Le projet de loi de finances pour 2016 nous a été présenté il y a une semaine et Roger Karoutchi est déjà en situation de rapporter sur la mission « Immigration, asile et intégration » dont il est rapporteur spécial. Avant de lui céder la parole, je voudrais vous rappeler que l'article 23 bis du règlement du Sénat relatif à la participation des sénateurs aux travaux du Sénat est en vigueur depuis le 1er octobre et que la présence des sénateurs aux réunions législatives du mercredi matin est prise en compte pour son application. Puisque nous sommes mercredi matin et que le rapport de Roger Karoutchi s'inscrit dans le cadre de nos travaux législatifs, cette réunion relève de l'application de l'article 23 bis. C'est pour cette raison que, dans la convocation que vous avez reçue, le rapport de Roger Karoutchi était signalé par un double encadré, qui désormais signalera les réunions relevant de l'article 23 bis.
Je vous annonce tout de suite que je demanderai de réserver notre position sur les crédits de cette mission. En effet, le Gouvernement a annoncé qu'il abonderait la politique d'immigration de 279 millions d'euros en 2016, mais nous n'avons aucune idée de leur répartition. D'après les informations orales dont nous disposons, 85 millions d'euros seraient fléchés sur les deux programmes 303 et 104 de la présente mission. Dans l'attente de la répartition de ces crédits, dont le montant pourrait représenter plus de 10 % des crédits de la mission, je préfère réserver notre position.
Dans cette mission, il y a quelques points positifs, un nombre certain de points négatifs, et beaucoup d'interrogations.
Parmi les points positifs, je citerai la construction des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile. Je l'avais déjà souligné et salué les années passées, il y a là un véritable effort puisque l'on construit entre 3 000 et 4 000 places de CADA par an depuis 2013. Or, je considère que le cadre CADA devrait être le cadre prioritaire d'accueil des demandeurs d'asile, car c'est une structure contrôlée, équipée, accompagnée.
Cependant, il n'en reste pas moins qu'il reste environ 40 % des demandeurs hébergés dans d'autres structures que des CADA - en particulier des centres d'hébergement d'urgence et des hôtels.
Parmi les points négatifs, il reste, comme chaque année, la sous-budgétisation des dispositifs d'hébergement d'urgence et de l'allocation. S'agissant de l'allocation, la dotation inscrite est systématiquement inférieure d'au moins 40 millions d'euros à la dépense constatée de l'année antérieure. Il en va de même, peu ou prou, de l'hébergement d'urgence. En conséquence, il est nécessaire de procéder à des abondements en cours d'année. Ainsi, le budget global de la mission est de 703 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, alors que la dépense véritablement constatée en 2014 s'élevait à 770 millions d'euros. Je doute que qui ce soit pense sérieusement qu'il soit possible de dépenser en 2016 moins qu'en 2014 en matière d'accueil des demandeurs d'asile et des migrants. Cette sous-budgétisation systématique est anormale.
L'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont l'essentiel des ressources provient de taxes affectées dont le montant est stable à 140 millions d'euros, voit sa subvention de l'État augmenter de 4 millions d'euros. Mais ce petit effort est largement insuffisant au regard des nouvelles missions qui sont confiées à l'OFII, en particulier la gestion de la nouvelle allocation pour les demandeurs d'asile. Ainsi, les crédits supplémentaires ne permettront pas de renforcer les actions en matière d'intégration, mais, à titre principal de recruter des effectifs pour ces nouvelles missions. Je rappelle que l'allocation temporaire d'attente (ATA) était gérée par Pôle emploi, et mal gérée, car cette prestation était trop marginale pour Pôle Emploi, qui n'en assurait pas un contrôle adéquat. Comme nous l'avions demandé il y a deux ans, l'allocation a donc été transférée par la réforme de l'asile à l'OFII.
S'agissant de l'apprentissage du français, l'objectif fixé par le Gouvernement est de faire en sorte que le niveau de français exigé des étrangers en situation régulière passe du niveau A1.1, qui était le plus bas d'Europe, au niveau A1, qui reste peu élevé. En Allemagne, le niveau requis est le niveau B1. En outre, pour l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle, ce n'est pas l'obtention de ce niveau, avec diplôme à la clé, qui sera requis, mais seulement la preuve de l'assiduité aux cours ! Peut-être est-ce une réflexion d'ancien professeur, mais je trouve que ce n'est pas une méthode sérieuse pour vérifier l'acquisition de la langue française. En outre, il y a très peu de moyens pour les stages d'intégration républicaine. Il ne reste plus, en la matière, qu'un stage d'une demie journée dérisoire, pour ne pas dire surréaliste, au cours de laquelle on présente en quelques heures l'histoire de France et les valeurs de la République à un public qui, pour moitié, ne comprend pas le français.
Nous pouvons être en désaccord sur les conditions d'entrée sur le territoire et sur le nombre d'étrangers accueillis. Mais une fois que ces derniers sont accueillis et quel que soit leur nombre, nous devrions être d'accord pour nous donner collectivement les moyens de les accompagner, de leur permettre de parler français et de les intégrer à la société française. Il n'est pas normal que les réfugiés, à qui la France a accordé sa protection, soient à peine mieux traités et suivis que les demandeurs d'asile déboutés ; c'est pourtant le cas aujourd'hui !
Nous avons eu un débat sur l'accès des demandeurs d'asile au travail : en réalité, ce n'est pas le débat, car qu'ils soient demandeurs d'asile ou réfugiés, l'accès au marché du travail est très compliqué dans la situation économique que nous connaissons. Il faut sortir de l'incantation, donner des droits nouveaux est inutile s'ils ne correspondent pas aux réalités.
De même, je crois que les financements européens devraient également faire partie de cette remise à plat que j'appelle de mes voeux. J'ai rencontré les représentants de certaines associations, qui m'ont indiqué que certaines structures n'avaient toujours pas reçu en 2015 le solde des fonds européens des années 2011 et 2012. Il y a certes des contrôles à réaliser, mais un tel retard, assorti de l'absence de financements de l'État, met les associations dans une situation extrêmement délicate.
