Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 7 octobre 2015 à 14h30
Droit des étrangers en france — Article 8 bis A, amendement 195

Bernard Cazeneuve, ministre :

J’ai le sentiment, en présentant cet amendement, de me trouver à contre-emploi, si je puis dire, compte tenu de la façon dont un certain nombre de sénateurs se représentent la position gouvernementale sur la question des migrations.

Cet amendement vise à rétablir la possibilité de procéder au retrait d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle lorsqu’un étranger a commis des faits constitutifs d’une des infractions citées à l’article L. 73-5 du CESEDA sans qu’il soit nécessaire pour cela d’attendre une condamnation définitive.

La commission des lois a, pour des raisons que je ne comprends pas, sur l’initiative du rapporteur – excellent au demeurant – voulu clarifier les dispositions du projet de loi relatives à la réserve d’ordre public, notamment l’article L. 313-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui énonce une réserve générale d’ordre public, et l’article L. 315-5 qui autorise le retrait du titre de séjour d’un étranger ayant commis des faits relevant d’infractions prévues par le code pénal.

La préoccupation qui est la vôtre est partagée par le Gouvernement : le droit au séjour que nous demandons doit assurer un équilibre rigoureux entre les droits et les devoirs. Ce n’est pas parce le texte s’intitulait initialement « projet de loi relatif au droit au séjour des étrangers en France » qu’il visait à ne traiter que des droits et non pas des devoirs, contrairement à ce que certains ont pu comprendre, ce qui a conduit au changement de l’intitulé de ce projet de loi.

D’un côté, nous nous devons de reconnaître un droit au séjour aux étrangers qui remplissent les critères et nous devons aussi les accueillir dans les meilleures conditions.

De l’autre côté, les étrangers doivent, comme tout un chacun, respecter nos lois et l’ordre public. Il est légitime que ceux qui manqueraient à ces devoirs élémentaires et troubleraient l’ordre public puissent se voir retirer leur droit au séjour. Si nous ne le faisions pas, plus rien n’aurait de sens !

Or, dans le même temps où votre commission des lois allongeait la liste des infractions susceptibles de justifier d’un retrait de carte de séjour, elle a prévu que le retrait ne pouvait intervenir qu’après condamnation définitive, exigence qui n’est pas énoncée par le texte aujourd'hui applicable.

Celui-ci prévoit en effet que la procédure de retrait peut être engagée dès la commission des faits relevant d’une infraction pénale visée par le CESEDA, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la condamnation définitive.

Monsieur le rapporteur, vous avez donc réduit considérablement, par l’amendement que vous avez introduit, la portée de cet article, contre la volonté de fermeté du Gouvernement, notamment du ministère de l’intérieur, en ces matières.

La rédaction de la commission, si elle devait être maintenue, ne permettra plus de procéder à des retraits de titre de séjour dans certains cas de menaces évidentes à l’ordre public. Compte tenu de la responsabilité qui est la mienne en tant que ministre de l’intérieur, ainsi que de la détermination et de la fermeté qui m’animent, je ne peux pas me satisfaire de cet amendement voté par la majorité sénatoriale.

J’ajoute qu’aucun principe constitutionnel, conventionnel ou jurisprudentiel n’exigeait de revenir à une telle disposition. J’aurais d'ailleurs totalement compris que ce fût le cas si de tels principes s’appliquaient. Mais si des considérations de cette nature s’étaient imposées, je n’aurais pas proposé que le texte initial du Gouvernement fût écrit de la manière dont il l’a été.

Le Conseil constitutionnel a été extrêmement précis sur cette question. Dans sa décision du 13 mars 2003, il a en effet estimé que le pouvoir de retirer la carte de séjour temporaire prévu à l’article L. 313-5 n’était pas contraire aux principes de valeur constitutionnelle, s’agissant d’un pouvoir de police administrative exercé en raison de la menace à l’ordre public que représentent les faits en cause. Lorsque le Gouvernement et le ministère de l’intérieur adoptent une démarche de fermeté, c’est systématiquement en conformité avec les principes constitutionnels, ce qui est toujours mieux.

En outre, le principe de la présomption d'innocence n’est en rien méconnu, car il ne s’agit pas de se placer sur le terrain de la sanction pénale, mais il s’agit uniquement de se placer sur celui de la police administrative. Dans le cadre de ce dernier pouvoir, l’intéressé a la possibilité, comme la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations le prévoit de façon obligatoire, de présenter ses observations avant que l’administration ne prenne sa décision.

Il est éminemment souhaitable, et je voudrais vraiment en convaincre la majorité sénatoriale, que, face à un risque avéré de trouble important à l’ordre public, compte tenu du contexte particulier que nous connaissons au regard de menaces incontestables, l’autorité préfectorale puisse prendre sans retard les mesures nécessaires pour sauvegarder l’ordre public et, en l’occurrence, retirer le titre de séjour. Je tiens beaucoup, pour cette raison, à ce que le Sénat adopte cet amendement n° 195.

Je rappelle que l’article L. 313-5 du CESEDA vise des faits dont la gravité ne fait aucun doute : trafic de stupéfiants et recel – ce n’est pas rien –, traite des êtres humains, proxénétisme, exploitation de la mendicité, vol commis dans les transports en commun, demande de fonds sous contrainte, prostitution de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables, réduction en servitude ou en esclavage, travail forcé, c'est-à-dire tous les sujets sur lesquels j’ai demandé à mon administration, à la police et à la gendarmerie de se mobiliser.

Dans tous ces cas, l’administration doit pouvoir se fonder sur la commission, par l’intéressé, de faits qui l’exposent aux condamnations visées et dont peuvent attester, par exemple, les procès-verbaux, sans qu’il y ait lieu d’attendre le terme de la procédure judiciaire.

Vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, la fermeté du Gouvernement en matière de lutte contre la délinquance justifie que vous reveniez sur la disposition adoptée en commission, dont je ne comprends ni la philosophie ni l’opportunité !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion