Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 14 octobre 2015 à 14h30
Lutte contre le système prostitutionnel — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Ce texte visait à supprimer le délit de racolage passif, infraction à la fois peu efficiente et à la logique ambiguë. Il s’agissait, lors de son instauration en 2003, de lutter contre les troubles à l’ordre public causés par les personnes prostituées, afin de rendre le phénomène de la prostitution invisible aux yeux des riverains. Il n’en a pas été pour autant éradiqué, mais repoussé dans des lieux de plus en plus isolés et reculés, donc de plus en plus dangereux pour les prostituées.

Douze années plus tard, le bilan du racolage passif est catastrophique, nous le savons : certes, la diminution de la visibilité de la prostitution sur la voie publique a été patente dans les premières années. Toutefois, ce constat s’est rapidement inversé, dès lors que le nombre de personnes mises en cause et le taux de poursuites n’ont cessé de diminuer.

Outre ces chiffres peu concluants, les conséquences ont également été sanitaires et sociales, puisque le délit de racolage passif et sa « crypto-logique » ont compliqué le travail des acteurs de terrain, notamment les associations, tout en dégradant les relations des personnes prostituées avec les forces de l’ordre.

Cette avancée prévue dans le texte et confortée par l’Assemblée nationale doit être préservée à tout prix.

En la matière, le parallélisme des formes est d’importance. Notre assemblée ne doit pas rétablir de nouveau, au cours de nos débats, le délit de racolage passif : ce serait une erreur, voire une faute. Je le dis à nos collègues de la majorité qui pourraient en être tentés...

À cet égard, il est significatif que la commission spéciale ait souhaité répondre aux inquiétudes concernant le tarissement des sources d’informations qui résulterait de l’abrogation d’un tel délit. Elle a, en effet, enrichi et renforcé la protection des personnes prostituées, en créant, à l’article 1er ter, un régime de protection similaire à celui qui est prévu jusqu’à présent pour les personnes qui, engagées dans des activités délictuelles ou criminelles à des degrés divers, ont finalement averti les autorités, permettant ainsi d’éviter la réalisation d’une infraction ou d’identifier d’autres auteurs ou complices.

Cette disposition de bon sens doit inciter les personnes prostituées à témoigner dans les enquêtes et en justice, fournissant ainsi des éléments précieux pour obtenir des condamnations significatives.

Cela nous conduit a contrario, aujourd’hui, à nous interroger sur la logique parallèle qui conduit certains à souhaiter la pénalisation des clients. La philosophe Élisabeth Badinter a eu l’occasion de souligner les contradictions inhérentes à une telle mesure ; son époux, l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, est également venu témoigner lors des auditions que nous avons réalisées avant la première lecture de la proposition de loi. Nous ne nions évidemment ni l’omniprésence des réseaux mafieux dans la prostitution, ni la traite humaine qui traverse les océans et les frontières, ni bien sûr la misère humaine et sociale qui est souvent à l’origine de la prostitution. Bien au contraire !

Qui peut aujourd’hui refuser de voir que la réalité quotidienne est très éloignée des images flatteuses, romanesques, que peut parfois véhiculer la littérature, celle de Kessel ou de Zola ? Non, les prostituées nigérianes ou chinoises n’ont rien de commun avec Belle de jour. Non, elles ne choisissent pas la marchandisation de leur corps. Oui, la prostitution en France est aujourd’hui majoritairement le fait de femmes clandestines soumises à la violence. Oui, du fait de contingences économiques et sociales aliénantes, elles sont bien victimes de réseaux mafieux, dont les bénéfices ont été évalués à 3 milliards d’euros par an.

Cependant, croit-on réellement éradiquer la prostitution en l’interdisant ? Nous sommes de ceux qui pensent que les logiques répressives en la matière n’ont que peu de sens et servent de palliatif malencontreux à l’inertie ou à l’impuissance en matière de lutte contre la traite humaine ou encore d’aide au développement.

L’abolition de la prostitution ne se fera pas par un biais purement juridique, par un énoncé tout simplement performatif, n’en déplaise à ceux qui privilégient cet aspect répressif. Aussi, comme en première lecture, nous nous opposerons aux amendements qui visent à rétablir soit la pénalisation du client, soit le délit de racolage passif.

Il faut lutter contre les réseaux mafieux en amont. Assister en aval, c’est le second versant de la lutte contre le système prostitutionnel. Il s’agit de venir en aide à ces personnes. Nous nous réjouissons que la navette parlementaire ait permis un enrichissement significatif de cet aspect du texte et que les deux assemblées soient tombées d’accord sur l’essentiel des principes.

Le renforcement des droits des personnes prostituées par la mise en place d’un parcours de sortie de la prostitution et la création d’un fonds dédié en font partie.

Nous saluons également l’intégration des personnes prostituées à la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux, ainsi que la possibilité pour les associations agréées de bénéficier d’une aide supplémentaire pour l’accompagnement de ces personnes.

Pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe RDSE apportera donc son soutien au texte issu des travaux de la commission spéciale.

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