La commission examine, en deuxième lecture, le rapport de Mme Michelle Meunier et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 519 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.
Nous voici au stade de la deuxième lecture de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. L'Assemblée nationale a sans surprise rétabli la pénalisation du client. Nous avons eu plusieurs réunions avec les députés et des représentants du ministère sur une disposition relative à la protection des personnes prostituées qui dénoncent les réseaux. Les amendements que nous allons examiner portent sur les trois volets du texte : accompagnement social, pénalisation du client et lutte contre les réseaux. Les députés nous ont fait savoir qu'ils n'entendaient pas revenir en commission mixte paritaire (CMP) sur la pénalisation du client. L'équilibre sera donc plutôt à chercher autour du délit de racolage. L'idée n'est pas, bien sûr, de s'attaquer aux personnes prostituées, mais de donner aux services de police un moyen d'agir, de lutter contre la prostitution sous contrainte et d'attaquer les réseaux et les filières, dont nous connaissons l'organisation, et dont la violence peut être extrême. Il faut rappeler qu'en 2015, huit personnes prostituées ont péri, quatre directement, et quatre sous les coups des clients. Encore ce chiffre ne recense-t-il sans doute pas tous les cas.
Travaillons à rendre possible une ouverture en CMP. Si nos positions sont diverses - elles ont d'ailleurs été passablement caricaturées par les médias pendant la première lecture - nous partageons tous l'objectif d'accompagner et de protéger les personnes prostituées, ce qui a été moins souligné. S'il a fait entrevoir une liberté confinant au libertinage, le récent procès du Carlton nous a surtout montré des femmes exploitées par des filières. Il n'y a pas une prostitution quatre étoiles qui s'opposerait à une prostitution des rues : dans tous les cas, les personnes prostituées souffrent du même enfermement.
Voilà plus d'un an et demi que notre commission spéciale travaille sur ce texte, qui repose sur trois piliers - la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, l'accompagnement des personnes prostituées et la responsabilisation des clients - connus de toutes et tous, et dont les enjeux ont été longuement débattus. Le 30 mars dernier, le Sénat a voté un texte amputé - contre ma volonté - de deux dispositions centrales : l'article 16, qui punissait l'achat d'un acte sexuel, avait été supprimé par notre commission spéciale en juillet 2014 et l'article 13, abrogeant le délit de racolage, l'a été en séance publique. Pourtant, grâce à ces deux mesures essentielles et indissociables, la personne prostituée cessait enfin d'être considérée comme une délinquante et se voyait reconnaître le statut de victime.
Cela dit, le texte transmis à l'Assemblée nationale comprenait des améliorations substantielles, que celle-ci a conservées ou légèrement modifiées en deuxième lecture. Ainsi, l'Assemblée nationale a voté conforme l'article 1er quinquies, introduit par notre commission spéciale, qui étend la compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains. Elle a retenu l'essentiel des changements importants introduits par le Sénat à l'article 3 pour créer un parcours de sortie de la prostitution, respectant l'équilibre que nous avions trouvé. Elle n'est pas revenue sur l'élargissement du champ des recettes alimentant le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement des personnes prostituées créé à l'article 4. Nous avions également introduit un article 3 bis intégrant à la liste des publics prioritaires pour l'attribution de logements sociaux les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ainsi que les personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution, auquel elle n'a apporté que des modifications rédactionnelles. Elle a adopté conforme l'article 14 ter, qui fixe le cadre dans lequel doit s'inscrire la politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées. Enfin, l'essentiel des améliorations apportées par le Sénat aux articles 15 et 15 bis, relatifs à l'éducation à la sexualité, ont été préservées.
Sur les vingt-trois articles qui restaient en navette à l'issue de la première lecture au Sénat, huit ont été adoptés conformes ou ont vu leur suppression confirmée par l'Assemblée nationale et sept ne font l'objet que de divergences mineures entre les deux chambres. Sur ceux-ci, je ne vous proposerai que des modifications rédactionnelles. Nos désaccords se concentrent donc sur huit articles.
