Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 14 octobre 2015 à 9h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

La commission entend une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance, relatif au financement de dépenses urgentes, transmis pour avis à la commission en application de l'article 13 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

La commission des finances a reçu jeudi dernier, soit le 8 octobre, un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 232,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 184,5 millions d'euros en crédits de paiement.

Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), notre commission doit faire connaître son avis concernant la régularité du décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret.

Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. Il est donc encadré par la LOLF, qui définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance.

Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. En outre, pour éviter que cet outil réglementaire ne permette de contourner une éventuelle loi de finances rectificative, les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours. Ces trois critères sont purement mathématiques, techniques et je me bornerai à constater qu'ils sont respectés.

En revanche, le dernier critère, celui de l'urgence, est plus subjectif, plus qualitatif et répond selon la Cour des comptes « aux deux conditions que sont la nécessité, constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l'imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face ». La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures.

Les ouvertures en crédit de paiement concernent deux missions : la mission « Égalité des territoires et logement », à hauteur de 130 millions d'euros, et « Anciens combattants, mémoire et lien avec la nation » pour 54,5 millions d'euros. En autorisations d'engagement, s'y ajoutent 48 millions d'euros au titre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ces ouvertures, si elles peuvent paraître d'une ampleur limitée au regard du budget général, sont relativement importantes à l'aune des programmes auxquels les crédits sont alloués : elles représentent entre 9,5 % et 55 % des plafonds déterminés en loi de finances initiale.

Sur les 130 millions d'euros demandés pour l'hébergement d'urgence, près de 80 millions d'euros abonderont le budget opérationnel du programme (BOP) de la région Île-de-France, dont 68 millions d'euros au titre des nuitées hôtelières - sujet bien connu. 10 millions d'euros sont destinés au BOP de la région Lorraine et les 40 millions d'euros restants seront répartis pour couvrir les insuffisances de l'ensemble des autres régions. Plus d'un tiers des crédits destinés au programme 177 permettront de verser les dotations dues pour le logement adapté et les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) afin d'éviter des ruptures de trésorerie.

Concernant l'indemnisation des collectivités touchées par les calamités publiques, 48 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement. Ils sont liés à divers évènements climatiques survenus de septembre 2014 à mai 2015 - dont je pourrai vous communiquer le détail si vous le souhaitez - qui ont touché un grand nombre de départements. La prise en charge urgente de ces évènements avait nécessité des redéploiements à partir des subventions pour travaux divers d'intérêt local (TDIL). Il s'agit, par le décret d'avance, de permettre que soient pris les arrêtés attributifs de subvention avant la fin du mois d'octobre.

Enfin, 54,5 millions d'euros sont ouverts pour mettre en oeuvre l'accord entre la France et les États-Unis du 8 décembre 2014 portant sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France. Il s'agit de mettre en place un fonds ad hoc doté de 60 millions de dollars, dont la gestion reviendra au Département d'État américain, pour les victimes n'ayant pu bénéficier d'une réparation au titre du droit français en raison de leur nationalité. Cet accord a été approuvé par le Parlement le 9 juillet 2015 : c'est la raison pour laquelle le financement du fonds ne pouvait donc être prévu en loi de finances initiale ni dans le décret d'avance notifié en mars. Le projet de décret vise à abonder le fonds prévu par l'accord, ce qui doit être fait par la France avant le 1er novembre 2015, date d'entrée en vigueur de l'accord.

Dans ces trois cas, l'urgence est avérée dans le sens où il apparaît nécessaire d'ouvrir rapidement ces crédits. Mais l'urgence ne saurait s'apprécier au seul regard de la nécessité d'ouvrir les crédits dans un délai contraint : toutes les dépenses du budget de l'État pourraient alors être considérées, à un moment ou à un autre de l'année, « urgentes ». Comme je l'ai indiqué à titre liminaire, la Cour des comptes considère que l'urgence regroupe à la fois la nécessité d'ouvrir les crédits, constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l'imprévisibilité des dépenses que le décret d'avance vise à financer.

Ces deux composantes ne sont pas explicitement précisées dans la LOLF, mais elles se déduisent du caractère dérogatoire du décret d'avance. En effet, le décret d'avance est défini comme un dispositif « exceptionnel » puisqu'il contrevient au principe selon lequel les crédits budgétaires ne peuvent être modifiés que par une loi de finances. Le caractère dérogatoire du décret d'avance implique que les ouvertures de crédits auxquelles il procède n'auraient pas pu être intégrées à une loi de finances.

L'appréciation du caractère imprévisible des dépenses financées par le projet de décret d'avance appelle deux remarques. Tout d'abord, le décret d'avance fait suite à d'importants redéploiements intervenus en cours d'année. Concernant l'hébergement d'urgence ainsi que les calamités publiques, des fonds ont été prélevés sur d'autres dispositifs, dont le paiement est plus tardif.

Ainsi, en matière d'hébergement d'urgence, la dotation des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) a été utilisée pour pallier la sous-budgétisation initiale - qu'on pourrait qualifier de chronique - et pour financer les mesures décidées par la circulaire interministérielle de l'été dernier. Comme cette dotation est versée aux centres chaque mois par douzième, 44 millions d'euros ont pu être réaffectés. Les CHRS menacent désormais de faire face à une rupture de trésorerie si les derniers douzièmes - prévus en loi de finances initiale - ne leur sont pas versés.

De même, concernant l'indemnisation des calamités publiques, 48 millions d'euros en autorisations d'engagement ont été prélevés sur les fonds prévus pour les travaux divers d'intérêt local (TDIL). Pour que les subventions correspondantes puissent être notifiées avant la fin de l'année, les arrêtés attributifs doivent être pris avant novembre : là encore, l'urgence n'est pas tant celle des calamités que des subventions à partir desquelles les crédits ont été redéployés.

Le décret d'avance finance ainsi, pour partie, non les besoins imprévisibles apparus en cours de gestion, mais les dispositifs à partir desquels les redéploiements ont été opérés et qui étaient, pour leur part, prévus en loi de finances initiale. C'est donc une première nuance qui doit être apportée quant au respect du critère d'urgence. Nous avions d'ailleurs déjà souligné, dans notre avis sur le précédent décret d'avance, relatif au plan de lutte contre le terrorisme, que le Gouvernement n'avait pas de doctrine très ferme en matière de recours au décret d'avance. Tantôt il présente un décret d'avance dès l'apparition du besoin supplémentaire, tantôt il attend d'avoir procédé à tous les redéploiements possibles. L'une comme l'autre option semblent acceptables, mais il apparaît nécessaire que le Gouvernement explicite les facteurs qui commandent son choix. Cela l'amènerait à justifier d'une part le caractère imprévisible des évènements qui ont nécessité le redéploiement, d'autre part la nécessité de combler les manques liés aux redéploiements sans attendre le projet de loi de finances rectificative de fin d'année.

