraît biaisée et ne me semble pas de nature à rendre compte de la réalité.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Votre rapporteur englobe dans un même ensemble statistique les personnes ayant fait l’objet d’une reconduite forcée à la frontière extérieure de l’Union européenne – les véritables reconduites forcées – et celles – pour l’essentiel des Roumains et des Bulgares – qui ont bénéficié d’une prime de mille euros pour retourner dans leur pays d’origine, dans le cadre d’une politique fortement dispendieuse de l’argent public et dépourvue d’efficacité, puisque les intéressés revenaient sur le territoire national pour bénéficier une deuxième fois de la prime. Dans ce dernier cas, il ne s’agissait plus d’une politique de reconduite à la frontière, mais d’une dépense inutile et assez peu sérieuse de l’argent public. Nous avons supprimé cette prime, parce que nous considérons que les véritables reconduites à la frontière sont les reconduites forcées hors de l’Union européenne, qui exigent un véritable accompagnement de la part de l’administration.

Enfin, les statistiques présentées par votre rapporteur comportent une troisième catégorie de reconduites à la frontière, vraisemblablement les plus intéressantes à étudier, parce qu’elles correspondent le moins à de véritables reconduites : il s’agit de ce que l’on appelle les OQTF « flash ». Des migrants irréguliers qui décidaient de repartir d’eux-mêmes dans leur pays d’origine se voyaient remettre une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF, au moment de leur départ, ce qui permettait d’augmenter très significativement le volume des statistiques des reconduites à la frontière.

Ces chiffres ne correspondent donc absolument pas à la réalité de la politique d’un gouvernement qui a la volonté de lutter effectivement contre l’immigration irrégulière et de procéder à la reconduite forcée de ceux qui doivent l’être. De façon extrêmement précise, les reconduites forcées s’élevaient à 13 000 en 2009, il y a eu un point bas à 11 000 en 2011 et, à la fin de l’année 2015, ce nombre s’élèvera à 17 000. Nous avons donc augmenté en quelques années de près de 13 % le nombre des reconduites forcées à la frontière qui correspondent à des vraies reconduites.

Ces chiffres sont ceux de l’INSEE, ils ne sont pas contestables §et témoignent du caractère curieusement agrégé des chiffres qui, pour des raisons de communication politique que je comprends bien, figurent dans le rapport. Je demande donc que l’on sorte des statistiques les fausses reconduites et les OQTF « flash » et que l’on me dise ensuite si les chiffres que je viens d’indiquer sont vrais ou faux.

À cette remarque, M. le rapporteur me répond que nous donnons les mêmes chiffres, mais que nous ne les regardons pas du même point de vue. Il a raison : les chiffres qu’ils donnent existent bien, ils correspondent à la réalité que je viens de décrire, mais cette réalité ne correspond pas à ce que sont les véritables reconduites à la frontière.

La lutte contre l’immigration irrégulière se mesure également à l’aune du démantèlement des filières auquel nous procédons : ce chiffre a un certain sens et prouve la cohérence d’une politique. En 2014, le nombre de filières démantelées était supérieur de 25 % à celui de 2013. En 2015, ce nombre sera supérieur de 25 % à celui de 2014. En chiffres bruts, depuis le début de l’année 2015, nous avons démantelé 190 filières correspondant à 3 300 personnes interpellées, arrêtées ou reconduites à la frontière. Dans le même temps, l’Allemagne qui dit être confrontée à un flux de migrants de 800 000 personnes à 1, 2 million de personnes a démantelé des filières correspondant à un effectif de 1 800 personnes, c’est-à-dire la moitié de l’effort que nous avons fait nous-mêmes.

On peut donc continuer à aller de tribune en tribune, de micro en micro, d’émission en émission, pour dire que les reconduites à la frontière ont baissé et que l’effort de lutte contre l’immigration irrégulière n’est pas à la hauteur de l’enjeu. On peut le dire, mais cela ne correspond pas à la réalité. Je voulais donc profiter du débat qui nous rassemble pour rappeler la réalité des chiffres et de l’action du Gouvernement.

Nous sommes d’autant plus en situation de procéder à ces reconduites et de mener une politique de fermeté que nous avons recréé des postes dans les services chargés de cette politique. Je veux rappeler, parce que c’est une réalité assez difficilement contestable, que 13 000 postes ont été supprimés dans les services de police et de gendarmerie entre 2007 et 2012. De ce fait, 15 unités de forces mobiles ont été dissoutes, qui font aujourd’hui cruellement défaut. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a annoncé, à l’occasion du débat sur les migrations qui a eu lieu il y a plus de quinze jours dans cet hémicycle, la création de 900 postes pour reconstituer une partie de ces unités.

Par conséquent, si l’on devait mesurer l’action d’un gouvernement à l’aune des postes créés, des reconduites effectuées et des résultats obtenus dans la lutte contre l’immigration irrégulière, on pourrait difficilement contester que ce gouvernement a consenti des efforts très significatifs pour rééquilibrer notre politique migratoire. Voilà pour les faits et les chiffres.

Je voudrais maintenant insister sur les actes que nous avons déjà posés et les décisions que nous avons déjà prises. Je voudrais rappeler à l’ensemble des sénateurs – je n’ai pas besoin de le rappeler au rapporteur, puisqu’il a été l’excellent rapporteur de la loi sur l’asile et qu’il connaît parfaitement le sujet – que, au cours des dernières années précédant la mise en chantier de cette loi, le nombre des demandes d’asile en France avait considérablement augmenté. Les moyens consacrés à la politique de l’asile avaient, au mieux, été maintenus et même parfois diminués. Pendant le quinquennat précédent, alors que les demandes d’asile avaient plus que doublé, les effectifs de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, n’avaient augmenté que de 40 emplois. Pendant la même période, le nombre de places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, était de 2 500. À la fin du quinquennat en cours, nous aurons créé 18 500 places en CADA et près de 250 postes au sein de l’OFPRA.

Je ne vois pas comment nous pourrions « déstocker » les dossiers de demande d’asile et ramener leur durée de traitement de 24 mois à 9 mois, si nous ne faisions pas cet effort au sein de l’OFPRA, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et au sein des préfectures. Je ne vois pas non plus, si nous ne créions pas ces places en CADA, comment la France pourrait être au niveau des meilleurs standards de l’Union européenne en remplissant son devoir pour être en conformité avec l’esprit de la directive européenne. On ne peut pas être la France, avoir une tradition d’accueil des réfugiés, et considérer que le système antérieur était digne au point qu’il fallait continuer de ne rien faire !

Nous avons donc fait tous ces efforts et c’est la raison pour laquelle, madame Benbassa, il est faux de dire que nous avons attendu que le flux de réfugiés se présente pour réagir. Ce gouvernement a inscrit 18 500 places en CADA dans le budget : ce n’est pas rien ! §Ce gouvernement a décidé, à l’occasion du plan présenté en conseil des ministres au mois de juin dernier, de créer près de 11 000 places, en plus de celles créées en CADA, pour accueillir en urgence tous ceux qui ont vocation à être accueillis sur notre territoire : 5 000 places dans le logement de droit commun, 1 500 places en hébergement d’urgence, 4 000 places supplémentaires en ATSA – ou accueil temporaire service de l’asile. Toutes ces places ont été créées au cours des derniers exercices budgétaires, la loi a été discutée à l’Assemblée nationale et au Sénat à partir de l’hiver et a été adoptée au mois de juillet.

C’est pourquoi, lorsque j’entends dire que ce gouvernement aurait été passif sur ces questions et qu’il aurait attendu les photos les plus émouvantes et les flux migratoires les plus importants pour agir, je répète que ces appréciations ne correspondent absolument pas à la réalité de notre action. Le Gouvernement a rehaussé notre dispositif d’asile pour le mettre au niveau des meilleurs standards européens et c’est à son honneur…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Nous avons donné des éléments précis sur la réalité des flux migratoires. Nous avons également donné des éléments précis sur nos actes dans le cadre de la politique d’asile. Maintenant, nous traitons du droit au séjour des étrangers…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Non, monsieur Karoutchi. Vous conviendrez avec moi que ce commentaire est un peu facile !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

C’est précisément parce que la situation est extraordinairement compliquée que tous les pays européens s’y trouvent confrontés, que certains, qui pensent bien, se trouvent confrontés à des problèmes encore plus importants que les nôtres – je pense à l’Allemagne dont le gouvernement est en partie composé de chrétiens-démocrates…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… et connaît bien des difficultés de politique migratoire. Or nous n’avons pas à traiter le même flux et, en même temps, nous avons remis à niveau notre politique d’asile, dans un contexte extraordinairement difficile et complexe, qui conduirait n’importe quel gouvernement à faire des efforts pour affronter cette situation difficile.

Pour ces raisons, j’émets le vœu que, lorsque nous abordons cette question, nous fassions abstraction de la politique politicienne et lui accordions un traitement plus rigoureux, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… en convoquant les vrais chiffres et les vrais faits et en essayant de bâtir une politique qui tienne compte de la dimension humanitaire du drame auquel nous sommes confrontés. En effet, des enfants, des femmes, des familles meurent parce qu’ils sont persécutés dans leur pays ou parce qu’ils ont pris le chemin de l’exode : ils attendent des pays de l’Union européenne qu’ils se comportent conformément aux valeurs des pères fondateurs de l’Europe.

Je ne cherche pas à faire des commentaires à l’emporte-pièce sur de tels sujets : ils ne me font pas sourire, parce qu’ils sont graves et parce que j’en perçois la complexité. Alors que je sais la difficulté de la situation, j’essaie de mettre en œuvre des solutions qui, jusqu’à présent, n’ont pas été appliquées, de faire des efforts budgétaires qui, jusqu’à présent, n’ont pas été consentis et de faire adopter des dispositions législatives qui, jusqu’à présent, n’ont pas été discutées ni votées.

Le texte qui nous rassemble ce soir vise plusieurs objectifs.

Tout d’abord, mieux accueillir ceux qui doivent l’être et mieux les intégrer.

Mieux les accueillir, c’est la mise en place du titre pluriannuel de séjour. Chaque année, quelque 2, 8 millions d’étrangers passent en préfecture, pour 5 millions de passages au total, car ces personnes, qui bénéficient ou ont vocation à bénéficier d’un titre de séjour, sont appelées à se rendre plusieurs fois dans les préfectures.

Ces procédures sont non seulement très dispendieuses de l’argent public, car elles mobilisent nombre d’équivalents temps plein dans les préfectures, mais elles obèrent aussi la capacité de ces étrangers à s’intégrer dans la République, le temps passé en formalités n’étant pas consacré à l’apprentissage de la langue française ou à l’intégration par le travail.

Par conséquent, nous avons décidé d’instituer ce titre pluriannuel de séjour, qui permettra aux étrangers en France depuis au moins un an de bénéficier d’un titre de trois ou quatre 4 ans plutôt que d’avoir à faire plusieurs démarches chaque année, ce qui devrait leur permettre de pouvoir s’intégrer dans les meilleures conditions dans la société française.

J’ai lu dans le communiqué de la commission des lois rendant compte de ses travaux qu’elle avait décidé de supprimer ce titre pluriannuel. Fort heureusement, elle ne l’a pas fait, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et ce titre pluriannuel demeure dans le chapitre II du titre Ier du projet de loi. C’est pourquoi j’ai été étonné d’apprendre qu’il avait été supprimé. Peut-être était-ce un désir, mais il n’a pas été à son terme…

M. Michel Mercier sourit.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

En tout cas, vous avez eu raison de le maintenir, car il s’agit d’une excellente mesure, qui permettra de procéder à une simplification utile.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Nous avons aussi décidé de rehausser le niveau d’apprentissage de la langue. François Fillon, en 2003, lorsqu’il était ministre des affaires sociales, avait mis en place le contrat d’intégration, qui, à partir d’un certain niveau de langue, permettait aux étrangers de s’intégrer en France dès lors qu’ils bénéficiaient d’un titre de séjour. Nous avons choisi de relever l’exigence en la matière.

Nous avons également décidé de rehausser le niveau du contrat d’intégration, par des allocations de moyens supplémentaires au profit de l’OFII et par un dispositif de suivi de l’étranger beaucoup plus fin que celui qui existait jusqu’à présent.

Ensuite, si nous souhaitons mieux accueillir, nous souhaitons aussi accueillir les talents. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu la mise en place du « passeport talent », d’une durée de quatre ans, destiné aux chercheurs, intellectuels et artistes étrangers venant sur le territoire national. Nous avons aussi souhaité que les étudiants de niveau master ayant bénéficié de ce passeport voient leur accès à l’emploi facilité. En effet, il est plus utile pour la croissance de laisser des étudiants étrangers de très haut niveau créer des entreprises en France que de chercher à les faire partir au moment où ils peuvent capitaliser dans notre pays la formation dont ils ont bénéficié grâce à nos universités ou à nos centres de recherche.

Enfin, il convient de lutter contre l’immigration irrégulière. Sans revenir sur les chiffres de la lutte contre ce phénomène, je veux simplement rappeler trois dispositions du texte auxquelles nous tenons, car elles permettent d’être beaucoup plus efficaces en la matière.

La première mesure vise à obtenir une meilleure application de la directive Retour, qui n’est pas suffisamment appliquée en France. Nous en souhaitons une mise en œuvre systématique, c’est-à-dire que ceux qui ont été renvoyés vers leur pays d’origine ne doivent pas être en situation de pouvoir revenir en France pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois ans. Ainsi, les administrations préfectorales ne seront pas contraintes de reproduire les formalités de reconduite à la frontière, lesquelles sont extraordinairement lourdes, chaque fois que l’étranger revient.

Je pense que l’application de cette directive, souhaitée par l’Union européenne, est une excellente manière de maîtriser les flux migratoires. Je le répète avec gravité devant vous : il n’y aura aucune soutenabilité de ce que nous voulons faire pour l’accueil des réfugiés si nous ne sommes pas capables de maîtriser les flux et de lutter de façon extrêmement efficace et volontariste contre les filières de l’immigration irrégulière et contre l’immigration irrégulière.

La deuxième mesure vise, conformément à l’esprit du rapport d’information élaboré au Sénat par M. Buffet et Mme Assassi, à substituer, autant que faire se peut, l’assignation à résidence à la rétention. En effet, l’assignation doit être précisée en droit ; les conditions d’intervention des forces de l’ordre au moment de la reconduite à la frontière dans les lieux d’assignation à résidence doivent être précisées si l’on veut être efficace dans les reconduites à la frontière ; l’assignation à résidence est une manière beaucoup plus digne d’accompagner les familles qui doivent être reconduites vers la reconduite, par un dispositif d’accompagnement beaucoup plus individualisé et beaucoup plus efficace ; enfin, l’assignation à résidence permet aussi d’éviter, notamment pour les enfants, des conditions de rétention dont nous n’avons que trop dit qu’elles étaient, à nos yeux, inhumaines. Il s’agit d’un dispositif fort, à la fois sur le plan humanitaire et en termes d’efficacité pour les reconduites, et je souhaite, bien entendu, que le Sénat puisse le faire sien.

La troisième mesure est une clarification, dans le texte issu de l’Assemblée nationale, des compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de rétention et de reconduite à la frontière.

Dans le dispositif de 2011, ces deux autorités avaient une compétence commune sur des matières communes, l’un, à savoir le juge judiciaire, étant le juge de la proportionnalité de la rétention, l’autre étant le juge de la légalité de la rétention.

Nous avons décidé de clarifier les compétences, le juge judiciaire demeurant seul compétent sur la rétention, le juge administratif traitant seul de l’éloignement. Nous pensons que cette clarification était utile.

L’Assemblée nationale avait rétabli la possibilité pour le juge judiciaire d’intervenir dans les quarante-huit heures après que la rétention avait débuté. À l’issue de ce délai, nous avions souhaité que la rétention puisse se prolonger vingt-huit jours dans un premier temps, puis quinze jours, ce qui n’augmentait pas la durée totale, mais permettait, pour les éloignements les plus compliqués, au juge et à l’administration d’avoir les moyens de la reconduite dans de bonnes conditions.

Je ne peux que regretter que la commission des lois du Sénat soit revenue sur cette avancée importante, en recréant de la confusion dans les compétences et en revenant sur la durée de quarante-huit heures. En effet, c’est moins de nature à reconnaître les droits de la personne éloignée, qui peut difficilement concevoir que l’éloignement intervienne avant que le juge ne soit lui-même intervenu. De plus, les capacités d’éloignement s’en ressentiront, cette confusion entre les compétences des juges ayant donné des résultats assez peu efficaces au cours des dernières années. La clarification à laquelle nous avons procédé nous paraissait utile de ce point de vue.