Les députés ont rétabli les deux dispositions centrales qui avaient été supprimées par le Sénat : l'abrogation du délit de racolage public et la responsabilisation pénale des clients. Ces deux mesures, complémentaires, constituent les piliers de ce texte. Il s'agit d'un changement radical de perspective : nous allons enfin, dans les faits, considérer la personne prostituée comme une victime et non plus comme une délinquante, et le client comme une partie prenante du système qui oppresse la personne prostituée Pour apaiser les craintes quant aux conséquences supposées de la suppression du délit de racolage sur la lutte contre les réseaux, je vous proposerai un amendement à l'article 1er ter qui fournira un outil précieux à la police et à la justice. Il offre une protection, allant d'un changement de domicile à l'adoption d'une identité d'emprunt, aux victimes des réseaux qui auront apporté un témoignage utile dans le cadre d'une enquête et dont la vie sera de ce fait en danger.
Les services ministériels, notamment ceux de l'intérieur et de la justice, sont prêts à mettre en oeuvre ce dispositif, qui s'ajoute à celui déjà prévu par l'article 6 - ce dernier prévoit la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour aux personnes prostituées qui porteront plainte contre leur proxénète ou témoigneront dans une enquête. Ce dispositif très novateur et très complet protégera efficacement toutes les personnes prostituées qui contribueront à démanteler un réseau, et inversera la logique : désormais, c'est la puissance publique qui protègera la personne prostituée contre le réseau, non le réseau qui la protègera contre la justice. Une magistrate, que nous avons rencontrée conjointement avec la commission spéciale de l'Assemblée nationale, nous a indiqué que les personnes prostituées placées en garde à vue ne parlent pas, du fait de la très grande menace qui pèse sur elles et sur leurs familles. Le dispositif que je vous propose sera infiniment plus efficace que le délit de racolage.
Article 1er ter
Mon amendement n° 17 instaure une protection spécifique des personnes prostituées menacées par les réseaux de traite ou de proxénétisme et précise qu'y sont éligibles les personnes ayant contribué par leur témoignage à la manifestation de la vérité et dont la vie ou l'intégrité physique est gravement mise en danger sur le territoire national. En indiquant que les personnes sont protégées en raison de leur qualité de témoins utiles au déroulement de la procédure pénale, cette rédaction circonscrit ce dispositif, lourd à mettre en place, aux personnes qui ont le plus de risques d'êtres menacées. Cette protection nouvelle devrait faciliter la coopération des personnes prostituées avec la police, la gendarmerie et l'institution judiciaire, ce qui aidera à remonter les réseaux et filières de traite et de prostitution.
M. Godefroy et moi-même avons particulièrement étudié ce point dans notre rapport sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. Votre amendement réécrit cet article, qui prévoyait des mesures de protection pour les victimes. Vous ajoutez la condition du témoignage contribuant à la manifestation de la vérité. Mais ne faut-il pas attendre la fin de la procédure pour l'apprécier ? Or comme l'avait souligné devant nous un procureur italien, faisant référence aux affaires mafieuses, c'est dès le début de la procédure que ces personnes ont besoin de protection. Sinon, elles ne témoigneront pas.
Absolument. La protection doit commencer dès que la personne est à même de témoigner, et non une dizaine de mois après, lorsque le procès est terminé. Une jeune femme nigériane, qui se prostituait sur la Presqu'île à Caen, a donné des informations à la police : on l'a retrouvée au bord du canal avec les jambes fracassées. Une fois soignée, elle a disparu. En outre, une procédure diplomatique est-elle prévue pour que la protection soit applicable aux membres de la famille si ceux-ci sont à l'étranger ?
Je partage votre souci de protection des témoins et des victimes, mais nous devons être réalistes. La priorité est actuellement donnée à la lutte contre le terrorisme. À Lyon, le nouveau directeur départemental de la sécurité publique, que j'ai rencontré, ne dispose pas des effectifs suffisants pour remplir ses missions. Pour que cette protection soit crédible, il ne suffit pas de l'inscrire dans la loi, il faut avoir les moyens de l'assurer. Au moins, le délit de racolage constituait un outil, non pour harceler les personnes prostituées, mais pour les emmener dans un commissariat et établir un contact. Puis, lorsqu'un trop grand nombre de ces personnes causaient un trouble sur la voie publique, par exemple à proximité d'une école, c'était une manière pour la police de faire pression. Les services de police auront-ils les moyens de démanteler les réseaux de prostitution - y compris familiale, comme dans certains groupes Roms ? À effectifs constants et même en baisse, de nouvelles missions sont confiées à la police... L'agglomération lyonnaise compte quelque 300 terroristes en puissance qu'il faudrait suivre. Même en affectant tous les agents disponibles à cette tâche, l'effectif n'y suffirait pas ! Aussi ai-je quelques doutes sur notre capacité à assurer la protection de chaque témoin...