La deuxième remarque que je souhaite formuler concerne spécifiquement les dépenses d'hébergement d'urgence et de veille sociale. Ces dépenses font l'objet depuis longtemps d'une sous-budgétisation chronique. Le Gouvernement lui-même reconnaît que les besoins réellement apparus en cours d'année ne s'élèvent qu'à 30 millions d'euros, et que les 100 millions d'euros restant résultent simplement de l'écart entre l'exécution 2014 et la budgétisation initiale pour 2015. Celle-ci était trop faible, ce qui était tout à fait prévisible, comme en témoigne la remarque faite par le rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », Philippe Dallier, dans son rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2015. Il indiquait alors que « l'enveloppe budgétaire sera, une fois encore, vraisemblablement insuffisante compte tenu notamment des dépenses exécutées au cours des derniers exercices et des besoins toujours plus importants en termes d'hébergement d'urgence ». Le respect du critère d'urgence doit donc être, à mon sens, fortement nuancé en ce qui concerne l'hébergement d'urgence et la veille sociale : il s'agit plutôt d'une mauvaise préparation budgétaire.

Je terminerai en évoquant rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Vingt missions sont touchées par les annulations. Les missions connaissant les annulations les plus fortes sont les missions « Justice » et « Recherche et enseignement supérieur ». Les missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Sécurités », « Écologie » et « Action extérieure de l'État » voient également leurs crédits réduits d'un montant compris entre un peu moins de 16 et un peu plus de 18 millions d'euros. L'ensemble des annulations porte sur la mise en réserve : les crédits annulés étaient « gelés » et n'étaient donc pas, à ce titre, alloués à un dispositif particulier.

Pour conclure, je vous propose de donner un avis favorable au présent projet de décret : il me semble que les critères de régularité sont respectés, mais je souhaite émettre une réserve concernant le caractère plutôt prévisible des besoins supplémentaires en hébergement d'urgence. Je propose que le terme de « réserves » figure explicitement dans le texte de l'avis.

Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Au sujet de l'hébergement d'urgence, je relevais la semaine dernière en présentant mon rapport sur la mission « Immigration, asile et intégration » que le projet de loi de finances pour 2016 sous-évalue de façon très nette les crédits nécessaires à l'hébergement d'urgence des migrants. Ce décret d'avance vient confirmer mes observations : les crédits nécessaires sont sous-estimés de 30 % depuis des années. Le projet de loi de finances ne respecte même pas l'exécution de l'année précédente, d'où la nécessité de recourir systématiquement à des décrets d'avance. Il faudra bien à un moment en finir avec ce type de procédé et inscrire les crédits nécessaires en loi de finances initiale.

Je souhaite également rappeler que 80 % des crédits de l'hébergement d'urgence sont concentrés sur l'Île-de-France. Chaque fois qu'il est interrogé, le Gouvernement s'engage à mieux répartir l'hébergement d'urgence sur le territoire national mais, depuis des années, la situation ne connaît aucune amélioration. La quasi-totalité des hôtels « une étoile » de Paris et de la proche couronne sont réservés pour accueillir des migrants et aucune répartition n'est organisée. Il faut que les engagements soient respectés : ce décret d'avance traduit le fait qu'ils ne le sont pas.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

L'indemnisation des collectivités territoriales touchées par des calamités publiques est à mon sens également une dépense prévisible, surtout dans la période récente où ce type d'évènement tend à se multiplier, comme nous l'avons encore vu au début du mois avec les inondations survenues dans le sud-est.

En effet, le budget du programme 181 « Prévention des risques » du ministère de l'écologie a été réduit de 30 % ces dernières années. Je l'avais déjà souligné le 31 mars dernier en expliquant que la diminution des moyens consacrés à la météorologie nationale et à la prévention des risques - qui ont pourtant besoin de bénéficier de calculateurs fournissant de meilleures prévisions - entraîne in fine des dépenses considérables pour réparer les catastrophes naturelles : il y a là une véritable aberration.

Je voudrais par ailleurs signaler que dans le projet annuel de la mission « Écologie » pour 2016, j'ai trouvé une anomalie à laquelle ne m'a toujours pas répondu le ministère. Le chiffre des personnels embauchés pour la prévention des risques dans le cadre du programme 181 ne nous est plus communiqué. Est-ce une erreur de frappe ou un oubli ? Est-ce parce qu'il a diminué ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je regrette que le Gouvernement me donne raison a posteriori sur le programme 177. C'est tous les ans le cas...

Sur les 130 millions d'euros ajoutés par le décret d'avance, 100 millions d'euros vont remettre les crédits au niveau de l'exécution de l'année 2014. La question est donc de savoir si les 30 millions d'euros supplémentaires qui sont prévus seront suffisants pour passer la fin de l'année. Je suis, pour ma part, persuadé du contraire.

Quant à l'utilisation de la trésorerie des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour pallier l'urgence, il s'agit également d'une très mauvaise idée car ce sont des établissements qui ont besoin de stabilité eu égard aux publics qu'ils accueillent : leur donner des sueurs froides sur leur trésorerie est un mauvais procédé.

Enfin, je note que le décret ne prévoit rien pour le Fonds national d'aide au logement (FNAL) : rendez-vous en collectif budgétaire, comme chaque année, pour constater ce qu'il manque et voir à quel niveau se situera la dette !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

La façon dont le rapporteur général a présenté certaines hausses de crédits me paraît un peu spécieuse. Faire apparaître une augmentation de crédits de 55 % sur la mission « Anciens combattants » peut paraître choquant alors qu'elle est totalement justifiée, les 18,5 % relatifs aux aléas climatiques également et c'est finalement sur le chiffre de 9,5 % de hausse du programme 177, en lien avec l'hébergement d'urgence, que s'instaure un petit débat.

En réalité, nos échanges portent sur un décret d'avance sur lequel nous aurons finalement tous un avis favorable, les enjeux budgétaires sont relativement faibles mais cela permet de rouvrir le débat sur l'hébergement d'urgence et la veille sociale - Roger Karoutchi et Philippe Dallier n'ont pas manqué d'aller sur ce terrain - alors que la seule question qui nous est posée est la suivante : donnerons-nous un avis favorable ou non à ce décret d'avance ? Il s'agit presque, à mes yeux, d'un détournement de procédure...

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je partage l'avis du rapporteur général et voterai l'avis qui nous a été soumis, avec les réserves qu'il a soulignées.

Je voudrais dire à Claude Raynal que le débat ne porte pas sur l'hébergement d'urgence mais sur la sous-budgétisation récurrente de nombreuses missions du budget de l'État et sur la sincérité des chiffres présentés. J'avais déjà demandé que la commission des finances puisse faire une liste de ces sous-budgétisations, ce qui nous permettrait, dans la discussion du projet de loi de finances, de mettre le doigt sur des pratiques qui ne donneraient plus lieu à des décrets d'avance s'il était mis un terme à cette sous-estimation répétée d'un certain nombre de crédits.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Quelle pourrait être l'alternative à ce décret d'avance, qui fait l'objet d'un certain nombre de critiques ? S'agirait-il d'examiner un collectif budgétaire pour procéder aux redéploiements de crédits nécessaires ?