Au nombre des interrogations, je tiens à souligner la familiarisation de la nouvelle allocation pour demandeurs d'asile. Nous l'avions souhaité à la commission des finances, car il n'est pas normal que l'allocation d'un demandeur d'asile seul soit équivalente à celle d'un demandeur marié avec deux enfants. Cependant, le Gouvernement a souhaité que cette évolution se fasse à enveloppe constante, si bien que le nouveau barème devrait induire une baisse du montant moyen par allocataire de près de trois euros par jour. Nous avions l'une des allocations pour demandeur d'asile les plus généreuses d'Europe, nous aurons désormais l'une des plus réduites. Sans doute le ministre de l'intérieur souhaite que la réforme se fasse, mais Bercy limite l'enveloppe...
Le Gouvernement a annoncé que la France devrait accueillir, dans le cadre des deux programmes de relocalisation européens annoncés, entre 30 000 et 31 000 demandeurs d'asile supplémentaires entre fin 2015 et fin 2017. Cependant, avec tout le respect que je dois au personnel de l'administration qui établit les prévisions statistiques et budgétaires, l'idée, avancée par le Gouvernement, qu'il entrerait, de façon parfaitement régulière et ordonnée, 1 280 demandeurs d'asile par mois pendant vingt-quatre mois, n'est absolument pas crédible. L'Allemagne, confrontée à des afflux massifs, ne pourra pas lisser le transfert sur vingt-quatre mois.
L'Allemagne aura probablement reçu, d'ici fin 2015, près de 1 200 000 demandeurs d'asile. Elle aurait déjà demandé de nouvelles répartitions européennes pour Noël et pour Pâques prochain. La politique allemande n'est pas pour autant exempte de calcul - à titre d'anecdote, le nouveau directeur de l'équivalent allemand de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) est l'ancien directeur du Pôle Emploi allemand ! Il y avait sans doute une pression du patronat allemand, qui a besoin de main d'oeuvre, mais ce calcul était fait avec un nombre d'arrivées limité à 500 000. Maintenant, l'Allemagne referme les frontières et demande un effort de solidarité de la part de ses partenaires européens.
Sans fixer de quotas, la France s'est engagée à accueillir 19,3 % des demandeurs d'asile concernés. Donc si 100 000 personnes arrivent d'ici la fin de l'année, comment se prépare-t-on à en recevoir plus de 19 000 sur notre territoire ? Le projet de loi de finances pour 2016 ne prévoit rien pour le moment, le budget est construit sans prendre en compte les événements exceptionnels que nous connaissons et en étant d'ores et déjà inférieur à l'exécution 2014... Attendons donc la concrétisation budgétaire des 279 millions d'euros annoncés.
Contrairement à ce que j'ai pu entendre, il y aura davantage de demandeurs d'asile obtenant le statut de réfugié puisque, sur le seul premier semestre 2015, l'OFPRA nous a indiqué que 14 800 statuts de réfugiés avaient été accordés, soit autant que pour l'ensemble de l'année 2014, et que leur prévision s'établissait environ à 25 000 pour l'ensemble de l'année en cours. Or, même si, je le répète, les réfugiés sont « mal traités » dans notre pays, il est vrai qu'ils « coûtent plus cher » que les demandeurs d'asile puisqu'ils peuvent bénéficier d'aides et de prises en charge, comme le revenu de solidarité active (RSA).
Les crédits de la mission se caractérisent donc à la fois par une sous-budgétisation de certains postes, des efforts incontestables, notamment dans la création de places en CADA et d'hébergement d'urgence, une prévision curieuse sur l'allocation puisque la familialisation devrait, me semble-t-il, engendrer une dépense plus élevée, et, enfin, une interrogation sur les moyens supplémentaires alloués pour accompagner le choc migratoire que nous connaissons.
Selon moi, sans tenir compte des charges supplémentaires engendrées pour les collectivités territoriales ainsi que dans les domaines de la police, de la santé et de l'éducation, 350 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires pour accueillir le nombre annoncé de réfugiés. Nous aurons le débat avec le Gouvernement qui annonce 279 millions d'euros et attendons de voir comment ils seront répartis.
Voici donc les raisons pour lesquelles je demande la réserve des crédits de la mission. Ce sujet dépasse largement la question de l'opportunité ou non de recevoir ces demandeurs d'asile sur notre territoire : en tout état de cause, il convient de disposer des moyens nécessaires pour accueillir ceux pour lesquels l'État s'est, d'ores et déjà, engagé. Je finirai mon propos en indiquant que l'essentiel des demandeurs d'asile concernés par la répartition européenne obtiennent effectivement le statut de réfugié à l'issue de la procédure, soit à 97 % des demandes de Syriens et 100 % pour les Erythréens par exemple.
Pour compléter les propos de Roger Karoutchi, j'indiquerai simplement que les orientations des réformes initiées par le Gouvernement peuvent éventuellement être partagées, mais qu'elles ont pour handicap majeur de ne pas bénéficier des moyens financiers nécessaires. Si les crédits ne sont pas inscrits, les mesures prises ne se concrétiseront pas et resteront au niveau de la simple déclaration, éventuellement de la bonne intention.
La sous-budgétisation que nous constatons chaque année prend un relief particulier cette année compte tenu de la crise migratoire. Dispose-t-on d'une évaluation du coût engendré par l'octroi du statut de réfugié en termes de dépenses publiques, en particulier s'agissant du RSA ou de la couverture maladie universelle (CMU) ? L'augmentation du nombre de réfugiés n'a pas qu'un impact sur les crédits de cette mission mais aussi sur les budgets des départements qui assurent le financement du RSA.
Je souhaitais poser la même question que le rapporteur général. La sous-budgétisation des crédits est encore plus préoccupante que pour les années passées, compte tenu du choc migratoire. Les préfets doivent gérer les enveloppes et les moyens d'hébergement, mais cela dépend également de l'adaptation du nombre de places CADA. La crise actuelle aurait dû être l'occasion de revoir les moyens alloués à la mission comme nous le réclamons depuis longtemps.
Le rapporteur spécial estime à 350 millions d'euros les besoins supplémentaires qui seraient nécessaires compte tenu du nombre de réfugiés attendus. Quel est le nombre actuel de réfugiés concernés par le budget actuellement prévu de 703 millions d'euros ? Quel montant serait nécessaire pour accueillir les 31 000 personnes qui arriveront probablement d'ici à la fin de l'année 2017, dans les mêmes conditions que celles prévues dans la mission ?