Je voudrais terminer par deux sujets.

Le premier sujet concerne la présence de la presse dans les lieux de rétention. Le Gouvernement a souhaité la plus grande transparence sur les conditions dans lesquelles la rétention s’opère. À cet égard, nous regrettons que la presse, qui s’était vu reconnaître la possibilité d’accéder aux centres par une loi d’avril 2015 sur les prérogatives et les droits de la presse, se voie privée de cette possibilité.

À nos yeux, la présence de la presse, dès lors que nous sommes à un haut niveau d’exigence quant aux conditions de rétention, était une garantie de transparence permettant incontestablement d’assurer sérénité et efficacité dans le fonctionnement de l’administration. Il n’y a aucune raison que la France ait honte de ce qu’elle fait et, par conséquent, il n’y a aucune raison que la France dissimule ce qu’elle met en œuvre. Je ne vois aucune raison d’être dans cette opacité, qui remet en cause les droits de la presse et met en œuvre sur les centres de rétention des dispositions qui sont par trop restrictives.

Enfin, second sujet, j’évoquerai les étrangers malades.

C’est l’honneur de notre pays d’apporter protection à ceux qui ne peuvent pas être soignés chez eux, et pour être soigné chez soi, il ne suffit pas qu’un traitement existe, encore faut-il que le traitement soit accessible. §Monsieur Ravier, je comprends que ce n’est pas l’une de vos préoccupations premières, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … mais il y va de l’honneur de ce gouvernement d’être dans la préoccupation de voir tous ceux qui doivent bénéficier de protection soignés demain, et ce dans des conditions d’équité et dans des conditions qui garantissent le libre accès aux soins de tous ceux qui ont besoin d’être soignés.

M. Stéphane Ravier proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur Ravier, vous parlerez à votre tour !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, sur la base d’un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale de l’administration, a proposé que soit rétablie l’égalité d’accès aux soins grâce à un dispositif uniforme piloté par l’OFII, dont c’est une compétence déjà éprouvée.

Je comprends les craintes, relayées notamment en commission des lois par Éliane Assassi, qui s’est demandée si le fait que les médecins qui procéderont à ces soins soient plutôt dans l’orbite du ministère de l’intérieur ne les conduira pas à soigner moins bien. Madame la sénatrice, ils sont tous soumis au même serment et aux mêmes règles déontologiques, et soyez assurée que le ministère de l’intérieur a aussi une préoccupation d’humanité, qui nous mobilise sur de nombreux théâtres où sont des migrants en situation de vulnérabilité. Je souhaite vous convaincre de la sincérité de notre démarche.

En tout état de cause, le Parlement, compte tenu de ses pouvoirs d’investigation et de contrôle, n’aura aucune difficulté à vérifier l’adéquation, ou l’inadéquation, qui pourra apparaître, à terme, entre les objectifs que j’assigne à cette mesure et les résultats effectivement obtenus.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire. Je forme le vœu que, sur la question migratoire, le débat s’apaise, que l’on ne cherche pas à instrumentaliser ce sujet, douloureux pour des milliers d’hommes et de femmes, à des fins de politique intérieure, que l’on ne préempte pas ce sujet pour faire peur. Nous devons plutôt essayer de le traiter avec des dispositifs qui fonctionnent. Le souci opérationnel et humanitaire doit être la première de nos préoccupations.

J’essaierai de conduire ce débat avec cette seule et unique préoccupation : la rigueur dans les faits, la rigueur dans les chiffres, la rigueur dans les procédures, la rigueur dans la constitutionnalité et la conventionalité des mesures que nous proposons.

En effet, contrairement à ce qui s’est passé depuis près de trois décennies dans notre pays, la question migratoire, qui est suffisamment grave sur le plan humanitaire, ne devrait pas nous diviser. Elle devrait, comme les grands sujets de société et les grands sujets d’intérêt national, nous rassembler.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Claude Requier et Jacques Mézard applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Madame le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, j’entame ce débat avec un handicap : je n’ai que dix minutes de temps de parole. Je ne pourrai donc pas répondre dans le détail à tout ce que vient de dire M. le ministre. Cependant, la discussion des articles me permettra de défendre pied à pied la position de la commission des lois devant la Haute Assemblée.

Rappelons quand même que notre commission a été appelée à se prononcer sur un texte, adopté au mois de juillet dernier par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée le 19 juin 2015, alors même qu’il a été préparé en 2013. Il devait être initialement confondu avec le projet de loi réformant le droit d’asile, mais il en a été séparé. Nous l’avons regretté, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

M. François-Noël Buffet, rapporteur. En effet, si nous étions d’accord pour partager les objectifs de simplification de la procédure d’étude des demandes d’asile pour en réduire les délais, nous voulions aussi absolument régler le problème des déboutés, qui alimentent les effectifs des étrangers en situation irrégulière, mais le Gouvernement, à l’époque, a refusé de nous suivre.

M. Roger Karoutchi opine.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, pour tenir un discours de vérité et de rigueur. J’en prends l’engagement à cette tribune.

Le texte, à ce stade, essaie d’améliorer un peu la situation, mais il ne résoudra pas tous les problèmes, car il se contente de quelques réformes à la marge sur le nombre de titres de séjour. Cependant, il ne va pas au bout du problème majeur qu’est le traitement de l’immigration irrégulière, et donc de l’éloignement des étrangers se trouvant dans cette situation.

Peut-être faut-il rappeler que le droit des étrangers a fait l’objet d’une trentaine de réformes législatives depuis les années quatre-vingt, soit quasiment un texte par an.

Aussi, la démarche que je vous propose est d’abord de simplifier le texte issu de l’Assemblée nationale, de le rendre plus efficace s’agissant des dispositifs proposés et de maintenir les équilibres que nous avions trouvés dans le texte de 2011 relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

Puisque nous évoquons les statistiques, monsieur le ministre, je leur préfère – je le dis sincèrement – la réalité des chiffres produits par nos services, et singulièrement par les services de la police aux frontières.

Nous le savons, cette affaire d’immigration comporte, en réalité, trois grands blocs : d’abord, le bloc de l’asile, qui doit être traité efficacement afin de protéger au plus vite ceux qui le méritent ; ensuite, le bloc des réseaux mafieux, qui alimentent cette procédure d’asile et que nous devons combattre ; enfin, les déboutés du droit d’asile, que nous devons éloigner rapidement.

Sur l’immigration régulière, nous partageons les chiffres, monsieur le ministre : nous constatons vous et moi que, en 2014, sur 210 000 titres, 92 257, soit 43 %, ont été délivrés pour un motif familial.

Monsieur le ministre, puisque vous avez mentionné le regroupement familial, permettez-moi de rappeler la réalité des chiffres : ils s’élèvent à 16 280 et le pourcentage est très précisément de 17, 65 %.

Les documents produits au sein du rapport de la commission des lois puisent leur source, s’agissant des présents chiffres, dans la réponse ministérielle au questionnaire budgétaire « immigration » pour l’année 2013. Nous ne les avons pas inventés et vous les retrouverez dans l’ensemble des documents officiels !

Ce que je veux dire par là, c’est que l’immigration familiale représente la moitié de l’immigration régulière, tandis que l’immigration économique représente simplement 9 % des titres délivrés en 2014.

M. Philippe Kaltenbach s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Telle est la réalité de l’immigration régulière sur notre territoire, à laquelle il faut évidemment ajouter les 14 000 demandeurs d’asile qui ont obtenu le statut de réfugié en 2014.

Nous nous rejoignons sur les chiffres. Au demeurant, je ne conteste pas les vôtres. La seule nuance entre nous, c’est que vous livrez des statistiques alors que je cite les chiffres émanant de vos propres services.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

J’en viens à l’immigration irrégulière, à propos de laquelle une discussion sur l’éloignement est engagée, nous le savons tous.

Monsieur le ministre, je n’ai jamais dit à cette tribune – pas plus que n’importe où ailleurs ! – que le nombre d’éloignements avait diminué. J’ai simplement dit qu’il n’avait pas augmenté et qu’il était constant depuis plusieurs années. C’est la seule chose que j’ai dite !

Il faut savoir que le taux d’exécution de nos mesures d’éloignement est, en réalité, très faible. Il s’établit, en moyenne, à 15 % pour les ressortissants des pays tiers et à 50 % pour les pays de l’Union européenne.

Le tableau qui figure au rapport de la commission des lois prend sa source à la Direction centrale de la police aux frontières, la DCPAF, et à la Direction générale des étrangers en France, la DGEF. C’est un document tout à fait officiel, qui mentionne des chiffres eux-mêmes tout à fait officiels.

Ce qu’on y lit, ce n’est pas que vous avez fait moins bien que les autres. Simplement, on y lit que vous n’avez pas fait mieux §et que, depuis 2010 jusqu’à maintenant, le taux d’exécution des mesures d’éloignement prononcées est constant. En 2010, nous étions à 23, 3 %, toutes mesures d’éloignement confondues ; en 2011, ce chiffre s’établissait à 24, 4 % ; en 2012, il était de 29, 5 % ; en 2013, il était de 23, 4 % et en 2014, il était de 22, 3 %.

Comment interpréter ce tableau ? Je pense, pour ma part, que l’on n’éloigne pas suffisamment. Car l’immigration irrégulière est, quant à elle, très importante. Nous savons qu’elle est de l’ordre de 400 000 à 450 000 personnes. Elle est évidemment assez difficile à chiffrer avec précision. Toutefois, force est de constater que, depuis 2010, le nombre d’éloignements n’évolue pas – en tout cas, le pourcentage est à peu près constant. C’est la raison pour laquelle je demanderai que l’on modifie le texte qui nous est proposé pour renforcer les mesures d’éloignement.

À peine ai-je terminé ces constats rapides que mon temps de parole est presque écoulé. Je ne pourrai donc pas répondre aux propos que vous avez développés il y a quelques instants à cette tribune, monsieur le ministre.

Je mentionnerai quand même que la commission a adopté 120 amendements. Elle a estimé nécessaire de prévoir la possibilité d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration afin de disposer de la meilleure information sur cette question.

Les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle ont été, en outre, restreintes, en excluant en particulier de son bénéfice les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée et les étrangers faisant l’objet d’une admission exceptionnelle au séjour. La commission a également renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle afin de vérifier que les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier. En outre, elle a précisé les circonstances dans lesquelles le titre peut être refusé ou retiré. Par ailleurs, les conditions relatives à la durée de présence régulière sur le territoire national pour pouvoir bénéficier du regroupement familial ont été étendues de dix-huit à vingt-quatre mois. Le titre pluriannuel cesse d’être un principe pour devenir une exception. Le principe, c’est le titre annuel.

De plus, le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour a été rétabli. La commission des lois n’a pas souhaité que des titres soient obtenus de plein droit, elle a voulu préserver en la matière le pouvoir d’appréciation du préfet.

Enfin, la commission a maintenu le critère actuellement applicable pour délivrer une carte de séjour à un étranger malade, fondé sur l’existence des soins nécessaires dans le pays, et non sur l’accès effectif à ceux-ci par l’étranger concerné.

Je me souviens du débat de 2011 et des propos qui ont été tenus. En tous les cas, je n’ai pas le sentiment d’être moins respectueux de la santé des étrangers malades en situation irrégulière. J’ai simplement souhaité – et nous avons souhaité – répondre à des circonstances en respectant les principes de droit de notre pays tout en prenant en compte la maladie des étrangers qui doivent être éloignés.

Soucieuse d’améliorer les mécanismes proposés dans le projet de loi pour renforcer l’effectivité des mesures d’éloignement, la commission des lois a précisé les dispositions relatives à l’assignation à résidence par l’harmonisation des sanctions pénales, mais aussi en demandant des garanties de représentation qui n’étaient pas prévues dans le texte d’origine, à savoir la validation du maire pour une attestation d’hébergement et la mise en place d’un cautionnement qui garantit la représentation.

Nous avons également modifié la réglementation sur les obligations de quitter le territoire français, OQTF, en abaissant le délai de départ volontaire de trente à sept jours et en allongeant la durée maximale des mesures d’interdiction de retour à cinq ans. Nous avons modifié la procédure d’obligation de quitter le territoire français pour les déboutés du droit d’asile afin de disposer d’une procédure efficace à l’endroit de ceux que l’on doit absolument éloigner après qu’ils ont été définitivement déboutés.

Il y a bien sûr d’autres procédures. Vous avez parlé de l’intervention du juge des libertés et de la détention à partir de quarante-huit heures. Nous souhaitons rester sur le dispositif de 2011, lequel prévoit l’intervention du juge au bout de cinq jours.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous avons spécialisé les fonctions des magistrats.

Nous avons rétabli le forfait de l’aide médicale d’État.

Je dirai, puisqu’il me faut conclure, que nous avons donné un peu de corps à ce texte, lui apportant quelque d’efficacité pour remplir des objectifs que je crois partagés : une immigration régulière parfaitement contenue, une immigration irrégulière parfaitement combattue, un éloignement plus efficace que ne le prévoyait le texte dans la rédaction qui nous est parvenue.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy-Dominique Kennel

Permettez-moi de les remercier l’un et l’autre pour le remarquable travail qu’ils ont accompli.

Je m’exprimerai rapidement au nom de la commission de la culture. Deux points ont tout particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de sujets de préoccupation constante de notre commission, et tout particulièrement de sa présidente Mme Catherine Morin-Desailly : d’une part, l’apprentissage de la langue française par les étrangers venant en France ; d’autre part, l’attractivité de notre pays pour les étudiants et les talents.

L’apprentissage de la langue française est, aux yeux de notre commission, fondamental dans le parcours d’intégration des étrangers. Notre langue est le vecteur de notre histoire, de notre culture, de nos valeurs. Monsieur le ministre, être laxiste sur l’apprentissage du français pour les étrangers, ce n’est rendre service à personne ! On ne rend pas service aux étrangers eux-mêmes, car comment s’intégrer dans un pays dont on ne parle ni ne comprend la langue ? Comment même espérer y décrocher un emploi et y vivre dignement ?

Ce n’est pas rendre service non plus à la société française dans son ensemble, car la méconnaissance de la langue du pays d’accueil favorise le repli sur soi, le communautarisme et, bien souvent, contribue à faire régresser la condition des femmes !

Toutefois, les exigences posées aujourd’hui aux étrangers en matière de connaissance de la langue française sont dérisoires. Le niveau qu’il est demandé d’atteindre à l’issue du contrat – je dis bien à l’issue du contrat ! – est ridiculement bas : il s’agit d’un niveau dit A1.1, qui n’existe même pas dans le cadre européen commun de référence pour les langues dont le niveau le plus bas est le A1. La France est le seul pays européen dont l’objectif de maîtrise de sa langue par les migrants est aussi faible !

Apprendre le français lorsque l’on arrive en France, c’est un droit, certes, mais c’est aussi un devoir. Et si nous mettons les moyens pour permettre aux étrangers arrivant régulièrement sur notre territoire d’apprendre les bases du français, eux doivent aussi, en retour, prouver leur bonne volonté et passer, un à un, les niveaux de langue qui sont le gage de leur bonne intégration.

Le Gouvernement envisage, par voie réglementaire, de rehausser le niveau que l’étranger devra avoir atteint à l’issue – je dis bien à l’issue ! – de son contrat d’intégration : il devrait s’agir désormais du niveau A1 – le niveau « découverte » de la langue, le plus bas niveau. Quatre ans plus tard, pour obtenir la délivrance d’une première carte de résident, il devrait avoir atteint un niveau A2 – qui est un niveau de « conversation simple ».

Ces dispositions vont, certes, dans le bon sens, mais nous devons être beaucoup plus ambitieux encore ! Sans exiger pour autant l’agrégation de lettres – comme j’ai pu l’entendre dernièrement –, ne devrait-on pas exiger de l’étranger qu’il puisse mener une « conversation simple » pour accéder à une carte pluriannuelle de séjour ? Ne devrait-on pas exiger qu’il sache « exprimer ses idées » en français pour accéder à une carte de résident ?

Enfin, ne devrait-on pas exiger qu’il puisse être considéré comme un « interlocuteur indépendant » pour prétendre à une naturalisation ?

