Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient, comme à vous, particulièrement à coeur : la situation des chrétiens d'Orient et des autres minorités religieuses persécutées en Irak et en Syrie.
Durant ces deux derniers siècles, la place occupée par ces minorités au sein des sociétés du Proche-Orient n'a cessé de se restreindre. Les chrétiens d'Orient représentaient encore 20 % de la population de l'Empire Ottoman au début du XXème siècle. Le génocide arménien, les persécutions, la volonté aussi de trouver une vie meilleure en Amérique ou en Europe, ont suscité des vagues d'immigration successives. Pourtant, même diminuées, de nombreuses communautés sont demeurées vaillantes, vibrantes, attachées à demeurer sur le sol où elles étaient fixées, souvent depuis les premiers temps du christianisme.
Depuis 2003, la guerre civile en Irak, puis en Syrie a frappé durement les fidèles des églises chrétiennes orientales. En Irak, les chrétiens étaient encore 1,5 million en 1987, date du dernier recensement. Leur nombre s'établirait aujourd'hui entre 250 et 300 000 personnes. En Syrie, ils représentaient 5 % de la population avant le début de la guerre civile, qui a provoqué la mort d'au moins 240 000 personnes (selon les estimations les plus basses), à quoi il faut ajouter 4 millions de réfugiés et 7,6 millions de déplacés à l'intérieur même du pays. Il est difficile de savoir la part exacte des chrétiens parmi eux. Le régime baasiste s'est toujours indûment présenté comme leur protecteur, bien que le nombre de chrétiens ait diminué de moitié en Syrie sous le régime de Hafez el-Assad. Il est certain qu'aujourd'hui les projets de départ se multiplient au sein de la communauté chrétienne syrienne, qu'ils résultent d'une volonté de fuir la guerre lancée par Assad contre son propre peuple ou de la crainte que suscitent les avancées de l'État islamique. Les minorités chrétiennes sont en effet parmi les premières victimes du projet totalitaire que Daesh impose aux territoires qu'il contrôle, et qui comporte toujours une dimension d'épuration religieuse. Aux chrétiens, les djihadistes ne laissent le choix, en Irak comme en Syrie, qu'entre la conversion, la soumission - qui implique d'accepter un statut de deuxième ordre et de s'acquitter d'un impôt supplémentaire - l'exil ou la mort. Ceux qui résistent subissent des persécutions et des atrocités. Bien des chrétiens de Syrie et d'Irak n'ont pas accepté de se soumettre à un tel chantage. À Mossoul, à l'été 2014, après que les maisons des chrétiens ont été marquées par les djihadistes, ils ont dû se résoudre à fuir, rançonnés, dépouillés de leurs maigres biens, soumis à diverses violences, avant de trouver refuge, pour les plus chanceux d'entre eux, au Kurdistan irakien. Quant aux Yézidis, cette communauté qui compte 100 à 250 000 personnes en Irak, et 15 000 en Syrie, pratiquant l'une des plus vieilles religions du monde, ils sont considérés comme païens par Daesh, qui les réduits en esclavage et leur fait subir un effroyable martyre.
Face à de telles persécutions, c'est donc toute cette partie du Moyen-Orient qui se vide aujourd'hui d'une population fermement attachée à sa foi, à sa culture, à ses traditions et à cette terre où reposent ses ancêtres. En décembre 2014, pour la première fois sans doute depuis seize siècles, la messe de Noël n'a pas été célébrée à Mossoul. Nul ne peut demeurer insensible au sort tragique des chrétiens d'Orient, et nous moins que quiconque. L'histoire permet de comprendre les liens particulièrement forts qui unissent notre pays aux communautés chrétiennes, comme ils nous lient aux peuples d'Irak et de Syrie. Une histoire longue, qui aujourd'hui nous oblige.
Je ne m'étendrai pas sur les initiatives diplomatiques prises par notre pays pour mobiliser la communauté internationale et l'amener à réagir face au drame que subissent les chrétiens d'Orient et les autres minorités persécutées en Syrie et en Irak. Le ministre des affaires étrangères est venu vous présenter cette action, le 9 septembre dernier, au lendemain de la Conférence de Paris qui a vu l'adoption d'un plan d'action en trois volets : l'accompagnement humanitaire, pour le retour des déplacés ; la lutte contre l'impunité des terroristes de Daesh ; enfin, la promotion d'un cadre politique nécessaire au retour durable de ces populations dans un environnement national pacifié. Dans l'attente d'une telle pacification, il est de la responsabilité de notre pays d'assurer à ces femmes et à ces hommes fuyant les persécutions accueil et protection sur notre territoire.