La sous-budgétisation des crédits de la mission pour une année supplémentaire est regrettable et, plus généralement, je condamne cette tendance désormais répandue et qui porte atteinte à la sincérité budgétaire. Il serait utile que la commission des finances fasse la somme de toutes les sous-budgétisations constatées dans le projet de loi de finances pour 2016. Sauf évolution majeure, il n'y a pas de raison que le montant inscrit en prévision ne soit pas au moins identique à celui constaté en 2014.
Vous indiquez, monsieur le rapporteur spécial, qu'il devrait être difficile de se limiter à l'accueil de 31 000 réfugiés. Est-il possible d'établir les besoins supplémentaires nécessaires, en retenant des hypothèses moyenne et haute du nombre de réfugiés susceptibles d'être accueillis ?
À l'occasion d'un conseil municipal conjoint entre les villes de Strasbourg et de Kehl, il est apparu qu'en Allemagne, le suivi et la préparation de l'accueil des demandeurs d'asile étaient bien mieux organisés qu'en France, même si cela n'exclut pas qu'ils puissent par ailleurs être débordés. La ville de Strasbourg n'était même pas en mesure de dire combien de personnes elle devrait prendre en charge et dans quelles conditions.
La transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CADA n'est certainement pas la meilleure solution puisqu'elle ne fait que reporter le problème alors que tous les hivers nous rencontrons déjà des difficultés en matière d'hébergement d'urgence. On fait les Shadoks !
Enfin, quelle est votre appréciation du montant de 1 000 euros accordé aux communes par nouvelle place créée pour l'accueil de réfugiés ? Cette participation de l'État n'est-elle pas très faible et susceptible de conduire à un nouveau transfert de charges vers les communes, alors qu'en Allemagne, pour donner un ordre de grandeur, le coût total de prise en charge d'une famille de réfugiés est estimé à 13 000 euros ?
Je remercie le rapporteur spécial pour son travail, même si je ne partage pas toutes ses conclusions. Je souhaite souligner le fait que le budget accordé pour cette mission a été construit dans le cadre de la procédure normale, sans tenir compte des événements exceptionnels qui se sont produits au même moment.
Le Président de la République et le Gouvernement ont pris une position particulièrement responsable sur ce dossier, en étant généreux tout en tenant compte de nos capacités d'accueil concrètes, contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne. L'accueil significatif de 31 000 réfugiés est gérable pour notre pays, ce qui est essentiel pour que cela se passe dans les meilleures conditions.
Il convient de distinguer l'examen des crédits de la mission tels qu'ils nous sont présentés et les moyens supplémentaires qui seront par la suite inscrits pour répondre aux besoins exceptionnels de la situation migratoire actuelle.
S'il est exact que la mission connaît une sous-budgétisation chronique, je souligne également l'effort significatif proposé par le Gouvernement, avec une hausse de 10 % des crédits par rapport à 2015, soit 70 millions d'euros supplémentaires dans un contexte budgétaire pourtant contraint. Mon avis diverge de celui du rapporteur spécial qui ne constate qu'une augmentation de 20 millions d'euros.
J'observe, par ailleurs, qu'alors que le rapporteur spécial nous invite à augmenter les crédits de la mission, y compris en dehors des événements exceptionnels que nous rencontrons, votre famille politique annonce des économies budgétaires à hauteur de 100 milliards d'euros.
En conclusion, votre rapport est relativement modéré et j'en tire la conclusion inverse à la vôtre. Il convient d'adopter les crédits de la mission, compte tenu de l'augmentation déjà prévue et des annonces du Premier ministre permettant de connaître le complément de moyens prévus pour couvrir les besoins exceptionnels attendus. Nous pourrons ensuite discuter de cette enveloppe supplémentaire de 279 millions d'euros et destinée à répondre à nos engagements pris dans le cadre européen.
Le rapporteur spécial a fait une présentation très détaillée de la mission et a proposé de réserver le vote sur ses crédits. Je constate pourtant, en lisant ses principales observations, qu'il est favorable au budget proposé sur de nombreux points et qu'il aurait pu le dire oralement. Vous mentionnez ainsi, dans votre note de présentation, la hausse globale des moyens, qui est loin d'être négligeable, l'augmentation des capacités du parc de CADA pour atteindre 33 000 places, la progression de 20 % des crédits consacrés à l'intégration des étrangers en situation régulière, l'augmentation des moyens dédiés à l'intégration des étrangers qui témoigne, je vous cite, d'une « ambition réelle » et enfin le fait que la création de 500 places en CPH est une « bonne nouvelle ». Je vous interroge donc, monsieur le rapporteur spécial, sur l'opportunité de réserver ces crédits compte tenu de l'ensemble de ces points positifs. Pourquoi ne pas y être favorable dès à présent ?
Il a été clairement dit que la France accueillera les deux années prochaines plus de 30 000 migrants. Je souhaiterais que puisse être établie une analyse budgétaire du coût pour les finances publiques des personnes qui entrent en France, par tranche de 10 000 : combien coûte l'accueil de 10 000 migrants supplémentaires et comment sont-ils répartis ? Un président de Conseil départemental m'a expliqué que son préfet lui avait écrit pour lui dire que 111 personnes étaient arrivées dans son département et qu'il devait les faire bénéficier du RSA. À ce stade, les départements estiment au moins à 150 millions d'euros la charge qu'ils auront à supporter en raison de l'afflux des migrants. Visiblement, le Gouvernement, conscient que les sommes à engager seront bien supérieures à celles qu'il a prévues dans son projet de loi de finances, considère qu'elles seront prises en charge par les départements ou les communes.
Comme l'a dit Roger Karoutchi, il n'y a aucun rapport entre les annonces du Gouvernement et les moyens financiers dont il dispose. J'ajouterai pour ma part que le Gouvernement agit de la sorte de façon systématique et pas seulement sur la question de l'asile ! Il décide des dépenses sans s'occuper des recettes ! Nous ne pouvons pas accueillir tous ces migrants car nous n'avons plus d'argent.
