« Nul n'est censé ignorer la loi » : chacun connaît cet adage, simple, facile et percutant ; sa mise en oeuvre reste pourtant compliquée. Sous l'Ancien Régime, elle se faisait à son de trompe ou bruit de tambour. Puis, la Révolution française a inventé le Bulletin des lois, remplacé en 1870 par le Journal officiel de la République française. Irons-nous au-delà de la version papier du Journal officiel ?
Grâce à l'ordonnance du 20 février 2004, une version électronique du Journal officiel est reconnue d'ores et déjà, qui remporte un franc succès. Avant même cette ordonnance, Légifrance publiait sur son site un certain nombre de textes, ce qui signifie que depuis l'ordonnance déjà la version électronique a la même valeur probante que la version papier. Cependant, certains actes définis par le décret du 28 mai 2004 restent publiés uniquement sur papier : changement de nom, francisation d'un nom ou d'un prénom, attribution d'un prénom, acquisition, réintégration, perte ou déchéance de la nationalité française, etc. La logique est claire : protéger les données sensibles de l'individu. Ces textes ne représentent que 8 % de l'ensemble des textes publiés au Journal officiel.
À l'inverse, un certain nombre d'actes sont publiés uniquement sous forme électronique : actes réglementaires et décisions individuelles relatifs à l'organisation administrative de l'État, ceux qui concernent les fonctionnaires et agents publics, les magistrats ou les militaires, certaines décisions relatives au budget de l'État, comme les décrets ou les arrêtés portant répartition, ouverture ou virement de crédits, les décisions individuelles prises par le ministre de l'économie dans le domaine de la concurrence, les actes réglementaires et les décisions individuelles des autorités administratives et publiques indépendantes, sauf celles qui intéressent la généralité des citoyens.
L'objet des deux propositions de loi est simple : mettre un terme à la version papier du Journal officiel, et cela avec une rapidité foudroyante, puisque cette suppression doit intervenir au 1er janvier 2016. La numérisation concernera l'ensemble du territoire métropolitain, mais aussi les collectivités ultramarines, d'où la proposition de loi organique.
Cette réforme est espérée depuis longtemps. En 2014, la Cour des comptes demandait déjà la réduction du nombre d'exemplaires papier du Journal officiel, et considérait comme inéluctable à court terme la disparition de cette version. Notre collègue, Philippe Dominati, alors rapporteur spécial de la commission des finances, avait invité le Gouvernement à dématérialiser le Journal officiel. Entre 2004 et 2011, la diffusion de la version papier a chuté de 33 500 à 2 261 abonnés, essentiellement constitués par des administrations. Parallèlement, le nombre d'abonnés à la version électronique a augmenté jusqu'à 67 000. La révolution est déjà passée dans les moeurs ; 40 % des textes sont d'ailleurs publiés uniquement au format électronique.
La dématérialisation a d'abord pour avantage la gratuité de l'accès, contre 360 euros environ par an pour un abonnement papier. Elle offre également une diffusion rapide sur l'ensemble du territoire et une permanence d'accès. À cela s'ajoute accessoirement une petite économie, si l'on considère que la version papier coûte un million d'euros et que les abonnements rapportent 600 000 euros, d'où un solde économisé de 400 000 euros. Enfin, on ne saurait négliger l'impact écologique de la dématérialisation.
Quant aux emplois concernés, une délégation de la CGT nous a confirmé hier que personne n'est affecté spécifiquement à la version papier plutôt qu'à celle électronique, au sein de la Société anonyme de composition et d'impression des journaux officiels (SACIJO).
En matière de légalité, certains d'entre vous s'inquiètent de la difficulté qu'il pourrait y avoir à accéder au Journal officiel électronique en raison de la fracture numérique. Bien sûr, il reste des zones qui ne sont pas couvertes en France. Cependant, l'acheminement de la version papier n'allait pas non plus sans difficulté, dans certaines parties du territoire, avec la nécessité de trouver les moyens de transport nécessaires et les coûts y afférant. La version dématérialisée a au moins l'avantage de la gratuité. Par conséquent, je ne crois pas qu'au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on puisse craindre une atteinte à l'égalité des citoyens devant l'accès à la connaissance de la loi.
Nous sommes tous soucieux de la protection des données, et il ne faudrait pas que la dématérialisation facilite la constitution de fichiers par les moteurs de recherche, portant par exemple sur les personnes qui ont fait l'objet d'une naturalisation ou d'un changement de nom. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) rappelle que le passage doit être neutre de ce point de vue, et le Gouvernement a envisagé différents dispositifs de restriction d'accès pour freiner les moteurs de recherche, avec notamment un système de sommaire. Nous pourrons également avoir recours au système Captcha, avec l'insertion de chiffres et de lettres pour accéder à certains contenus.
Conformément aux articles 74 et 77 de la Constitution, le président du Sénat a consulté l'ensemble des assemblées des collectivités d'outre-mer concernées par la proposition de loi organique que nous devons examiner. Nous ne disposons que de la réponse favorable au nom de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ; nous n'en restons pas moins conformes aux dispositions constitutionnelles.