Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, mes chers collègues, mercredi 1er juillet, la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession m’a fait l’honneur d’adopter mon rapport.
Le débat d’aujourd’hui sur les conclusions de notre commission fait écho à l’avant-propos de mon rapport et aux deux maîtres mots qui m’avaient guidé tout au long de ce travail : sortir du déni face à un ensemble de problèmes et de difficultés connus depuis longtemps, mais face auxquels les pouvoirs publics n’ont pas véritablement réagi, et libérer la parole, à commencer par celle des personnels de l’éducation nationale qui vivent ces difficultés au quotidien.
Nous avons réalisé un travail en profondeur, sans exclusive ni esprit partisan. Il a permis d’aboutir à trois constats, qu’ont clairement mis en évidence nos auditions, nos visites et le vécu de la quasi-totalité des personnes entendues.
Premier constat : les incidents de janvier 2015 ont été un nouveau révélateur.
Si des incidents sont survenus dans de nombreuses écoles lors de la minute de silence, les services de l’éducation nationale ont été incapables de les quantifier. Le ministère a évoqué environ 200 incidents. Selon nos décomptes, il y en aurait plus du double, mais ce nombre est sans doute fortement sous-évalué, car une proportion significative d’incidents ne remontent pas.
Lors de son audition du 2 juin, la ministre avait quant à elle fait part de 816 signalements, mais il s’agit de faits de radicalisation, qu’il ne faut pas confondre avec les incidents dont on parle. Ce chiffre est à ce jour sous-estimé, voire dépassé.
Avec le recul, la minute de silence partait sans doute d’une bonne intention, mais elle a souffert d’une totale impréparation. Ce genre d’exercice n’était peut-être pas approprié pour traiter de la question. Comme l’a dit un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas !
Dans tous les cas, la minute de silence aurait dû être précédée d’une « heure de parole », pour reprendre l’expression de la présidente de la commission d’enquête, Mme Françoise Laborde.
Mais l’essentiel est ailleurs : si les incidents de janvier n’ont pas affecté de manière grave le service public de l’éducation, ils ont révélé un état d’esprit, et même un malaise profond, que le rapport Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué.
Deuxième constat : le sentiment d’appartenance se délite. Le malaise de l’école est en bonne part lié au délitement du sentiment d’adhésion de beaucoup de jeunes à des valeurs qu’ils ne connaissent pas bien ou que, pour certains, ils rejettent.
De quelles valeurs parle-t-on ? Pour faire simple, j’ai gardé l’expression « valeurs républicaines », mais il serait plus judicieux de parler des « valeurs de l’école républicaine », sur lesquelles devraient s’accorder tous les membres de la communauté éducative. Elles incluent la laïcité et la neutralité des enseignements, l’égalité de tous sans considération d’origine, de religion ou de croyance, une stricte égalité entre les filles et les garçons, la conviction que l’émancipation de chacun passe par le savoir plutôt que par les dogmes, le respect mutuel entre tous les membres de la communauté éducative, ainsi que le crédit attaché à la parole de l’enseignant.
Cette liste n’est bien sûr pas figée et ces valeurs se déclinent au quotidien à tous les instants de la vie scolaire.
La laïcité reste la première de ces valeurs, car c’est par la laïcité que l’école parvient à assurer le vivre ensemble, sans distinction d’origine ou de confession religieuse, et la neutralité des enseignements.
Nos travaux avaient aussi montré, chez certains jeunes, une difficulté à se reconnaître membre à part entière de la communauté nationale, au profit d’autres repères identitaires comme le quartier, le groupe ethnique, la communauté religieuse, la nationalité des parents. Le problème est que ces groupes ont leurs propres lois, leurs codes, leurs repères, leurs croyances, ce qui place les élèves en porte à faux.
En tout état de cause, je considère que ces « valeurs particulières » ne doivent pas prendre le pas sur celles de la République, car la République est la seule à garantir à tous l’égalité devant ses lois, sans considération d’origine, de religion ou de croyance.
Si les valeurs de la République sont méconnues, voire rejetées, c’est parce que – l’avis est presque unanime – le mode actuel de transmission de nos valeurs nationales par l’école laisse fortement à désirer. Les enseignants sont d’ailleurs les premiers à le déplorer, eux qui ont un besoin de soutien dans cette mission essentielle.
Il est évident que la précarité économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l’adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l’école.
Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social.
Aujourd’hui, la parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, envahissement du « bruit numérique », travail de sape des théories du complot...
