Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du 14 octobre 2015 à 14h30
Lutte contre le système prostitutionnel — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons déjà eu de longues discussions sur cette proposition de loi ; je ne reviendrai donc pas sur les aspects techniques.

Au terme de nos débats en commission spéciale et dans l’hémicycle, je vois un point très positif : nous sommes d’accord sur deux principes fondamentaux.

Le premier est que les personnes prostituées doivent être globalement considérées comme des victimes qui ont besoin de protection et de considération.

Le constat est clair et partagé. Dans leur très grande majorité, ces personnes sont victimes de réseaux et de violences, souvent de la part de leurs clients. Dans leur très grande majorité, ces personnes n’ont pas choisi cette vie, elles la subissent. Quant à celles qui l’auraient peut-être choisie hier, elles la subissent aujourd’hui, car la prostitution est un aller simple. Il est difficile d’en sortir, d’autant qu’elle peut vous emmener jusqu’à un âge très avancé.

Ce point de vue est aujourd’hui majoritaire dans notre hémicycle.

Le deuxième principe fondamental qui nous unit, que nous partageons, est que nous sommes abolitionnistes : nous ne souhaitons ni légaliser ni réglementer la prostitution.

J’assume même le fait d’être néo-abolitionniste. Mon objectif est clairement la disparition, à terme, de la prostitution en France. En effet, si les personnes prostituées sont dignes de respect, la réalité de la prostitution n’est pas digne de la France.

La réalité de la prostitution, c'est la violence. Elle est une violence physique inouïe, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d'État. Elle est une violence psychologique. Elle est dans sa grande majorité une violence d’hommes sur des femmes. On peut mettre en avant des exceptions, mais cette réalité est celle de la majorité.

Il nous appartient maintenant de mettre nos actes en cohérence avec nos principes, de laisser de côté nos clivages politiques. Je ne vois pas dans ce débat de clivage politique : je n’imagine pas que la droite souhaite libéraliser la prostitution et que la gauche veuille l’étatiser.

Je ne souhaite pas non plus que, dans ce débat qui sera le dernier dans cet hémicycle sur cette proposition de loi, il y ait trop de lieux communs, d’impressions. Méfions-nous de ces « sentiments » tirés des discussions avec quelques cas isolés ; soyons rationnels, objectifs !

Je veux aussi vous rappeler que nous sommes le pouvoir législatif ; mieux encore, nous sommes le Sénat, la Haute assemblée, l’assemblée des libertés ! C’est tout de même ici que siégeait Victor Hugo, l’un des premiers à dire qu’il n’y avait pas de liberté des femmes dans la prostitution.

Certes, certaines personnes prostituées se réclament de leur libre choix, mais elles sont une minorité. Notre deuxième question doit donc être : agissons-nous pour une minorité ou pour la majorité ?

Nous avons maintenant le choix entre trois options.

La première consiste à libéraliser la prostitution. À part de rares exceptions assumées, peu de monde soutient ce choix.

Notre deuxième option est de faire disparaître la prostitution en réprimant l’offre, c’est-à-dire en réprimant les personnes prostituées. C’est un choix qui se justifie si l’on considère que la personne prostituée est coupable, qu’elle a fait un choix qui ne peut s’afficher dans l’espace public et que cette voie est efficace.

Ce fut peut-être le cas quand la prostitution était le fait de personnes libres, mais nous savons que la prostitution contemporaine est majoritairement subie. Nous savons malheureusement en outre que la répression du racolage n’est plus efficace aujourd'hui contre les réseaux ; on en démantèle d’ailleurs très peu.

Plus fondamentalement, comment pouvons-nous accepter que des personnes qui – nous le reconnaissons tous – sont victimes soient présumées coupables aux yeux de la loi ?

Ainsi, notre troisième option – qui est, je l’assume, éthique – est aussi de réprimer la demande, c’est-à-dire le client. Il s’agit d’une question tant de principe que de réalité. C’est en effet une question de réalité parce que l’argent des clients constitue la première source de financement des réseaux de traite. D’ailleurs cela ne finance pas que la traite : ce sont les mêmes réseaux qui financent le terrorisme.

Or la prostitution est un marché, un business : sans offre, pas de demande et sans demande, pas d’offre !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion