Je vous annonce tout de suite que je demanderai de réserver notre position sur les crédits de cette mission. En effet, le Gouvernement a annoncé qu'il abonderait la politique d'immigration de 279 millions d'euros en 2016, mais nous n'avons aucune idée de leur répartition. D'après les informations orales dont nous disposons, 85 millions d'euros seraient fléchés sur les deux programmes 303 et 104 de la présente mission. Dans l'attente de la répartition de ces crédits, dont le montant pourrait représenter plus de 10 % des crédits de la mission, je préfère réserver notre position.
Dans cette mission, il y a quelques points positifs, un nombre certain de points négatifs, et beaucoup d'interrogations.
Parmi les points positifs, je citerai la construction des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Je l'avais déjà souligné et salué les années passées, il y a là un véritable effort puisque l'on construit entre 3 000 et 4 000 places de CADA par an depuis 2013. Or, je considère que le cadre CADA devrait être le cadre prioritaire d'accueil des demandeurs d'asile, car c'est une structure contrôlée, équipée, accompagnée.
Cependant, il n'en reste pas moins qu'il reste environ 40 % des demandeurs hébergés dans d'autres structures que des CADA - en particulier des centres d'hébergement d'urgence et des hôtels.
Parmi les points négatifs, il reste, comme chaque année, la sous-budgétisation des dispositifs d'hébergement d'urgence et de l'allocation. S'agissant de l'allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d'au moins 40 millions d'euros à la dépense constatée de l'année antérieure. Il en va de même, peu ou prou, de l'hébergement d'urgence. En conséquence, il est nécessaire de procéder à des abondements en cours d'année. Ainsi, le budget global de la mission est de 703 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, alors que la dépense véritablement constatée en 2014 s'élevait à 770 millions d'euros. Je doute que qui ce soit pense sérieusement qu'il soit possible de dépenser en 2016 moins qu'en 2014 en matière d'accueil des demandeurs d'asile et des migrants. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.
L'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont l'essentiel des ressources provient de taxes affectées dont le montant est stable à 140 millions d'euros, voit sa subvention de l'État augmenter de 4 millions d'euros. Mais ce petit effort est largement insuffisant au regard des nouvelles missions qui sont confiées à l'OFII, en particulier la gestion de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile. Ainsi, les crédits supplémentaires ne permettront pas de renforcer les actions en matière d'intégration, mais, à titre principal de recruter des effectifs pour ces nouvelles missions. Je rappelle que l'allocation temporaire d'attente (ATA) était gérée par Pôle emploi, et mal gérée, car cette prestation était trop marginale pour Pôle Emploi, qui n'en assurait pas un contrôle adéquat. Comme nous l'avions demandé il y a deux ans, l'allocation a donc été transférée par la réforme de l'asile à l'OFII.
S'agissant de l'apprentissage du français, l'objectif fixé par le Gouvernement est de faire en sorte que le niveau de français exigé des étrangers en situation régulière passe du niveau A1.1, qui était le plus bas d'Europe, au niveau A1, qui reste peu élevé. En Allemagne, le niveau requis est le niveau B1. En outre, pour l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle, ce n'est pas l'obtention de ce niveau, avec diplôme à la clé, qui sera requis, mais seulement la preuve de l'assiduité aux cours ! Peut-être est-ce une réflexion d'ancien professeur, mais je trouve que ce n'est pas une méthode sérieuse pour vérifier l'acquisition de la langue française. En outre, il y a très peu de moyens pour les stages d'intégration républicaine. Il ne reste plus, en la matière, qu'un stage d'une demie journée dérisoire, pour ne pas dire surréaliste, au cours de laquelle on présente en quelques heures l'histoire de France et les valeurs de la République à un public qui, pour moitié, ne comprend pas le français.
Nous pouvons être en désaccord sur les conditions d'entrée sur le territoire et sur le nombre d'étrangers accueillis. Mais une fois que ces derniers sont accueillis et quel que soit leur nombre, nous devrions être d'accord pour nous donner collectivement les moyens de les accompagner, de leur permettre de parler français et de les intégrer à la société française. Il n'est pas normal que les réfugiés, à qui la France a accordé sa protection, soient à peine mieux traités et suivis que les demandeurs d'asile déboutés ; c'est pourtant le cas aujourd'hui !
Nous avons eu un débat sur l'accès des demandeurs d'asile au travail : en réalité, ce n'est pas le débat, car qu'ils soient demandeurs d'asile ou réfugiés, l'accès au marché du travail est très compliqué dans la situation économique que nous connaissons. Il faut sortir de l'incantation, donner des droits nouveaux est inutile s'ils ne correspondent pas aux réalités.
