Intervention de Christian Favier

Réunion du 6 octobre 2015 à 21h45
Droit des étrangers en france — Discussion générale

Photo de Christian FavierChristian Favier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi relatif au droit des étrangers en procédure accélérée à la veille, il faut bien le dire, des élections régionales. Je crois très sincèrement que le Gouvernement aurait été plus sage de reporter l'examen de ce texte.

Alors que la question des réfugiés se pose avec force, les populismes se déchaînent dans notre pays. Ainsi, Mme Le Pen ose affirmer que les migrations actuelles ont un rapport avec les invasions barbares du IVe siècle, et Mme Morano s’autorise une saillie insupportable sur la race blanche.

Au regard du contexte international et des enjeux nationaux, nous regrettons le manque de clairvoyance du Gouvernement ainsi que l'oubli un peu rapide par la majorité gouvernementale de principes qu'elle affichait avant 2012.

Ainsi que nous vous l’avons dit en présentant notre question préalable, en matière de politique migratoire, il serait utile d’être un peu plus lucide et de tirer les conséquences des conflits économiques et politiques qui font de notre monde aujourd'hui un monde de réfugiés. Une réflexion progressiste nouvelle devrait être en marche pour repenser l’ordre économique mondial établi. Cependant, très loin de ces préoccupations, le projet de loi initialement proposé par le Gouvernement, largement durci par la commission des lois du Sénat, s’inscrit, comme vient de le dire notre collègue Mercier, dans la parfaite continuité d’une politique menée depuis plus de trente ans, qui fait prévaloir la suspicion sur le respect et l’effectivité des droits.

Alors qu’il n’y avait aucune urgence à légiférer, le projet de loi s’articule autour de trois approches de l’immigration : limiter les passages en préfecture en accordant des cartes de séjour pluriannuelles – ce qui est une mesure plutôt positive –, augmenter l’attractivité de la France en déroulant le tapis rouge pour les talents et créer un dispositif supplémentaire pour faciliter les renvois.

Toutes les associations de défense du droit des étrangers en France, ainsi que le Défenseur des droits sont unanimes sur le projet de loi : il ne marque aucune réelle volonté de rupture avec les réformes précédentes. Certes, il comporte quelques avancées comme l’affirmation du caractère subsidiaire du placement en rétention administrative et la réintroduction de la condition d’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans le pays de renvoi, pour justifier le refus de délivrance d’un titre de séjour aux étrangers malades. Mais l’équilibre affiché du texte n’est, hélas, qu’une façade : l’immigration « autorisée » est maintenue dans une situation administrative précaire, qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver réellement leur place en France. Ainsi, alors que la mise en place d’un titre de séjour pluriannuel pouvait apparaître comme une mesure efficace pour sécuriser les parcours des étrangers en France, nous regrettons sa délivrance à géométrie variable et la complexification du CESEDA qui nuisent à son efficience.

Par ailleurs, de nombreuses dispositions du projet de loi, notamment l’article 14, sont consacrées à l’éloignement, au service de l’efficacité des mesures de départ forcé et de nouvelles procédures accélérées qui visent en fait à empêcher certaines catégories de demandeurs d’exercer, efficacement, leur droit au recours contre les obligations de quitter le territoire français.

En outre, une interdiction de circulation sur le territoire français est instaurée pour les ressortissants de l’Union européenne à l’article 15. Elle vise « implicitement », chacun le sait bien, les populations roms. Si une telle mesure d’interdiction de circuler était adoptée, ce serait une première en Europe, aucun autre État membre n’ayant encore osé le faire. Il s’agirait en fait d’une grave atteinte portée à l’exercice d’un droit qualifié de « liberté fondamentale » par la Cour de justice de l’Union européenne.

Les articles 19 et suivants, qui mettent en place un nouveau dispositif d’assignation à résidence pour faire diminuer le nombre de placements en rétention – ce qui est évidemment une démarche louable –, visent en fait à améliorer la « productivité » des procédures d’éloignement.