Ces exigences me semblent relever du simple bon sens, qui fait malheureusement défaut. Le parcours d’intégration d’un étranger en France doit être équilibré, dans ses droits, comme dans ses devoirs : il y va de sa bonne intégration dans notre pays.

Il me paraît indispensable que nous ayons tous à l’esprit l’adage suivant : « Quand on n’a pas les mots, on a la violence ».

Sur l’attractivité de la France, ensuite, à l’égard des étudiants étrangers, nous serons tous d’accord, je pense, pour soutenir cet objectif d’attractivité qui contribue au rayonnement économique, scientifique, culturel et même moral de notre pays. Les talents étrangers que nous accueillons en France seront ensuite nos meilleurs ambassadeurs à travers le monde.

Au-delà de la qualité de l’accueil que notre pays se doit de réserver aux étudiants étrangers, je veux plaider pour le développement d’une politique plus volontariste d’accueil des étudiants étrangers sur des filières d’avenir et des spécialités déficitaires. Car si la France est aujourd’hui le cinquième pays d’accueil en nombre d’étudiants étrangers, elle perd régulièrement du terrain – elle était troisième voilà encore quelques années – et les meilleurs étudiants mondiaux se détournent, hélas! de la destination France.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy-Dominique Kennel

Cette nouvelle ambition, que j’appelle de mes vœux, passe par une exigence renforcée à l’égard des étudiants étrangers entrants, car qui dit « exigence » dit « qualité » et même « excellence », et c’est ce que nous devons viser pour notre pays : exigence au moment de l’admission – exigence sur le niveau académique des étudiants, diversification des zones géographiques de provenance, priorisation sur certaines filières et spécialisations –, mais aussi exigence au cours des études – contrôle du « caractère réel et sérieux » des études et attention portée au taux de réussite et d’échec des étudiants étrangers.

Monsieur le ministre, la question du « juste niveau » des droits d’inscription dans nos établissements d’enseignement supérieur restera toujours en suspens. À cet égard, la « stratégie nationale de l’enseignement supérieur » que le Gouvernement va prochainement présenter au Parlement me semble singulièrement timide : on y préconise l’accueil d’étudiants étrangers, mais sans aucune logique de filière ; on y préconise, surtout, de ne pas toucher aux frais d’inscription !

Où est l’ambition, monsieur le ministre ? Où est tout simplement la « politique » ? Où est la hauteur de vues, que vous préconisez sans cesse ? Ayez le courage de sortir d’une logique de « guichet » pour bâtir une véritable politique volontariste de recrutement d’étudiants talentueux qui stimuleront à leur tour nos propres étudiants et notre système d’enseignement supérieur : nous avons tous et toutes à y gagner !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Je suis saisie, par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 11.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (717, 2014-2015).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi relatif au droit des étrangers, revu par la majorité de droite de la commission des lois et désormais intitulé : « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ».

Il suffit d’écouter M. le rapporteur pour comprendre que cette nouvelle mouture aggrave la précarité de la situation des personnes en situation régulière et réoriente les dispositions sur la maîtrise de l’immigration irrégulière en renforçant les dispositifs de contrôle et en facilitant l’éloignement. Vous comprendrez bien que nous ne pouvons l’accepter.

Monsieur le ministre, dans la continuité des réformes passées sur le sujet, votre projet de loi maintien l’inversion de la logique de l’intégration, logique selon laquelle les personnes étrangères ont besoin de droits pour s’intégrer, et non de s’intégrer pour mériter des droits. L’immigration autorisée est ainsi maintenue dans une situation administrative précaire qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver leur place en France.

Après le projet de loi relatif au droit d’asile, débattu ici il y a quelques semaines, le texte qui nous occupe aujourd’hui permet un renforcement des contrôles et donc un affaiblissement des possibilités de recours, sous couvert de la multiplication supposée des demandes « abusives ».

Pourtant, le nombre de décisions de protection reste stable. En 2007, sur 35 500 demandeurs d’asile, 8 800 l’ont obtenu, 26 700 ont donc été déboutés. En 2013, sur 65 900 demandeurs, 11 400 seulement ont obtenu le titre de réfugié, contre 54 500 déboutés. Comment peut-on donc sérieusement penser que le nombre de demandes abusives a doublé d’une période à l’autre ?

Le droit d’asile, comme le droit des étrangers, ne se résume pas à des flux et des stocks d’étrangers à gérer. La crise des réfugiés actuelle en témoigne bien : il s’agit avant tout d’une question de géopolitique et de responsabilité internationale.

Les conflits internationaux et l’ordre économique établi font de notre monde un monde de réfugiés. On dénombrerait déjà 163 millions de personnes ayant dû quitter leur foyer à la suite de conflits, de catastrophes naturelles ou de grands projets de développement. Entre 2000 et 2050, ce sont au moins un milliard de personnes qui devraient migrer dans le monde, dont plus de la moitié pour s’adapter au réchauffement climatique ou en fuir les conséquences : inondations, sécheresses, pénuries d’eau et d’aliments, maladies émergentes.

Qu’allons-nous faire de ces personnes ? Les laisser à la dérive d’un monde dérégulé ? Les renvoyer chez eux, même en cas de guerre, comme le stipule agressivement Mme Le Pen ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Les défenseurs de la « forteresse Europe » sont catégoriques : si l’Europe abolit le contrôle de l’immigration, elle sera envahie par les étrangers. Cela paraît relever d’une peur profondément ancrée. Pourtant, la plupart des gens n’ont aucune envie de quitter leur pays, et encore moins définitivement. Comme l’écrit le romancier et dramaturge Laurent Gaudé dans Eldorado : « Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

Il ne s’agit pas ici de verser dans l’angélisme, mais de mettre en garde contre les idées toutes faites et les faux débats.

En effet, depuis plus de trente ans, l’immigration est presque exclusivement considérée comme une menace ; de nombreux discours martèlent que la fermeture des frontières et la répression sont la seule politique possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Faut-il le rappeler, ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la crise économique et du fléau du chômage !

Évidemment, les solidarités ne peuvent se cantonner au niveau national et l’ouverture des frontières de notre pays ne répondra pas aux maux de notre planète. Un nouvel ordre économique mondial doit être repensé. Ni le gouvernement actuel, ni l’opposition, ni, a fortiori, le Front national n’apportent d’ailleurs leur contribution à cette réflexion pourtant essentielle. Pour notre part, nous souhaitons prendre le contre-pied des logiques étroites et des logiques de peur en essayant d’élever le débat.

La crise migratoire, mes chers collègues, met en évidence la nécessité de combattre l’anarchie libérale. La mondialisation financière, en fin de compte, n’est autre que la mise en concurrence des peuples et des individus, et in fine c’est la guerre.

Je vous rappelle cependant que l’accroissement des ressources au Nord s’est fait au détriment des pays du Sud. À cet égard, nous faisons nôtre le plaidoyer du juriste Robert Charvin pour « une vaste et solennelle négociation Nord-Sud dans le cadre de l’ONU, neutralisant les ingérences multiformes, sources de la plupart des conflits et interdisant les spoliations. Un nouvel esprit et de nouvelles règles doivent révolutionner le droit économique international et fonder un modèle de rapports égalitaires avec tous les peuples, faisant de l’étranger non un ennemi mais un partenaire. »

Il faut mettre un terme au jeu détestable des multinationales qui ont pris le pouvoir dans bien des régions du monde. Les sommes colossales qui alimentent les circuits financiers doivent aller au développement. Un ordre nouveau, avec une Organisation des Nations unies refondée, c’est la voie du progrès et de la coopération pacifique.

Le manque d’engagement et de perspectives transformatrices en la matière laisse donc le champ libre au Front national, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Mme Éliane Assassi. … qui diffuse son discours de haine

M. Stéphane Ravier s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

En prétendant que la France ne peut, faute de moyens, accueillir plus de réfugiés, ce parti joue aujourd’hui, comme hier, la concurrence entre démunis, entre réfugiés, migrants et citoyens français. Il use à cette fin de raccourcis biaisés, de propagande et d’intoxication, et il profère les inepties les plus éhontées pour tenter de tirer profit de cette situation.

Pourtant, dans un monde où les distances se franchissent facilement et où le fossé entre les pays riches et les pays pauvres est énorme, ne faut-il pas, tout en insistant sur les aspects positifs des migrations, les considérer comme une donnée inéluctable ?

Face à tous ces enjeux, je ne pense pas qu’il suffise de répondre avec une réforme visant à gérer le quotidien : trop ou pas assez d’immigrés ? Telle est la question... Et ce faisant, on fait prévaloir la suspicion et la répression sur le respect et l’effectivité des droits.

Ainsi, de nombreuses dispositions du présent projet de loi facilitent l’éloignement et réduisent les délais de recours ; le dispositif d’évaluation médicale est transféré des médecins des agences régionales de santé, ou ARS, à ceux de l’Office français de l'immigration et de l'intégration, ou OFII, qui relève du ministère de l’intérieur. À ce sujet, monsieur le ministre, que les choses soient claires : un médecin de l’OFII vaut un médecin de l’ARS et inversement. Ce qui nous gêne, c’est que ce dispositif alimente la confusion entre santé publique et contrôle de l’immigration. Encore maintenant, monsieur le ministre, j’avoue ne pas avoir été convaincue du contraire.

Toutes ces mesures ont bien évidemment été renforcées et durcies par la droite sénatoriale en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

J’ose dire que l’occasion était trop belle.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré lors de votre audition par la commission des lois du Sénat que des consignes très fortes et des moyens nouveaux étaient donnés aux services de lutte contre l’immigration irrégulière ; vous exprimiez ainsi la volonté du Gouvernement de renforcer cette lutte par la création, annoncée mi-septembre par M. le Premier ministre, de 900 postes supplémentaires dans les forces de l’ordre.

Cependant, monsieur le ministre, la responsabilité du patronat, qui, depuis des décennies, joue avec cette main-d’œuvre et met en concurrence les salariés, vous ne la pointez pas. Croyez bien que je le regrette !

Vous le savez, et à la veille des élections régionales il serait risqué de le nier, le problème n’est pas d’ordre migratoire, il est économique, et c’est bien l’incapacité à apporter des réponses concrètes aux préoccupations que sont le chômage et l’emploi qui alimente les discours de rejet de l’autre.

Il convient donc de le rappeler et d’affirmer qu’en dépit des fantasmes les immigrés ne menacent ni nos emplois, ni nos « identités », ni nos systèmes sociaux. Tous ne rêvent pas de s’installer dans les pays riches, loin de là, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… à moins que l’on ne continue de les y obliger en renforçant nos politiques prédatrices et sécuritaires.

Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le sort de notre motion tendant à opposer la question préalable : elle sera bien évidemment rejetée. Nous souhaitions toutefois attirer votre attention sur ces points. Nous participerons bien sûr au débat, en insistant particulièrement sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité : quand il s’agit de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine, aucune distinction ne saurait être tolérée entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Le Gouvernement a également émis un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Le groupe socialiste votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable, qui a été brillamment défendue à la tribune par notre collègue Éliane Assassi.

Malgré ce beau discours général, nous demeurons convaincus que ce projet de loi, tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, constitue une avancée considérable pour le droit des étrangers. Ainsi, le titre pluriannuel, qui pourra être obtenu pour une durée de quatre ans, facilitera la vie des étrangers. De nombreuses mesures visent également à améliorer la situation des étudiants étrangers et des personnes qui viennent en France pour se faire soigner. Enfin, en parallèle, ce texte permettra aussi de mieux lutter contre l’immigration clandestine.

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il y a vraiment lieu de débattre de ce texte, qui permettra d’améliorer notre législation. Aussi, nous voterons contre cette motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Je mets aux voix la motion n° 11, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au droit des étrangers visait à l’origine, d’une part, à améliorer l’accueil et l’intégration des ressortissants étrangers en sécurisant leur parcours et, d’autre part, à lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. Il s’agissait donc d’assurer dans un même élan protection des libertés individuelles et efficacité des décisions administratives d’éloignement, dans le respect des directives européennes.

Des diverses initiatives heureuses, une mesure phare se distingue, la création d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, à mi-chemin entre l’actuelle autorisation d’un an et la carte de résident de dix ans. Même si elle est encadrée par de nombreuses restrictions et élargit les pouvoirs des préfets, une telle disposition facilite le parcours de l’étranger en quête de son document de séjour.

En revanche, ce projet de loi instaure une préoccupante interdiction de circulation sur le territoire français aux Européens abusant de leur liberté de circuler ou constituant une menace à l’encontre d’un intérêt fondamental. Cette mesure cible en particulier les Roms, ainsi que le Défenseur des droits l’a plusieurs fois souligné.

Certes, il restait des marges de négociation pour améliorer ce texte et les députés s’y étaient déjà attelés. Hélas ! notre commission des lois n’a eu d’autre but que de le réécrire dans le pire des sens. Déjà à l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains avait ressorti les mesures que l’UMP, lorsqu’elle était au pouvoir, avait mises en œuvre sans résultat ou qu’elle avait renoncé à faire adopter parce qu’elles étaient incompatibles avec le droit international ou constitutionnel.

Nous voilà donc revenus en arrière. Regroupement familial, intégration dès le pays d’origine, prestations sociales, aide médicale d’État, etc. : tout cela a été remis sur le tapis, ramenant le débat à ce qu’il était il y a dix ans.

L’obsession de nombres de nos collègues du groupe Les Républicains est patente : ne pas abandonner à Marine Le Pen l’exclusivité d’un programme politique qui n’en est pas un, mais qui entretient un populisme régressif imprégnant chaque jour davantage notre société – il y aurait trop d’immigrés.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Rien à faire, voilà à quoi une partie de la droite à court d’idées s’accroche pour essayer de sauver son mince capital électoral.

Rires sur plusieurs les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C’est l’hôpital qui se moque de la Charité !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Vous pourriez respecter celui qui s’exprime depuis cette tribune : C’est le minimum !

Pourtant, on sait ce que vaut cette affirmation et de quelle manière répétitive le quinquennat précédent a dénoncé une immigration prétendument massive, sans réduire le moins du monde un nombre d’entrées légales qui, d’une année sur l’autre, varie peu et reste bas. Si l’on fait abstraction des réfugiés, qui ne relèvent pas de ce texte, les flux migratoires réguliers avoisinent 200 000 par an, soit 0, 3 % de la population française, situant la France à un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.

M. Stéphane Ravier s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

L’offensive menée contre le regroupement familial a la même fin : faire peur aux Français avec l’immigration et leur faire croire qu’en en tarissant le flux on va miraculeusement résoudre tous leurs problèmes. Le FN doit vous remercier, mes chers collègues de la majorité sénatoriale.

M. Alain Marc s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Or de quoi parle-t-on ? Sur les 200 000 entrées légales annuelles, 90 000 concernent l’immigration familiale, dont seulement 20 000 relèvent du regroupement familial proprement dit, les autres étant principalement des Français faisant venir leur conjoint étranger.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

L’Assemblée nationale a réintroduit la notion d’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’où est originaire l’étranger malade pour l’obtention d’un droit au séjour temporaire pour raisons médicales en France. À peine le texte est-il arrivé au Sénat que cette disposition a été supprimée. Le même sort a été réservé à un article prévoyant la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire aux personnes victimes de violences familiales ou conjugales. Et je n’oublie pas le durcissement des dispositions relatives à l’assignation à résidence pour expulser plus facilement les déboutés.

La liste des reculs est longue et nous y reviendrons lors de l’examen des amendements en séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je demande à ceux qui ne voient les immigrés que comme des intrus s’ils savent seulement ce qu’est l’immigration. Croyez-vous que l’on quitte son pays avec autant de légèreté que vous, vous abordez cette question sous ces lambris dorés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Une France refermée sur elle-même à l’ère de la mondialisation est une régression. Faire croire que l’on va arrêter l’immigration d’un coup de baguette magique dans ce monde aux frontières qui se virtualisent est un mensonge. Un pays qui sait accueillir les immigrés est aussi un pays qui finit par s’enrichir de leur apport.

Regardez aux États-Unis le nombre de prix Nobel, de médailles Fields dont les récipiendaires portent des noms à consonance étrangère. Il était un temps où c’était le cas pour la France. Oublié tout cela ! Même les meilleurs étudiants étrangers ne viennent plus chez nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Même les réfugiés rêvent d’une autre destination.

Nous avons aussi besoin d’une immigration pour faire tourner l’économie. Mes chers collègues, qui ramassera nos poubelles, …

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. … nettoiera nos bureaux, fera notre gardiennage, gardera nos enfants en bas âge, travaillera dans les restaurants à bas prix, dans le bâtiment, etc. ?