Concernant l'hébergement d'urgence, il y a un effet déstructurant pour les communes de la petite couronne à voir arriver dans leurs hôtels, de manière souvent non coordonnée, des populations en difficulté sans qu'il n'y ait d'accompagnement social. Certains hôtels y trouvent un marché - des étages voire des hôtels entiers sont, en quelque sorte, « privatisés » pour l'accueil de ces populations.

Il faudrait élaborer une réflexion sur les problèmes de répartition de ce type d'hébergements hôteliers et sur l'accompagnement social de ces personnes, afin d'éviter que nos écoles et nos services sociaux ne soient ensuite débordés.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

On ne peut que saluer la pertinence du constat sur le différentiel de 100 millions d'euros entre l'exécution 2014 et la budgétisation 2015. En tant que rapporteur de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », je peux témoigner du fait que l'on peut avoir l'impression que les crédits sont toujours, coûte que coûte, réduits avant que l'on constate ensuite dans l'urgence qu'il faut les rétablir ! Je voudrais rappeler amicalement à notre rapporteur général que ce constat est valable pour tous les gouvernements et n'a nullement commencé en 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Je suis en phase avec Roger Karoutchi, Philippe Dallier, Vincent Delahaye et Éric Bocquet. Nos opérateurs de l'hébergement d'urgence, les CHRS, qui doivent faire face aux situations personnelles difficiles des personnes qu'ils accueillent, se voient infliger une précarité supplémentaire de nature budgétaire. On leur fait des annonces de retraits, on prend conscience qu'ils risquent pour certains d'arrêter leurs activités pour cause de cessation de paiement ou de non-versement de ce qui leur est dû par l'État. Je voudrais dire, avec mes collègues, que nous ne sommes pas face à une gestion budgétaire assumée et stabilisée. On devrait au contraire protéger sur le plan budgétaire ces structures qui portent une mission d'intérêt général.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

André Gattolin, concernant les risques climatiques, a évoqué le fait que le budget alloué à la prévention est insuffisant. C'est peut-être un autre débat, même s'il mériterait sans doute que l'on s'y intéresse. Certes, on peut considérer que les catastrophes se multiplient, qu'il y en a plus aujourd'hui et que la prévention est insuffisante. Mais par définition, sur le plan budgétaire, quoi de plus imprévisible que l'impact des catastrophes naturelles ? L'imprévisibilité me semble tout à fait avérée.

Claude Raynal, il ne s'agit en effet pas de débattre sur les crédits de l'hébergement d'urgence : nous devons émettre un avis juridique sur la régularité du décret d'avance. On est là dans une exception au principe de l'autorisation parlementaire. Bien sûr, le décret d'avance offre une certaine souplesse au Gouvernement et les montants de crédits ouverts ne justifieraient sans doute pas la préparation et l'examen d'un projet de loi de finances rectificative, mais le recours au décret d'avance demeure dérogatoire. C'est la raison pour laquelle la LOLF encadre cet outil, que la Cour des comptes rend chaque année un rapport sur les crédits ouverts par décret d'avance et que notre commission doit rendre, dans un délai de sept jours, un avis sur la régularité du décret.

Comme nous l'ont rappelé Roger Karoutchi, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Vincent Capo-Canellas et Fabienne Keller, l'hébergement d'urgence connait une sous-budgétisation chronique, qui ne date pas d'hier. Je rejoins Vincent Delahaye sur l'intérêt d'identifier les missions ou les programmes systématiquement sous dotés et qui doivent être abondés par décret d'avance ou en loi de finances rectificative.

L'alternative au décret d'avance serait tout simplement que la budgétisation initiale soit adaptée ! Bien sûr, dans quelques cas, comme par exemple l'accord franco-américain ratifié par le Parlement en juillet ou les calamités naturelles, il n'est pas possible de prévoir les besoins budgétaires. Mais dans le cas de l'hébergement d'urgence, l'imprévisibilité n'est pas de même nature.

Si nous émettions un avis défavorable, cela n'aurait pas de conséquence. Au demeurant, je vous propose d'émettre un avis favorable accompagné d'une forte réserve concernant l'imprévisibilité des besoins supplémentaires constatés en matière d'hébergement d'urgence.

La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.

L'avis est ainsi rédigé :

La commission des finances,

Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ;

Vu le projet de décret d'avance notifié le 8 octobre 2015, portant ouverture et annulation de 232 500 000 euros en autorisations d'engagement et 184 500 000 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;

1. Constate que le projet de décret d'avance a pour objet de mettre en oeuvre l'accord conclu entre le Gouvernement français et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah ainsi que de tirer les conséquences des moyens supplémentaires mis à disposition des dispositifs d'hébergement d'urgence et de veille sociale d'une part et des collectivités territoriales touchées par des calamités publiques d'autre part ;

2. Note que, dans ces deux derniers cas, l'ouverture de crédits a pu être différée par des redéploiements de crédits en provenance d'autres dispositifs dont le paiement intervient en fin d'année ;

3. Réitère à ce titre la position exprimée dans son avis relatif au décret n° 2015-402 du 9 avril 2015 et souligne de nouveau qu'en cas de décisions ou d'évènements entraînant des dépenses supplémentaires conduisant à l'insoutenabilité de l'exécution du programme considéré, la doctrine du Gouvernement en matière de calendrier de présentation d'un décret d'avance ne semble pas fermement établie ;

4. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant de crédits mis en réserve, portant principalement sur les missions « Justice » et « Recherche et enseignement supérieur » ;

5. Relève que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;

6. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée pour les crédits ouverts au titre de l'hébergement d'urgence et de la veille sociale, au regard de la nécessité d'organiser l'accueil des personnes déplacées et en transit en lien avec la crise migratoire européenne et d'éviter que les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ne soient confrontés à des ruptures de trésorerie qui les empêcheraient d'accomplir leurs missions, leurs dotations ayant été redéployées en cours d'année pour faire face aux besoins supplémentaires constatés ;

7. Considère que l'urgence est également manifeste pour les ouvertures d'autorisations d'engagement relatives aux subventions pour travaux divers d'intérêt local (TDIL) au titre de l'année 2015, dans la mesure où le redéploiement d'une partie des crédits y afférents en direction de l'indemnisation des collectivités territoriales touchées par des calamités publiques nécessite aujourd'hui une ouverture de crédits afin de permettre la notification des subventions avant la fin de l'année ;

8. Relève que l'urgence est établie pour les ouvertures de crédits correspondant à la mise en oeuvre de l'accord conclu entre le Gouvernement français et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah, la ratification par le Parlement français intervenue le 9 juillet 2015 ne permettant pas la budgétisation de ces crédits dès la loi de finances initiale et l'accord prévoyant la création d'un fonds d'indemnisation de 60 millions de dollars qui doit être abondé par la France avant le 1er novembre 2015, date d'entrée en vigueur de l'accord ;