Cette question peut se poser dans tous les domaines de l'action publique : aurons-nous assez d'enseignants ? D'infirmiers ? De médecins ? Il ne s'agit pas, ici, de la mise en oeuvre, mais du vote d'un principe dans la loi.
À Rennes en septembre, deux mamas ont été condamnées à neuf et dix ans de prison. Toute la hiérarchie de leur organisation a été exposée : elle opérait non seulement à Caen et en Bretagne mais aussi en Italie et même en Turquie ! La femme qui avait porté plainte a été protégée. Mais, ayant reçu des menaces sur ses enfants, qui étaient au Nigéria, elle est repartie dans son pays, et à la descente de l'avion le clan des mamas s'est emparé d'elle, l'a rouée de coups, lui brisant les jambes. Ensuite, elle a disparu. Au moins ce réseau a-t-il été démantelé. Un autre l'a été grâce à la plainte, à Paris, d'une jeune Chinoise, qui avait été frappée.
Ces deux mamas n'étaient pas très haut placées dans la hiérarchie... Nous disposons déjà de textes efficaces : 52 réseaux sont démantelés chaque année, soit un par semaine ! La protection dont nous parlons ne nécessite pas la présence permanente d'un policier. Il s'agit plutôt, comme en Italie, de disposer de lieux d'accueil, fermés et protégés, coupant le contact avec la rue et les personnes susceptibles de porter préjudice aux victimes.
Nous ne pouvons pas travailler sous hypothèque ! Il s'agit d'affirmer des principes pour notre société. Aider celles et ceux qui décident de s'émanciper de ces réseaux est très important. Comment sous-amender cet amendement pour tenir compte de cette nécessité d'une protection rapide ? Quid des personnes qui sont à l'étranger ? C'est souvent hors de France qu'ont lieu les représailles.
Le dispositif présenté est très lourd, puisqu'il transpose le dispositif dit « Perben », qui protège les repentis : il s'agit de personnes en danger de mort. L'important sera de l'évaluer attentivement après deux ans car il comporte de nombreuses mesures nouvelles, qui peuvent introduire des changements considérables dans la pratique, avec des conséquences que nous ne maîtrisons pas forcément. Aussi devrons-nous interpeller le Gouvernement sur cette mesure. Les moyens nécessaires sont massifs : la protection d'une personne coûte environ 80 000 euros par an, et requiert un nombre conséquent de fonctionnaires. Le changement d'identité est une mesure lourde, qui ne pourra être mise en place systématiquement, il vaut donc mieux conserver également d'autres mesures.
Nous pourrons vérifier auprès du Gouvernement que la protection commencera suffisamment tôt. Au sujet des moyens, je vous signale que l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) voit ses revenus augmenter régulièrement ! N'oublions pas non plus que cet article 1er ter, s'il vise bien sûr à protéger les personnes prostituées, a surtout pour but de faciliter la lutte contre les réseaux.
En attendant les éclaircissements du Gouvernement, je m'abstiens.
L'amendement n° 17 est adopté.
Article 3
Pourquoi supprimer le pluriel ? Je suis pour la collégialité, notamment pour les juges d'instruction ou les juges d'application des peines. Mieux vaudrait prévoir au moins deux magistrats, issus de tribunaux de grande instance différents. Quelle est la position du Gouvernement ?
Je ne voterai pas cet amendement. Membres de la commission des lois, nous luttons pour maintenir la collégialité, en justice administrative comme judiciaire, car elle garantit équité et efficacité. Bien sûr, le Gouvernement cherchera toujours à faire des économies, mais je ne dérogerai pas à ce principe.
Ce point a été débattu lors d'une réunion avec la Chancellerie. Une magistrate, ancienne juge d'instruction, nous a expliqué qu'il ne s'agissait que d'une clarification, afin qu'on ne pût croire que cette compétence puisse être exercée par plusieurs magistrats.
La collégialité est déjà mentionnée, puisque sont énumérés aussi des représentants de l'État - notamment des services de la police et de la gendarmerie -, des collectivités territoriales, du monde associatif et des professionnels de santé. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une instance départementale dédiée à la protection, et non d'un groupe juridictionnel.
La commission des lois a en effet l'habitude de parler de collégialité s'agissant des magistrats !
Nous perdons notre temps sur un détail : dans de telles instances partenariales, l'expérience prouve que les magistrats ne viennent pas toujours, et personne ne peut rien leur dire ! Mieux vaut prévoir un seul magistrat, qui sera là, plutôt que plusieurs qui ne se déplaceront pas...