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Quand votre tour sera venu, vous pourrez parler ! Laissez-moi terminer, je vous prie !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Non, les immigrés ne sont pas des ennemis. Ce sont juste les alliés du pays qui leur ouvre ses portes. N’est-pas, monsieur Karoutchi…

Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte où l’Europe est confrontée à une déferlante migratoire sans précédent, à l’heure où des organisations supranationales imposent aux États l’accueil de centaines de milliers de clandestins démunis de tout

Oh ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

(M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) par quelques idiots utiles

Oh là là ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… ce projet de loi sur le droit des étrangers en France est pour le moins décalé.

Et ce ne sont pas les amendements de la majorité sénatoriale prétendument de droite qui vont changer la loi, alors même que le rapporteur en dénonce les aberrations.

Vu le temps imparti, j’en citerai brièvement quelques-unes. Votre rapport l’affirme, l’immigration de travail ne représentait que 9 % l’an dernier, le reste n’étant constitué que par cet interminable regroupement familial ou volet familial. Le tout représente en réalité un coût colossal pour la Nation : quelque 70 milliards d’euros par an !

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

On apprend également que la carte de résident pour contribution économique exceptionnelle est une exception, puisqu’elle n’a concerné que trois personnes !

Le taux d’exécution des mesures d’éloignement est très faible : il s’établit en moyenne à 15 % pour les non-Européens.

Enfin, la fraude est massive : « trois titres de séjour font l’objet d’un contentieux important : les cartes de séjour “vie privée et familiale”, “étrangers malades” et “étudiant”. »

Ce n’est pas parce que nous sommes le pays de Molière, et donc du malade imaginaire, qu’il faut faire venir davantage de malades imaginaires dans notre pays

Mme Cécile Cukierman s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

L’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, révèle qu’une proportion importante des étrangers qui présentent une première demande d’admission au séjour pour des raisons médicales sont des déboutés définitifs de la procédure d’asile. Cette proportion atteint jusqu’à 90 % dans une ville comme Metz.

Quand on n’arrive pas à entrer par la porte dans la maison France, beaucoup réussissent à y entrer par la fenêtre. D’ailleurs, « les critères tirés des ressources personnelles […] ne sont susceptibles d’aucune appréciation objectivable – langage technocratique – pour l’administration et compliquent singulièrement la tâche de celle-ci ».

Face à ce scandale et à cette injustice dont nos compatriotes sont victimes depuis des décennies, il est urgent de changer de cap, en imposant aux étrangers d’avancer les frais médicaux, en exigeant une caution pour financer les reconduites à la frontière et, au lieu de la prétendue assignation à résidence, qui permet surtout aux expulsables de s’évaporer dans la nature

Mme Cécile Cukierman hoche la tête en signe de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

, mettons tout en œuvre pour leur expulsion rapide sous vingt-quatre heures ou quarante-huit heures, comme le font tant de pays dans le monde.

Mme Cécile Cukierman hoche de nouveau la tête en signe de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

M. Stéphane Ravier. « Mieux accueillir », « mieux intégrer », avez-vous répété, monsieur le ministre. Tout à fait d’accord avec vous, mais que cela concerne nos compatriotes d’abord

Mme Dominique Gillot s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… qui sont des millions à être exclus dans leur propre pays, sans emploi, sans toit, sans couverture sociale, en fin de droits, alors que nous continuons à dépenser des milliards d’euros pour entretenir toute la misère du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Si vous le permettez, je termine car il me reste deux phrases très courtes.

S’occuper des nôtres avant les autres, telle devrait être la ligne conductrice de l’action des parlementaires. Pourtant, force est de constater que, avec ce gouvernement, comme avec les précédents, ce n’est pas pour demain !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure n’est pas spécialement propice à la discussion d’un projet de loi relatif au droit des étrangers dans une acception large.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. L’afflux de migrants sur nos rivages européens, qui s’ajoute aux crispations de notre société sur les questions de laïcité, d’identité ou de valeurs essentielles de la République, ne favorise pas un débat apaisé, lequel est pourtant nécessaire. Nous venons d’en avoir la démonstration il y a quelques secondes.

M. Stéphane Ravier s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Des polémistes, reprenant le rôle joué par les ligues de la IIIe République, se sont emparés de ce sujet, damant le pion aux représentants de l’intérêt général que nous sommes, car les majorités successives ont en réalité été bien incapables de montrer le chemin collectif de la raison.

Nous apporterons notre soutien à l’esprit du texte proposé par le ministre de l’intérieur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, vous faites face, avec talent et détermination, à un contexte politique national et international particulièrement complexe, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… parfois délétère, qui nuit à la qualité des débats et contribue à faire monter la peur de l’autre dans notre pays. Et c’est pour cela que, sur ce texte, nous vous soutenons sans ambiguïté.

« Étrangement, l’étranger nous habite. [...] De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même », écrivait Julia Kristeva. L’altérité nous met face à nous-mêmes et à nos responsabilités.

Sur un sujet aussi sensible, nous aurions ainsi souhaité que cette question ne soit pas une nouvelle fois une variable électoraliste, mais qu’au contraire soit élaboré un cadre législatif consensuel, réaliste et donc plus stable, en ce qu’il serait le fruit d’une concertation entre les différentes sensibilités politiques.

Nous savons que nous pouvons nous entendre sur les principes les plus essentiels de l’accueil des étrangers en France. Il suffit pour cela de ne pas céder aux sirènes des extrêmes, qu’elles soient sécuritaires ou angélistes. Tant que ce sujet sera traité sans le recul nécessaire, en réaction à l’actualité la plus immédiate, la plus médiatique et la plus populiste, nous n’avancerons pas. Par ce jeu malsain, nous prenons le risque de devenir étrangers à nous-mêmes, à nos valeurs républicaines d’ouverture et de tolérance.

Or que souhaitent nos concitoyens ? Nous le savons pertinemment : ils veulent une politique qui allie l’accueil des étrangers en situation régulière et la fermeté à l’égard de l’immigration irrégulière. Cette dernière constitue un facteur de déstabilisation de notre société en ce qu’elle alimente un fort sentiment de défiance à l’égard des pouvoirs publics et d’impuissance de leur part. La loi doit donc en la matière être plus simple et plus stable, pour être effectivement appliquée. Pour cela, des moyens humains et financiers doivent être mis en place.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’on peut accueillir tout le monde et à n’importe quelle condition. Nous sommes profondément attachés à la tradition d’ouverture et d’accueil à l’étranger et son étrangeté, qui n’est pas toujours inquiétante – loin de là ! et qui a construit notre nation dans l’histoire.

Notre position pourrait se résumer ainsi : le syncrétisme d’individus d’origines et de cultures diverses dans le creuset républicain que nous ne confondons pas avec la dissolution de la nation dans le communautarisme ; le devoir d’intégration qui oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale, dans sa capacité à respecter les différences ; et bien sûr, par-dessus, tout le respect intangible des droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par la dignité.

Le projet de loi répond à ces principes, en ce qu’il met en œuvre une simplification appréciable du droit des étrangers et renforce, dans le même temps, les moyens légaux d’expulsion des personnes en situation irrégulière.

La création de la carte pluriannuelle, dont la délivrance advient après un premier titre de séjour, remplit cet équilibre. L’accueil des étudiants étrangers notamment, talents et potentiels entrepreneurs futurs, est ainsi rendu plus aisé. Il s’agit d’une manne importante que d’autres pays savent mieux que nous exploiter ! Cette avancée importante était attendue, après la confusion induite par les circulaires ministérielles dites « Guéant », qui avaient inopportunément durci les critères de délivrance d’un titre de séjour aux diplômés hors Union européenne.

Le principe de la priorité de l’assignation à résidence, l’encadrement du placement en rétention d’étrangers accompagnés d’un enfant mineur de moins de 13 ans et l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention constituent aussi, à ce titre, des progrès majeurs. Ces dispositions s’inscrivent dans la lignée du rapport de nos deux collègues Éliane Assassi et François-Noël Buffet, qui, il y a quelques mois, constataient le manque d’humanité du fonctionnement de tels lieux et préconisaient, dans leur proposition n° 10, de ne permettre la rétention qu’en cas d’échec d’une mesure coercitive préalable.

Cela me conduit à faire deux constats.

Le premier est le suivant : si la simplification proposée dans le projet de loi est réelle sur certains points, nous considérons que le texte aurait pu aller plus loin sur d’autres. Rien n’est dit par exemple du traitement des mineurs étrangers, notamment des mineurs isolés. De même, le sort des victimes étrangères de la traite humaine est ignoré. Il aurait été souhaitable que le projet de loi aille au bout de la simplification suggérée par différents rapports, ainsi que par le Défenseur des droits, en prévoyant notamment le rétablissement de la délivrance de plein droit de la carte de résident après quelques années de mariage, mais aussi la délivrance automatique d’une carte de résident de 10 ans sur demande de l’étranger à l’expiration de la carte pluriannuelle, ou encore en fusionnant plus complètement les différents titres de séjour, afin de ne pas créer un trop-plein de dérogations au principe.

Nous proposerons des amendements en ce sens, ainsi qu’une limitation du droit de communication tentaculaire de l’administration prévu à l’article 25.

A contrario, et cela n’étonnera personne, nous sommes opposés à la logique qui a été suivie par la commission des lois du Sénat sur plusieurs points. Nous sommes en particulier hostiles à la création d’une peine d’emprisonnement du fait du maintien irrégulier sur le territoire. Compte tenu de l’encombrement de nos prisons, il nous semble qu’il s’agit là d’une mesure d’affichage. Il faut plutôt privilégier la lutte contre l’immigration illégale.

M. Roger Karoutchi s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Figure de la haine et de l’autre, l’étranger n’est ni la révélation en marche ni l’adversaire à éliminer pour pacifier le groupe. Et j’ajouterai que, sous certaines conditions, il est même un élément à intégrer. C’est le second constat.

Rappelons, mes chers collègues, que, dans la proposition n° 50 de son programme, le candidat Hollande…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… s’était engagé en faveur du droit de vote des étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. Avant même l’élection présidentielle, le 8 décembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle avait été votée par le Sénat, avec l’indispensable soutien d’une large majorité des membres du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nous regrettons aujourd’hui que ce projet ait été enterré, dans le même cimetière que d’autres promesses électorales, quand fleurissent dans le même temps de multiples projets de loi contenant des dispositions jamais évoquées pendant la campagne présidentielle et qui ne sont pas sans effets déstabilisateurs. Je pense à la réforme des collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’étranger peut constituer une défense fallacieuse du moi désemparé. Nous espérons que nos débats ne nous feront pas revivre ceux qui ont eu lieu un jour sur l’identité nationale et que nous resterons fidèles à notre réputation d’assemblée des sages, d’assemblée de la défense des libertés et des droits, à l’heure où l’on tente de remettre en cause le bicamérisme de nos institutions.

Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Ne pourrait-on pas dire la même chose de la législation relative aux étrangers séjournant en France ?

(M. Roger Karoutchi s’exclame.) Vous le savez bien, monsieur Karoutchi, car vous en avez fait suffisamment pour être expert en la matière !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Entre 1945 et 1980, un texte, parfois modifié, mais peu, l’ordonnance du 2 novembre 1945. Depuis 1980, soit en trente-cinq ans, vingt-deux lois ! C’est bien la preuve que le législateur a échoué en cette matière, sinon il n’aurait pas besoin à intervalles réguliers d’examiner une nouvelle loi qui, au-delà de sa présentation, n’est généralement guère différente de la précédente. §

Monsieur le ministre, vous venez de nous expliquer – et je vous crois, car j’ai pour vous respect et amitié – que les chiffres que vous nous avez donnés sont bons : davantage de reconduites à la frontière, beaucoup plus de filières démantelées, immigration régulière stable depuis plusieurs années, avec 200 000 titres délivrés tous les ans. Pourquoi diantre, alors que les résultats sont aussi bons, nous présenter, comme en 2006, comme en 2011, à un an de la fin du mandat présidentiel, un nouveau texte sur l’immigration qui ne renverse pas la table ? Quel est donc le véritable but de cette discussion ? Pour réussir, vous n’avez pas besoin d’un nouveau texte. Vous nous l’avez dit. Alors, restons-en là !

Comme tout texte, ce projet de loi contient de bonnes choses et de moins bonnes. Le rapporteur en a fait une analyse honnête, exigeante et il formule des propositions qui, sans renverser le texte, qui lui-même ne renverse rien, nous permettront de continuer à vivre avec les mêmes lois.

M. Roger Karoutchi sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Devons-nous d’ores et déjà nous attendre à examiner un nouveau texte sur le droit des étrangers en France dans deux, trois ou quatre ans ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Probablement ! Ne pourrait-on donc pas se poser la bonne question ? Dans notre pays, avons-nous, oui ou non, besoin d’une immigration ? Je pense que la réponse est oui, nous avons besoin d’immigrés, et je suis sûr que vous partagez ce sentiment, monsieur le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Si nous avons besoin d’immigrés, autant le dire clairement.

Il y a des gens qui ont des droits, sur lesquels, à travers ce que je vous proposerai, il n’est pas question de revenir. Si un Français se marie avec une étrangère, tous deux ont le droit de vivre ensemble. Il n’est pas question de limiter le droit au regroupement familial, qui, je le rappelle, a été créé par le gouvernement Chirac. §Il faut savoir d’où l’on vient, monsieur Karoutchi, …

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

… cela aide à savoir où l’on veut aller.

Il faut dire les choses très clairement.

Alors que certains pays abordent les questions d’immigration dans le calme, nous en sommes incapables. En effet, chaque fois que nous examinons un texte sur l’immigration, nous pensons à autre chose. On ne traite bien sûr que de l’immigration régulière, et on ne pense qu’à l’immigration irrégulière. À l’évidence, ce n’est pas en rendant irrégulier le régulier que nous allons supprimer l’irrégulier. Il faut donc essayer de renverser les choses. Aussi, le groupe UDI-UC et moi-même vous proposerons de réfléchir – mais peut-être est-ce trop tôt ? – à des niveaux d’immigration. Comme vous, monsieur le ministre, comme le Président de la République, je n’aime pas beaucoup le mot « quota ».

Vous l’avez dit, nous avons besoin de talents. Peu de talents rejoignent la France. C’est un véritable problème. La France doit faire envie, or ce n’est plus le cas

M. le ministre est dubitatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

On pourrait définir les catégories de personnes dont notre pays a besoin compte tenu du marché de l’emploi. Le Parlement est tout à fait habilité à fixer un niveau d’immigration. §Je souhaite que nous puissions débattre de cette question sereinement, sans passion, sans se jeter à la tête des mots comme « quotas » ou d’autres mots. On ne peut pas sans cesse traiter la question de l’immigration avec la même pression, en employant les mêmes mots, en répétant la même litanie, pour obtenir toujours le même résultat. Or c’est ce que nous sommes en train de faire.

Pour notre part, nous vous inviterons, au cours de la discussion, à sortir des chemins battus des vingt-deux lois que j’évoquais au début de mon propos, pour essayer d’ouvrir des voies nouvelles.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Marc Laménie applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi relatif au droit des étrangers en procédure accélérée à la veille, il faut bien le dire, des élections régionales. Je crois très sincèrement que le Gouvernement aurait été plus sage de reporter l'examen de ce texte.

Alors que la question des réfugiés se pose avec force, les populismes se déchaînent dans notre pays. Ainsi, Mme Le Pen ose affirmer que les migrations actuelles ont un rapport avec les invasions barbares du IVe siècle, et Mme Morano s’autorise une saillie insupportable sur la race blanche.

Au regard du contexte international et des enjeux nationaux, nous regrettons le manque de clairvoyance du Gouvernement ainsi que l'oubli un peu rapide par la majorité gouvernementale de principes qu'elle affichait avant 2012.

Ainsi que nous vous l’avons dit en présentant notre question préalable, en matière de politique migratoire, il serait utile d’être un peu plus lucide et de tirer les conséquences des conflits économiques et politiques qui font de notre monde aujourd'hui un monde de réfugiés. Une réflexion progressiste nouvelle devrait être en marche pour repenser l’ordre économique mondial établi. Cependant, très loin de ces préoccupations, le projet de loi initialement proposé par le Gouvernement, largement durci par la commission des lois du Sénat, s’inscrit, comme vient de le dire notre collègue Mercier, dans la parfaite continuité d’une politique menée depuis plus de trente ans, qui fait prévaloir la suspicion sur le respect et l’effectivité des droits.