9. Note que le montant des ouvertures de crédits par le présent projet d'avance excède le plafond de 2 % des crédits de chaque programme et ne pouvait par conséquent pas faire l'objet d'une procédure de virement de crédits ;

10. Constate qu'il n'apparaît donc pas possible d'ouvrir les crédits supplémentaires considérés autrement qu'en recourant à un décret d'avance ;

11. Observe que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc réunies ;

12. Relève cependant que l'insuffisance des crédits alloués à l'hébergement d'urgence et à la veille sociale au titre de l'année 2015 était manifeste dès la budgétisation initiale au regard de l'exécution pour l'année 2014 ;

13. Estime qu'en matière d'hébergement d'urgence, le recours chaque année à des ouvertures de crédits supplémentaires en cours de gestion nuit tant à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement qu'à la crédibilité de la budgétisation initiale et souligne, par conséquent, que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère ;

14. Émet, sous les réserves formulées précédemment, un avis favorable au présent projet de décret d'avance.

La réunion est levée à 10h25

La réunion est ouverte à10 h 25.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

La mission « Remboursements et dégrèvements » présente deux spécificités.

D'une part, elle fait partie, avec la mission « Engagements financiers de l'État », des deux missions du budget de l'État dont les crédits sont évaluatifs et non limitatifs : en d'autres termes, les montants inscrits dans le projet annuel de performances correspondent davantage à une prévision qu'à un plafond. D'autre part, c'est la mission la plus lourde du budget de l'État : en 2016, 100,2 milliards d'euros de crédits sont demandés, montant quasiment stable par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2015.

Ces deux caractéristiques doivent être prises en compte : le poids budgétaire de la mission s'explique par le fait qu'elle récapitule tous les grands enjeux de la première partie du projet de loi de finances et le caractère évaluatif des crédits conduit à prêter davantage attention à la logique des dispositifs fiscaux qui sont à l'origine des restitutions, au-delà du commentaire des évolutions prévisionnelles dont le caractère est incertain. En d'autres termes, il s'agit de s'attacher aux causes des prévisions plutôt qu'aux montants inscrits.

Je vous présenterai successivement les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État puis d'impôts locaux, avant de dire quelques mots du contrôle budgétaire que j'ai commencé au sujet des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Le programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » devrait s'élever à 88,2 milliards d'euros en 2016, en baisse d'environ 3 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2015. Cette baisse prévisionnelle de 3,2 %, soit 2,9 milliards d'euros, fait suite à deux années consécutives de forte augmentation des crédits alloués au programme. À cet égard, la hausse entre 2014 et 2015 devrait être encore supérieure à celle d'abord anticipée puisque la prévision révisée pour 2015 est supérieure d'environ 3,3 milliards d'euros à l'estimation de la loi de finances initiale pour 2015.

La baisse attendue en 2016 est principalement portée par deux grands ensembles : les restitutions d'excédents de versement d'acomptes d'impôt sur les sociétés d'une part et la restitution de la prime pour l'emploi d'autre part. En effet, l'augmentation anticipée du bénéfice fiscal des entreprises entre 2014 et 2015 s'élève à près de 10 % en raison de la reprise estimée de la croissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Oui, s'agissant du projet de loi de finances pour 2016, il s'agit forcément d'une estimation.

Du fait de cette augmentation du bénéfice fiscal, les premiers acomptes versés par les entreprises en 2016 - au titre des revenus 2015 - devraient dans l'ensemble être inférieurs au total de l'impôt dû et donner lieu à moins de restitutions.

La baisse drastique des remboursements liés à la prime pour l'emploi (PPE) est simplement le résultat de la suppression du dispositif, à compter de 2016, par la seconde loi de finances rectificative pour 2014. Des remboursements résiduels sont prévus à hauteur de 55 millions d'euros en 2016.

S'agissant des impôts locaux, les crédits demandés en 2016 au titre des remboursements et dégrèvements s'élèvent à 11,97 milliards d'euros, en hausse de 2,8 %, soit 325 millions d'euros, par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. L'actualisation des prévisions pour 2015 se limite à une augmentation de 36 millions d'euros, inférieure à celle de l'année passée qui était de 142 millions d'euros et qui tranche avec les chiffres observés certaines années. Je pense notamment à l'année 2012 où l'ajustement avait atteint 1,1 milliard d'euros. Contrairement aux années précédentes, cette hausse ne s'explique pas par l'évolution des dégrèvements d'impôts économiques, mais essentiellement par l'augmentation des dégrèvements de taxe d'habitation et de taxes foncières.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

C'est-à-dire que la situation des ménages se dégrade...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Je note d'ailleurs qu'il est constaté une hausse du contentieux de 3,2 % sur la taxe d'habitation et de 4,6 % sur les taxes foncières, sans qu'elle soit compensée par une baisse des demandes gracieuses. Peut-être faut-il y voir, mais ce n'est qu'une hypothèse, une plus grande vigilance des collectivités territoriales sur l'évolution de leurs bases fiscales, dans le contexte de la forte diminution des concours de l'État.

Je souhaite également insister à nouveau sur l'importance de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, dont l'expérimentation s'est récemment achevée. Au-delà des effets qu'elle aura en matière de justice fiscale et de justice entre collectivités, en permettant de disposer de potentiels fiscaux plus fiables, cette révision pourrait avoir des effets très importants sur les dégrèvements d'impôts locaux, si elle devait se traduire par une baisse relative de la valeur locative des logements des ménages de condition modeste.

Enfin, je profite de la présentation de ce rapport pour vous faire part des premières conclusions du contrôle budgétaire que j'ai commencé au cours de l'année 2015, qui a porté sur le profil des bénéficiaires du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Le CICE constitue une dépense fiscale extrêmement coûteuse alors même qu'un large consensus s'était formé ces dernières années pour réduire le coût de ces « niches » : le coût budgétaire du CICE, c'est-à-dire le montant de CICE consommé en 2015, devrait s'élever à 12,5 milliards d'euros. Quant à la créance fiscale, qui est supérieure à son coût budgétaire puisqu'elle intègre des créances constituées sur l'État mais non consommées, elle devrait atteindre près de 18 milliards d'euros en 2015 pour atteindre plus de 20 milliards d'euros en 2017.

Tout d'abord, je souhaite rappeler les conséquences de la mise en place du CICE sur les services fiscaux : elle se traduit par une hausse significative des demandes de restitution d'impôts sur les sociétés, dans un contexte de diminution des effectifs. Le dispositif fait peser une charge de gestion - mais aussi de promotion - importante sur l'administration fiscale. Comme j'ai pu le constater lors d'une visite sur place à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France, le travail préalable de vérification d'un dossier de demande de CICE est très lourd et fait intervenir un grand nombre de logiciels, dont certains apparaissent d'ailleurs vétustes.

