Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 14 octobre 2015 à 14h30
Lutte contre le système prostitutionnel — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteur :

Pour autant, et contrairement à ce que l’on a parfois pu entendre, le texte transmis à l’Assemblée nationale comprenait indéniablement des améliorations très concrètes, qui ont d’ailleurs été conservées par nos collègues députés en deuxième lecture ou n’ont été modifiées qu’à la marge.

Ainsi, sur les vingt-trois articles qui restaient en navette à l’issue de la première lecture au Sénat, huit ont été adoptés dans les mêmes termes ou ont vu leur suppression confirmée par l’Assemblée nationale, et sept ne font l’objet que de divergences mineures entre les deux chambres.

S’agissant de l’accompagnement des personnes prostituées, le Sénat avait considérablement amélioré l’article 3 relatif à la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite et créant un parcours de sortie de la prostitution. L’Assemblée nationale a retenu l’essentiel de ces changements et l’équilibre trouvé au Sénat demeure préservé.

La commission spéciale avait élargi le champ des recettes, qui viendront alimenter le fonds pour la prévention de la prostitution créé à l’article 4 et intégré à la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. L’Assemblée nationale n’est pas revenue sur ces dispositions.

Notre commission spéciale a souhaité, en deuxième lecture, revenir, pour ce qui concerne l’article 3, à l’esprit du texte adopté au Sénat en première lecture, en prévoyant que l’ensemble des associations qui aident et accompagnent des personnes en difficulté puissent participer au parcours de sortie de la prostitution. Il nous paraît en effet essentiel de n’exclure aucune association de ce parcours et de garantir la continuité de la prise en charge des victimes.

J’en viens maintenant aux articles sur lesquels se concentrent les désaccords entre nos deux chambres.

Les députés ont rétabli les deux dispositions centrales du texte qui avaient été supprimées par le Sénat : l’abrogation du délit de racolage public et la responsabilisation pénale des clients. Mercredi dernier, la commission spéciale n’a pas réintroduit le délit de racolage dans son texte. Toutefois, elle a donné cet après-midi un avis favorable au rétablissement du délit de racolage actif. §En outre, elle a exprimé de nouveau un avis défavorable à la contravention d’achat d’actes sexuels.

En ce qui concerne le délit de racolage, j’estime à titre personnel que la position adoptée par le Sénat en première lecture n’est pas satisfaisante. En effet, le délit de racolage n’est pas un moyen efficace pour recueillir des éléments sur les proxénètes et sur les criminels de la traite des êtres humains. Entre la peur du réseau et celle de la justice, la personne prostituée a vite choisi : elle ne parlera pas en garde à vue.

Je rappelle que le code de procédure pénale offre des instruments beaucoup plus efficaces aux enquêteurs et qui leur permettent de recueillir des informations à la source : écoutes, géolocalisation, utilisation d’une identité d’emprunt sur internet, etc. Ce sont ces outils qui permettent aujourd’hui à la police ou à la gendarmerie de démanteler des réseaux.

J’ai cependant entendu les inquiétudes de ceux qui pensent qu’il ne faudrait pas se priver des éléments connus des personnes prostituées. Toutefois, pour donner un instrument efficace à la police et à la justice, il fallait innover. Il fallait changer la règle du jeu, et surtout inverser les rôles aux yeux des personnes prostituées, dès lors que celles-ci manifestent le désir de s’en sortir. Il est important que, enfin, la police et la justice soient de leur côté et les protègent contre les criminels, alors que ces personnes considèrent aujourd’hui le réseau comme leur allié face à la police et à la justice.

C’est pourquoi la commission spéciale a adopté l’amendement que je lui ai proposé à l’article 1er ter. Cette disposition offrira enfin une protection aux victimes des réseaux, dès lors qu’elles auront apporté un témoignage utile à la manifestation de la vérité dans le cadre d’une enquête et dès lors qu’elles seront menacées par les réseaux criminels.

Cette protection prendra la forme d’une série de mesures décidées par la Commission nationale de réinsertion et de protection, pouvant aller d’une simple aide matérielle et de mesures de réinsertion à un changement de domicile, voire à l’adoption d’une identité d’emprunt.

Les services ministériels concernés, notamment ceux de l’intérieur et de la justice, que nous avons rencontrés avec le président de la commission spéciale, Jean-Pierre Vial, sont prêts à mettre en œuvre ce dispositif, complétant celui qui est déjà prévu par l’article 6 du texte, qui permettra la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour aux personnes prostituées portant plainte contre leur proxénète ou témoignant dans une enquête.

Si cette mesure a été unanimement saluée par les membres de notre commission spéciale, une inquiétude a pu être exprimée par certains de mes collègues. Il est absolument indispensable que les mesures de protection soient mises en place très rapidement, dès que la personne prostituée a clairement manifesté sa volonté d’échapper à son réseau et de témoigner contre lui. Tout délai pourrait, en effet, avoir des conséquences gravissimes dès lors que le réseau sera informé de la démarche engagée. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, vous prononcer sur cet aspect de la question ?

En tout état de cause, je suis profondément convaincue que ce dispositif sera, pour lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite, infiniment plus efficace que ne l’est, actuellement, le délit de racolage.

J’en viens enfin à la responsabilisation des clients.

La commission spéciale a supprimé de nouveau cette disposition. On nous dit qu’une telle mesure risquerait d’augmenter la vulnérabilité des personnes prostituées. Je considère, au contraire, à titre personnel, qu’il est temps de faire comprendre aux clients qu’ils ont une lourde responsabilité en ce qui concerne la vulnérabilité et les souffrances subies par les personnes prostituées.

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