Intervention de Éric Doligé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 octobre 2015 à 9h05
Approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

Notre commission est saisie en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral du 29 octobre 2014, signé à Berlin sous l'égide l'OCDE, concernant l'échange automatique de renseignements fiscaux.

Priorité politique majeure portée par les pays de l'OCDE et du G20, le passage à l'échange automatique d'informations fiscales est la clé de voûte de la lutte contre l'évasion fiscale des particuliers. Aujourd'hui, la coopération fiscale entre États repose sur l'échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas. Or l'échange à la demande présente une faiblesse importante : il suppose de savoir a priori ce que l'on recherche, et dépend de la bonne volonté des États partenaires. Pourtant, le passage à l'échange automatique est longtemps resté un voeu pieu, en raison de la difficulté à trouver un consensus international ou européen.

Il a fallu une initiative unilatérale, et à vrai dire quelque peu cavalière, de la part des États-Unis, pour faire évoluer les choses : c'est la loi « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act), adoptée en 2010. Celle-ci fait obligation aux établissements financiers du monde entier de transmettre aux États-Unis toutes les informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. La loi FATCA a finalement fait l'objet d'accords bilatéraux avec les États-Unis pour faciliter son exécution, et centraliser les informations au niveau de chaque administration. Dans le cas de la France, nous devons beaucoup à l'analyse et à la présentation faite par Michèle André, alors rapporteure du projet de loi de ratification. Poussés par l'aiguillon de la loi FATCA, plusieurs pays européens, puis les pays du G20, se sont mobilisés en faveur de l'échange automatique et ont demandé à l'OCDE d'élaborer une « norme commune de déclaration ». C'est cette norme que reprend le présent accord multilatéral, que 94 États se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014 - 61 l'ont fait à ce jour, les autres devraient suivre.

La norme commune de déclaration de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions. Premièrement, les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro fiscal du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit. Deuxièmement, les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités. Troisièmement, les institutions financières soumises à l'obligation déclarative sont définies largement.

Ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes des non-résidents. Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017.

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il a d'ores et déjà produit des effets tangibles : la seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d'actifs dissimulés à se manifester auprès du « service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR). Ceci devrait permettre à l'État de collecter près de 2,7 milliards d'euros de droits et pénalités en 2015.

L'accord multilatéral de l'OCDE souffre toutefois d'une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il n'a pas de caractère contraignant. De plus, la généralisation de l'échange automatique comme nouvelle norme mondiale se heurte aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA. La première différence - et elle est de taille - est la non-réciprocité de FATCA. La seconde différence est le champ d'application de la loi FATCA, qui définit les contribuables américains non seulement en fonction de la résidence, mais aussi en fonction de la nationalité et d'autres critères. Enfin, de nombreux seuils et définitions sont différents. À la demande de notre commission, la direction de la législation fiscale a élaboré un comparatif détaillé des normes FATCA, OCDE et de l'Union européenne.

L'avancée que représente la signature de l'accord multilatéral ouvre la période, tout aussi importante, de sa mise en oeuvre technique. À cette fin, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques (DGFiP) ont mis en place une infrastructure informatique, qui se base sur le système élaboré pour l'application de la loi FATCA : nous sommes donc déjà « rôdés » pour l'échange automatique.

L'identification des comptes déclarables requiert toutefois que les banques procèdent à un balayage complet de l'ensemble de leurs comptes, afin de déceler les indices de « non-résidence ». Or il semble que la base juridique prévue à l'article 1649 AC du code général des impôts soit insuffisante pour permettre ce balayage complet. Je me permettrai donc de demander en séance publique au Gouvernement de travailler aux ajustements nécessaires, afin de garantir la pleine sécurité juridique des opérations.

Par ailleurs, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire « pédagogique » d'un ou deux ans, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. Cela a d'ailleurs été accepté par les États-Unis pour la loi FATCA. À terme, toutefois, on peut s'interroger sur le montant de l'amende de 200 euros par compte prévue par notre droit interne, qui semble bien faible au regard des enjeux financiers qui peuvent s'attacher à chaque compte non déclaré.

En conclusion, l'objectif de cet accord est bien de faire de l'échange automatique le nouveau standard mondial, multilatéral et pleinement réciproque. Sous le bénéfice des deux observations qui précèdent - clarification du droit interne et période pédagogique -, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.

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