Les interlocuteurs que j'ai rencontrés m'ont expliqué les conditions tendues dans lesquelles le CICE a été mis en place : il représentait une priorité politique absolue et a pris le pas sur d'autres dispositifs ou d'autres missions, au détriment du bon fonctionnement des services. Si les années à venir devraient être plus apaisées, en raison de l'adaptation des services à cette nouvelle charge, les représentants syndicaux que j'ai rencontrés ont fait part de leur inquiétude quant aux conditions dans lesquelles les missions de recouvrement et de contrôle sont effectuées et le seront à l'avenir. Or ces missions restent fondamentales : l'administration fiscale a pour principal rôle de recouvrer des recettes, et non de verser des fonds aux entreprises.

En outre, l'analyse du profil des bénéficiaires du CICE fait ressortir que la présentation du dispositif, et son intitulé, ne paraissent pas correspondre à la réalité de son fonctionnement. En effet, le CICE n'est pas concentré sur les entreprises qui sont effectivement soumises à la concurrence internationale, c'est-à-dire celles qui exportent. Je m'interroge donc sur l'intérêt de mettre en place un tel dispositif, d'autant que les allègements de cotisations sociales déjà en oeuvre depuis 1993, ainsi que le crédit d'impôt recherche (CIR), sont maintenus sans que l'impact sur l'emploi et l'investissement dans les entreprises ne paraisse significatif.

Je poursuivrai ce contrôle en 2016 et pourrai donc compléter ces premières observations.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je me demande où nous en sommes par rapport aux ambitions du Gouvernement concernant l'expérimentation de la révision des valeurs locatives, qui devait se tenir dans cinq départements. Avez-vous reçu des éléments d'information relatifs aux résultats de l'expérimentation dans ces départements ?

Par ailleurs, concernant le fonctionnement du CICE, je souhaite rappeler que la majorité sénatoriale était en faveur d'un dispositif automatique de dégrèvement, la TVA dite sociale, qui n'aurait pas nécessité de travail particulier de la part de l'administration. Le choix d'un crédit d'impôt ne me paraît pas simple : l'entreprise doit formuler une demande, ce qui lui fait du travail, ces demandes doivent ensuite être traitées par les services fiscaux, ce qui leur fait aussi du travail... cela n'est pas compatible la réduction des moyens alloués à l'administration fiscale. C'est un sujet de fond qui dépasse le CICE. Il faut y penser lorsque l'on met en place des crédits d'impôt : des dispositifs automatiques sont préférables.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Vincent

Je voudrais rappeler que la mise en place du CICE comme celle du crédit d'impôt recherche fait suite au rapport de Louis Gallois sur la compétitivité de l'économie française. Ce rapport dressait le constat d'un affaiblissement de notre compétitivité depuis dix ans, problème auquel le CICE vise à répondre. Il s'agit donc d'une politique structurelle de long terme poursuivant l'objectif d'une redynamisation de l'économie. En ce qui concerne le CIR, le rapport non publié de la commission d'enquête sénatoriale présidée par Francis Delattre, qui faisait suite à une initiative du groupe communiste, républicain, citoyen (CRC), concluait dans un sens favorable à ce dispositif. Même s'il recommandait certains ajustements, il montrait que le CIR permet de soutenir la recherche et développement et de relocaliser des activités économiques en France. Je ne partage donc pas les conclusions de notre collègue rapporteure spéciale.

Par ailleurs, de manière plus générale, je relève, suite au rapport qui nous a été présenté, que de nombreux citoyens vont échapper à l'impôt sur le revenu en 2016 mais que nous retrouvons tout de même une part de ménages assujettis proche de celle qui a précédé le déclenchement de la crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je m'interroge sur l'écart entre les prévisions et l'exécution 2015 du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » - respectivement 87,8 et 91 milliards d'euros - : ne risque-t-on pas de voir se reproduire le même écart en 2016 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

À mon sens, la rapporteure spéciale est un peu sévère sur le CICE et le CIR. Je souligne que nous souffrons toujours d'un manque de recul sur ce dernier. C'est un dispositif récent qu'il s'agit de rendre stable et plus lisible, et non de bouleverser quelques temps à peine après sa mise en oeuvre. J'estime, pour ma part, qu'il est loin d'être inutile puisqu'il réduit les charges des entreprises. Nous devons prendre le temps pour évaluer cette mesure, qui a certainement été une bouffée d'oxygène pour l'économie française. Par ailleurs, s'agissant de la révision des valeurs locatives, nous sommes tous d'accord pour dire que le système actuel est injuste, mais je souligne le risque d'aboutir à un désordre majeur à force de vouloir tout réformer en même temps. C'est une contradiction dont il faudra un jour sortir, mais comment ?

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Je vais me concentrer sur le CIR puisque j'ai présidé la commission d'enquête sur le sujet. Nous n'avons pas constaté de détournements et n'avons proposé que quelques ajustements. Quand j'entends dire que le CIR n'a pas eu de résultats, je trouve cela absolument scandaleux. C'est totalement inexact. Il a permis d'impulser des projets de recherche dans des petites entreprises comme dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Je pense, par exemple, au cas des équipementiers du constructeur automobile Toyota : ces ETI que j'ai eu la chance de rencontrer assurent parfois la fourniture de plus de 10 % du coût total de la voiture. C'est grâce à la recherche et développement encouragée par le CIR que ces entreprises ont pu être au niveau en matière technologique et s'épanouir dans un contexte de crise.

De nombreux exemples du même type existent : je me suis rendu au salon des start-up à Los Angeles, l'electronic entertainment expo (E3). Nos entreprises sont, en gros, en deuxième position après les entreprises américaines. Le problème est qu'elles se font racheter dès qu'elles ont de bons produits, souvent parce que se pose la question du financement de l'innovation. Il s'agit d'un enjeu majeur. Le fait que le CIR permette parfois de financer un peu d'innovation n'a rien de scandaleux.

Nous disposons d'un autre atout : ce sont nos doctorants. Grâce au CIR, les partenariats entre des entreprises et des universités ou des centres de recherche se sont multipliés. Le CNRS, que nous avons auditionné, est très favorable à cette dynamique de coopération. Il s'agirait de 500 millions d'euros sur le total de 6 milliards d'euros au profit de nos laboratoires de recherche publique. Il ne faut pas opposer le CIR à la recherche publique.

On peut, certes, considérer que le CIR est un « cadeau » aux entreprises - mais je souhaite rappeler qu'il a été mis en place sous le Gouvernement de Pierre Mauroy dont des communistes faisaient alors partie.