L'amendement n° 19 est adopté.
L'amendement n° 3 remplace le mot « prostituées » par les mots « en difficulté », afin de n'exclure aucune association. Avis favorable.
Nous en avons longuement débattu en première lecture.
L'amendement n° 3 est adopté.
Article 3 bis
L'amendement de coordination n° 16 est adopté.
Article 6
L'amendement n° 18 effectue une coordination avec le projet de loi relatif aux droits des étrangers, dont l'article 13 prévoit l'abrogation de l'article L. 311-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à l'obligation de disposer d'un visa de plus trois mois pour pouvoir bénéficier d'une carte de séjour temporaire. Les dispositions de cet article sont transférées à l'article L. 313-2.
L'amendement n° 18 est adopté.
Mon amendement n° 4 revient à la rédaction adoptée en première lecture, qui résultait d'un amendement conjoint du président et de la rapporteure... Après un long débat, nous avions estimé que la condition de sortie de la prostitution n'était pas souhaitable. Nous en reparlerons peut-être en CMP.
Avis défavorable. Mon avis a changé depuis. Il s'agit de l'obtention de papiers et je ne souhaite pas supprimer cette condition.
C'est contradictoire avec notre position sur la protection. S'il faut que la personne ait cessé la prostitution pour avoir un titre de séjour, cela ne sera pas simple : les spécialistes soulignent que la sortie de la prostitution se fait souvent en plusieurs étapes. Mieux vaudrait prévoir le non-renouvellement de l'autorisation provisoire, le cas échéant.
Nous devrions discuter en même temps de l'amendement suivant, qui porte sur la durée de l'autorisation : cesser la prostitution est un engagement fort. Mieux vaudrait six mois renouvelables qu'un an.
Nous devons relier cet amendement à l'article 3. L'instance chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution doit reconnaître que la personne entre dans un parcours de sortie de la prostitution et de réinsertion. Elle est à même d'apprécier si la personne a cessé ou non l'activité de prostitution. De plus, la plupart des personnes concernées rechutent au moins une fois. Faisons confiance à cette instance de coordination. La condition couperet posée par la proposition de loi est excessive.
Comment vérifier qu'une personne est sortie de la prostitution ? Je voterai cet amendement plein de bon sens.
Avis défavorable sur l'amendement n° 4 : les réseaux mafieux pourraient exploiter la procédure, « vendant » des femmes contre promesse de leur obtenir des papiers. Même avis sur l'amendement n° 5. Les six mois du texte actuel constituent une durée minimale et le préfet peut toujours décider de l'allonger. Le titre de séjour sera renouvelé des lors que la personne prostituée demeurera engagée dans le projet prévu à l'article 3.
Nous devons être plus prudents sur les délais : engager des procédures en préfecture prend du temps. Six mois, ce n'est pas assez ! La sortie de la prostitution n'est pas immédiate et passe toujours par un cheminement.
Avis défavorable à l'amendement n° 6, qui remplace les mots « peut être » par le mot « est ». Je suis contre une délivrance automatique du titre de séjour.
Avec ces trois amendements, je cherchais un consensus. Dommage ! Je retire cet amendement : il faut laisser une marge d'appréciation au préfet.
L'amendement n° 6 est retiré.
Article 9 bis
L'amendement n° 7 supprime l'article 9 bis, qui prévoit que la sanction de certains faits de violence sera aggravée dès lors qu'ils seront commis à l'encontre de personnes prostituées. La commission avait supprimé cet article en première lecture. Toutefois, il apparaît que les circonstances aggravantes actuelles ne sont sans doute pas suffisantes pour pouvoir s'appliquer aux personnes prostituées, qui sont indéniablement, pour la plupart d'entre elles, dans une situation de vulnérabilité particulière. Dès lors, il paraît préférable de conserver cet article. Avis défavorable.
Je ne retirerai pas cet amendement. En première lecture, il avait été déposé conjointement par le président et la rapporteure. Les positions de la rapporteure ont passablement évolué entre les deux lectures ! Pourtant, il s'agit presque d'une question philosophique. Je ne crois pas qu'on puisse considérer que les personnes prostituées sont, automatiquement, des personnes vulnérables. Ce serait choquant. Il s'agit de personnes majeures, libres de leurs décisions. Le code pénal définit la vulnérabilité : il s'agit de personnes mineures, handicapées...