L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va bénéficier d'une augmentation significative de ses emplois à temps plein (ETP). Ces emplois affectés à des tâches administratives ne seraient-ils pas plus nécessaires sur le terrain ?
Dans le cadre de cette mission, je ne vois pas comment nous pourrions être hostiles à l'accueil d'un certain nombre de migrants sans donner l'image d'une Europe anachronique. Le Gouvernement a annoncé 279 millions d'euros de moyens supplémentaires et il serait souhaitable de disposer d'une vraie consolidation budgétaire afin que nous puissions mesurer les conséquences de l'accueil de ces migrants en matière de RSA, de mineurs étrangers isolés, etc.
La mission dont nous débattons aujourd'hui est corrélée à la mission « Égalité des territoires et logement », puisque nous savons bien qu'il existe un phénomène de vases communicants entre les deux sujets. Je suis convaincu que la sous-budgétisation pour ces deux missions atteint au moins 500 millions d'euros. Ce chiffre est à rapprocher du milliard d'euros de réduction du déficit budgétaire...
Concernant la mission dont je suis les crédits, l'un des objectifs de la ministre était de réduire le nombre de nuitées hôtelières. On voit tout de suite qu'elle pourra difficilement y parvenir dans le contexte que Roger Karoutchi nous a décrit. A-t-il étudié cet aspect des choses, dans la mesure où l'on imagine bien que les gens se logent comme ils le peuvent lorsque les CADA sont pleins ?
Depuis des décennies, la France compte trop peu de places pour accueillir les migrants. Je m'interroge sur les nouvelles places dans les CADA et j'aurais aimé savoir si l'on savait comment elles seront réparties sur le territoire national. S'agit-il réellement de nouvelles places ou seront-elles reconverties au détriment des hébergements pour les personnes sans domicile fixe ?
J'appuie totalement la remarque du rapporteur sur la nécessité de renforcer l'apprentissage du français pour les migrants. Pour avoir accueilli depuis des années des demandeurs d'asile dans ma commune, j'ai pu mesurer la fragilité de cet accompagnement. En revanche, contrairement à ce que j'ai pu entendre, ma commune n'a jamais bénéficié d'aides pour les enfants migrants scolarisés dans ses écoles.
Roger Karoutchi n'a pas mentionné dans son rapport le rôle des collectivités territoriales dans l'accueil des migrants. Aussi bien les communes que certains départements et régions s'impliquent dans plusieurs domaines : l'accueil, les cours de langue.
Une commune de 1 500 habitants de ma région accueille ainsi 70 migrants, pour la plupart Erythréens. Il existe une vraie mobilisation pour accompagner ces personnes dans leurs démarches et dans leur apprentissage de la langue française en dépit des réticences d'une partie de la population.
Et je ne peux pas passer sous silence l'action de certaines régions, comme ma région Bourgogne Franche Comté qui double aujourd'hui l'action de l'Etat, avec tout un accompagnement et une prise en charge dans les lycées pour la formation et l'insertion.
Je veux tout de suite rassurer François Marc : ma réserve vise à attendre la répartition précise des annonces, mais elle s'oriente plutôt vers un vote négatif. Un budget doit être adapté aux réalités. Vous me dites que le budget de cette mission est en augmentation par rapport aux budgets précédents. Mais la situation a complètement changé cette année et nous le savons depuis le mois de juin lorsqu'a eu lieu la première répartition européenne, dont nous pouvions nous douter qu'elle ne serait pas la dernière. J'attends les 279 millions d'euros et leur répartition pour savoir exactement ce qu'il en est, mais cela fait des années que nous signalons que cette mission est sous-budgétée. Je ne suis pas hostile à l'idée que notre politique d'accueil des étrangers soit dynamique, encore faut-il y mettre les moyens !
Le Gouvernement a évoqué 279 millions d'euros supplémentaires. L'Allemagne avait prévu dans le budget 2016 des moyens en très nette augmentation par rapport à 2015 et, avec l'afflux des migrants, a préparé un plan avec 6 à 7 milliards d'euros de plus par rapport à ses prévisions initiales ! L'équivalent allemand de l'Ofpra va recruter 2 000 personnes alors que l'Ofpra ne comptera que 540 employés en 2016, même avec les augmentations de poste. Le directeur de l'Ofpra, que j'ai entendu, m'a dit qu'il était satisfait des créations de postes dont il bénéficiera, pourvu qu'il n'ait pas à accueillir d'étrangers supplémentaires. S'il en recevait 31 000 de plus, il aurait besoin de 50 à 100 postes immédiatement. Sont-ils comptabilisés dans les 279 millions d'euros ? Je ne sais pas. En tout état de cause, il m'a rappelé que, même si le Parlement voulait que le traitement des demandes d'asile soit effectué en 90 jours au maximum, le chiffre réel s'établissait à 200 jours en juin 2015. Les 90 jours ne pourraient être atteints qu'à la condition de ne pas recevoir d'étrangers supplémentaires ou en bénéficiant de 100 nouveaux postes pour accueillir 31 000 migrants de plus.
Je voudrais ajouter que le chiffre de 31 000 n'est d'ailleurs pas du tout crédible, ne serait-ce que parce que ces migrants bénéficieront ensuite du droit au regroupement familial. En outre, l'afflux de migrants va se poursuivre dans les années à venir...
Puisque l'on sait ce qui va se passer, pourquoi ne pas en tirer les conséquences financières dans le projet de loi de finances ? Le rythme de création de nouvelles places en CADA est très inférieur à l'augmentation du nombre de migrants sur notre territoire ! Il n'y a pas d'efforts en matière d'apprentissage du français, en matière d'intégration, le regroupement familial est passé sous silence...
Indéniablement, beaucoup de vous l'ont dit, la charge du RSA pèsera sur les départements. Pour 15 000 réfugiés, la charge annuelle du RSA représente 80 millions d'euros pour les départements. Si on en accueille 31 000, cela signifie 160 millions d'euros de charges RSA ! Les associations aussi sont très inquiètes : il faut un véritable accompagnement social des réfugiés.
