Intervention de Corinne Bouchoux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 14 octobre 2015 : 2ème réunion
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux, rapporteure :

Je tiens à rendre hommage à Mme Blandin, l'un des premiers auteurs de la proposition de loi de 2010 sur la publicité à destination de la jeunesse à la télévision.

Avant de présenter ce texte, voici quel serait le calendrier de son examen en fonction des niches allouées au groupe écologiste à l'Assemblée nationale. La seule dont il dispose en 2016 est déjà occupée. Par conséquent, si nous l'adoptons, cette proposition de loi sera examinée au mieux en janvier 2017 par les députés.

Cela dit, ce texte arrive probablement au bon moment car il répond à un impératif de santé publique - protéger nos enfants contre les mauvaises habitudes alimentaires et la pression des marques - mais il permet aussi d'affirmer l'identité du service public de la télévision, qui ne doit pas proposer les mêmes programmes accompagnés des mêmes messages publicitaires que les chaînes privées.

Le rapport présenté par nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin sur le financement de l'audiovisuel public a démontré qu'il était urgent de remettre à plat les sources de financement de France Télévisions et de réduire la dépendance à la publicité du groupe public compte tenu de la baisse tendancielle du marché de la publicité à la télévision et de son basculement sans retour sur Internet.

Pourquoi est-il si important de limiter la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse ? Les nombreuses auditions que j'ai menées ces dernières semaines sont sans ambiguïté sur les effets néfastes de la publicité sur les jeunes enfants. Ainsi, pour le docteur Hélène Thibault, pédiatre et membre de l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement, il y a une corrélation entre le temps passé devant les écrans et l'obésité et l'effet est plus fort sur les enfants en retard scolaire et sur ceux dont les parents ne sont pas capables de les accompagner dans leur scolarité. Le docteur François-Marie Caron explique que les enfants sont souvent laissés seuls devant les programmes jeunesse d'autant plus que les familles fragiles vouent une grande confiance au service public. La publicité s'en trouve donc légitimée y compris aux yeux de ces parents qui survalorisent les produits industrialisés par rapport aux fruits et légumes non transformés. Le psychanalyste Serge Tisseron rappelle pour sa part que les enfants de moins de huit ans ne sont pas sensibles au second degré et ne font pas la différence entre le personnage du dessin animé et ce même personnage utilisé juste après pour vendre une barre chocolatée ou des céréales saturées en sucre et en gras. J'ajoute que les jeunes enfants ne lisent pas les bandeaux d'alerte sanitaire...

Les arguments en faveur de la suppression de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse sont donc très solides. L'argument selon lequel une interdiction aurait des conséquences sur l'économie l'est moins ! Une étude a montré que 80 % des dépenses publicitaires étaient réalisées par seulement 550 entreprises qui sont pour l'essentiel des multinationales. La publicité à la télévision exclut le tissu des PME et limite même son développement puisque les grandes marques écraseront toujours, dans les linéaires des supermarchés, les produits artisanaux ou réalisés en petits volumes. Les premiers ont une plus grande renommée même si les seconds sont meilleurs et pas nécessairement plus chers.

Il est donc d'autant plus important de protéger nos enfants que, comme l'explique Chantal Jannet, membre de l'Union nationale des associations familiales (Unaf) et siégeant à ce titre au conseil d'administration de France Télévisions, la publicité a pour but, dès l'âge de trois ans, de structurer l'enfant afin d'en faire un futur consommateur.

Si la question de l'encadrement de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse n'est pas nouvelle, aujourd'hui 80% des familles, toutes opinions politiques confondues, soutiennent la mesure proposée, un sondage à paraître demain le montre.

Comment procéder pour tenir compte de la situation économique des chaînes publiques de télévision, qui n'est pas florissante ? Dans une proposition de loi du 1er décembre 2010, plusieurs collègues écologistes dont Jacques Muller et Marie-Christine Blandin proposaient une interdiction de la publicité qui aurait été également applicable aux chaînes privées. André Gattolin, dont le texte est circonscrit au service public de la télévision, préconise plutôt un encadrement volontaire pour les chaînes privées. En distinguant les chaînes privées qui vivent de la publicité et, pour certaines, des abonnements, des chaînes publiques qui ont bénéficié en 2015 de 2,37 milliards de ressources au titre de la contribution à l'audiovisuel public, notre collègue a trouvé le bon équilibre.

Certains d'entre vous s'étonneront sans doute que je ne propose pas d'étendre l'interdiction aux chaînes privées comme dans certains pays. Nous en avons d'ailleurs parlé lors de l'examen du projet de loi santé. Il y a des raisons à cela, qui tiennent aux efforts réels réalisés depuis 2009 par les chaînes et les annonceurs, ces derniers s'engageant en particulier à ne pas encourager des comportements contraires aux recommandations couramment admises en matière d'hygiène de vie et émises par le Programme national nutrition santé (PNNS).

Les principes édictés par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) sont judicieux et ont permis des progrès. Lorsque l'ensemble d'un repas, déjeuner ou dîner, est visualisé, cette représentation doit correspondre à une situation alimentaire équilibrée ; la publicité ne doit ni contredire, ni ridiculiser les bons comportements alimentaires ; elle ne doit pas inciter à une consommation excessive du produit ; les produits bruts ne doivent pas faire l'objet d'une présentation qui les dévalorise. Tous ces principes sont rassemblés depuis 2009 dans une charte, renouvelée en 2014, faisant l'objet d'une évaluation du CSA et comprenant également la diffusion de messages de prévention.