Les minorités religieuses persécutées relèvent pleinement du droit d'asile, tel que défini par la Convention de Genève de 1951. En outre, le Gouvernement fait jouer à leur profit un mécanisme de solidarité exceptionnel, la délivrance de visa pour asile. Le dispositif français de l'asile, dont les chrétiens de Syrie et d'Irak peuvent bénéficier au même titre que toute autre minorité ou toute personne victime de persécutions, s'adresse indistinctement à tout demandeur d'asile, quelle que soit la nature de la persécution dont il fait l'objet. Il serait en effet contraire à la Convention de Genève de faire un distinguo entre les demandeurs. Pourtant, peu de Syriens, et moins encore d'Irakiens, toutes confessions confondues, se sont tournés vers la France pour déposer une demande d'asile. Il y a deux ans, la Syrie ne venait encore qu'en septième position parmi les pays d'origine des demandeurs d'asile, très loin derrière l'Albanie et le Kosovo. Et aujourd'hui, les réfugiés syriens qui parviennent en Europe s'efforcent par priorité de gagner l'Allemagne ou la Scandinavie. Une telle situation s'explique par une série de facteurs, au nombre desquels figurent la barrière de la langue et la relative modestie des communautés syriennes et irakiennes déjà installées sur notre sol. En outre, il faut prendre en compte le travail abject des organisations internationales de la traite des êtres humains et des passeurs, qui orientent les réfugiés vers des pays depuis longtemps perçus comme des eldorados, afin de prélever des sommes très importantes sur ceux qui veulent rejoindre l'Europe.
Cette situation s'explique aussi, il faut bien le reconnaître, par la mauvaise réputation dont pâtit à l'étranger le système de l'asile français : lenteur des procédures, incapacité à proposer des solutions d'hébergement convenables, absence de véritable parcours d'intégration... J'ai proposé des solutions pour remédier à cette situation. Le système d'asile en France est victime d'embolie, les places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) sont en nombre insuffisant tandis que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) souffrent d'un sous-effectif chronique. Notre dispositif d'asile a dû être revu à la hausse.
Les réfugiés syriens et irakiens, chrétiens ou non, sont souvent issus de la classe moyenne - je l'ai encore récemment constaté - et ils ont une conception de la famille très affirmée. Ils aspirent à exercer rapidement un emploi, à donner un toit à leurs enfants et à les scolariser.
Une première étape, indispensable, était de mettre en place un dispositif aux meilleurs standards européens ; ce fut l'objet de la loi adoptée le 29 juillet et de la création de 18 500 places supplémentaires en Cada. Le ministère du logement consent un effort comparable pour que ceux qui obtiennent le statut de réfugié accèdent à un logement autonome. Un deuxième préalable résidait dans l'adoption d'un mécanisme européen répartissant solidairement les demandeurs d'asile, parmi lesquels les chrétiens d'Orient. La France, en lien avec l'Allemagne, a joué un rôle moteur pour parvenir à l'accord du 22 septembre, au conseil « Justice et affaires intérieures », sur la répartition de 120 000 personnes supplémentaires, après l'accord de juillet sur la relocalisation de 40 000 personnes. Tous les États membres doivent prendre part au processus. L'Europe a montré qu'elle savait prendre ses responsabilités. Nous voulions une décision qui repose sur un équilibre entre humanité, générosité, responsabilité et fermeté. L'accueil des réfugiés ne sera soutenable, en effet, que si nous assurons un contrôle efficace et puissant aux frontières extérieures de l'Union européenne.
La France prendra donc toute sa part à la solidarité européenne en acceptant au total 30 752 personnes supplémentaires : 6 752 au titre de la première décision sur les 40 000 et 24 000 au titre de la décision sur les 120 000. En outre, dans le cadre du programme européen de réinstallation de 20 000 personnes, agréé par le conseil européen de juin, la France accueillera 2 375 personnes déplacées dans les camps situés à proximité des zones de conflits, au Liban, en Jordanie, en Turquie. Ces personnes viendront s'ajouter à celles que nous avons déjà accepté d'accueillir dans le cadre de notre programme bilatéral de réinstallation avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), soit 500 personnes par an sur deux ans. Je me rendrai en Jordanie et au Liban à la fin du mois pour y examiner la situation.