Je conclurai donc que nous pouvons améliorer ce dispositif mais qu'il ne me semble pas opportun de le faire disparaître.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Je me demande comment financer les dépenses supplémentaires liées au CICE, soit 12,5 milliards d'euros. D'où viendront ces crédits ? Qui va payer ? J'imagine qu'on va encore recourir à l'emprunt. J'avais interrogé à ce sujet le secrétaire d'État au budget Christian Eckert, qui ne m'avait pas répondu. Je rappelle, de plus, que ce dispositif concerne essentiellement des entreprises de services, donc des entreprises qui reposent sur des personnels à bas salaires. Les entreprises de production, celles qui contribuent le plus fortement à la croissance, ne sont pas concernées. Je m'interroge, en outre, sur la réforme de l'impôt sur le revenu. Là aussi, la question du financement se pose. Recourra-t-on à l'emprunt une fois de plus ? Tout cela n'est pas de la bonne gestion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Boulard

Le montant total des dégrèvements pour les taxes foncières et la taxe d'habitation représente 5 milliards d'euros. J'espère que ce ne sera jamais une variable d'ajustement mais nous devons rester vigilants, notamment lors de la révision des bases locatives que nous attendons avec une infinie patience. Il n'y a pas de raison technique au report de la réforme. La seule raison est politique et réside dans le fait que la contraction des recettes des uns se fera en contrepartie de plus grandes ressources pour d'autres. C'est une réforme de vases communicants et il faudra un jour que soit organisé un débat sur les causes ayant conduit à ce que cette réforme soit différée, à juste titre, depuis plus de vingt ans.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si l'exonération de taxe sur le foncier bâti pour le logement social est remboursée ou dégrevée.

S'agissant du CICE, j'indique que les collectivités territoriales peuvent aussi en bénéficier. J'ai connu le cas, au Mans, d'une société d'économie mixte (SEM) de transport, donc peu exposée à la concurrence internationale, qui va bénéficier du CICE et le remboursera à la collectivité. C'est intéressant et j'invite mes collègues à se renseigner sur le sujet, d'autant plus que les collectivités territoriales participent au financement du CICE : le repli des dotations aux collectivités territoriales s'explique par la mise en place du CICE depuis 2014 et du pacte de responsabilité depuis cette année.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Le montant de la prévision 2016 du programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » s'élève à 88 milliards d'euros. C'est une somme importante. Puisque plus de 49 milliards d'euros correspondent à la TVA, quel est le montant lié aux collectivités territoriales au titre du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Nous ne pouvons pas suivre les conclusions de la rapporteure spéciale sur le CIR et le CICE. Il s'agit de deux dispositifs essentiels de l'action du Gouvernement. Sur le CIR, Francis Delattre a dit l'essentiel. Il fait la force, l'image et la compétitivité de notre économie. Le remettre en cause serait se tirer une balle dans le pied. Pour ce qui concerne le CICE, c'est la pièce maîtresse du Gouvernement à la fois pour restaurer un meilleur niveau de compétitivité et pour créer des emplois. Je note qu'il atteint désormais son rythme de croisière : ce n'est vraiment pas le moment de le contester.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Lalande

Les positions anti-CIR et anti-CICE m'ont toujours surpris. Francis Delattre et Richard Yung ont montré que le CIR permet de financer l'avenir. C'est notre responsabilité d'assurer le financement de la recherche et de l'innovation des entreprises françaises. Nous étions quelques-uns qui, faisant partie de la commission d'enquête sur le CIR, avions suivi les conclusions de son président Francis Delattre car nous estimions que ce dispositif a toute sa raison d'être.

Je tiens à apporter des précisions sur la nature du CICE : il ne faut pas être dogmatique, il ne s'agit pas d'une réduction de charges. 65 à 70 % des entreprises bénéficiaires sont des entreprises françaises qui n'exportent pas. Baisser les charges des entreprises diminue leur prix de revient ; immédiatement le marché vient chercher ce gain pour faire de la compétition. Le CICE est un crédit d'impôt et ne modifie donc pas le prix de revient de la prestation ou du bien. Si nous nous contentions de baisser les charges, ce serait le tonneau des Danaïdes : le marché viendrait s'ajuster aux nouveaux coûts. Le CICE n'est pas dans cette logique ; au contraire, il favorise le développement des entreprises et leur permet de renforcer leurs fonds propres. Si l'on peut constater de meilleurs résultats en 2015 en matière de défaillances d'entreprises, c'est pour une part grâce au CICE.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Les remboursements et dégrèvements de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) sont assez stables alors qu'on devait voir ce montant baisser en raison du plafonnement des dégrèvements au profit des taxis. Cette dépense fiscale s'apparente, en effet, à une subvention aux énergies fossiles. Peut-on en savoir plus sur cet écart par rapport aux prévisions ?

En ce qui concerne le CICE, j'estime pour ma part qu'il constitue un effet d'aubaine. Un chef d'entreprise qui veut recruter calcule ce que lui coûte un salarié et si la réduction de charges n'est pas certaine l'année du recrutement mais se fait en décalé, comme dans le cas du CICE, le dispositif n'a pas d'effet sur l'emploi. Il sera très difficile de revenir à un système de réduction de charges, puisque l'on rencontrera un problème de double exonération l'année de bascule. À travers le CICE, nous sommes face à un système d'économie administrée : les pouvoirs publics prennent d'abord pour restituer ensuite. Il ne conduit pas à responsabiliser et libérer les énergies, ce que permettrait à l'inverse une baisse du coût du travail grâce à la réduction des charges des entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je soutiens la rapporteure. Le CIR a conduit notre pays à être perçu à l'étranger comme un paradis fiscal en matière de recherche...

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Certains États voient en effet leurs chercheurs partir pour venir travailler en France. Mais le problème n'est pas seulement celui d'une réduction générale des charges des entreprises. À ce sujet, je conseille à Francis Delattre de lire le rapport que j'ai co-écrit avec Bruno Retailleau sur l'industrie des jeux vidéo : nos travaux nous ont conduit à constater que la difficulté provient en grande partie de l'impossibilité d'un soutien sectoriel, contrairement à ce qui se passe en Amérique du Nord et en Asie. A filière équivalente, le salaire dans le domaine de la création informatique n'est pas plus élevé en France, charges comprises, qu'aux États-Unis. Mais hors secteur culturel, il devient impossible d'avoir des dispositifs de soutien sectoriel et de ce fait, les personnes que nous formons ou les filières que nous développons partent ensuite à l'étranger.