Un plan d'ensemble réunissant tous les acteurs et répartissant clairement les rôles est indispensable. Je suis pour ma part favorable à un véritable plan CADA, lieu qui permet un accompagnement approprié. Au total, fin 2017, on aura 33 000 places de CADA : mais si on a les 65 000 demandeurs d'asile classique et 31 000 demandeurs supplémentaires, ce sera complétement insuffisant.
En conclusion, pour répondre à François Marc, s'il n'y avait pas de crise en Europe je vous dirais que ce budget va dans le bon sens, même s'il est sous-budgété. Mais nous allons subir les conséquences de la crise migratoire et il faudra mettre en place un plan pluriannuel à la hauteur de la situation, comme l'a fait l'Allemagne.
À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Puis la commission entend une communication de M. Vincent Éblé, rapporteur spécial, sur les dépenses fiscales relatives à la préservation du patrimoine historique bâti.
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
La commission entend une communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, sur les moyens consacrés au renseignement au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».
En janvier 2015, notre pays a été une nouvelle fois touché par le fléau du terrorisme.
À la suite de ces événements dramatiques, notre commission a décidé de me confier une mission de contrôle sur les moyens consacrés au renseignement intérieur au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».
J'ai fait le choix d'ordonner ce contrôle budgétaire autour de deux grandes questions. Les services ont-ils les moyens d'assurer leurs missions ? L'efficacité de l'organisation administrative du renseignement intérieur pourrait-elle être améliorée à moyens constants ?
Avant de vous présenter mes conclusions, permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant l'organisation du renseignement intérieur. Désormais, quatre services y concourent.
Parmi ces quatre services, trois relèvent de la police nationale. La DGSI, le « navire amiral » rattaché directement au ministre, est principalement responsable du contre-espionnage, de la prévention du terrorisme et de la protection du patrimoine économique et scientifique. Le Service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la sécurité publique, reprend 90 % des missions des renseignements généraux (RG) et a été récemment chargé de la détection des « signaux faibles » en matière de terrorisme. La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) est chargée du renseignement de proximité et de la prévention du terrorisme et des extrémismes à Paris.
La gendarmerie dispose quant à elle depuis peu de son propre service - la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) - qui doit permettre à la gendarmerie de disposer d'une capacité propre d'appréciation des situations.
À l'issue de ce contrôle, mon premier constat est globalement positif : les services sont actuellement en mesure d'assurer leurs missions.
J'ai pu constater le dévouement et le professionnalisme des agents rencontrés à l'occasion des déplacements et des auditions, que je tiens ici à saluer.
Sur le plan de l'organisation administrative, les réformes de 2008 et 2013 ont permis dans une certaine mesure de rationaliser et d'adapter l'architecture du renseignement intérieur à l'évolution de la menace.
Sur le plan juridique, la loi du 24 juillet 2015 a utilement renforcé les moyens à la disposition de nos services.
Sur le plan des moyens humains, même avant les attentats de janvier, la France ne souffrait pas d'un sous-investissement dans le renseignement intérieur. Avec environ 6 200 postes, les effectifs des services français, pondérés par la population, apparaissent en effet comparables aux effectifs canadiens et supérieurs à ceux de nos principaux voisins européens - même si les comparaisons sont toujours délicates dans ce domaine.
Toutefois - et c'est ma deuxième observation - ce diagnostic doit être relativisé sur la période récente par l'accroissement de la menace terroriste, qui pèse de manière asymétrique sur les différents pays européens.
La crise syrienne a conduit à un « changement d'échelle » de la menace terroriste qui fragilise nos services. La France fait partie des pays européens les plus touchés : le nombre de combattants étrangers pour un million d'habitants est deux fois plus élevé dans notre pays qu'au Royaume-Uni et en Allemagne et dix fois plus élevé qu'en Espagne et en Italie.
Or, cette augmentation de la menace se traduit par un surcroit d'activité important pour les services. À titre d'illustration, le nombre d'affaires de terrorisme liées au conflit en Syrie a connu une augmentation de 200 % en moins d'un an en France.
Dans ce nouveau contexte, le renforcement des effectifs des services de renseignement est prioritaire. Aussi, l'annonce de la création de 1 735 emplois supplémentaires au sein des services dans le cadre des plans de lutte contre le terrorisme de 2013 et 2015 devra être concrétisée.
Surtout, compte tenu de la fragilité de la situation actuelle, il est nécessaire d'anticiper l'évolution de la menace et de mettre en place dès à présent une stratégie permettant d'accroître l'efficacité du renseignement intérieur à moyens constants.
À cette fin, - c'est ma troisième observation - une nouvelle évolution de l'organisation administrative du renseignement intérieur semble indispensable.
Nos principaux alliés - à l'exception du cas très particulier des États-Unis - ne comptent en général qu'un seul service de renseignement intérieur. Nous en avons quatre.
Plus inquiétant encore, certaines évolutions récentes ont accru l'éclatement de notre organisation. L'exception parisienne a été étendue à la petite couronne en 2009 avec la réforme de la police d'agglomération. Le sentiment de « marginalisation » de la gendarmerie a conduit à créer en son sein un service de renseignement spécifique en 2013, alors même que le renseignement territorial devait bénéficier d'un monopole sur le renseignement de proximité et constituer un laboratoire du rapprochement entre police et gendarmerie.
Dans ce contexte, les dispositifs de coordination entre les services ont été opportunément renforcés, en complément du rôle de coordination interministérielle traditionnellement assuré par l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), rattachée au DGPN.
Toutefois, l'organisation administrative actuelle est confrontée à trois faiblesses structurelles pour lesquelles les dispositifs de coordination mis en place n'apportent pas réellement de solution.
Premièrement, l'efficacité des mécanismes de coordination repose avant tout sur la « bonne volonté » des différents directeurs.
Deuxièmement, la multiplication des dispositifs de coordination ne semble pas avoir permis de mettre fin au climat de défiance entre les services au plan territorial, notamment entre policiers et gendarmes.
Troisièmement, la complexité de l'organisation actuelle impose la mise en place d'une multiplicité de mécanismes de coordination qui peuvent apparaître comme coûteux en termes d'effectifs, dans un contexte budgétaire contraint.
Aussi, je suggère dans ce rapport une évolution ambitieuse visant à passer de quatre à deux services de renseignement intérieur.