Les chrétiens de Syrie et d'Irak accèdent à ces dispositifs de droit commun. Ils peuvent également bénéficier de la délivrance d'un visa pour asile, qui est accordé au niveau du consulat à une personne (ou à une famille) afin qu'elle puisse rejoindre notre territoire. La France a réagi dès l'été 2014 aux premières persécutions commises par Daesh en Irak contre les chrétiens et les Yézidis de la région de Mossoul. Elle a mis en place le 28 juillet un accueil spécifique destiné aux personnes, déplacées ou non à l'intérieur de l'Irak, qui se trouvent à titre personnel menacées ou persécutées du fait de leur appartenance à une minorité religieuse. Pour être éligibles, ces personnes doivent soit avoir des membres de leur famille proche en France, soit avoir des liens forts avec la France - y avoir suivi des études, par exemple -, soit se trouver dans une situation de grande vulnérabilité. Depuis octobre 2014, plus de 2 896 Irakiens en Irak ont déjà bénéficié de ce dispositif, après avoir déposé une demande de visa pour asile auprès de nos consulats à Bagdad ou à Erbil, au Kurdistan irakien. Nos postes consulaires sur place ont été renforcés à cette fin.
L'accueil en France de ces demandeurs d'asile fait l'objet d'une coordination particulière confiée à un préfet. Il lui revient de mobiliser les préfectures, l'Ofpra et l'Ofii, ainsi que les associations, afin de leur obtenir rapidement un statut de réfugié, l'ouverture des droits sociaux et l'accès aux dispositifs d'insertion. Plusieurs associations, dont l'OEuvre d'Orient et la Fédération de l'entraide protestante, se sont mobilisées pour participer à cet accueil. Le 23 décembre, j'ai rencontré la communauté syro-chaldéenne de Sarcelles, dans la paroisse de Saint-Thomas l'Apôtre. J'ai été frappé par la solidarité des familles anciennement installées à l'égard de ces réfugiés parvenus en France dans le plus grand dénuement et au terme de terribles épreuves. Je les ai invités quelques mois plus tard au ministère de l'intérieur, où ils ont pu exprimer au président de la République, venu les saluer, la gratitude qu'ils éprouvent à l'égard de notre pays.
Quant aux Syriens, ils sont 2 333 à avoir bénéficié d'un visa pour asile depuis le début du conflit en 2011. Leur accueil en France est organisé dans des conditions identiques à celles des réfugiés irakiens. Il n'est cependant pas possible d'évaluer la part que représentent spécifiquement les chrétiens au sein de cette population.
La France est décidée à poursuivre dans cette voie. Nous devrons accueillir dignement dans un cadre européen les réfugiés syriens et irakiens, soit au titre de la procédure de réinstallation à partir des camps du HCR, soit dans le cadre d'une procédure de relocalisation depuis le pays de première entrée. La création de 5 000 places supplémentaires d'hébergement en début d'année nous permettra de le faire dans de bonnes conditions. À titre subsidiaire, nous devons poursuivre la délivrance de visa pour asile, notamment pour les minorités religieuses persécutées. J'ai demandé à mes services d'examiner, en concertation avec ceux du ministère des affaires étrangères, la façon d'améliorer les conditions de réception des demandeurs d'asile aux consulats d'Erbil, d'Amman et de Beyrouth. Les délais de traitement des dossiers sont en effet souvent trop longs au regard de l'urgence de certaines situations.
Nul ne peut tolérer que des communautés entières soient arrachées à leur pays. Nul ne peut tolérer qu'en raison de leur foi, en l'occurrence chrétienne, des personnes soient discriminées, chassées, expulsées, contraintes de quitter leur vie, d'abandonner leur terre, voire emprisonnées et assassinées. Car, derrière les chiffres que j'ai cités, se sont des vies humaines, des histoires singulières, des visages, des femmes et des hommes, des enfants et des familles tout entières. Derrière ces chiffres, il y a des victimes qu'il faut aider, secourir, protéger. Les persécutions dont sont victimes les chrétiens d'Orient ne constituent pas une question spécifiquement chrétienne, ni même confessionnelle. En réalité, leur sort regarde chaque habitant des régions concernées, car il est un indice clair et révélateur du degré de liberté et de sécurité dont bénéficie tout un pays. Les extrémistes et les obscurantistes auront beau faire, il n'empêche que ces minorités chrétiennes sont constitutives de l'histoire, de l'identité et de l'avenir du Proche et du Moyen-Orient.
Permettez-moi de citer en conclusion les sages paroles de monseigneur Gollnisch, président de l'OEuvre d'Orient. Évoquant ces persécutions, il a déclaré : « Ce ne sont pas des violences de musulmans contre des chrétiens. Ce sont des violences de fondamentalistes face à des gens de bonne volonté. Et parmi ces gens de bonne volonté, il y a des musulmans. Je ne pense pas du tout que la fracture se situe entre musulmans et chrétiens ». Nous devons tenir bon sur ces principes élémentaires d'humanité, de solidarité et de liberté religieuse. En Europe comme en Orient, quelles que soient nos origines, quelles que soient nos convictions et nos croyances, nous sommes tous frères en humanité. Et la France se doit d'être en première ligne dans ce combat.