Cette autorégulation illustre la prise de conscience des annonceurs et des chaînes de télévision. Elle peut être encore améliorée puisque, selon Christine Kelly qui présidait jusqu'à cette année le groupe de travail « santé et développement durable » du CSA, on constate un manque de renouvellement des programmes de prévention. En outre, le CSA devrait assurer avec plus de constance le suivi de ces engagements - son rapport concernant l'exercice 2014 n'a toujours pas été publié alors qu'il aurait dû nous être transmis au printemps.

Je vous proposerai donc une nouvelle rédaction de l'article 1er : plutôt qu'une réglementation par décret en Conseil d'État, il s'agit d'inscrire dans la loi le principe de l'autorégulation du secteur de la publicité. Le CSA remettra au Parlement un rapport annuel évaluant les actions menées par les chaînes pour que les émissions publicitaires respectent les objectifs de santé publique - le Parlement n'est pas suffisamment avisé de ces initiatives. Ma rédaction a reçu un accueil favorable tant de la part des chaînes privées que du CSA.

Concernant le service public, nous devons être plus exigeants encore. Comme l'ont montré Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, la publicité n'est considérée aujourd'hui par France Télévisions que sous l'aspect financier, sans aucune vision globale de l'identité du service public. Il n'y a aucune coordination entre la direction des programmes et la régie publicitaire, qui n'utilisent pas les mêmes références en termes de tranches d'âge. Le résultat de cette politique peut être surprenant comme sur le site Internet destiné aux six-douze ans (ludo.fr) envahi de publicités pour un jeu vidéo et des figurines produits par Warner Bros et Lego. L'habillage du site public est dédié à l'annonceur tandis que des fenêtres publicitaires occupent une autre partie de l'écran et que des vidéos publicitaires sont diffusées avant les programmes. La confusion est telle que des boutons incitant à l'achat immédiat du jeu figurent même en bonne place juste au-dessus de l'application à télécharger du site public ; l'enfant-consommateur est alors redirigé vers le site de Warner Bros. Faut-il préciser que ce grand studio américain est également un fournisseur de programmes destinés à la jeunesse de France Télévisions ? On peut ainsi se demander si certains programmes diffusés par France Télévisions n'ont pas pour principal objectif de vendre des produits dérivés.

Comme notre collègue Jean-Pierre Leleux l'a rappelé dans son rapport, il est temps de réaffirmer la spécificité des valeurs du service public de la télévision. Cela signifie, en particulier, que les programmes diffusés ne doivent pas avoir d'abord pour objectif de vendre soit des produits alimentaires manufacturés, soit des jeux vidéo coûteux, à des familles qui n'ont pas nécessairement les moyens de les acheter, avec les conséquences que l'on imagine sur les relations parents-enfants.

André Gattolin proposait initialement d'interdire les messages publicitaires dans tous les programmes destinés à la jeunesse. Le terme « jeunesse », évoqué sans autre précision, renvoie aux jeunes de zéro à dix-huit ans, ce qui correspondrait à une interdiction très large. Je vous propose une rédaction plus resserrée, limitant l'interdiction des messages publicitaires et des parrainages aux seuls programmes destinés aux jeunes de zéro à douze ans sur les chaînes et les sites Internet de France Télévisions, ce qui aurait l'avantage de limiter la perte de recettes pour le groupe public et de mieux identifier les programmes concernés.

Les évaluations sont très variables, mais France Télévisions estime entre 15 et 20 millions d'euros les recettes selon le périmètre des chaînes et des sites Internet pris en compte. Or le groupe public ne diffuse pas de messages publicitaires dans sa case « zouzous » destinée aux enfants de trois à six ans. Une suppression de la publicité aux moins de douze ans ne toucherait qu'une partie des revenus liés à la publicité à destination de la jeunesse - et pas la plus lucrative. Faute de données plus précises communiquées par France Télévisions, j'estime que cette interdiction - qui correspond aux programmes des cases « Ludo » - entraînerait une perte de revenus de 5 à 7 millions, à comparer aux 2,37 milliards de redevance et 330 millions de recettes publicitaires.

L'autre intérêt d'une limitation de l'interdiction aux enfants de moins de douze ans tient au fait qu'il existe un certain consensus pour protéger cette tranche d'âge, comme nous avons pu le constater lors de l'examen de la loi santé. C'est vrai notamment en ce qui concerne le régime des autorisations pour le cinéma, qui utilise habituellement cette limite d'âge. C'est aussi le cas en matière de publicité puisque l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) a adopté en 2008 une motion dans laquelle elle recommandait à ses membres de ne pas recourir aux messages publicitaires destinés aux enfants de moins de douze ans.

Le noeud du problème concerne en fait l'état des finances de France Télévisions. La proposition de loi prévoyait à cet égard un principe de compensation de la baisse de ressources, au moyen d'une hausse de 50 % de la taxe sur la publicité créée en 2009 (soit un produit supplémentaire de 7,5 millions). Il n'est pas opportun de prévoir une telle hausse, parce qu'il n'existe pas d'évaluation précise du préjudice subi par France Télévisions. En outre, le Sénat appelle plus largement à une redéfinition du modèle économique de France Télévisions pour 2018, grâce à une réforme de la contribution à l'audiovisuel public.

Je l'ai dit, si la proposition de loi était adoptée, on ne peut guère espérer une entrée en vigueur avant le 1er janvier 2018. Un tel délai devrait permettre à France Télévisions d'adapter son offre et de réorganiser ses contrats avec ses annonceurs, ce que les centrales d'achat ont d'ores et déjà anticipé.

Je vous propose donc de reformuler les principales dispositions de cette proposition de loi pour tenir compte de la réalité et de la complexité de la situation. Il n'en demeure pas moins que le but est de mieux protéger les enfants de moins de douze sur le service public de la télévision. Ce texte serait une avancée considérable qui pourrait être portée à l'actif du Sénat si nous parvenions à un large accord.

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