Alors qu’il n’y avait aucune urgence à légiférer, le projet de loi s’articule autour de trois approches de l’immigration : limiter les passages en préfecture en accordant des cartes de séjour pluriannuelles – ce qui est une mesure plutôt positive –, augmenter l’attractivité de la France en déroulant le tapis rouge pour les talents et créer un dispositif supplémentaire pour faciliter les renvois.

Toutes les associations de défense du droit des étrangers en France, ainsi que le Défenseur des droits sont unanimes sur le projet de loi : il ne marque aucune réelle volonté de rupture avec les réformes précédentes. Certes, il comporte quelques avancées comme l’affirmation du caractère subsidiaire du placement en rétention administrative et la réintroduction de la condition d’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans le pays de renvoi, pour justifier le refus de délivrance d’un titre de séjour aux étrangers malades. Mais l’équilibre affiché du texte n’est, hélas, qu’une façade : l’immigration « autorisée » est maintenue dans une situation administrative précaire, qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver réellement leur place en France. Ainsi, alors que la mise en place d’un titre de séjour pluriannuel pouvait apparaître comme une mesure efficace pour sécuriser les parcours des étrangers en France, nous regrettons sa délivrance à géométrie variable et la complexification du CESEDA qui nuisent à son efficience.

Par ailleurs, de nombreuses dispositions du projet de loi, notamment l’article 14, sont consacrées à l’éloignement, au service de l’efficacité des mesures de départ forcé et de nouvelles procédures accélérées qui visent en fait à empêcher certaines catégories de demandeurs d’exercer, efficacement, leur droit au recours contre les obligations de quitter le territoire français.

En outre, une interdiction de circulation sur le territoire français est instaurée pour les ressortissants de l’Union européenne à l’article 15. Elle vise « implicitement », chacun le sait bien, les populations roms. Si une telle mesure d’interdiction de circuler était adoptée, ce serait une première en Europe, aucun autre État membre n’ayant encore osé le faire. Il s’agirait en fait d’une grave atteinte portée à l’exercice d’un droit qualifié de « liberté fondamentale » par la Cour de justice de l’Union européenne.

Les articles 19 et suivants, qui mettent en place un nouveau dispositif d’assignation à résidence pour faire diminuer le nombre de placements en rétention – ce qui est évidemment une démarche louable –, visent en fait à améliorer la « productivité » des procédures d’éloignement.

En matière de droit aux soins des étrangers, l’article 10 transfère le dispositif d’évaluation médicale des étrangers malades actuel à un collège de médecins de l’OFII, qui est, rappelons-le, sous la tutelle du ministère de l’intérieur en charge de la gestion des flux migratoires et du contrôle des étrangers. Aussi comment ne pas y voir un objectif « tacite » de gestion des flux ?

Nous sommes, par ailleurs, inquiets quant à la mise en place d’un dispositif inédit de contrôle par le préfet, qui, en clair, pourra enquêter sur un étranger avec l’aide de sa banque, de son opérateur téléphonique ou de l’école de ses enfants, le convoquer et même lui retirer son titre de séjour sans autre forme de procès.

Quant aux collectivités territoriales d’outre-mer, le régime spécial est maintenu ou aggravé en dépit des normes européennes et de la jurisprudence.

Enfin, nous ne comprenons pas aujourd’hui qu’un gouvernement, dont le parti avait clairement dénoncé les lois Sarkozy et Hortefeux, orchestre lui-même « l’immigration choisie » par le biais de « passeports talent ». Nous le comprenons d’autant moins qu’il recule sur les droits des travailleurs les plus précaires, en supprimant la possible délivrance d’une carte « salarié » aux salariés titulaires d’un CDD ou de contrats d’intérim. C’est là une véritable régression !

Pour ces travailleurs, seule sera délivrée une carte « travailleur temporaire » sur laquelle figureront le nom de l’entreprise et la durée du contrat de travail : un titre de séjour extrêmement précaire ! Quels seront les droits de ces « salariés jetables », qui, eux, ne pourront jamais prétendre à une carte pluriannuelle, alors qu’ils sont bien souvent en France depuis des années ? Ils seront plus que tout autre soumis au bon vouloir de leur employeur, afin de pouvoir rester dans la légalité.

Ainsi, la faible ambition de ce projet de loi gouvernemental a, hélas, permis à la droite sénatoriale de durcir des mesures déjà regrettables et de porter des modifications toujours plus sécuritaires et toujours plus éloignées de droits effectifs pour les étrangers.

Comme l’indique votre rapport, monsieur le rapporteur, votre position est claire : il s’est agi pour vous de « simplifier le texte en l’inscrivant dans les choix de la loi du 16 juin 2011 », mieux connue sous le nom de « loi Besson ». Ainsi avez-vous notamment restreint les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle, à l’article 11, renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle pour vérifier si les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier et rétabli le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour, en supprimant les hypothèses de délivrance de titres de plein droit.

Un certain nombre d’amendements adoptés par la commission des lois illustrent parfaitement la teneur de ce nouveau texte et l’ampleur des modifications apportées : la suppression de la délivrance de plein droit du visa au conjoint de Français ; la suppression de la délivrance de plein droit de l’autorisation provisoire de séjour pour les parents d’un enfant malade ; la faculté pour les forces de l’ordre de pénétrer au domicile de l’étranger pour l’escorter vers le consulat sur autorisation du juge ; la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de communication ; enfin, la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de pointage.

Soulignons tout de même que la « fuite » de l’essentiel du rapport de M. Buffet dans les colonnes du Figaro illustre parfaitement la méthode consistant à exploiter un sujet grave, l’immigration, à des fins médiatiques et politiques. Cette méthode est largement utilisée pour galvaniser les foules et accroître les craintes de nos concitoyens, comme si elles n’étaient pas déjà suffisamment attisées par le Front national !

Tout au long de l’examen de ce texte, nous tenterons donc d’éclairer le débat par un autre discours et d’améliorer le projet de loi en insistant sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité, qui ne saurait souffrir la moindre distinction entre ressortissants nationaux et étrangers, s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachée à la personne humaine. Aux yeux de notre groupe, l’immigration ne saurait être une menace pour un grand pays comme la France, mais un atout pour l’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

M. Christian Favier. Nous continuerons d’agir sans angélisme contre cette vision rabougrie, frileuse de la République. Dans sa rédaction actuelle, nous ne pouvons accepter le texte issu de la commission des lois ni cautionner un tel recul de notre société.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour examiner le projet de loi relatif « au droit des étrangers », ou plutôt désormais « à la maîtrise de l’immigration ». Ce changement d’intitulé, voulu par la droite en commission, en dit long sur l’état d’esprit dans lequel elle aborde nos travaux.

Grâce à vous, monsieur le ministre, nous avions un projet de loi équilibré et pragmatique, articulé autour de trois priorités : l’accueil, l’attractivité et la lutte contre l’immigration irrégulière. Malheureusement, la commission des lois l’a détricoté et dénaturé avec un seul objectif : faire de l’affichage politique. Il est vrai que l’heure n’est pas forcément à la mesure lorsque l’on évoque les questions liées à l’immigration.

Je lisais hier une tribune de MM. Retailleau et Buffet dans L’Opinion, qui affirment qu’avec ce texte « François Hollande ouvre en grand les vannes de l’immigration ». Excusez du peu !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

C’est pour le moins excessif et sûrement scandaleux.

Le reste de la tribune est à l’avenant : un discours qui utilise les amalgames, les caricatures et qui joue sur les peurs. Tout cela pour quoi ? Pour aboutir à une France recroquevillée sur elle-même, alors que nous sommes en pleine mondialisation et que ce phénomène va s’accélérer. Est-ce cela que nous voulons ?

Vous allez me dire que nous sommes en période électorale et que, c’est vrai, certains cherchent à courir toujours plus vite derrière l’extrême droite. Mais nous l’avons vu avec l’intervention de M. Ravier, il va être très difficile de la rattraper ! C’est pourquoi nous considérons que notre rôle en tant que responsables politiques doit être de dépassionner ce débat sur l’immigration. Pour le faire, il faut rappeler quelques chiffres, ce que, d'ailleurs, le ministre a également fait.

Environ 3, 8 millions d’étrangers séjournent actuellement en France. Je rappelle que 2, 5 millions de Français vivent à l’étranger. Le pourcentage d’étrangers dans la population est stable, environ 6 %. Il a même diminué depuis les années quatre-vingt.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Si, cela veut dire qu’il n’y a pas d’envahissement de la France par des personnes étrangères, monsieur Karoutchi !

Environ 200 000 titres de séjour sont délivrés chaque année : 65 000 pour des étudiants, 65 000 pour des conjoints de Français, 25 000 au titre du regroupement familial, hors conjoints de Français, 20 000 pour des motifs humanitaires et moins de 20 000 pour des motifs d’ordre économique.

Comme on le constate au travers de ces chiffres, la marge de manœuvre est très étroite, sauf peut-être à interdire aux Français de se marier avec un étranger ou à nier le droit à une vie familiale digne ou encore à fermer nos universités aux étudiants étrangers. Mais je crois que, sur l’ensemble de ces travées, à l’exception des élus du Front national, ce n’est pas ce que nous voulons.

Alors, oui, la France, comme toute grande démocratie, est tenue d’offrir des conditions d’accueil dignes et respectueuses aux étrangers à qui elle autorise le séjour. C’est la volonté qui nous anime en instaurant notamment un titre de séjour pluriannuel, qui est une grande avancée et qui, à lui tout seul, légitimerait le fait que nous légiférions aujourd'hui. En effet, cela permettra de réduire le nombre des passages en préfecture et cela facilitera grandement la vie et l’intégration des étrangers en France.

Même si, depuis 2012, il y a eu des améliorations dans l’accueil des étrangers, je peux témoigner que, dans mon département des Hauts-de-Seine, les files d’attente qui se forment à la sous-préfecture d’Antony obligent les étrangers à venir parfois dès trois heures du matin, sans avoir la certitude de pouvoir être accueillis.

Nous devons garder à l’esprit que la qualité de l’accueil que nous offrons aux personnes étrangères reste un facteur décisif d’intégration. Nous devons également garder à l’esprit qu’elle est indispensable pour garantir l’attractivité de notre pays et attirer de nouveaux talents, indispensables à notre économie et à la croissance.

Ce texte d’équilibre s’emploie également à lutter contre les filières clandestines et à éloigner les personnes en situation irrégulière. Sur ce point, le Gouvernement a déjà fait la démonstration depuis trois ans qu’il n’entendait pas faire preuve de laxisme, et les excellents résultats obtenus ont été rappelés par le ministre. Il y a plus aujourd'hui de personnes éloignées qu’en 2012.

Mais, là encore, une grande démocratie comme la France doit demeurer soucieuse d’agir en respectant toujours les droits des personnes concernées, en privilégiant les assignations à résidence sur la rétention et, s’il y a rétention, en permettant l’intervention du juge des libertés et de la détention dans un délai de quarante-huit heures. Cette avancée nous semble incontournable.

Les sénateurs socialistes étaient prêts pour un débat de fond sur les droits des étrangers et les moyens de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière, parce que c’est cela qu’attendent nos concitoyens. Je crains, malheureusement, que la majorité sénatoriale ne refuse ce débat et ne s’obstine dans des postures et de l’affichage politicien.

Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Mes chers collègues, il n’est pas trop tard pour avoir des échanges dépassionnés et constructifs. Ce matin, d'ailleurs, la commission des lois a rejeté les amendements du groupe Les Républicains portés par M. Karoutchi sur les quotas, la remise en cause du droit du sol ou du regroupement familial.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

La commission l’a fait parce que ces amendements sont contraires à la Constitution, à nos engagements européens, mais surtout à nos valeurs, et c’est très bien. Malheureusement, la commission a largement durci le texte sur de nombreux points, revenant bien souvent au texte de 2011, dont l’inefficacité a été démontrée.

Donc, sur tous ces points, il y a matière à débattre, à améliorer notre législation. Ce texte ne va certes pas révolutionner le droit des étrangers, mais il va permettre d’améliorer l’accueil des étrangers et de mieux lutter contre l’immigration clandestine.

Oui, les socialistes sont persuadés que la France est capable d’accueillir avec respect et humanité les étrangers en situation régulière ! Oui, nous sommes capables d’être fermes vis-à-vis de l’immigration irrégulière ! Pour cela, il faut dépasser les postures idéologiques et électoralistes à courte vue. C’est ce que souhaitent les sénateurs socialistes. C’est pourquoi nous vous proposerons au cours du débat de largement amender le texte de la commission, afin de revenir à un texte équilibré et pragmatique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Je suis absolument sidéré d’entendre tout et son contraire. C’est tout juste si on ne reproche pas à la majorité sénatoriale de travailler en commission et de présenter des amendements sur un projet de loi qu’elle n’a pas demandé, ni même souhaité. D’ailleurs, pourquoi présenter un tel texte aujourd'hui, à deux mois des élections régionales, un texte préparé voilà dix-huit mois ou deux ans, c’est-à-dire à un moment où ce qui se produit actuellement en Europe n’avait aucune réalité ?

Le rôle du politique ne consiste-t-il pas avant tout à s’adapter à la situation, à prendre en compte les événements ? Comme nous sommes là pour représenter et protéger les Français, il nous appartient de dénoncer un projet de loi qui ne correspond plus aux besoins actuels. Le Gouvernement aurait dû le retirer et éventuellement en déposer un autre après les élections régionales, dans un contexte moins passionné et en tenant compte de la réalité européenne d’aujourd'hui. Dès lors, qu’on ne vienne pas nous reprocher de dire ce que nous pensons d’un texte inadapté et, comme l’a souligné notre collègue Michel Mercier, n’apportant pas de véritable changement sur le fond – c’est-à-dire en termes d’intention – alors même, j’y insiste, que la situation a évolué.

Monsieur le ministre, en matière de délinquance et de terrorisme, vous avez su, parce que les choses ont beaucoup changé en un an, prendre des mesures fortes et changer la politique – au sens noble du terme – de l’État. D’ailleurs, nous vous avons soutenu, parce qu’il est parfaitement normal de changer de politique quand la donne change. Autant vous avez respecté ce principe dans ces domaines, autant vous donnez l’impression de ne pas vouloir faire évoluer les textes et, ainsi, tenir compte des phénomènes migratoires auxquels l’Europe et la planète entière font actuellement face. Pourquoi ? On ne sait pas !

On constate au moins – c’est déjà ça ! - une évolution du discours de certains élus de gauche, qui disent que le Gouvernement lutte contre l’immigration irrégulière. Pardon de le dire, mais cela n’a aucun sens ! La lutte contre l’immigration irrégulière ne peut consister à proférer des incantations. C’est une politique qui coûte cher et exige énormément de moyens, d’effectifs, ainsi que la mise en place de mesures lourdes à conduire. Or disposez-vous de l’appui de Bercy sur le dossier, monsieur le ministre ? Non !

Demain matin, je présenterai en commission des finances le bleu budgétaire, du moins les éléments dont nous disposons avant l’examen des amendements à venir. M. Valls a promis 279 millions d’euros, mais, en réalité, le budget des programmes 303 et 104, soit ceux qui concernent l’immigration et la lutte contre l’immigration irrégulière, n’évolue pratiquement pas. Lorsque vous annoncez une lutte contre l’immigration irrégulière, vous témoignez certainement d’une volonté du Gouvernement, mais les moyens étant limités ou inexistants, c’est en réalité une politique que l’on ne conduit pas, ou guère.

Dès qu’on parle d’immigration ou d’étrangers, c’est tout juste si l’on n’a pas dit des horreurs ! Le fait de poser le problème ferait pratiquement de nous des extrémistes… Mais le problème s’est toujours posé en France ! Michel Mercier observait que, entre 1945 et 1980, le nombre de textes de loi sur le sujet a été très faible. C’est exact ! C’était l’époque des Trente Glorieuses, et nous disposions d’une grande capacité – économique et sociale – d’intégration. Mais, auparavant, le sujet avait soulevé de très nombreux débats au sein du Parlement français ou dans l’opinion publique.

