Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 12 octobre 2015 à 21h30
Protection de l'enfant — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la protection de l’enfance constitue un sujet de préoccupation majeur pour notre société. S’investir pour les jeunes, en particulier pour les enfants en danger ou qui risquent de l’être, représente une lourde responsabilité. Permettre à des enfants abandonnés, maltraités et parfois traumatisés de connaître un avenir d’adulte serein et confiant est une tâche difficile.

Trop souvent, l’actualité nous interpelle cruellement et des visages d’enfants marquent la conscience collective. À chaque fois, nous nous posons la même question : aurions-nous pu éviter ces drames ?

Parce qu’affronter ce sujet difficile est notre devoir collectif, parce que nous partageons la conviction que chaque enfant doit être protégé et parfois accompagné, je tiens à remercier Muguette Dini et Michelle Meunier d’avoir présenté cette proposition de loi. Je remercie également Mme la secrétaire d’État de s’y être, à son tour, beaucoup investie.

Huit ans après le vote de la loi du 5 mars 2007, un bilan était nécessaire afin d’apporter à ce texte des améliorations significatives et des corrections attendues.

Dans la foulée de cette loi, les départements, dès lors chefs de file de l’aide sociale à l’enfance, ont été animés d’une réelle volonté de faire évoluer leurs pratiques. Ils se sont toutefois rapidement heurtés à différentes difficultés : une augmentation du nombre de placements de l’ordre 10 % en moyenne depuis 2010, une augmentation de la durée moyenne des placements – les situations des enfants confiés étant souvent très complexes –, l’arrivée de jeunes étrangers isolés, qui représentent à eux seuls 10 % des jeunes accueillis, et ce dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé.

Face à des dépenses sociales en progression continue, et menacés par une inadéquation des concours de l’État pour compenser leurs charges, les conseils départementaux sont confrontés à une véritable impasse budgétaire.

Le résultat mitigé de l’application de la loi de 2007 par les départements doit plus au manque de moyens qu’à une absence de volonté. Madame la secrétaire d’État, je ne puis imaginer que les élus départementaux ne vous aient pas fait part de leurs angoisses.

J’en viens à la proposition de loi et à la gouvernance envisagée.

Créer une nouvelle instance nationale que serait le Conseil national de la protection de l’enfance est en soi une belle idée, mais n’est-ce pas, une fois de plus, la réponse habituelle lorsque les choses ne vont pas tout à fait dans la direction que nous souhaiterions ? Combien d’instances, de conseils, de comités, d’observatoires n’avons-nous pas créés en France ces dernières décennies ? À la seule Assemblée des départements de France, on recherche actuellement des représentants pour deux cents de ces organisations... C’est folie !

Cette création est d’autant plus contestable qu’il existe un organisme national dédié à l’enfance en danger, l’Observatoire national de l’enfance en danger. En changeant sa dénomination – il deviendrait l’Observatoire national de la protection de l’enfance –, nous pourrions opportunément imaginer, dans le même temps, d’élargir son champ de compétences à la coordination, à l’échange de pratiques sur la mise en œuvre de la politique de protection de l’enfance et à son évaluation. De cette manière, nous n’inventerions pas une nouvelle structure, mais nous attribuerions de nouvelles missions et donnerions des objectifs élargis à un observatoire existant !

Par ailleurs, les départements ne seraient pas au même niveau d’excellence dans l’application de la loi. Cela peut être vrai dans certains cas. Je rappelle cependant que beaucoup d’entre eux ont mis en place les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les observatoires départementaux, des comités de pilotage, des groupes pluridisciplinaires ou multi-partenariaux, des groupes de travail pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des schémas départementaux de l’enfance, de la jeunesse et de la famille, sans oublier les instances territoriales de l’action sociale de proximité qui ont été étoffées...

Que tout cela ne se fasse pas à la même vitesse est compréhensible ! Comme je l’ai souligné et ne cesserai de le rappeler, les moyens financiers, et par voie de conséquence les moyens humains, ont cruellement manqué dans une période de dégradation sociale !

La loi de 2007 s’est probablement aussi heurtée aux peurs du changement. Dans ce cas, les contrôles de l’Inspection générale des affaires sociales peuvent constituer de véritables aides à la décision et un formidable outil d’évolution.

Écrire des référentiels, élaborer des procédures, des protocoles, construire un projet pour l’enfant, conclure des conventions, mettre en place des grilles d’évaluation, tout cela relève de la méthode, et la méthode appartient à ceux qui la mettent en pratique !

Depuis la décentralisation, les départements sont responsables de la politique de l’aide sociale à l’enfance. Il leur appartient donc de choisir leur méthode, de tester sa pertinence sur le terrain, de la corriger, de l’adapter et de la confronter à celle qui est mise en œuvre dans d’autres territoires – nationaux ou internationaux –, bref d’importer et d’exporter les bonnes pratiques...

La décentralisation consiste justement à laisser l’initiative aux territoires afin qu’ils adaptent leurs politiques aux contextes locaux. La loi fixe un cadre, elle n’est pas une méthode. Permettez-moi cette image : la loi donne le rythme, aux territoires d’écrire les notes !

Par ailleurs, ce que propose ce texte ajoute de la complexité, alors qu’il faudrait plutôt mettre de l’huile dans les rouages ! Cela signifie apporter des réponses en matière de pédopsychiatrie, assurer les liens et les moyens pour une vraie coordination avec les services de la justice, de l’éducation, voire de la recherche, lever les ambiguïtés sur les responsabilités de l’État, notamment en matière d’accueil des jeunes étrangers isolés.

Pour toutes ces raisons, avec un certain nombre de mes collègues, je m’opposerai aux propositions qui dictent et complexifient, à un moment particulièrement inopportun, marqué par l’extraordinaire amplification de la vulnérabilité et la raréfaction des financements publics.

En revanche, animée par la volonté de concentrer nos efforts autour de l’enfant, je soutiendrai toute mesure visant à stabiliser le parcours de l’enfant, à construire un projet stable pour l’enfant et à nous doter d’un arsenal juridique protégeant l’enfant et le jeune.

La protection de l’enfance est une école de rigueur, de volonté et d’humilité. C’est pourquoi je salue le travail accompli par l’ensemble des personnels institutionnels et associatifs. Entre doutes et satisfactions, ils se mobilisent au quotidien pour protéger et accompagner les enfants et les jeunes en danger ou qui risquent de l’être. C’est une lourde mission. Comme les élus, ces acteurs attendent qu’on leur en facilite l’exercice.

L’envie, le courage, la méthode, ne suffisent plus. Il nous faut y consacrer des moyens !

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