Intervention de Michel Le Scouarnec

Réunion du 14 octobre 2015 à 14h30
Organisation de la manutention dans les ports maritimes — Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel Le ScouarnecMichel Le Scouarnec :

… mais qui, aujourd'hui victime d’une extinction de voix, n’est pas en mesure d’intervenir entendre.

La proposition de loi soumise à notre examen vise à clarifier juridiquement la priorité d’emploi reconnue aux ouvriers dockers, priorité que nous souhaitons voir préservée.

Elle est issue d’un travail de concertation approfondi, mené sous l’égide du Conseil général de l’environnement et du développement durable pour répondre à une situation d’urgence. Pendant six mois, ce sont tous les acteurs du secteur de la manutention portuaire qui ont été entendus : syndicats de dockers, représentants des entreprises de manutention, représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, autorités portuaires, membres de l’administration en charge du transport maritime et personnalités qualifiées. Les préconisations présentées par Mme Bonny à l’issue de ce travail sont des propositions d’équilibre, traduisant un consensus entre l’ensemble de ces acteurs.

Or les amendements adoptés en commission sur l’initiative du rapporteur ont profondément modifié le texte, réduisant à néant plusieurs mois de travail et les espoirs de nombreux salariés. Il est suffisamment rare qu’un tel consensus soit obtenu pour que nous, parlementaires, ayons la sagesse d’en prendre acte. C’est pourquoi nous en appelons à la raison et demandons à la majorité du Sénat de bien vouloir reconsidérer sa position, faute de quoi nous serions tentés de penser que certains aimeraient voir la situation se bloquer… Je n’ose l’imaginer !

Je ne doute pas du sérieux du travail accompli par M. le rapporteur ; mais peut-être a-t-il été trop sensible à certaines dissonances et, surtout, à l’idéologie qui veut casser tous les statuts protecteurs pour les salariés.

J’ajoute que certains ont voulu faire peur en laissant croire que tous les accords seraient caducs, alors que la charte ne s’appliquerait que pour l’avenir.

Si la majorité du Sénat ne revient pas à la raison, nous souhaitons que le Gouvernement s’engage à faire adopter à l’Assemblée nationale, à l’issue de la navette parlementaire, un texte conforme à l’accord trouvé grâce au dialogue social et à l’intelligence collective, en d’autres termes un texte qui soit fidèle aux préconisations du rapport Bonny.

Le texte issu des travaux de la commission maintient la clarification juridique consistant à rompre le lien entre priorité d’emploi et présence de dockers intermittents et conserve le travail de définition qui a été opéré, ce dont nous nous réjouissons. Malheureusement, la commission a effacé tous les autres aspects positifs de la proposition de loi.

Ainsi, à l’article 5, elle a supprimé la définition du docker occasionnel, c'est-à-dire un docker dont le contrat est régi par la convention collective unifiée, ce qui revient à favoriser le recours à l’intérim classique. Il y a là une position de principe qui ne résiste pas à l’analyse. Monsieur le rapporteur, dans l’exposé des motifs de l’amendement que vous avez fait adopter par la commission, vous expliquez vouloir lutter contre les corporatismes. Est-ce à dire que votre position est d’abord dogmatique ?

Pour notre part, nous considérons qu’il convient de maintenir la priorité d’emploi des ouvriers dockers occasionnels sur les intérimaires, parce que le statut de docker est associé à une convention collective unifiée qui protège l’ensemble de ces salariés, dans l’intérêt de tous.

Est-il donc si grave de protéger les salariés ?

Par ailleurs, ce régime répond aux objectifs de sécurité et de continuité des opérations de manutention. Il contribue aussi à mieux garantir le savoir-faire spécifique des ouvriers dockers, un savoir-faire d’autant plus précieux que l’amélioration des conditions de chargement et de déchargement de cargaisons qui sont parfois dangereuses est un objectif d’intérêt général.

Nous regrettons également que la commission ait fait le choix de s’abstenir de toute réflexion sur l’avenir du périmètre de la priorité d’emploi, alors que, à l’évidence, celui-ci semble menacé.

L’article 6, supprimé par la commission, prévoyait qu’un décret en Conseil d’État définirait un périmètre de priorité d’emploi justifié par la nécessité de garantir la sécurité des personnes et des biens. Il n’incluait pas dans ce périmètre les entreprises titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, renvoyant cette question à une charte nationale conclue entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives du secteur de la manutention portuaire. En effet, toute disposition législative établissant une priorité d’emploi générale serait regardée par l’Union européenne comme une atteinte aux règles de la libre concurrence. C’est d’ailleurs ce même argument que vous invoquez, monsieur le rapporteur, pour ne pas légiférer sur ce point.

Vous arguez également que des discussions sur les qualifications professionnelles requises auront lieu l’année prochaine au sein du comité du dialogue social sectoriel européen pour les travailleurs portuaires, de sorte qu’il conviendrait d’attendre. Nous ne partageons pas votre position. Nous considérons au contraire que la France doit agir vite pour promouvoir son modèle, celui du service public, dans les domaines mettant en jeu la sécurité et l’intérêt général, et qu’elle doit montrer le chemin d’une mise en conformité laissant du champ à la négociation collective.

Ainsi, nous souhaitons que la charte négociée entre en vigueur le plus rapidement possible, afin que le modèle français soit protégé.

Nous appelons également à un débat plus large sur la situation des ports français, dont ni la réforme de 1992 ni celle de 2008 n’ont enrayé le déclin. Alors que la mer recèle des possibilités immenses de développement industriel, comme le soulignent les conclusions du Grenelle de la mer, il serait intéressant d’approfondir l’analyse et les propositions au sujet de l’ensemble du secteur.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons contre la proposition de loi amendée par la majorité sénatoriale.

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