Dans cette perspective, le repositionnement du SCRT constitue une première étape indispensable.
En effet, les intérêts des directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) et des agents du renseignement territorial sont souvent contradictoires. Dans certains cas, il arrive même que le DDSP filtre les notes du renseignement territorial destinées au préfet lorsqu'elles remettent en cause son action. Par ailleurs, le rattachement à la sécurité publique se traduit par une faible autonomie budgétaire et de recrutement. Ce rattachement suscite également une réaction de défiance de la gendarmerie, qui a notamment conduit à la création d'un service de renseignement dédié en son sein.
Aussi, un rapprochement entre le SCRT et la SDAO pourrait être envisagé.
Une possibilité serait de fusionner la SDAO et le SCRT en contrepartie d'un rattachement de la nouvelle entité aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie.
Une alternative consisterait à faire de la nouvelle entité une direction générale du ministère de l'intérieur - ce qui aurait pour avantage supplémentaire d'accroître son indépendance et son autonomie budgétaire et de recrutement.
Cette réorganisation pourrait ouvrir la voie à une évolution de plus grande ampleur visant à achever l'évolution débutée en 1965 avec le transfert de la mission de contre-espionnage de la préfecture de police de Paris à la DST.
Concrètement, il s'agirait de mettre fin à l'exception parisienne que constitue la DRPP. Sa mission de lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents pourrait être confiée à une direction zonale de la DGSI. Sa mission d'information générale pourrait être confiée à une direction zonale de la nouvelle entité chargée du renseignement de proximité. Sa mission de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal pourrait enfin être transférée à la police aux frontières.
À plus long terme, il pourrait même être discuté de l'opportunité d'instaurer un seul grand service de renseignement intérieur, à l'image de ce qui existe chez nos principaux voisins.
S'agissant de l'UCLAT, son rattachement à la DGPN semble contradictoire avec la nature interministérielle de ses missions et source de rivalités entre forces de police et de gendarmerie. Aussi, je propose dans ce rapport de clarifier son positionnement.
Au-delà de la question de l'organisation administrative, les moyens consacrés au renseignement intérieur doivent être mieux ciblés afin de gagner en efficacité. C'est ma quatrième observation.
Tout d'abord, je remarque que le renseignement territorial demeure le « parent pauvre » du renseignement intérieur.
Ses personnels ne représentaient fin 2014 que 60 % de ceux des RG, alors que dès 2011 la Cour des comptes notait que le renseignement territorial a conservé 90 % des missions des RG. Depuis, il s'est même vu confier une mission supplémentaire de détection des « signaux faibles » en matière de prévention du terrorisme.
Ainsi, il existe de nombreux départements dans lesquels le renseignement territorial n'a pas atteint une taille « critique » lui permettant d'assurer correctement l'ensemble de ses missions. Au 31 décembre 2014, les effectifs demeurent ainsi inférieurs à dix agents dans vingt-six départements.
Je recommande donc de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial.
Par ailleurs, une inquiétude forte existe concernant l'évolution des moyens mis à la disposition des personnels.
Les données disponibles, bien que difficiles à isoler, indiquent par exemple que la part des dépenses de personnel a atteint un niveau critique tant à la DRPP qu'au SCRT.
Ce déséquilibre se traduit déjà par des difficultés opérationnelles importantes. J'ai ainsi pu constater dans un département que le service départemental du renseignement territorial (SDRT) ne disposait que d'un seul poste internet pour treize agents. D'autres exemples de ce type sont mentionnés dans le rapport.
Aussi, il est indispensable d'assurer un équilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement.
Enfin, il apparaît que les implantations territoriales de certains services concourant au renseignement intérieur ont été insuffisamment adaptées à l'évolution de la menace. On reste bien souvent sur l'histoire.
Au-delà de la nécessité du mieux cibler les moyens, le rapport met également en évidence que des contraintes pesant sur la formation et le recrutement des agents continuent de freiner la productivité de nos services. C'est ma cinquième observation.
Les faiblesses du modèle français de recrutement et de formation en matière de renseignement sont bien connues : les concours administratifs existants ne permettent pas toujours de recruter les profils adéquats, alors même la formation continue est peu développée et que le recrutement de contractuels est freiné sur le plan juridique et financier.
Les réformes de 2008 et 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de faire évoluer les modalités de recrutement et de formation.
Toutefois, des marges de progrès importantes subsistent.
Sur le plan du recrutement, les opportunités offertes par la transformation de la DCRI en direction générale demeurent insuffisamment exploitées. À titre d'exemple, la part des contractuels y est plafonnée à 15 %, alors qu'elle est déjà de 23 % à la DGSE. S'agissant des autres services concourant au renseignement intérieur, les évolutions sont faibles voire inexistantes, pour des raisons autant administratives que culturelles.
Sur le plan de la formation, l'offre des différents services demeure marquée par son éclatement. Les premiers efforts de mutualisation doivent impérativement être amplifiés.
Il est également regrettable que les liens avec le monde universitaire demeurent aussi faibles.
Enfin - et c'est mon dernier constat - l'effectivité du contrôle parlementaire du renseignement intérieur pourrait être renforcée.
Il est aujourd'hui impossible d'identifier les crédits et les effectifs des services concourant au renseignement intérieur dans les documents budgétaires, ce qui est pourtant déjà possible pour les services relevant du ministère de la défense.
Aussi, je fais dans le rapport plusieurs préconisations pour rénover l'architecture budgétaire du renseignement intérieur.
Par ailleurs, il me semble qu'une plus grande complémentarité des travaux de la Délégation parlementaire au renseignement et des commissions chargées des finances pourrait être recherchée.
Là encore, diverses propositions sont examinées dans le rapport pour renforcer la dimension budgétaire du dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement.
Je vous remercie.
Je remercie Philippe Dominati d'avoir choisi ce sujet d'une actualité particulière. Je pensais que la création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait permis d'aboutir à la constitution d'un service de renseignement unique. Or on s'aperçoit à la lecture du rapport que la situation est plus complexe que cela et qu'il existe un éclatement des moyens qui n'est pas source d'efficacité.
J'aimerais avoir davantage de précisions sur deux sujets qui ont été abordés. Le premier concerne les moyens consacrés à la surveillance d'internet. Vous expliquez, dans votre rapport, que le service départemental du renseignement territorial que vous avez visité ne disposait que d'un poste internet pour treize agents, alors que l'on connaît l'importance de cette activité. Comment cette priorité est-elle prise en compte ? Des moyens spécifiques sont-ils accordés à la surveillance d'internet ?
Ma deuxième question porte sur les moyens consacrés à la surveillance des flux financiers, et en particulier aux flux liés au financement du terrorisme. Existe-il des liens entre les services de renseignement et les organismes comme TRACFIN ou les banques à ce sujet ?
Par ailleurs, vous constatez que le moyen normal de recrutement dans la fonction publique qu'est le concours n'est pas toujours adapté en matière de renseignement, par exemple lorsqu'il s'agit de recruter des informaticiens spécialisés ou des personnels parlant certaines langues rares. Il me semble effectivement que faciliter le recrutement de personnels contractuels pourrait être une solution.
S'agissant de la surveillance d'internet, il est difficile d'identifier les moyens mis à la disposition du renseignement territorial puisqu'ils sont regroupés au sein de l'enveloppe globale des directions départementales de la sécurité publique. C'est seulement en visitant ces services que l'on peut se rendre compte de la situation.
Ces services doivent pouvoir agir en milieu fermé comme en milieu ouvert. Or il n'y a parfois pas assez d'effectifs pour assurer ces deux missions. De même, un service départemental que j'ai visité n'était pas en capacité de réaliser des interceptions téléphoniques, le centre d'interception le plus proche étant trop éloigné.
S'agissant de TRACFIN, ce service ne relève pas du renseignement intérieur. Toutefois, il existe des liaisons institutionnalisées entre les services de la communauté du renseignement - à laquelle la DGSI et TRACFIN appartiennent.
J'aimerais revenir sur le cas de Paris et de la police d'agglomération. Il y a quelques années, le préfet de police de Paris n'avait compétence que sur Paris. Désormais, comme je l'avais préconisé dans un rapport d'information de 2008 sur l'avenir du Grand Paris, il est également compétent dans les trois départements de la petite couronne. Dans ce rapport, vous proposez de changer cette l'organisation. Est-ce une si bonne idée que cela ?
Je comprends assez mal la suspicion qui semble exister entre les différents services de renseignement. Depuis le film « Le grand blond avec une chaussure noire », il semble que la situation n'a guère évolué.
Par ailleurs, le rapport relève le manque de moyens informatiques des services, qui paraissent pourtant essentiels à la conduite des activités de renseignement.
En ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Justice », j'ai visité il y quelques jours la prison de Fleury-Mérogis. Existe-t-il des liens entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement intérieur afin de lutter contre la radicalisation en milieu carcéral ?
Je remercie le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. J'aimerais revenir sur le tableau qui montre que, dans les différents pays comparés, il n'existe généralement qu'une seule structure dédiée au renseignement intérieur, contre quatre en France. Or à l'exception du Canada, le nombre d'effectifs pour 100 000 habitants est plus important en France que chez nos voisins. Peut-on en conclure qu'il existe un lien entre le nombre de services et le nombre d'effectifs, et que la réduction du nombre de structures conduirait à un gain d'efficacité ?
Comme l'a rappelé Philippe Dallier, la préfecture de police de Paris a élargi son périmètre d'action, ce qui n'était pas une mauvaise solution. Mais entre Épinay, qui se situe en Seine-Saint-Denis, et sa ville voisine d'Argenteuil, située dans le Val-d'Oise, quelle est la différence en termes de besoins de renseignement ? C'est toute la zone urbaine de la région parisienne que la compétence du préfet de police devrait embrasser.
Aujourd'hui, l'organisation géographique du renseignement intérieur est totalement éclatée. Par exemple, les renseignements ne circulent pas entre la police et la gendarmerie.
Par ailleurs, le djihadisme radical est impliqué dans le blanchiment d'argent et le trafic de drogues. Mais qui connaît la situation de ces trafics dans les quartiers ? Ce ne sont ni les services de renseignement, ni la police judiciaire, mais les policiers de terrain. Pourtant, les informations qu'ils détiennent ne sont pas exploitées correctement car lorsqu'une affaire prend de l'ampleur, elle est généralement confiée à un service spécialisé. Les polices municipales doivent également constituer des partenaires importants du renseignement.
Il existe des moyens pour le renseignement mais ces moyens ne seront pas mobilisés efficacement tant que l'on n'aura pas rationalisé l'organisation des services.
Les services de renseignement avec lesquels j'ai été en contact m'ont dit être persuadés que la majorité des cas de radicalisation se produit sur les réseaux sociaux. Certes, les moyens des services de renseignement ont été renforcés afin de surveiller internet, mais cette activité reste marginale car elle n'est pas dans la culture de nos services.
Quand j'ai lancé l'alerte il y a quelques semaines sur les nombreux appels au meurtre effectués sur les réseaux sociaux lors de l'opération « Tel-Aviv sur Seine », aucune suite n'a été donnée. En juillet 2014, lorsque des personnes ont manifesté dans les rues de Paris en criant « Mort aux juifs », les services de renseignement m'ont indiqué qu'ils avaient à leur disposition des vidéos et photos qui n'avaient pas été exploitées. C'est une bonne chose de renforcer les moyens du renseignement mais il faut également faire en sorte que nos services aient la capacité d'agir librement.
Il faut saluer la qualité et l'opportunité de ce rapport, qui souligne un certain nombre de points positifs : les services de renseignement sont en mesure d'accomplir leur mission et il n'y a pas de sous-investissement. Pour autant, on constate une certaine complexité de l'organisation.
S'agissant du terrorisme, il y aurait eu, selon les médias, plusieurs tentatives d'attentats déjouées au cours de la période récente, ce qui démontre l'efficacité de nos services.
J'ai entendu l'observation de Roger Karoutchi sur les suites qui sont données lorsque des agissements extrêmement condamnables sont constatés. En réalité, les services de renseignement sont là pour faire du renseignement. Les éléments sont recoupés et c'est dans un second temps que l'on passe à l'exploitation. Entre le recueil et l'exploitation, il y a forcément un délai.