Les arrivées massives de Polonais, d’Italiens, de Portugais ont été constatées dans des périodes où nous connaissions un déficit démographique par rapport à l’Allemagne et où la volonté était de réarmer notre pays – ce qui n’a rien de déshonorant. À cette époque, on n’a pas considéré que ces personnes, parce qu’elles n’étaient pas françaises depuis douze générations, devaient se voir interdire l’entrée. Ce n’est pas cela le sujet ! Le sujet, c’est qu’un Gouvernement, un État, une communauté ayant le sens, à la fois, de l’histoire et de l’avenir doit s’interroger sur ses moyens d’actions collectives. Jusqu’où pouvons-nous intégrer ?

Loin de moi l’idée d’exclure qui que ce soit ! Je dis simplement ceci : la France de 2015 n’est pas la France de 1975, ni celle de 1930, et encore moins celle de 1890 ! Dès lors, il est évident qu’il nous revient de définir un certain nombre d’éléments.

Oui, mes chers collègues, je propose par voie d’amendement que le plafond des entrées possibles sur le territoire national soit déterminé dans le cadre d’un débat parlementaire. Mais c’est là une des composantes clés de la souveraineté ! L’État est en droit de savoir qui entre sur son territoire et à combien s’établit le nombre d’entrées ! En quoi est-ce scandaleux ou inadmissible ?

Notre rôle est de faire en sorte que les Français, pas de manière fermée, exclusive, rétrécie, sachent comment se construit l’avenir. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je dénonce depuis des années au sein de la commission des finances – ses membres pourront en témoigner – l’insuffisance des moyens accordés à l’intégration. Disant cela, je ne fais pas de procès spécifique à la gauche : la situation était identique sous les gouvernements de droite !

Nous passons notre temps à donner des leçons à la terre entière, mais nos gouvernants, par exemple, octroient très peu de moyens à l’apprentissage du français. Comme cela a été souligné précédemment, les apprenants passent du niveau A1 au niveau A2 sans subir aucun examen. Il leur suffit d’avoir suivi les cours du niveau A2 pour qu’on leur dise : « C’est bon pour vous, au revoir et merci ! » Aucun examen final ne vient contrôler qu’ils ont réellement atteint ce niveau !

De la même manière, l’OFII ne dispose pas de moyens financiers pour améliorer les cours. Les moyens sont également réduits s’agissant de l’instruction civique, de l’éducation et de l’assimilation des valeurs républicaines.

« C’est contraire à nos valeurs », dites-vous, monsieur Kaltenbach… Mais inculquons d’abord ces valeurs à ceux que nous accueillons de manière régulière, qui sont intégrés ou à qui nous accordons le statut de réfugié ! Ce n’est pas le cas aujourd'hui !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Aucun moyen supplémentaire n’est envisagé !

Arrêtons ! La vérité, c’est que certains utilisent effectivement d’une manière politique le terme « immigration », mais que d’autres ont peur de l’employer, parce qu’on ne sait pas ce qu’il recouvre, jusqu’où on peut aller ou si l’on ne va pas en prendre plein la figure. Pourtant, ce devrait être un débat tout à fait classique - Quel plafond ? Dans quelles conditions laisser entrer ou mettre un terme aux entrées ? –, car, en réalité, les mesures prises sous le gouvernement Chirac comme celles qui avaient été arrêtées en 1945 et 1946 étaient liées à la situation économique, sociale et sociétale du pays.

Il est donc clair que la décision nous appartient. Je n’ai pas à juger que telle ou telle mesure est inacceptable. Dès lors qu’elle a été décidée par une majorité du Parlement français, elle est acceptable et s’applique !

Reconnaissons, monsieur le ministre - mais toutes vos interventions montrent que vous en êtes extrêmement conscient –, que notre société est très fragilisée. Je ne dis pas que la faute en revient au Gouvernement. Je vous invite simplement à regarder autour de vous, dans nos quartiers, dans nos zones rurales. Oui, la société française est très fragilisée ! Elle est en difficulté, sous tension ! Il faut accepter de le reconnaître et, sur cette base, définir ensemble quelles sont nos capacités à accueillir une immigration régulière, comment nous limitons cette dernière pour favoriser son intégration, quels moyens supplémentaires nous nous donnons pour garantir la réussite de cette intégration et éviter que des personnes soient régulièrement accueillies dans notre pays ou obtiennent le statut de réfugié, tout en se sentant exclues de la société française.

Je me suis rendu au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot vendredi. Vous observez que nous avons réduit les effectifs de police entre 2007 et 2012, monsieur le ministre. Mais les effectifs policiers de ce centre de rétention n’ont pas cessé de diminuer, chaque année, depuis 2012 !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Peut-être la situation n’est-elle pas la même partout… Dans ce centre, en tout cas, les effectifs ont bien été réduits et les personnels sont découragés, car ils ne sont plus en mesure de traiter les problèmes.

Je ne rejette la faute sur personne ! J’estime juste normal, et je le dis, que nous déterminions ensemble qui peut bénéficier d’un accueil régulier en France. Or nous ne sommes plus dans la même situation que durant les Trente Glorieuses ou au début du XXe siècle, lorsque la France a connu plusieurs années de baisse démographique, et le contexte ne permet plus de s’en tenir simplement aux incantations.

Le problème n’est pas de savoir si l’immigration est une chance, ou n’en est pas une, mais de déterminer dans quelles conditions nous pouvons garantir un accueil correct. En effet, nous accueillons beaucoup de personnes à l’heure actuelle – en situation irrégulière ou pas -, et cela fait naître de la tension au sein de la société. Alors, trouvons un moyen, au vu de la situation économique et sociale de la France, de limiter l’immigration régulière et de bien intégrer ceux qui obtiennent le droit d’asile.

Je ne veux pas pousser mon propos trop loin – j’aurai l’occasion de présenter des amendements dans les 48 heures à venir. Mais vous prétendiez précédemment que le nombre de personnes obtenant le droit d’asile n’évoluait pas énormément. Au premier semestre de 2015, nous en comptabilisons 14 800, soit autant que sur l’ensemble de l’année 2014 !

M. le ministre proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Ce chiffre nous a été donné par le directeur de l’OFPRA. Si les personnes que nous consultons ne nous transmettent pas les bons chiffres, cela va devenir difficile… En tout cas, c’est un volume qu’il va bien falloir gérer !

Mes chers collègues, les tensions ne naissent pas de manière surnaturelle. Nous sommes ici pour veiller à ce que la société française ne subisse pas de tensions du fait de ce problème d’immigration, car nous l’aurons traité de manière si responsable que nous aurons évité les propos surréalistes, d’un côté, et les visions angéliques, de l’autre.

Une attitude responsable, des annonces suivies d’effets, pas d’incantations et des moyens financiers suffisants pour mener une véritable lutte contre l’immigration irrégulière et maîtriser l’intégration des immigrés en situation régulière, voilà ce qu’il faut !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Mes chers collègues, il est presque minuit. Je vous propose de prolonger notre séance, afin de terminer la discussion générale.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Natacha Bouchart.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Calais concentre toutes les problématiques les plus cruciales de l’immigration clandestine et fait régulièrement, sur ce sujet, la une de la presse. Vous pouvez vous en rendre compte pratiquement chaque jour.

Je ne vous cache pas ma déception à la lecture du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. À mes yeux, celui-ci ne ferait qu’aggraver le flux migratoire actuel, que nous ne maîtrisons déjà plus, les événements s’étant trop accélérés au cours des dernières semaines. Comment accepter un projet de loi qui donnerait lieu à un appel d’air pour ces milliers, voire ces millions de personnes attendant de passer en Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient ? Ne vous y trompez pas, je connais la situation dramatique qui pousse ces personnes à fuir leur pays, mais je sais d’expérience que ce n’est pas en assouplissant les règles que l’on trouvera la juste solution.

Ce texte était un contresens ! Comment, en conscience, peut-on encourager l’attractivité de la France pour les migrants, alors que jamais nous n’avons été soumis à une telle pression ? Je le constate chaque jour dans ma ville, cette politique migratoire est un échec !

Monsieur le ministre, avec le projet de loi que le Gouvernement a déposé, vous sonneriez le glas d’une immigration choisie, au profit d’une immigration subie comme une fatalité, face à laquelle on baisse les bras, on se résigne.

J’entends déjà les cris d’orfraie de certains de nos collègues, préférant verser dans l’angélisme au lieu de « parler vrai ». Mais la réalité est qu’on ne peut pas accueillir tout le monde, et j’invite tous ceux qui pensent le contraire à venir à Calais pour comprendre ce que représente, pour un élu, la gestion quotidienne d’une immigration impossible à absorber.

Actuellement, ce sont 4 000 hommes, femmes, enfants – ils étaient près de 3 000 en juin dernier - qui stationnent à Calais, en attendant, pour 90 % d’entre eux, un hypothétique passage en Grande-Bretagne. Ces 4 000 personnes vivent dans des conditions sanitaires qui se sont améliorées, grâce à la mise à disposition d’un centre d’accueil de jour, donnant lieu à une contractualisation entre la ville de Calais et l’État, et financé par ce dernier. Cependant, et malheureusement, à côté, un camp improvisé est devenu un bidonville parce que le Gouvernement, il y a quatorze mois, a refusé son installation en campement provisoire.

Dans cette installation sauvage, nous ne sommes pas capables de dire qui sont ces migrants, d’où ils viennent, par où ils sont passés ni même comment les aider, parce qu’ils ne sont pas identifiés. De plus, pour beaucoup, ils génèrent de la violence et développent des trafics en tout genre, soutenus par des extrémistes No Borders que la justice, de nouveau, laisse faire.

Voilà pourquoi ma conviction et mes valeurs se résument en ceci : l’humanité ne peut pas aller sans la fermeté.

Oui, notre pays doit rester fidèle à sa tradition d’accueil et d’asile ; cela, nous en convenons tous. Mais cet accueil doit se faire au prix de règles que nous fixons et qui, seules, nous permettront d’accueillir des étrangers dans les meilleures conditions.

Parce que, oui, l’humanité c’est aussi être en mesure d’accueillir des immigrés dans des conditions décentes, de leur proposer un toit, un travail, des formations et de les assimiler un jour dans la communauté nationale. Qu’en serait-il avec le texte du Gouvernement, qui, s’il était mis en application, verrait fleurir des « jungles » non plus seulement à Calais, mais en de nombreux points de l’Hexagone ?

Que dire du nombre indécent de morts de migrants ayant pour cause des gestes désespérés, sur le port de Calais ou dans le tunnel sous la Manche ?

Que dire des conséquences sur l’économie locale, qui voit des entreprises fermer et se délocaliser à cause de ce problème ?

Que dire de la montée exponentielle des agressions mettant en cause les migrants ?

Que dire des activistes, qui instrumentalisent ces personnes dans le seul et unique but de nuire à l’ordre public ?

Que dire des réseaux de passeurs, qui se nourrissent de la misère humaine ?

Que dire enfin de l’impuissance des forces de l’ordre, qui ne sont plus en mesure de faire leur travail et chez qui des cas de dépression, voire de suicide ont été constatés ?

Est-ce cela l’humanité de la politique migratoire du Gouvernement ? En tout cas, ce n’est pas ma conception. Ce désastre moral, c’est la conséquence d’un État qui baisse la garde, espérant que les problèmes se résoudront d’eux-mêmes. C’est la conséquence d’une politique européenne construite il y a trente ans et qui est désormais largement dépassée.

Si le projet gouvernemental est finalement adopté, je peux vous l’annoncer, monsieur le ministre, la situation continuera à se dégrader, à Calais comme ailleurs.

Je vous parlais d’humanité, je vais vous parler de son pendant, la fermeté, en revenant sur les problèmes survenus ce week-end à Calais, ceux dont j’ai parlé cet après-midi.

Pourquoi le procureur de la République a-t-il fait savoir qu’il ne poursuivrait pas les vingt-trois personnes interpellées et placées en garde à vue dimanche ? Il justifie sa décision par le fait que ces vingt-trois hommes ne sont pas, à son sens, les instigateurs de cette action. Par ailleurs, le procureur estime qu’il ne serait pas juste de ne poursuivre qu’une partie des personnes coupables.

Je le disais cet après-midi, je le répète ce soir : la coupe est pleine, monsieur le ministre, et c’est à se demander si des instructions n’ont pas été données au parquet, qui se rend complice des manipulations des No Borders, lesquels sont évidemment derrière ces événements. Un tel laxisme est effarant ! Il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une incitation à continuer de tels actes. Allez-y, introduisez-vous illégalement, de toute façon la justice ferme les yeux !

Cette intrusion sur le site d’Eurotunnel a engendré des dégâts matériels importants. Au-delà de ce simple fait, nous parlons ici d’un site sensible pour l’économie franco-britannique. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à renforcer la gravité de certaines atteintes aux points d’importance vitale pour la défense nationale et aux sites sensibles pour l’économie du territoire.

Cette attitude du procureur dans l’affaire de l’attaque du site d’Eurotunnel est à mon sens le révélateur du problème auquel nous sommes confrontés : celui de l’abaissement de l’autorité de l’État, qui commence par le laxisme de la justice. Le grand malheur que représente le texte gouvernemental est d’en être la consécration. En effet, comme l’a pointé le rapport de notre collègue François-Noël Buffet, près de quatre clandestins sur cinq ne sont pas expulsés. De même que le procureur de la République renonce à poursuivre ces vingt-trois migrants pris en flagrant délit sur le site d’Eurotunnel, parce que les forces de l’ordre n’ont pu interpeller les quatre-vingt-dix autres coupables, la France renoncerait, suivant la volonté du Gouvernement, à une application réelle et efficace des procédures d’éloignement en oubliant la prééminence de la rétention administrative sur l’assignation à résidence. Les reconduites à la frontière doivent pourtant être non pas une option, mais appliquées de manière systématique.

La première étape pour régler le problème de l’immigration clandestine, c’est bien le rétablissement de l’autorité de l’État, et non pas son abaissement. C’est sur ce point, monsieur le ministre, que le Gouvernement et ma famille politique ont une divergence fondamentale.

Calais, encore une fois, est en l’occurrence un laboratoire pour observer les dysfonctionnements de l’État et comprendre les solutions qu’il faut d’urgence mettre en œuvre. C’est ainsi que nous obtiendrons de la justice et des services de l’État en général qu’ils ne puissent plus se défausser.

Rendre systématique, et non plus occasionnelle, la prise des empreintes digitales pour tous les clandestins, c’est la seule manière de pouvoir les prendre en charge, en ayant un suivi réel des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants économiques. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à cette fin.

De même, il est indispensable de se donner les moyens de déterminer la minorité ou la majorité des personnes, y compris par les données radiologiques de maturité osseuse, pour éviter à des délinquants de se prévaloir des dispositions spécifiques liées à une prétendue minorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Mes valeurs sont claires.

Monsieur le ministre, vous êtes le premier garant de l’État de droit ; si vous ne pouvez commenter les décisions de justice, vous devez imposer une concertation avec Mme Taubira pour activer des réponses pénales systématiques. La limite de l’État de droit, c’est les « tas de droits », comme le disait un excellent juriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est la première réforme importante du CESEDA depuis mai 2012.

Les ambitions du texte issu de l’Assemblée nationale sont essentielles.

Premièrement : améliorer l’accueil par un titre de séjour pluriannuel de quatre ans après une première année de résidence en France. Ce seront moins de tracasseries administratives et moins de files d’attente.

Deuxièmement : conforter notre attractivité en sécurisant par la loi les avancées intervenues depuis 2012 pour tourner définitivement la page de la circulaire Guéant, qui refusait le droit à une première expérience professionnelle en France aux étudiants étrangers.

Troisièmement : sécuriser les droits en clarifiant les rôles des juges administratif et judiciaire et en rétablissant l’intervention du juge des libertés et de la détention, garant constitutionnel des libertés individuelles, à quarante-huit heures de détention au lieu de cinq jours.

Enfin, quatrièmement : mieux lutter contre l’immigration irrégulière en adoptant des mesures opérationnelles visant à l’effectivité de l’action.

Quelques principes doivent d’abord guider ce débat.

L’admission au séjour en France est globalement très stable depuis plusieurs années, cela a été dit à plusieurs reprises. Aussi, contrairement à ce que dit M. Karoutchi, nos marges de manœuvre sont très faibles, sauf à ne plus vouloir accueillir d’étudiants, sauf à refuser à ceux qui vivent en France le droit d’aimer et le droit de vivre en famille.