En matière de droit aux soins des étrangers, l’article 10 transfère le dispositif d’évaluation médicale des étrangers malades actuel à un collège de médecins de l’OFII, qui est, rappelons-le, sous la tutelle du ministère de l’intérieur en charge de la gestion des flux migratoires et du contrôle des étrangers. Aussi comment ne pas y voir un objectif « tacite » de gestion des flux ?

Nous sommes, par ailleurs, inquiets quant à la mise en place d’un dispositif inédit de contrôle par le préfet, qui, en clair, pourra enquêter sur un étranger avec l’aide de sa banque, de son opérateur téléphonique ou de l’école de ses enfants, le convoquer et même lui retirer son titre de séjour sans autre forme de procès.

Quant aux collectivités territoriales d’outre-mer, le régime spécial est maintenu ou aggravé en dépit des normes européennes et de la jurisprudence.

Enfin, nous ne comprenons pas aujourd’hui qu’un gouvernement, dont le parti avait clairement dénoncé les lois Sarkozy et Hortefeux, orchestre lui-même « l’immigration choisie » par le biais de « passeports talent ». Nous le comprenons d’autant moins qu’il recule sur les droits des travailleurs les plus précaires, en supprimant la possible délivrance d’une carte « salarié » aux salariés titulaires d’un CDD ou de contrats d’intérim. C’est là une véritable régression !

Pour ces travailleurs, seule sera délivrée une carte « travailleur temporaire » sur laquelle figureront le nom de l’entreprise et la durée du contrat de travail : un titre de séjour extrêmement précaire ! Quels seront les droits de ces « salariés jetables », qui, eux, ne pourront jamais prétendre à une carte pluriannuelle, alors qu’ils sont bien souvent en France depuis des années ? Ils seront plus que tout autre soumis au bon vouloir de leur employeur, afin de pouvoir rester dans la légalité.

Ainsi, la faible ambition de ce projet de loi gouvernemental a, hélas, permis à la droite sénatoriale de durcir des mesures déjà regrettables et de porter des modifications toujours plus sécuritaires et toujours plus éloignées de droits effectifs pour les étrangers.

Comme l’indique votre rapport, monsieur le rapporteur, votre position est claire : il s’est agi pour vous de « simplifier le texte en l’inscrivant dans les choix de la loi du 16 juin 2011 », mieux connue sous le nom de « loi Besson ». Ainsi avez-vous notamment restreint les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle, à l’article 11, renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle pour vérifier si les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier et rétabli le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour, en supprimant les hypothèses de délivrance de titres de plein droit.

Un certain nombre d’amendements adoptés par la commission des lois illustrent parfaitement la teneur de ce nouveau texte et l’ampleur des modifications apportées : la suppression de la délivrance de plein droit du visa au conjoint de Français ; la suppression de la délivrance de plein droit de l’autorisation provisoire de séjour pour les parents d’un enfant malade ; la faculté pour les forces de l’ordre de pénétrer au domicile de l’étranger pour l’escorter vers le consulat sur autorisation du juge ; la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de communication ; enfin, la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de pointage.

Soulignons tout de même que la « fuite » de l’essentiel du rapport de M. Buffet dans les colonnes du Figaro illustre parfaitement la méthode consistant à exploiter un sujet grave, l’immigration, à des fins médiatiques et politiques. Cette méthode est largement utilisée pour galvaniser les foules et accroître les craintes de nos concitoyens, comme si elles n’étaient pas déjà suffisamment attisées par le Front national !

Tout au long de l’examen de ce texte, nous tenterons donc d’éclairer le débat par un autre discours et d’améliorer le projet de loi en insistant sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité, qui ne saurait souffrir la moindre distinction entre ressortissants nationaux et étrangers, s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachée à la personne humaine. Aux yeux de notre groupe, l’immigration ne saurait être une menace pour un grand pays comme la France, mais un atout pour l’avenir.

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