Le rapporteur souligne la bonne volonté des directeurs mais également le climat de défiance entre les services. C'est un phénomène ancien et forcément contreproductif. Je ne sais pas si l'on trouvera un jour le moyen d'y mettre un terme. Faut-il restructurer autour de deux pôles ? L'idée est sympathique. Comment est-on arrivé aux quatre pôles actuels ? Est-ce au nom de la subsidiarité, de la recherche d'une efficacité déconcentrée ? Faut-il faire le chemin inverse ? Je suis intellectuellement intéressé par la réponse que pourra donner le rapporteur.
Un rapport ne peut traiter de tous les sujets, mais il y en a un qui m'intéresse particulièrement. Il s'agit de l'espionnage économique. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons un plateau industriel qui travaille avec le monde entier sur des technologies de pointe. Entendre de petites entreprises expliquer qu'elles ont l'impression d'être surveillées par des officines très lointaines m'a quelque peu troublé.
Quel est le coût global du renseignement intérieur pour la police et la gendarmerie ?
Le rapporteur décrit le renseignement territorial comme le « parent pauvre » du renseignement intérieur. D'autres services ne peuvent-ils pas venir renforcer le maillage territorial, comme l'administration des douanes ou les groupements d'intervention régionaux (GIR) ?
Je voudrais insister sur le fait que sécurité intérieure et sécurité extérieure sont de plus en plus liées. Bien des menaces qui pèsent sur notre territoire se forment à l'extérieur. Le rôle du ministère de la défense et de ses services de renseignement est à cet égard essentiel. En outre, nos troupes participent directement à la sécurité intérieure, notamment à travers l'opération Sentinelle.
Je voudrais souligner la pertinence de la recommandation selon laquelle il faut remédier au déséquilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui part du constat de difficultés opérationnelles importantes. J'ai pu les constater dans ma région. À titre d'exemple, le parc automobile est composé de véhicules parfois particulièrement anciens, avec 200 000 kilomètres, 300 000 kilomètres voire 400 000 kilomètres au compteur. Certains ne roulent même plus, y compris parfois parce qu'il n'y a pas le carburant nécessaire. Le renseignement, c'est aussi aller sur le terrain.
Est-ce que les crédits de la mission « Sécurités » pour 2016 prennent en compte ce problème et permettent de mettre en adéquation les dépenses de fonctionnement et d'investissement avec la croissance des dépenses de personnel, les unes n'allant pas sans les autres ?
Le renseignement est un domaine délicat pour les parlementaires et parfois même pour l'exécutif. Il n'y a eu aucune évolution majeure de l'organisation du renseignement intérieur entre la création de la DST à la Libération et la réforme de 2008, qui a doté le renseignement intérieur d'un navire amiral - la DCRI. Cette réforme a été amendée en 2013, après avoir fait le constat que l'entité chargée de remplacer les « renseignements généraux » ne fonctionnait plus sur le terrain, nombre de ses effectifs ayant été transférés à la DCRI. On a également autorisé la gendarmerie à créer son propre service. C'est pourquoi il existe désormais quatre services de renseignement intérieur.
Sur ce point, j'observe que les chefs d'État, sous la Ve République, ont eu des appréciations variées à l'égard des services de renseignement. On peut se demander si l'exécutif a la volonté de concentrer les services ou au contraire de les morceler.
Aujourd'hui, il y a bien morcellement. Quand on interroge les responsables, on entend : « Tout va très bien Madame la marquise ». Force est de constater qu'il y a des résultats positifs. La plupart des services ne réclament pas de moyens humains supplémentaires. Leurs agents sont extrêmement motivés et responsables.
Pour autant, on peut s'interroger sur l'efficacité des mécanismes de coordination qui visent à faire fonctionner l'organisation complexe que Francis Delattre nous a dit observer sur le terrain.
Par ailleurs, l'efficacité des services dépend autant du niveau de leurs effectifs que de leur capacité à attirer les personnels à la pointe des connaissances utiles. Nous avons besoin de recruter différemment.
S'agissant du problème, soulevé par Éric Bocquet, de l'adéquation des moyens mis à la disposition des personnels, la situation se dégrade pour l'ensemble des forces de police et de gendarmerie depuis plusieurs années. J'aurai l'occasion d'aborder la question du parc automobile à l'occasion de l'examen de la mission « Sécurités » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.
Pour répondre à Philippe Dallier, il ne s'agit pas de « casser » un service qui fonctionne mais d'assurer une continuité territoriale. En rationalisant l'organisation du renseignement de proximité, on obtiendra un meilleur « tamis » pour repérer les « signaux faibles » et les faire remonter à la DGSI.
Sur ce point, je suggère plusieurs pistes mais la décision appartient à l'exécutif. En tout cas, je pense qu'on gagnerait énormément à avoir deux services.
Je souligne également que souvent nous avons souvent l'information mais que nous ne parvenons pas toujours à l'analyser correctement. C'est pourquoi les services doivent s'ouvrir sur le plan de la formation et du recrutement.
Marc Laménie demandait combien tout cela coûte. Il y a une certaine discrétion sur le sujet. D'ailleurs, les données sont noyées dans les documents budgétaires, contrairement à ce qui se passe pour le ministère de la défense. Je ne peux pas être très précis mais le coût total est de l'ordre de 450 millions d'euros, d'après les sources ouvertes dont nous disposons - y compris journalistiques.
J'ai fait attention à ce que les informations contenues dans ce rapport ne nuisent pas à l'efficacité des services. C'est par exemple pour cela que je ne donne pas trop de détails concernant l'évolution des implantations territoriales.
Sur ces sujets, c'est au ministre de l'intérieur qu'il revient d'apprécier quel est le bon moment pour faire évoluer nos services. Pour ma part, je constate qu'ils fonctionnent bien mais qu'ils pourraient fonctionner mieux.
Je remercie Philippe Dominati pour la manière dont il a abordé cette question délicate. Il ne faut pas rendre publiques des informations qui pourraient servir à des personnes malveillantes. C'est à la fois la grandeur et la fragilité des démocraties.
La commission donne acte au rapporteur de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La commission nomme M. Francis Delattre rapporteur pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
La réunion est levée à 12 h 25.