Il peut s'agir d'une personne majeure qui, victime, sous contrainte, n'est pas véritablement en mesure de prendre des décisions.
Le code pénal prévoit le cas d'une personne sous contrainte. Ce n'est pas la même chose qu'une personne vulnérable.
Je comprends la position de notre rapporteure, mais nous compliquons considérablement la vie des professionnels du droit : l'arsenal des peines est déjà suffisamment large, et les magistrats suffisamment intelligents pour tenir compte des réalités.
Avis défavorable. Il n'est pas interdit d'évoluer entre deux lectures. J'ai tenu compte de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale en deuxième lecture. J'ai encore en tête les propos du Président de la République, qui a parlé devant l'Organisation des nations unies (ONU) de « violence » à propos de la prostitution. Cet article 9 bis est aussi porteur de la philosophie de cette proposition de loi, qui est de considérer la prostitution comme une violence et les personnes prostituées comme vulnérables.
Je suis très partagée sur la question. Un médecin-psychologue nous a décrit le déni dans lequel s'enfermaient certaines personnes prostituées, leur fuite en avant dans la toxicomanie et l'alcoolisme. Elles vont jusqu'à revendiquer leur activité comme un libre choix - en réalité illusoire. C'est pourquoi je m'abstiendrai.
L'amendement n° COM-7 est adopté.
Article 11
L'amendement n° COM-8 supprime la possibilité pour les associations reconnues d'utilité publique de se porter partie civile sans l'accord de la victime. Il n'est question ici que de quelques associations reconnues d'utilité publique dont on peut supposer qu'elles agiront avec le discernement requis.
L'amendement avait été adopté en première lecture, présenté en accord entre le président et la rapporteure. Je le maintiens : donner aux associations reconnues d'utilité publique la faculté de se porter partie civile sans l'accord de la victime est à mon avis très dangereux pour cette dernière. Et dans ce cas, qui assurera la protection ?
De plus, des associations comme Grisélidis, les Amis du bus des femmes ou Ippo n'étant pas reconnues d'utilité publique - elles n'interviennent pas sur l'ensemble du territoire -, cela établirait une forme de discrimination. Dans les faits, une seule association pourrait se porter partie civile au nom des prostituées, le Mouvement du Nid. Pour ma part, cela me choque.
Il n'y a pas de risque pour les personnes prostituées : le texte de l'article précise bien que l'association peut se porter partie civile « lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée ». En d'autres termes, l'association ne sera pas à l'origine de l'action en justice.
La loi du 9 avril 1975 autorise déjà les associations reconnues d'utilité publique ayant pour objet la lutte contre le proxénétisme et l'action sociale en faveur des personnes prostituées à se constituer partie civile sans l'accord de la victime ; or à ma connaissance, aucune personne prostituée n'a été mise en danger jusqu'ici.
L'article 11 autorise par ailleurs les associations déclarées depuis au moins cinq ans à se constituer partie civile avec l'accord de la victime.
Les associations que j'ai pu rencontrer ne souhaitent pas toutes en bénéficier.
Elles ont déjà cette possibilité !
L'amendement n° COM-8 n'est pas adopté.
Article 13
L'amendement n° COM-14 crée un nouveau délit de racolage qui ne serait constitué que dans les zones couvertes par un arrêté de police municipale du maire. Celui-ci déterminerait ces zones en fonction des risques de troubles à l'ordre public.
Une telle disposition comporterait à mon sens deux inconvénients principaux. D'abord, subordonner l'existence d'un délit (assorti d'une peine de prison) à une décision du maire me semble périlleux du point de vue du principe de la légalité des délits et des peines et possiblement contraire à la Constitution. Ensuite, il me semble que l'on poursuit deux objectifs contradictoires : éloigner les personnes prostituées de certaines zones et recueillir auprès d'elles des éléments sur les réseaux de proxénétisme et de traite. Par définition, la garde à vue sera impossible dans les zones où le racolage sera licite, puisque le délit n'y sera pas en vigueur. Avis défavorable.
Pour ma part, j'y suis favorable. En première lecture, nous avions rétabli le délit de racolage. Les débats avaient davantage porté sur la notion de racolage passif. Deux possibilités se présentent à nous en deuxième lecture : soit retirer le racolage passif, soit restreindre la notion de racolage en la faisant relever de mesures de police, sur les territoires définis par les maires. Nous avons tous en tête l'exemple de certaines communes qui ont dû prendre des dispositions pour préserver leur centre-ville de la prostitution.
Le second aspect de l'amendement consiste à donner à la police les moyens de remonter les filières. L'amendement n° COM-17 que nous avons voté à la quasi-unanimité place les personnes prostituées qui décident de témoigner sous la protection de la justice, mais je suis convaincu que cette mesure restera, dans un premier temps, d'application limitée.
Je suis gênée par cet amendement qui nous rapprocherait de la situation des villes allemandes, où certains quartiers sont autorisés à la prostitution. Dans les faits, le maire se voit confier le soin de l'organiser !
A contrario, si nous rejetons l'amendement et ne prenons aucune mesure, la prostitution sera libre sur l'ensemble du territoire.
Ne négligeons pas les possibilités, signalées par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qu'offre le droit commun, à travers les délits de trouble à l'ordre public ou d'exhibitionnisme. De plus, cet amendement est susceptible de placer les maires dans une situation délicate vis-à-vis de leurs administrés, qui leur réclameront systématiquement des mesures. Le maire de Vincennes a d'ores et déjà pris des règlements interdisant l'exercice de la prostitution le mercredi après-midi et dans certaines zones.
À Vincennes, les choses sont très organisées ! L'exercice de la prostitution est régi par un document portant les signatures du maire, du préfet et des personnes prostituées.
Je suis sceptique quant à cet amendement qui fait disparaître la notion de racolage de la loi, une première depuis les années trente. J'aurais pris une position différente sur l'amendement, retiré, qui réécrivait la loi sur la sécurité publique de 2003 où apparaissait la notion problématique de racolage « même par une attitude passive ».
D'abord, on affirme que la vocation première de ce texte est l'abolition de la prostitution, puis cet amendement en prévoit la réglementation, qui plus est en faisant peser sur les maires la responsabilité des dérogations.
Les dispositions du droit commun restent peu utilisées par la police, car le flagrant délit est difficile à obtenir. Par cet amendement, on donne aux maires le pouvoir de prendre des arrêtés municipaux concernant des délits... Il ne s'agit plus de contraventions ! C'est un problème d'ordre public qui mérite un véritable débat et dépasse le cadre de cette proposition de loi.
Pour ma part, je n'ai pas trouvé de solution satisfaisante. Quoi qu'il en soit, je suis contre l'amendement.
En première lecture, j'ai voté contre le délit de racolage. Je considère cet amendement comme un amendement de repli. On confie aux maires le soin de déterminer où il sera possible de racoler - c'est-à-dire, inévitablement, dans les endroits les plus reculés, où les personnes prostituées sont le moins protégées ! Il y a beaucoup d'hypocrisie dans tout cela. Je voterai toutefois pour cet amendement, faute de mieux.
Je signale que dans certaines métropoles et intercommunalités, les compétences de voirie n'appartiennent plus au maire.
L'amendement n° COM-14 n'est pas adopté.
Article 16
L'amendement n° COM-1 supprime l'article 16 qui prévoit la pénalisation du client. C'est une question que nous avons longuement débattue. Avis défavorable.
L'amendement de suppression n° COM-1 est adopté.
Nous avons supprimé à la fois le délit de racolage et la pénalisation du client.
L'Assemblée nationale avait supprimé le délit de racolage et introduit la pénalisation du client ; en première lecture, notre commission spéciale a supprimé la pénalisation du client et le Sénat a rétabli le délit de racolage. En deuxième lecture, nous revenons à la position qui avait été celle de la commission spéciale en première lecture. La CMP aura un travail intéressant à faire...
Article 17
Article 18
L'article 18 prévoit une évaluation après deux ans du dispositif de lutte contre la prostitution mis en place par la loi. Avec ce que nous venons de voter, il n'y aurait guère matière à évaluation ; mais la question étant appelée à revenir en débat dans l'hémicycle, l'évaluation conserve sa pertinence.
Intitulé de la proposition de loi
Le nouvel intitulé, « Proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humaines à des fins d'exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l'accompagnement des personnes prostituées », supprime la référence au système prostitutionnel, en cohérence avec la suppression de l'article 16. Sagesse.
Au-delà des questions de cohérence, le titre retenu par l'Assemblée nationale ne fait pas mention de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, ce que je déplore. L'objectif de cette loi est avant tout de lutter contre les réseaux de prostitution. Je retire l'amendement.
L'amendement n° COM-9 est retiré.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est levée à 16 heures.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :