Voilà plus d'un an et demi que notre commission spéciale travaille sur ce texte, qui repose sur trois piliers - la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, l'accompagnement des personnes prostituées et la responsabilisation des clients - connus de toutes et tous, et dont les enjeux ont été longuement débattus. Le 30 mars dernier, le Sénat a voté un texte amputé - contre ma volonté - de deux dispositions centrales : l'article 16, qui punissait l'achat d'un acte sexuel, avait été supprimé par notre commission spéciale en juillet 2014 et l'article 13, abrogeant le délit de racolage, l'a été en séance publique. Pourtant, grâce à ces deux mesures essentielles et indissociables, la personne prostituée cessait enfin d'être considérée comme une délinquante et se voyait reconnaître le statut de victime.
Cela dit, le texte transmis à l'Assemblée nationale comprenait des améliorations substantielles, que celle-ci a conservées ou légèrement modifiées en deuxième lecture. Ainsi, l'Assemblée nationale a voté conforme l'article 1er quinquies, introduit par notre commission spéciale, qui étend la compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains. Elle a retenu l'essentiel des changements importants introduits par le Sénat à l'article 3 pour créer un parcours de sortie de la prostitution, respectant l'équilibre que nous avions trouvé. Elle n'est pas revenue sur l'élargissement du champ des recettes alimentant le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement des personnes prostituées créé à l'article 4. Nous avions également introduit un article 3 bis intégrant à la liste des publics prioritaires pour l'attribution de logements sociaux les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ainsi que les personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution, auquel elle n'a apporté que des modifications rédactionnelles. Elle a adopté conforme l'article 14 ter, qui fixe le cadre dans lequel doit s'inscrire la politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées. Enfin, l'essentiel des améliorations apportées par le Sénat aux articles 15 et 15 bis, relatifs à l'éducation à la sexualité, ont été préservées.
Sur les vingt-trois articles qui restaient en navette à l'issue de la première lecture au Sénat, huit ont été adoptés conformes ou ont vu leur suppression confirmée par l'Assemblée nationale et sept ne font l'objet que de divergences mineures entre les deux chambres. Sur ceux-ci, je ne vous proposerai que des modifications rédactionnelles. Nos désaccords se concentrent donc sur huit articles.
Les députés ont rétabli les deux dispositions centrales qui avaient été supprimées par le Sénat : l'abrogation du délit de racolage public et la responsabilisation pénale des clients. Ces deux mesures, complémentaires, constituent les piliers de ce texte. Il s'agit d'un changement radical de perspective : nous allons enfin, dans les faits, considérer la personne prostituée comme une victime et non plus comme une délinquante, et le client comme une partie prenante du système qui oppresse la personne prostituée Pour apaiser les craintes quant aux conséquences supposées de la suppression du délit de racolage sur la lutte contre les réseaux, je vous proposerai un amendement à l'article 1er ter qui fournira un outil précieux à la police et à la justice. Il offre une protection, allant d'un changement de domicile à l'adoption d'une identité d'emprunt, aux victimes des réseaux qui auront apporté un témoignage utile dans le cadre d'une enquête et dont la vie sera de ce fait en danger.
Les services ministériels, notamment ceux de l'intérieur et de la justice, sont prêts à mettre en oeuvre ce dispositif, qui s'ajoute à celui déjà prévu par l'article 6 - ce dernier prévoit la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour aux personnes prostituées qui porteront plainte contre leur proxénète ou témoigneront dans une enquête. Ce dispositif très novateur et très complet protégera efficacement toutes les personnes prostituées qui contribueront à démanteler un réseau, et inversera la logique : désormais, c'est la puissance publique qui protègera la personne prostituée contre le réseau, non le réseau qui la protègera contre la justice. Une magistrate, que nous avons rencontrée conjointement avec la commission spéciale de l'Assemblée nationale, nous a indiqué que les personnes prostituées placées en garde à vue ne parlent pas, du fait de la très grande menace qui pèse sur elles et sur leurs familles. Le dispositif que je vous propose sera infiniment plus efficace que le délit de racolage.