D'ailleurs, la conformité du CIR au droit européen pose question : la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, ouvre une enquête à ce sujet. La réglementation européenne ne nous permet de développer une stratégie sectorielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

On est en droit de s'interroger sur ces dispositifs et je suis dubitatif sur les effets du CICE. Je voudrais vous présenter une note de Patrick Artus, qui n'est pas un dangereux révolutionnaire, relative au CICE. Nous constatons que les marges des entreprises progressent - c'était l'objectif - grâce à la diminution du prix du pétrole, à la dépréciation de l'euro et, en partie, du fait du CICE. Cette amélioration de la marge, comme le montre Patrick Artus, peut être utilisée de différentes façons : augmenter les réserves de liquidité, se désendetter, baisser ses prix de vente, augmenter les dividendes, augmenter les salaires, accroître les investissements, augmenter les stocks et embaucher. Sur beaucoup de ces points, les progrès sont très timides voire un peu suspects. La croissance de l'emploi reste très faible, les stocks se réduisent, les salaires ralentissent, les entreprises continuent à accumuler des réserves liquides et monétaires... Permettez donc que nous nous interrogions !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

On peut certes s'interroger sur le CICE, sa mise en place, son évolution, son efficacité... Il ne faut pas oublier qu'il s'agissait d'un choix de stratégie politique, comme le rappelaient tout à l'heure Maurice Vincent et Richard Yung. Nous avons fait le choix de ne pas confirmer la TVA sociale de nos prédécesseurs et, comme l'a précisé Bernard Lalande, d'aider toutes les entreprises et pas uniquement celles qui exportent. La situation des entreprises en 2012 et 2013 était catastrophique : face aux difficultés économiques, les marges des entreprises ont beaucoup baissé et le coût du travail était très important. Les entreprises n'avaient aucune marge et licenciaient. L'objectif du CICE était de leur redonner des marges de manoeuvre, peut-être pas assez diront certains. Mais ce n'est pas de l'économie administrée.

Il n'y a pas toujours de décalage annuel, car certaines entreprises ont bénéficié d'un préfinancement. Les patrons de PME et de TPE que je rencontre sont très contents du travail de Bpifrance. À partir de cette année, il n'y aura plus besoin de préfinancement, car les entreprises toucheront automatiquement le CICE au titre des années passées. C'est une baisse des charges très importante, qui redonne aux entreprises des marges de manoeuvre. Il permet à certaines, qui auraient mis la clé sous la porte autrement, de bénéficier de 5 000 ou 10 000 euros pour acheter une machine ou simplement constituer la trésorerie qui leur a permis de ne pas fermer et, demain, d'être plus compétitives.

On peut certes s'interroger sur l'efficacité du CICE après deux années pleines d'application, mais c'est sur la durée qu'il faudra voir si les objectifs sont atteints. Si ce n'est pas le cas, nous serons les premiers à dire : nous avons tenté quelque chose qui n'a pas forcément fonctionné. Les résultats des entreprises permettent de dire que ça a quand même l'air de fonctionner. On peut s'interroger sur le fait que toutes les entreprises soient concernées, même la Poste, mais toutes les entreprises ont besoin d'être compétitives ! Et je préfère que la Poste bénéficie du CICE, continue à distribuer le courrier six jours sur sept à J+1 et soit compétitive, plutôt qu'elle soit rachetée par une entreprise extérieure.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Je me réjouis de l'affluence à notre réunion de ce matin, qui sera désormais la règle et grâce à laquelle nous avons un vrai débat sur cette mission, contrairement aux années précédentes.

S'agissant de mon travail sur le CICE, le but est de savoir si les objectifs annoncés ont été atteints. Je n'en suis encore qu'au commencement et je le poursuivrai l'an prochain, mais les éléments à notre disposition ne vont pas dans ce sens. Je vous invite à lire le troisième rapport d'évaluation du comité de suivi du CICE, présidé par Jean Pisani-Ferry, qui dit notamment - et je l'ai constaté lors de mon déplacement - que dans les grandes entreprises, le CICE est demandé et géré par la direction des affaires financières, sans que la direction des ressources humaines ne semble fortement associée aux « gains » qui découlent de cette niche fiscale. Je rappelle que les comités d'entreprise devraient également être associés, mais nous n'avons pas encore d'éléments nous permettant de dire qu'ils l'ont été. S'agissant des investissements, le même rapport indique que le CICE n'a pas toujours permis leur augmentation.

Je n'ai pas écrit qu'il fallait supprimer le CICE - même si je le pense -, j'ai simplement expliqué que les éléments à notre disposition montrent que les effets sur l'emploi et l'investissement ne paraissent pas significatifs. Lors de la création de ce dispositif, le Gouvernement insistait sur deux points : la compétitivité et l'emploi. Mais si le vrai objectif est d'aider les PME et les TPE en matière de trésorerie, il est possible de trouver un outil plus adapté que le CICE.

S'agissant du CIR, si le président de la commission d'enquête que Francis Delattre était avait autorisé la publication du rapport, nous n'aurions pas ce débat. D'après les éléments à ma disposition, le rapport allait plutôt dans le sens d'une modification du dispositif que vers sa suppression.

J'en viens aux questions plus précises qui m'ont été posées. Qui finance le CICE ? Il n'y a pas de financement particulier, il s'agit d'une moindre recette au budget de l'État.

Par ailleurs, je précise à Didier Guillaume qu'il y aura encore du préfinancement assuré par la banque publique d'investissement, même si les conditions d'accès ont été renforcées. D'ailleurs, le CICE n'est pas forcément la formule la plus pertinente pour répondre aux problèmes de trésorerie des petites entreprises : peut-être faudrait-il plutôt réfléchir à un outil ad hoc.

Pour répondre à Vincent Delahaye sur l'évolution des crédits de la mission, l'essentiel de la variation des crédits du programme 200 provient de l'impôt sur les sociétés et plus particulièrement d'un dynamisme plus important que prévu du CICE. Il est difficile de prévoir à quel moment une entreprise va mobiliser la créance qu'elle détient sur l'État. En 2017, la créance fiscale liée au CICE devrait atteindre 20 milliards d'euros.

On m'a interrogée sur le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, mais il n'est pas retracé dans la mission « Remboursements et dégrèvements ».

S'agissant de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, que les taxis acquittent mais pour laquelle ils bénéficient d'un taux réduit, aucune évolution significative n'est constatée.

S'agissant des dégrèvements d'impôts locaux portés par la mission, ils ne font pas partie des « variables d'ajustement » au sein des concours financiers de l'État, qui comprennent des compensations d'exonération et sont des prélèvements sur recettes. Il faut être attentif à ce que cela ne change pas. Concernant la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, un rapport aurait dû être remis au Parlement le 30 septembre dernier sur les résultats de l'expérimentation. Pour ma part, j'insiste sur le fait que la révision des bases fiscales doit conduire à diminuer la fiscalité des foyers modestes.

J'en viens enfin aux crédits de la mission : à titre personnel, compte tenu des observations que je vous ai présentées, je voterai contre l'adoption des crédits. Mais je ne propose pas à la commission de les rejeter.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Éric Doligé, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission, sur le projet de loi n° 651 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Notre commission est saisie en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral du 29 octobre 2014, signé à Berlin sous l'égide l'OCDE, concernant l'échange automatique de renseignements fiscaux.

Priorité politique majeure portée par les pays de l'OCDE et du G20, le passage à l'échange automatique d'informations fiscales est la clé de voûte de la lutte contre l'évasion fiscale des particuliers. Aujourd'hui, la coopération fiscale entre États repose sur l'échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas. Or l'échange à la demande présente une faiblesse importante : il suppose de savoir a priori ce que l'on recherche, et dépend de la bonne volonté des États partenaires. Pourtant, le passage à l'échange automatique est longtemps resté un voeu pieu, en raison de la difficulté à trouver un consensus international ou européen.

