C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je souhaite vous interpeller sur la situation des vieux migrants, ces personnes âgées que l’on nomme affectueusement les « chibanis ». Ils ont pour la plupart travaillé vingt, trente ou quarante ans en France, pour des salaires très bas et dans des conditions qui laissent souvent des traces sur leur santé.
À l’heure de la retraite – quand ils ont la chance d’y arriver –, ils se trouvent confrontés à des difficultés importantes liées aux allers-retours entre ces deux pays avec lesquels ils ont des liens très forts : leur pays de résidence, où ils ont toujours vécu, et leur pays d’origine.
En effet, même s’ils continuent à résider régulièrement en France, ces migrants, une fois à la retraite, se rendent souvent dans leur pays d’origine pour un mois, deux mois, parfois davantage. Ces allers-retours sont nécessaires au maintien des liens familiaux dans le pays, et importants pour la conservation de leurs droits dans leur pays de résidence.
Or plusieurs associations qui accueillent les chibanis, les médecins qui les suivent, nous ont alertés sur la précarité de leur situation et les problèmes administratifs qu’ils vivent : en raison de ce « nomadisme » ces vieux migrants perdent le bénéfice de nombreuses prestations sociales. Ces populations vulnérables, particulièrement fragiles, connaissent en particulier des difficultés d’accès au logement, d’accès aux soins, d’accès aux droits sociaux.
En matière de logement, tout d’abord, les migrants ne peuvent s’absenter de leur domicile plus de trois mois s’ils veulent pouvoir bénéficier de l’allocation logement ; tout séjour d’une durée supérieure entraîne la suspension de leur allocation.
Dans le domaine de la santé, ensuite, l’accès aux produits pharmaceutiques n’est pas le problème le moins important. En effet, en raison d’instructions données aux pharmacies par les caisses d’assurances-maladie, ces migrants ne peuvent obtenir de traitement pour une durée supérieure à un mois. De ce fait, les migrants malades – et ils sont nombreux – suivant un traitement pour une maladie chronique ou une infection de longue durée ne peuvent voyager plus d’un mois. Même quand leur ordonnance est renouvelable trois mois, ils sont obligés de revenir pour pouvoir se procurer leurs médicaments, alors qu’ils pourraient bénéficier de leur traitement pour au moins un trimestre, ce que les pharmacies leur refusent. Parce que le voyage est onéreux, ces migrants préfèrent parfois interrompre leurs soins pendant un temps. Tout cela a de graves conséquences sur leur santé, voire aggrave leur pathologie.
Ces retraités, compte tenu des conditions de vie et de travail qu’ils ont connues pendant toute leur existence, sont beaucoup plus fragiles que d’autres. Ainsi, les travailleurs migrants souffrent dès l’âge de cinquante-cinq ans de pathologies que l’on ne rencontre chez les Français que parmi les personnes de vingt ans plus âgées.
En termes de droits sociaux, enfin, il faut noter que de nombreux migrants, ayant travaillé toute leur vie à de très bas salaires, bénéficient en France du minimum vieillesse ou d’une retraite complémentaire. Or, pour pouvoir toucher ces prestations, ils doivent résider en France de manière stable et continue, ce qui est incompatible avec le mode de vie qu’ils adoptent une fois à la retraite et les nombreux allers-retours qu’il comporte. On leur demande de produire leur passeport pour constater qu’il n’y a pas eu d’absence de plus de deux mois, ce qui me semble un contrôle abusif lorsqu’ils ont une carte de résidence « retraité ».
Les caractères de stabilité et de continuité de l’obligation de résidence sont à leur égard inadaptés et constituent pour eux un obstacle sévère. On leur propose parfois une indexation de leur retraite complémentaire sur la monnaie de leur pays d’origine ; mais alors, ils doivent diviser leur pouvoir d’achat par dix !
Tout cela m’amène à souligner que l’obligation de résidence régulière ne doit pas être considérée comme une obligation de résidence continue, afin qu’il puisse être tenu compte des pratiques de vie, des va-et-vient entre le pays d’origine et le pays de résidence.
Je souhaite donc savoir quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour garantir le droit d’accès effectif de ces personnes hautement vulnérables au logement, aux soins, aux prestations sociales. Ne pense-t-il pas que ces personnes ont suffisamment cotisé, par leur travail en France, pour pouvoir obtenir, notamment, le droit à la santé et aux soins lorsqu’ils sont à la retraite ?