Certes, le temps des fameux « hussards noirs de la République » est derrière nous, mais leur mission de transmission des valeurs demeure pleinement légitime.
Si elle veut contrer les dérives et restaurer les canaux de transmission du sentiment d’appartenance, l’école doit redonner à ses enseignants confiance en eux-mêmes ; c’est la première des priorités pour que, à leur tour, les professeurs soient à nouveau en mesure de transmettre des valeurs qui soient perçues non pas comme des contraintes imposées, mais comme des facteurs d’émancipation et de libre arbitre.
Troisième constat : la perte des repères résulte d’un certain nombre de fragilités structurelles. Nos travaux ont mis en évidence un certain nombre d’entre elles - elles sont largement détaillées dans notre rapport - auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses.
Sans les énumérer toutes, je crois indispensable de pointer celle qui me paraît la plus grave : aujourd’hui, un taux considérable d’élèves ne maîtrise pas le socle de connaissances et de compétences requis à leur niveau, en particulier en français. Ce problème avait été soulevé par de très nombreux enseignants lors des auditions, et il apparaît clairement dans toutes les grandes enquêtes internationales sur les résultats de notre système d’enseignement.
Pour y remédier, la commission d’enquête suggère de travailler dans deux directions, vers les élèves, d’un côté, vers les enseignants, de l’autre.
Les élèves, d’abord : trop de jeunes arrivent en sixième sans maîtriser le français. Dès lors, comment leur transmettre des valeurs dans une langue qu’ils ne comprennent même pas ?
Nous proposons donc – c’est l’une de nos propositions fortes - d’investir massivement dans l’apprentissage du français dès la maternelle, à l’école primaire et au collège. Dans mon esprit, une maîtrise suffisante du français en fin de CM2 doit devenir une condition de l’accès en sixième.
Les enseignants et l’institution scolaire, ensuite : il faut en priorité – c’est la priorité la plus flagrante - revoir la formation des enseignants, surtout la formation continue, qui est en totale déshérence.
Par ailleurs, il faut permettre à l’école républicaine de pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu’elle est chargée de transmettre, notamment en favorisant certains rites républicains. Loin de moi l’idée d’imposer une sorte de catéchisme laïc ! Il s’agit simplement de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l’émergence du sentiment d’adhésion.
Je crois indispensable d’associer les parents à cet effort et de les responsabiliser, car l’éducation ne s’arrête pas à la sortie de l’école : les familles sont à 100 % parties prenantes de ce processus.
Vous noterez que nous n’avons pas proposé de réforme institutionnelle majeure : l’idée était non pas de revenir sur la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, mais de faire en sorte que cette loi s’applique mieux et qu’elle favorise une authentique transmission des valeurs de la République.
En revanche, il a semblé à beaucoup d’entre nous que le Parlement n’était pas assez associé à la définition des choix stratégiques qui organisent l’école et qui, comme tels, déterminent la formation des citoyens de demain, même si les assemblées votent des lois comme celle de juillet 2013 et que, chaque année, nous avons un débat sur les crédits de l’enseignement.
Aussi, sur un thème aussi fondamental, le débat d’aujourd’hui trouve toute sa pertinence. À cet égard, nous regrettons fortement l’absence de Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ou de son secrétaire d’État, dont la présence aurait été un signal fort en direction des sénateurs et une marque d’intérêt pour la politique éducative.
Les représentants de la Nation doivent débattre plus régulièrement, et ce dans un cadre adapté, des orientations et des problématiques de l’éducation nationale, cette dernière constituant le premier poste du budget.
Mes chers collègues, vous connaissez les propositions de la commission d’enquête, organisées en quatre axes prioritaires. Elles sont encore plus nécessaires au regard de l’actualité. Permettez-moi de vous les rappeler : il faut favoriser le sentiment d’appartenance et l’adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté ; restaurer l’autorité des enseignants ; mettre l’accent sur la maîtrise du français, mieux responsabiliser tous les acteurs.
J’en tire au moins deux certitudes. La première est que nous avions dressé un constat général objectif qui, à mon avis, ne peut qu’être partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux ; la seconde est que l’école de la République est confrontée à une crise grave du fait de constantes revendications mettant en danger le respect de la laïcité dans son fonctionnement.
C’est pourquoi, à la suite de cette commission d’enquête, j’ai déposé une proposition de loi, cosignée par près de trente de nos collègues, visant à renforcer les repères républicains dans le fonctionnement du service de public de l’éducation.