J’ai vécu vingt ans hors de France.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

J’ai quitté en 1990 une république où les inégalités existaient, mais où la lutte contre celles-ci était une constante de l’action politique. J’ai retrouvé en 2011 un pays obsédé par l’origine des gens, où votre point de départ, votre origine, est un poids qui finalement vous reste tout au long de votre vie. Cette différence souligne l’échec de l’intégration au cours des vingt dernières années.

L’intégration passe par le respect de l’altérité plutôt que par une obligation d’assimilation. C’est essentiel, et c’est encore plus indispensable à une époque où chacun peut rester sans difficulté en liaison avec son pays d’origine.

Vouloir faire d’un étranger qui arrive un pré-Français, c’est le meilleur moyen de rater son intégration. Ne pas sécuriser le séjour en France de personnes qui y vivent depuis plus de quinze ans, qui sont parents d’enfants français, c’est le meilleur moyen de sceller un divorce entre cette famille et la France.

Pour être intégré, il faut se sentir libre de vivre et d’aimer en France. C’est comme cela qu’on apprend à vivre en France et c’est comme cela qu’on peut devenir Français. Cette liberté, cette diversité, qui fait notre force, qui marque notre vocation à l’universel depuis 1789, c’est notre identité. C’est un atout aujourd’hui pour la France et pour que la France trouve sa place et sa voix dans un monde global. Cette chance, nous l’avons, ne la gâchons pas !

Notre attractivité est une condition de notre développement économique, de la défense de la francophonie, de la défense de nos valeurs. C’est ce qui nous permet aussi de peser sur les enjeux du monde. Quelle tristesse de voir qu’aujourd’hui la classe moyenne marocaine, si elle un week-end libre, préfère aller à Istanbul plutôt qu’à Paris, pour des raisons de visa ! Quelle tristesse de voir ce continent africain, jeune, réserve de croissance et d’espérance, finalement pour des questions de visa se détourner de la France au moment où notre histoire devrait nous donner un rôle spécifique pour accompagner la croissance de l’Afrique !

Cette attractivité, veillons aussi à ne pas la handicaper par la réduction progressive d’un réseau consulaire qui n’est plus à la mesure de notre pays. Cela commence à devenir un poids.

Enfin, s’agissant de la question européenne, on peut dire deux choses : la politique de séjour reste une prérogative nationale et les visas de court séjour sont une prérogative européenne. Les deux sont liés, on peut passer de l’un à l’autre. Sur ce point, la politique européenne mériterait d’être plus cohérente. La zone Schengen doit continuer à se réformer pour que ces politiques d’immigration soient rendues plus cohérentes.

Ce n’est pas par des déclarations martiales, ce n’est pas par de l’arbitraire des quotas ou des passe-droits qu’on luttera contre l’immigration irrégulière ; c’est en adoptant des critères clairs comme ceux qui ont été indiqués dans la circulaire de Manuel Valls de novembre 2012 sur les régularisations, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

… c’est en limitant les zones grises entre droit et non-droit, qui fragilisent aujourd’hui nombre de personnes, rendant leur intégration impossible et engendrant des frustrations.

Pourtant, le rapport de François-Noël Buffet revient sur de nombreux principes qui ont été affirmés au moment des débats à l’Assemblée nationale et empêchera ce texte d’atteindre les objectifs visés par le Gouvernement et sa majorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

C’est profondément préoccupant.

Les amendements de M. Karoutchi font poindre la nostalgie des années Sarkozy. Faut-il les rappeler ? Diviser par deux en cinq ans le nombre de laissez-passer consulaires qui permettaient de réels éloignements ; financer sur fonds publics des réseaux d’immigration – les bus entre la Roumanie et la France – ; remettre en cause la rétention des étrangers, qui a obligé l’adoption d’une loi en urgence à l’automne 2012 ; enfin, des déclarations martiales sur l’immigration, qui devait être contrôlée ; des lois, là encore martiales, avec, derrière, des élus demandant en catimini des régularisations au ministre de l’intérieur, en contradiction avec les lois votées.

Ce n’est pas acceptable sous cette forme. C’est la limitation de la zone grise et le respect des droits qui permettront la lutte contre l’immigration irrégulière et la clarification des choses.

Dans ce débat, au cours des prochains jours, nous nous battrons afin de définir pour la France une politique d’accueil digne de son histoire, pour lui donner les moyens d’intégrer, pour lui donner les forces d’aborder son avenir avec confiance.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Giudicelli

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi intervient dans un contexte extrêmement inquiétant : les drames se multiplient aux portes de l’Europe. Nous avons pu le constater lors de plusieurs déplacements avec François-Noël Buffet. Nous nous sommes rendus à Menton, à Calais – où l’action de Natacha Bouchard nous a épatés – et en Sicile, à Catane, plus précisément à Mineo, le plus grand centre d’accueil de réfugiés en Europe, où arrivent des bateaux remplis de migrants qui sont dans un état dramatique. L’un d’eux nous a fait remarquer que les Français avaient beaucoup pleuré en voyant l’image de ce petit garçon échoué sur une plage ; or 600 enfants ont connu le même sort. Ces migrants nous ont raconté des choses insoutenables !

Lors de chacun de nos déplacements, nous avons rencontré les autorités locales et les associations : ce sont elles qui nous ont expliqué la situation. Nous avons acquis la certitude qu’un très grand nombre de migrants économiques se mêlent aux réfugiés politiques. Les passeurs exigent 1 000 euros pour un enfant et 2 000 à 3 000 euros pour un adulte et n’hésitent pas, lorsque la mer est agitée, à jeter les passagers par-dessus bord. Nous pourrons vous en parler plus amplement.

Si un défi gigantesque se présente à la France et à l’Europe pour répondre avec humanité aux situations de détresse, nous devons aussi lutter avec fermeté contre les entrées injustifiées.

Au moment même où les pays européens mettent en place des quotas de réfugiés, nous savons que se développe parallèlement une immigration clandestine forte.

Pour de très nombreuses raisons, un grand nombre de migrants refusent de donner leurs empreintes digitales dans les centres d’accueil, y compris à Catane, car ils doivent ensuite dévoiler leur nom et diverses informations, notamment sur leur pays d’origine, qu’ils porteront sur un badge avec leur photo. Ils ont alors le droit, dans ces centres parfaitement organisés, de chercher de la nourriture, du lait pour les bébés, etc.

Se faire identifier et enregistrer, c’est probablement, pour certains, passer de longs mois d’attente avant que les commissions italiennes d’immigration statuent sur ces demandes d’asile. C’est pourquoi certains mettent un produit particulier sur leurs doigts afin d’effacer totalement leurs empreintes. Ceux-là ne sont pas acceptés dans les centres et doivent partir.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Giudicelli

Ils sont donc des milliers à quitter les centres d’accueil, préférant devenir des clandestins et se diriger vers le nord de l’Italie.

Le Premier ministre a rappelé en septembre dernier devant les députés que, en huit mois seulement, à Menton et dans les Alpes-Maritimes, 20 450 personnes avaient été interpellées à la frontière. Certes, les contrôles ont été rétablis conformément aux accords de Schengen, mais combien d’autres ont réussi à passer la frontière illégalement ? Nous ne le savons pas.

Monsieur le ministre, j’aurai l’occasion de vous interroger à la fin du mois sur nos craintes de voir se développer des filières d’immigration clandestine pour permettre à de jeunes adultes d’être admis par la France au titre de mineurs isolés étrangers. C’est un problème auquel le département des Alpes-Maritimes est confronté, comme d’autres départements d’ailleurs : les accords de Schengen ne permettent pas la reconduite à la frontière de ces jeunes mineurs isolés dont le coût pour l’aide sociale des départements explose.

Dans un contexte général extrêmement préoccupant, la lutte contre l’immigration clandestine devrait vraiment être une priorité européenne. Certes, l’Europe finance cette lutte avec Frontex et l’opération Triton de contrôle de l’immigration depuis la Libye, mais ces dispositifs, à l’évidence, ne sont pas suffisants.

Les conditions ont changé, et le texte du Gouvernement ne me semble pas à la hauteur des enjeux.

Les étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, doivent être traités dignement et humainement. Cela ne signifie pas pour autant laxisme et faiblesse.

Dans le cadre de cette lutte contre l’immigration irrégulière, l’idée de limiter le recours à la rétention administrative et de donner une priorité à l’assignation à résidence me semble peu réaliste, même si cette démarche s’inscrit incontestablement dans le cadre des recommandations de la directive européenne. Je doute qu’un tel dispositif puisse permettre la reconduite à la frontière.

Concernant le droit d’asile, je m’interroge : que sont devenus les 50 000 déboutés du droit d’asile ? Selon le rapport des missions de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, moins de 5 % des demandeurs d’asile déboutés feraient l’objet d’une décision d’éloignement. Selon la Cour des comptes, seulement 1 % des déboutés sont effectivement éloignés. J’apprécie évidemment que M. le rapporteur ait réintroduit, comme il l’avait fait dans le texte sur le droit d’asile, qu’une décision de refus du droit d’asile se traduise automatiquement par une obligation de quitter le territoire français.

Il est également important de réduire les avantages dont bénéficient les étrangers en situation irrégulière. Nous craignons la poursuite de l’augmentation des dépenses non maîtrisées de l’aide médicale de l’État dans notre pays. Il est aussi indispensable de maintenir les conditions de placement et de maintien dans des centres de rétention administrative. De la même manière, il nous semble urgent de supprimer la circulaire du 28 novembre 2012, qui assouplit les critères de régularisation des sans-papiers.

En conclusion, je suis persuadée qu’il est possible de mettre en œuvre une véritable politique d’immigration humaine, mais cette politique doit aussi être volontaire et ferme. Je me félicite que le texte, tel qu’il ressort des travaux de la commission des lois, corresponde à la nécessité de lutter de manière effective contre l’immigration irrégulière.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la réforme du droit d’asile, ce projet de loi est le second volet d’une réforme d’ampleur visant à moderniser notre politique migratoire en la rendant plus efficace et plus humaine.

Le sujet est brûlant après les trop nombreux drames survenus notamment en mer qui ont suscité l’émoi du monde entier. Mais un émoi a posteriori ne répare rien s’il n’est suivi d’une action déterminée. C’est pourquoi je tiens à saluer l’action du Président de la République et du Gouvernement pour leur réactivité dans cette crise.

Le présent projet de loi traite du droit au séjour, avec pour triple ambition de sécuriser le parcours d’intégration des étrangers séjournant régulièrement en France, de renforcer l’attractivité de la France au niveau international et de lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. Sur ce dernier point, le Gouvernement présente déjà un bilan satisfaisant – quoi qu’en disent certains –, comme vous l’avez souligné lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le ministre, et ainsi que vous venez de le rappeler, avec une hausse de 13 % des éloignements contraints entre 2012 et 2015.

Les accusations de « gauche immigrationniste » lancées par certains sont infondées et démagogiques. Ce texte vise à rendre plus efficace la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment avec des délais réduits à quinze jours et des modalités procédurales adaptées s’agissant des recours contre des mesures d’obligation de quitter le territoire français non consécutives à un refus de délivrance de titre de séjour, dont les OQTF prises envers les déboutés du droit d’asile.

L’interdiction de retour sur le territoire est généralisée lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger ou lorsque l’étranger n’a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti.

En contrepartie, et dans le respect des droits des migrants, priorité est donnée à l’assignation à résidence plutôt qu’au placement en rétention, qui, lui, est conditionné à l’absence de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de soustraction à la mesure d’éloignement. L’Assemblée nationale est même allée plus loin en inscrivant dans la loi l’engagement de campagne de François Hollande visant à rendre quasiment impossible le placement en rétention des mineurs.

En corollaire, le texte consacre une adaptation des pouvoirs des forces de l’ordre en cas de non-respect de ses obligations par la personne assignée à résidence. On voit bien là la recherche d’équilibre entre le respect des droits des étrangers et la nécessité de ne pas « impuissanter » ceux qui ont la charge de faire respecter la loi et donc de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière.

Ce projet de loi ne se limite pas à ce seul volet. Il vise aussi à faciliter les démarches pour les étrangers séjournant régulièrement sur le territoire afin de renforcer l’attractivité de notre pays.

La grande avancée est la création de la carte de séjour pluriannuelle de quatre ans délivrée après un premier titre de séjour d’un an, évitant ainsi les démarches fastidieuses, les files d’attente chaque année en préfecture qui se révèlent contraignantes, parfois humiliantes et en tout cas « insécurisantes ».

Parallèlement est mis en place un système légitime de contrôle pendant la durée de validité du titre de séjour afin de vérifier que l’étranger continue de remplir les conditions pour bénéficier de la carte pluriannuelle. À juste raison, l’Assemblée nationale a pris soin d’encadrer le droit de communication dont dispose l’administration pour procéder à ce contrôle.

Est également créée une carte de séjour pluriannuelle « passeport talent », délivrée dès la première admission au séjour pour les étrangers qui apportent une contribution au développement et au rayonnement de la France, mais aussi pour leur famille.

Dans le même esprit, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux étudiants diplômés en France au niveau master et justifiant d’un projet de création d’entreprise. La situation des étudiants mérite une attention particulière, dont traitera ma collègue Dominique Gillot.

C’est donc un projet de loi cohérent que nous présente le Gouvernement, pour lutter contre l’immigration illégale, favoriser le séjour des étrangers en situation régulière et attirer les talents étrangers dans notre pays, un texte qui a gagné en équilibre lors de son passage à l’Assemblée nationale.

Je tiens à saluer la qualité du travail du rapporteur François-Noël Buffet, mais le texte adopté par la majorité de droite de la commission des lois du Sénat brise, hélas ! cet équilibre, en complexifiant les procédures pour les étrangers en situation régulière, notamment en supprimant toute délivrance de plein droit de certains titres de séjour, comme celle de la carte de résident permanent au bout de deux renouvellements de la carte de résident, ou encore en rendant, à l’article 13 septies, le regroupement familial plus difficile, l’étranger séjournant régulièrement en France devant attendre vingt-quatre mois, contre dix-huit actuellement, avant de pouvoir demander que sa famille le rejoigne. Cela va clairement à contre-courant d’un droit communément admis et considéré comme acquis.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Les mesures préconisées par la majorité de droite au sein de la commission des lois cèdent à l’évidence à une certaine idéologie et à la démagogie. Elles ajoutent aux tracas de la vie des étrangers résidant régulièrement France. Elles ne peuvent être vécues par eux que comme un recul de leurs droits et, j’oserais dire, comme des brimades et l’expression d’un rejet.

Ce ne sont pas les étrangers en situation irrégulière qui sont concernés par ces mesures.

Ceux qui, par idéologie ou pour des raisons politiciennes, veulent rendre les conditions de leur séjour dissuasives et difficilement supportables sont à contre-courant de l’esprit de ce texte et ne rendent pas service à la France. Ils sont plutôt inspirés par des pressions démagogiques et une volonté systématique de contrer le Gouvernement et le Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Nous attendons beaucoup mieux de ce débat afin qu’il fasse évoluer le regard de nos concitoyens sur l’étranger parmi nous.

Nous soutenons le texte du Gouvernement issu de l’Assemblée nationale, car il traduit vraiment l’intérêt général.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier le Gouvernement de proposer à la représentation nationale ce texte, attendu par nombre d’entre nous, qui connaissons l’insécurité des parcours des ressortissants étrangers sur le territoire français.

La politique migratoire fait l’objet d’approches manichéennes et caricaturales. Cela s’inscrit dans une stratégie de dénigrement et de fuite en avant, dont les ressortissants étrangers, quel que soit leur statut, sont les victimes. De surcroît, elles nourrissent un sentiment xénophobe grandissant.

D’aucuns ont déjà dit que le moment était mal choisi – surenchère politique, afflux de réfugiés, pression migratoire, période électorale, etc. De longue date, la France a fait appel à la main-d’œuvre étrangère pour le développement industriel. Mais lorsque, aux phases d’expansion économique et d’ouverture des frontières, succèdent des périodes de crise, nous subissons le retour de la xénophobie et l’incantation à la « maîtrise » de l’immigration, comme l’a tristement fait la commission des lois, durcissant et rétrécissant la portée du présent texte, …

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

… qui répond pourtant à une nécessité sociale, économique et humaine et à un engagement du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Les enjeux liés à l’immigration sont trop importants pour être abordés de manière aussi dogmatique et politicienne.

Monsieur le ministre, vous avez donc travaillé à partir de constats objectifs, pour proposer, sereinement, de façon équilibrée, une législation mieux adaptée et une plus grande clarté des procédures. C’est la meilleure défense face à ceux qui voudraient convoquer les instincts primaires pour jeter cette histoire nationale dans le creuset du populisme.

Mon engagement, traduit en 2013 par une proposition de loi relative à l’attractivité universitaire de la France, est connu. Cette proposition de loi, qui comportait six articles, a été introduite en partie dans la loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013, et je me réjouis que le présent texte contienne des dispositions que j’avais formulées et que Matthias Fekl a soutenues dans son rapport remis au Premier ministre le 14 mai 2013.

Facteurs majeurs de l’économie de la connaissance et de l’innovation, le savoir et le capital humain sont un enjeu central de la compétition globalisée. Les universités doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs pour constituer les meilleures équipes.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

C’est ainsi que se construit la connaissance aujourd’hui. C’est ainsi que se forge une humanité dont notre continent a bien besoin.

L’enseignement supérieur contribue à la politique d’influence des États, à la diffusion de leurs idées, de leur langue, de leur culture et de leurs valeurs à travers le monde.

Au gré des différentes majorités, des initiatives ont voulu favoriser la venue d’étudiants étrangers. Je songe par exemple à la création, le 27 juillet 2010, d’un opérateur unique, Campus France, destiné à promouvoir les formations françaises à l’étranger, à faciliter la sélection des étudiants internationaux et à gérer l’ensemble de leur accueil. Cette initiative a néanmoins été brouillée par la circulaire Guéant du 31 mai 2011, qui a largement abîmé l’image de la France à l’étranger, détournant de brillants étudiants, notamment francophones, vers d’autres destinations.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Apparaissait alors l’hésitation entre la volonté d’accueillir les meilleurs éléments et l’obsession du « risque migratoire » ; entre la volonté de tirer parti des compétences acquises et l’affirmation que l’étudiant étranger avait vocation à rentrer dans son pays sitôt sa formation terminée ; entre l’intéressant retour économique sur investissement académique et l’opposition du marché de l’emploi au jeune diplômé candidat à une expérience professionnelle. Ainsi, en 2010-2011, la France était reléguée au quatrième rang mondial des pays d’accueil des étudiants étrangers, devancée par l’Australie !

L’abrogation de cette circulaire et son remplacement par de nouvelles dispositions ont permis de rétablir progressivement l’image de notre pays. Mais il reste beaucoup à faire pour assurer la considération que l’on doit à ces étrangers, qui deviennent, après leur séjour en France, nos meilleurs ambassadeurs. L’article 11 du présent texte y contribuera sans aucun doute.

La complexité des parcours administratifs, le caractère souvent dégradé des conditions d’accueil, l’installation d’un climat de suspicion généralisée à l’égard de ceux qui sollicitent une admission ont des conséquences défavorables sur l’attractivité de la France au niveau international.

Instaurer sous conditions précises la carte de séjour pluriannuelle pour les étudiants en licence évitera les multiples passages en préfecture, vécus de façon vexatoire, comme un frein à la réussite et à l’intégration. Toutefois, je présenterai un amendement tendant à ce que le redoublement ne soit pas un obstacle au renouvellement du contrat personnalisé d’accueil.

L’adéquation entre la durée de validité de la carte de séjour et le cursus d’enseignement simplifie et sécurise le séjour des étudiants. De même, la clarification du changement de statut, pour les étudiants titulaires d’un master qui accèdent à un emploi ou créent une entreprise, sert les intérêts de la France et correspond à la réalité que vivent aujourd’hui les étudiants de toutes nationalités, pour qui l’essor économique n’a pas de frontières.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

L’échec patent qu’a connu la mise en œuvre de la carte « compétence et talent » en juillet 2006, dont l’idée était positive mais inadaptée aux publics visés, est symbolique des errements de la précédente politique migratoire.

La création d’un « passeport talent », carte de séjour unique et pluriannuelle pour tous les talents étrangers, restaurera l’image de la France et sa volonté d’accueil, en stimulant la créativité, l’innovation et les échanges de savoir universel. Ainsi, notre politique d’accueil va gagner en cohérence, sortir d’une logique suspicieuse en vertu de laquelle seuls quelques rares privilégiés, sélectionnés sur la base de critères discutables, méritaient jusqu’alors d’être traités favorablement.

Monsieur le ministre, chers collègues, la France ne doit pas être refermée sur elle-même. Nous devons accueillir les talents, la création, l’excellence, les amoureux de la France. Il n’y a pas d’immigration subie, et il y a beaucoup d’avantages à mettre en œuvre ces nouveaux dispositifs d’accueil plus personnalisés.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Je vais répondre de manière globale aux orateurs et, par la même occasion, faire un certain nombre de mises au point.

Les représentants de l’opposition ont, je le comprends, intérêt à tenir le discours suivant : le contexte a changé, le texte qui nous est présenté n’est donc plus pertinent. Avec plus ou moins de véhémence ou de pugnacité, ils aboutissent en creux à cette conclusion : le Gouvernement mène une politique laxiste, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… qui n’est pas à la hauteur en termes de moyens et d’ambitions. Ces interpellations sont au cœur du débat, et je me dois d’y répondre.

Les orateurs de l’opposition insistent sur le fait que le contexte a changé et qu’il faut en tenir compte. Mais c’est précisément ce que nous faisons ! Nous avons même anticipé la dégradation de la situation.

Je l’ai dit en concluant mon propos liminaire, je souhaite que, sur ce sujet, nous parvenions à trouver les conditions d’un consensus.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Aussi, c’est sans aucun esprit polémique que je le rappelle : une crise migratoire a déjà eu lieu en 2011. Lorsque la situation de la Tunisie s’est subitement dégradée, on a assisté, à Lampedusa, à une arrivée massive de migrants.

Je le demande aux représentants de l’opposition : à ce moment-là, quelles dispositions ont été prises pour conforter les moyens des forces de l’ordre et les moyens d’accueil des demandeurs d’asile, notamment en termes de places au sein des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA, pour que la France puisse être à la hauteur de sa réputation et de l’enjeu migratoire ? Combien de postes avez-vous créés au sein de l’OFII et de l’OFPRA pour que les dossiers des demandeurs d’asile soient traités dans des conditions dignes ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

À l’époque où vous étiez aux responsabilités, les demandes d’asile doublaient, et, bien sûr, la politique et les flux migratoires étaient totalement maîtrisés... Depuis que nous sommes aux affaires, les demandes d’asile sont stables, et nous serions dans le laxisme absolu…

Qu’il s’agisse des effectifs des forces de l’ordre – vous y avez supprimé 13 000 postes –, des flux migratoires, de l’évolution de la demande d’asile, des moyens donnés à l’OFPRA ou à l’OFII, du nombre de places à créer en CADA, on constate que le travail n’a pas été fait à l’époque où vous étiez aux responsabilités.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Pour notre part, nous agissons par anticipation. Nous créons 18 500 places en CADA. Nous augmentons de près de 200 le nombre des personnels affectés à l’OFPRA, à l’OFII et aux préfectures, pour mettre en place le guichet unique. Sur la durée du quinquennat, nous créons 5 500 postes au sein des forces de police et de gendarmerie, dont 900 sont spécifiquement affectés aux forces de sécurité destinées à faire face aux flux migratoires.

Ainsi, nous corrigeons bien des manquements d’une politique passée. Et il faudrait que nous soyons, à l’instant, en situation de rendre des comptes sur des flux qui n’ont ni la même intensité ni la même nature qu’auparavant, ou sur les politiques publiques menées, comme si nous étions coupables ?

À un moment ou un autre, la réalité doit être regardée pour ce qu’elle est, et il faut la rappeler. En effet, l’abaissement politicien n’est pas possible en tout point.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Ce soir, j’ai entendu un certain nombre de propos qui méritent des précisions.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Monsieur le rapporteur, vous relevez que le taux d’exécution des OQTF est de l’ordre de 20 % quelle que soit la période et que la proportion des reconduites à la frontière n’a pas augmenté. Vous en déduisez que des efforts supplémentaires n’ont pas été accomplis.

Toutefois, je vous répète ce que j’ai dit en ouvrant cette discussion générale : dans ces 20 %, vous incluez des cas qui n’ont pas vocation à être pris en compte, parce que ce sont de fausses reconduites. Lorsqu’on paie 1 000 euros un migrant européen pour retourner dans son pays, par exemple la Roumanie ou la Bulgarie, on peut considérer que l’on mène une bonne politique migratoire, que l’on accomplit un effort considérable au titre des reconduites à la frontière. Pour ma part, j’appelle cela une politique de gribouille !

De même, lorsqu’on impose des « OQTF flash » à des migrants irréguliers qui repartent d’eux-mêmes, dans le seul but de faire du chiffre, on peut parler de volonté politique. Pour ma part, j’appelle cela de la gonflette statistique.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Puisque vous souhaitez obtenir des chiffres précis, je vais vous les communiquer. Ils figurent dans les tableaux que vous avez évoqués.

On a dénombré 13 908 éloignements forcés en 2009, 12 034 en 2010, 12 547 en 2011, 13 386 en 2012, 14 076 en 2013, 15 161 en 2014. Et, en 2015, nous serons à 17 000 !

Je veux bien que l’on fasse des commentaires quant à la détermination du Gouvernement à lutter contre l’immigration irrégulière, mais, en l’occurrence, j’y oppose des résultats.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

À présent, je tiens à dire un mot de Calais.

Au cours des derniers mois, je me suis rendu régulièrement dans cette ville, et ce dans le cadre d’une stratégie. Je comprends que les élections régionales approchent et que la politique puisse s’emparer du sujet de Calais. Toutefois, madame Bouchard, je tiens à préciser certains points que vous n’avez pas relevés, ce que je regrette, compte tenu de la disponibilité dont j’ai fait preuve à l’égard de votre ville et eu égard à la confiance qui a présidé à nos relations jusqu’à présent. Je vais apporter des éléments extrêmement précis.

Premièrement, vous affirmez que le Gouvernement n’a pas de détermination à procéder, à Calais, à la lutte contre l’immigration irrégulière. Vous assurez que le laxisme est partout. C’est faux ! Pourquoi ? Parce que, depuis le début de l’année 2015 – et, en la matière, les résultats sont au même niveau qu’en 2014 –, nous avons démantelé à Calais trente filières de l’immigration irrégulière, ce qui représente près de 750 personnes.

J’ai déployé, à Calais, 550 personnels de police supplémentaires, représentant 7, 5 unités de forces mobiles. À la fin de la semaine dernière, compte tenu de la situation que vous avez rappelée, j’y ai ajouté des forces mobiles supplémentaires. Aussi, je tiens à remercier les policiers du travail qu’ils accomplissent, à saluer l’action qu’ils mènent contre l’immigration irrégulière. Eu égard à ma responsabilité de ministre de l’intérieur, plutôt que d’évoquer le laxisme de l’État, je préfère rendre hommage à leur action.

Madame la sénatrice, si les forces de l’ordre agissent, ce n’est pas parce que vous leur avez donné des directives.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

C’est moi qui leur ai donné des instructions de lutte contre l’immigration irrégulière.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Deuxièmement, vous auriez pu indiquer que, depuis le début de l’année 2015, nous avons reconduit à la frontière 1 600 migrants en situation irrégulière à partir de Calais. Ce chiffre n’a cessé d’augmenter depuis 2012. Pourquoi ne pas le dire ?

Il y a quelques instants, vous avez assuré à cette tribune que l’État vous avait abandonnée au sujet de la lande de Calais et que, si cette lande était ce qu’elle est aujourd’hui, c’était la responsabilité de l’État.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Pourquoi n’avez-vous pas précisé que, si la lande a été occupée par des migrants, c’est parce que vous m’avez demandé d’assurer l’évacuation maîtrisée des squats du centre-ville de Calais ? Vous m’avez vous-même demandé que l’on procède à l’installation des migrants dans la lande pour éviter des nuisances en centre-ville. Vous en êtes convenue avec moi, et vous saviez parfaitement que nous procéderions à l’aménagement de la lande.

À ce titre, voici les montants investis par l’État à Calais : pour le centre Jules-Ferry, l’État a mobilisé 12 millions d’euros avec l’Union européenne. À la lande – M. le Premier ministre et moi-même l’avons annoncé, vous ne pouvez pas le nier –, nous allons consacrer 18 millions d’euros. Nous allons créer des conditions d’hébergement pour une première tranche de 1 500 migrants.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Les 2 000 places qui seront créées avant la fin de l’année en CADA pour accueillir les demandeurs d’asile à partir de Calais représenteront, quant à elles, 14 millions d’euros.

Vous déclarez que l’État vous abandonne, alors même que l’État investit à Calais 44 millions d’euros.

J’aurais pu avoir un tout autre comportement : celui, du reste, qu’a eu Nicolas Sarkozy à l’époque où il a procédé à l’évacuation de Sangatte, en 2002. J’étais alors maire de Cherbourg. J’aurais pu vous dire : vous souhaitez assurer un accueil humanitaire de jour au sein du centre Jules-Ferry ? Vous allez créer un appel d’air. Vous en porterez seule la responsabilité. L’État ne s’en mêlera pas, et il ne vous accordera pas un euro de soutien.

Aujourd’hui, je serais à cette tribune en train de vous dire que vous portez la responsabilité de l’appel d’air à Calais. Cela n’aurait pas été très digne sur le plan humanitaire ni sur le plan politique. Considérer que, parce que vous étiez dans l’opposition, vous méritiez que l’on vous traite de cette manière aurait témoigné d’un certain sectarisme et d’une manière bien politicienne d’agir. Ce n’est pas ce que j’ai fait !

Malgré vos déclarations à cette tribune, je tiens à dire aux Calaisiens, aux organisations non gouvernementales qui agissent et à vous-même que je ne change pas de position et que je n’ai pas l’intention de renoncer à un comportement correct sous prétexte d’échéances électorales.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Ces échéances n’ont rien à voir avec la situation !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je vous affirme que je continuerai à tenir mes engagements. L’État continuera à affecter des moyens à Calais, en particulier des forces de l’ordre ; l’État continuera à agir sur le plan humanitaire, dans un contexte dont vous savez mieux que quiconque – vous me l’avez souvent dit – qu’il est extrêmement difficile ; l’État continuera à créer des places en CADA afin que les demandeurs d’asile de Calais puissent en être éloignés et être hébergés dans des conditions dignes. Cette politique est dictée par des considérations de nature humanitaire et non politique !

Enfin, vous affirmez à cette tribune que le projet de loi qui est présenté ici est de nature à aggraver la situation à Calais. Je voudrais que vous citiez une seule mesure susceptible d’avoir cet effet. S’agit-il de ce que nous allons faire en matière de clarification des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif afin de faciliter les éloignements ? De la mise en place de l’assignation à résidence, qui est précisément destinée à créer des conditions dignes d’éloignement, plutôt que de la rétention, pour un meilleur accompagnement des familles ? De ce que nous faisons pour renforcer les forces de l’ordre ? De ce que nous faisons pour augmenter les moyens de l’OFPRA ? Considérez-vous que tout cela soit de nature à nuire à Calais, alors qu’il n’y a pas d’autres solutions ?

Dans mon propos introductif, j’appelais de mes vœux, sincèrement et du fond du cœur, que ces sujets ne soient pas préemptés politiquement, pour des raisons que l’on comprend et qui tiennent au calendrier.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je souhaitais que des hommes et des femmes de sensibilités politiques différentes regardent les problèmes en face et essaient de les traiter sincèrement, ensemble, en dehors de toute considération politique. C’est ce que je continuerai à faire, même si vous tenez ce discours à cette tribune !

Dans le camp de Calais, il y a des femmes et des hommes en situation d’extrême détresse, et vous le savez mieux que quiconque, puisque vous y êtes tous les jours. Ce n’est pas mon cas, mais je me tiens informé quotidiennement, vous le savez, y compris par les textos que vous m’envoyez.

Tout cela relève d’un procédé qui n’est pas acceptable. Vous savez parfaitement ma disponibilité, vous l’avez vous-même souvent reconnue. Faire cela à la tribune du Sénat ce soir, ce n’est pas convenable, compte tenu de ce qu’est l’engagement de l’État à Calais, que j’ai l’intention de maintenir et d’intensifier. Je ne ferai jamais de la politique de cette manière !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 7 octobre 2015, à quatorze heures trente, le soir et la nuit :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (655, 2014-2015) ;

Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (716, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 717, 2014-2015) ;

Avis de M. Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (2, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le mercredi 7 octobre 2015, à zéro heure cinquante.