Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 14 octobre 2015 à 14h30
Organisation de la manutention dans les ports maritimes — Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Alain Vidalies, secrétaire d'État :

Je remercie l’ensemble des intervenants. Chacun a pu faire valoir l’approche qui lui est propre.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler que, dans cette affaire, nous devons avoir deux objectifs.

Le premier est celui de la sécurité des ports. À cet égard, tout le monde semble s’être accordé pour reconnaître que le professionnalisme des dockers est un atout pour les ports de notre pays.

Le second objectif a trait à la concurrence.

Si salariés et patrons sont parvenus à un accord, c’est bien que leur démarche était inspirée par cette double préoccupation, même si les deux parties n’ont peut-être pas fixé les mêmes priorités derrière ces objectifs !

On défend les principes de libre entreprise ou de liberté de commerce, mais encore faut-il que la concurrence soit loyale, que les règles soient les mêmes pour tout le monde. Le concept de concurrence loyale est très intéressant, car celle-ci, d’un côté, emporte des conséquences sociales – la concurrence déloyale implique souvent la mise en cause d’un certain nombre de règles sociales – et, d’un autre côté, suppose le respect des règles de la concurrence, c’est-à-dire le principe d’une compétition à armes égales.

Que trouve-t-on à l’origine du problème et quelle vision en ont les uns et les autres ?

Du point de vue des salariés, les pratiques concurrentielles mettent en cause ce qu’ils regardent comme un statut ainsi que l’esprit qui découle du droit social positif.

C’est sur la vision qu’ont les patrons à cet égard que nous avons un désaccord. Je n’approuve pas du tout la démarche suivie par la commission et la majorité sénatoriale sur ce point. En effet, si un accord a été possible, c’est aussi parce qu’un certain nombre d’entreprises ont constaté que la concurrence était faussée du fait de pratiques sociales qui ne respectent pas ce qui devrait constituer la règle commune.

Après que Mme Bonny a été désignée pour conduire la réflexion et formuler des propositions, il y avait deux issues possibles.

On pouvait choisir celle de la « loi de la jungle » : chacun fait ce qu’il veut et on verra bien ce qu’il adviendra… Dans cette hypothèse, un certain nombre d’acteurs économiques auraient été tentés d’utiliser le paramètre social comme facteur de concurrence, afin de faire la différence dans la compétition que les entreprises se livrent à travers les prix. On se serait alors retrouvé dans une situation de conflit entre entreprises et organisations représentatives des salariés.

Mais, aujourd’hui, nous ne sommes tout de même pas devant une page blanche ! Nous n’abordons pas ce débat en nous demandant ce qu’il est possible de faire pour améliorer les choses. Si cela avait été le cas, j’aurais compris votre démarche, monsieur le rapporteur ! Nous aurions été dans la situation habituelle où le Parlement délibère hors de toute contrainte. Mais, en l’occurrence, notre réflexion doit prendre en compte deux réalités que personne ne peut ignorer.

Tout d’abord, nous avons connu un conflit grave. Ce sont, du reste, les parlementaires concernés par celui-ci, monsieur le président de la commission, qui sont à l’origine de cette proposition de loi, et c’est bien normal.

Ensuite, nous sommes en présence d’un accord signé à la fois par les salariés et par l’UNIM, l’Union nationale des industries de la manutention, qui représente les intérêts patronaux dans les ports français, intérêts dont, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, vous entendez vous faire les défenseurs. Mais vous le faites en allant au-delà de la position que ces patrons ont eux-mêmes adoptée. Comprenez que nous soyons interloqués !

À la rigueur, nous aurions pu nous emparer de la première de ces deux réalités, puisque le Parlement peut être amené à intervenir à ce niveau. Cependant, nous nous trouvons devant un cas de figure auquel nous pourrions être confrontés de plus en plus souvent à l’avenir, et je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à y être très attentifs.

Au fond, je crois que l’évolution de notre société nous conduira assez fréquemment à rencontrer des situations dans lesquelles tout ne figurera pas nécessairement dans la loi ou dans un cadre juridique extrêmement strict et où il faudra faire confiance aux acteurs – sans que cette confiance soit aveugle, bien sûr – lorsqu’un accord majoritaire aura été conclu.

Lorsque les acteurs sur le terrain, opposés parfois par des intérêts contradictoires, annonceront qu’ils ont trouvé une solution, oui, nous aurons à nous interroger sur ce que doit faire le Parlement !

Ce problème ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui : en tant que parlementaire, alors même que je me trouvais dans l’opposition, je me rappelle la réaction que j’avais eue – on me l’a parfois reprochée – face à l’accord conclu sur la rupture conventionnelle du contrat de travail. J’étais alors plutôt hésitant sur l’intérêt de l’introduction d’une telle disposition dans le droit positif. Toutefois, alors porte-parole de mon groupe, j’avais déclaré qu’il fallait respecter cet accord parce qu’il était majoritaire – il avait été signé par tous les syndicats, à l’exception de la CGT.

Nous touchons là, me semble-t-il, au cœur du problème. En matière de démocratie sociale, il ne s’agit pas simplement d’être croyant ; il faut aussi être pratiquant !

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