Il a fallu une initiative unilatérale, et à vrai dire quelque peu cavalière, de la part des États-Unis, pour faire évoluer les choses : c'est la loi « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act), adoptée en 2010. Celle-ci fait obligation aux établissements financiers du monde entier de transmettre aux États-Unis toutes les informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. La loi FATCA a finalement fait l'objet d'accords bilatéraux avec les États-Unis pour faciliter son exécution, et centraliser les informations au niveau de chaque administration. Dans le cas de la France, nous devons beaucoup à l'analyse et à la présentation faite par Michèle André, alors rapporteure du projet de loi de ratification. Poussés par l'aiguillon de la loi FATCA, plusieurs pays européens, puis les pays du G20, se sont mobilisés en faveur de l'échange automatique et ont demandé à l'OCDE d'élaborer une « norme commune de déclaration ». C'est cette norme que reprend le présent accord multilatéral, que 94 États se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014 - 61 l'ont fait à ce jour, les autres devraient suivre.

La norme commune de déclaration de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions. Premièrement, les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro fiscal du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit. Deuxièmement, les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités. Troisièmement, les institutions financières soumises à l'obligation déclarative sont définies largement.

Ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes des non-résidents. Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017.

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il a d'ores et déjà produit des effets tangibles : la seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d'actifs dissimulés à se manifester auprès du « service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR). Ceci devrait permettre à l'État de collecter près de 2,7 milliards d'euros de droits et pénalités en 2015.

L'accord multilatéral de l'OCDE souffre toutefois d'une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il n'a pas de caractère contraignant. De plus, la généralisation de l'échange automatique comme nouvelle norme mondiale se heurte aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA. La première différence - et elle est de taille - est la non-réciprocité de FATCA. La seconde différence est le champ d'application de la loi FATCA, qui définit les contribuables américains non seulement en fonction de la résidence, mais aussi en fonction de la nationalité et d'autres critères. Enfin, de nombreux seuils et définitions sont différents. À la demande de notre commission, la direction de la législation fiscale a élaboré un comparatif détaillé des normes FATCA, OCDE et de l'Union européenne.

L'avancée que représente la signature de l'accord multilatéral ouvre la période, tout aussi importante, de sa mise en oeuvre technique. À cette fin, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques (DGFiP) ont mis en place une infrastructure informatique, qui se base sur le système élaboré pour l'application de la loi FATCA : nous sommes donc déjà « rôdés » pour l'échange automatique.

L'identification des comptes déclarables requiert toutefois que les banques procèdent à un balayage complet de l'ensemble de leurs comptes, afin de déceler les indices de « non-résidence ». Or il semble que la base juridique prévue à l'article 1649 AC du code général des impôts soit insuffisante pour permettre ce balayage complet. Je me permettrai donc de demander en séance publique au Gouvernement de travailler aux ajustements nécessaires, afin de garantir la pleine sécurité juridique des opérations.

Par ailleurs, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire « pédagogique » d'un ou deux ans, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. Cela a d'ailleurs été accepté par les États-Unis pour la loi FATCA. À terme, toutefois, on peut s'interroger sur le montant de l'amende de 200 euros par compte prévue par notre droit interne, qui semble bien faible au regard des enjeux financiers qui peuvent s'attacher à chaque compte non déclaré.

En conclusion, l'objectif de cet accord est bien de faire de l'échange automatique le nouveau standard mondial, multilatéral et pleinement réciproque. Sous le bénéfice des deux observations qui précèdent - clarification du droit interne et période pédagogique -, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Le système mis en place par cet accord n'est pas une simple évolution mais constitue une véritable révolution. En effet, l'on passe d'un système d'entraide fiscale, où il faut interroger les administrations au cas par cas, à un système d'échange automatique. Il y a quelques années, avant l'entrée en vigueur de la loi FACTA, le bureau de la commission des finances a effectué un déplacement aux États-Unis ; nous étions alors très loin d'un tel système. Je le répète, cet accord constitue une révolution, même si des adaptations sont évidemment nécessaires.

Mes questions portent sur le champ de l'accord, qui est censé s'appliquer aux comptes financiers et aux institutions financières. Pourriez-vous nous préciser si l'ensemble des produits d'assurance-vie rentreront dans son champ ? Celui-ci semble très large et devrait donc, normalement, trouver aussi à s'appliquer aux assurances vie. Par ailleurs, cet accord s'appliquera-t-il aux trusts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Cet accord constitue une avancée qu'il faut apprécier à sa juste valeur, bien qu'il ne concerne, pour l'instant, que les comptes financiers des personnes physiques. Je souhaitais, comme le rapporteur général, évoquer la question des trusts. Il me semble en effet qu'il demeure des zones d'ombre.

On ne peut que se féliciter que cet accord mette fin au système d'échange à la demande prévu par les conventions bilatérales, dont nous connaissons tous les limites en termes d'efficacité des renseignements obtenus, lorsqu'ils étaient obtenus...

Je souhaitais également évoquer la question des ports francs, qui émergent ici ou là : à Genève, Singapour, etc. ainsi que celle de la situation des personnes morales qui, je le sais, ne relève pas de ce texte. À cet égard, nous pourrons évoquer en séance les propositions et les limites du plan « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) présenté par l'OCDE.

Enfin, je souhaitais connaître les raisons avancées par certains États pour ne pas s'engager dès maintenant, et de quels États il s'agit.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

En principe, l'ensemble des assurances vie sont couvertes par le texte. Seuls de très rares produits d'assurance sont exonérés de déclaration, notamment lorsqu'ils sont présents sur un marché exclusivement local ou dans d'autres cas particuliers définis. Il n'y a pas d'exemple en France.

En ce qui concerne les réticences de certains États, je rappelle que les premiers échanges débuteront en deux temps. Pour un premier groupe comportant cinquante-sept pays, ceux-ci débuteront à partir de 2017. Ils seront rejoints à partir de 2018 par un second groupe de trente-sept États, parmi lesquels figurent par exemple l'Andorre, l'Autriche, les Bahamas ou encore la Suisse. Ce décalage doit permettre à ces États de se mettre en conformité avec les règles prévues dans cet accord.

S'agissant des trusts, l'accord prévoit un contrôle à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en ont le cas échéant le contrôle. Cela constitue une avancée par rapport à la loi FATCA, qui ne permet pas ce type de contrôle.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Puisqu'Éric Bocquet a évoqué le projet BEPS, je rappelle que notre commission entendra le directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, Pascal Saint-Amans, le 3 novembre prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

J'ai rencontré la Fédération bancaire française, qui m'a indiqué qu'au-delà des deux observations que j'ai faites, les banques ne devraient pas rencontrer de difficultés pour répondre aux exigences prévues par cet accord dans la mesure où elles s'y sont déjà préparées lors de la mise en place de la loi FATCA. Le coût devrait aussi être plus faible que prévu.