De même, je crois que les financements européens devraient également faire partie de cette remise à plat que j'appelle de mes voeux. J'ai rencontré les représentants de certaines associations, qui m'ont indiqué que certaines structures n'avaient toujours pas reçu en 2015 le solde des fonds européens des années 2011 et 2012. Il y a certes des contrôles à réaliser, mais un tel retard, assorti de l'absence de financements de l'État, met les associations dans une situation extrêmement délicate.
Au nombre des interrogations, je tiens à souligner la familiarisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile. Nous l'avions souhaité à la commission des finances, car il n'est pas normal que l'allocation d'un demandeur d'asile seul soit équivalente à celle d'un demandeur marié avec deux enfants. Cependant, le Gouvernement a souhaité que cette évolution se fasse à enveloppe constante, si bien que le nouveau barème devrait induire une baisse du montant moyen par allocataire de près de trois euros par jour. Nous avions l'une des allocations pour demandeur d'asile les plus généreuses d'Europe, nous aurons désormais l'une des plus réduites. Sans doute le ministre de l'intérieur souhaite que la réforme se fasse, mais Bercy limite l'enveloppe...
Le Gouvernement a annoncé que la France devrait accueillir, dans le cadre des deux programmes de relocalisation européens annoncés, entre 30 000 et 31 000 demandeurs d'asile supplémentaires entre fin 2015 et fin 2017. Cependant, avec tout le respect que je dois au personnel de l'administration qui établit les prévisions statistiques et budgétaires, l'idée, avancée par le Gouvernement, qu'il entrerait, de façon parfaitement régulière et ordonnée, 1 280 demandeurs d'asile par mois pendant vingt-quatre mois, n'est absolument pas crédible. L'Allemagne, confrontée à des afflux massifs, ne pourra pas lisser le transfert sur vingt-quatre mois.
L'Allemagne aura probablement reçu, d'ici fin 2015, près de 1 200 000 demandeurs d'asile. Elle aurait déjà demandé de nouvelles répartitions européennes pour Noël et pour Pâques prochain. La politique allemande n'est pas pour autant exempte de calcul - à titre d'anecdote, le nouveau directeur de l'équivalent allemand de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est l'ancien directeur du Pôle Emploi allemand ! Il y avait sans doute une pression du patronat allemand, qui a besoin de main d'oeuvre, mais ce calcul était fait avec un nombre d'arrivées limité à 500 000. Maintenant, l'Allemagne referme les frontières et demande un effort de solidarité de la part de ses partenaires européens.
Sans fixer de quotas, la France s'est engagée à accueillir 19,3 % des demandeurs d'asile concernés. Donc si 100 000 personnes arrivent d'ici la fin de l'année, comment se prépare-t-on à en recevoir plus de 19 000 sur notre territoire ? Le projet de loi de finances pour 2016 ne prévoit rien pour le moment, le budget est construit sans prendre en compte les événements exceptionnels que nous connaissons et en étant d'ores et déjà inférieur à l'exécution 2014... Attendons donc la concrétisation budgétaire des 279 millions d'euros annoncés.
Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il y aura davantage de demandeurs d'asile obtenant le statut de réfugié puisque, sur le seul premier semestre 2015, l'OFPRA nous a indiqué que 14 800 statuts de réfugiés avaient été accordés, soit autant que pour l'ensemble de l'année 2014, et que leur prévision s'établissait environ à 25 000 pour l'ensemble de l'année en cours. Or, même si, je le répète, les réfugiés sont « mal traités » dans notre pays, il est vrai qu'ils « coûtent plus cher » que les demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent bénéficier d'aides et de prises en charge, comme le revenu de solidarité active (RSA).
Les crédits de la mission se caractérisent donc à la fois par une sous-budgétisation de certains postes, des efforts incontestables, notamment dans la création de places en CADA et d'hébergement d'urgence, une prévision curieuse sur l'allocation puisque la familialisation devrait, me semble-t-il, engendrer une dépense plus élevée, et, enfin, une interrogation sur les moyens supplémentaires alloués pour accompagner le choc migratoire que nous connaissons.
Selon moi, sans tenir compte des charges supplémentaires engendrées pour les collectivités territoriales ainsi que dans les domaines de la police, de la santé et de l'éducation, 350 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires pour accueillir le nombre annoncé de réfugiés. Nous aurons le débat avec le Gouvernement qui annonce 279 millions d'euros et attendons de voir comment ils seront répartis.
Voici donc les raisons pour lesquelles je demande la réserve des crédits de la mission. Ce sujet dépasse largement la question de l'opportunité ou non de recevoir ces demandeurs d'asile sur notre territoire : en tout état de cause, il convient de disposer des moyens nécessaires pour accueillir ceux pour lesquels l'État s'est, d'ores et déjà, engagé. Je finirai mon propos en indiquant que l'essentiel des demandeurs d'asile concernés par la répartition européenne obtiennent effectivement le statut de réfugié à l'issue de la procédure, soit à 97 % des demandes de Syriens et 100 % pour les Erythréens par exemple.