Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir participer à ce débat préalable au Conseil européen de jeudi prochain. Nous avons préparé cette réunion ce matin lors du conseil Affaires générales qui rassemblait les ministres des affaires européennes à Luxembourg.
Je souhaite particulièrement vous remercier, monsieur le président, ainsi que la conférence des présidents, d’avoir organisé ce débat à une heure propice à un échange approfondi avec les membres de la Haute Assemblée dont je connais l’intérêt pour les questions européennes.
La crise des réfugiés et la situation en Syrie sont les deux questions les plus urgentes et les plus importantes qui sont inscrites à l’agenda européen et seront donc les deux principaux sujets à l’ordre du jour de cette réunion.
Selon l’agence FRONTEX, qui a publié ces données chiffrées ce matin, 710 000 personnes ont franchi les frontières de l’Union européenne au cours des neuf premiers mois de l’année, contre 282 000 pour l’ensemble de l’année dernière. On parle aujourd'hui de un million de réfugiés et de migrants, voire plus, qui pourraient rejoindre l’Allemagne en 2015.
Certains fuient la guerre et la dictature ; d’autres la misère et le sous-développement. Tous regardent vers l’Europe, qu’ils voient comme une terre de sécurité et d’espoir. Beaucoup tombent dans les mains de passeurs criminels qui les jettent sur les routes et sur les mers et les exposent ainsi à des dangers mortels. Plus de 3 000 migrants sont morts en Méditerranée depuis le début de l’année. Jamais l’Europe n’a fait face à de tels mouvements de population depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce sont les valeurs de l’Union européenne, sa crédibilité au regard de ses principes, sa capacité à contrôler ses frontières communes et la solidarité de ses États membres face à ce défi qui sont aujourd'hui en jeu.
Le Conseil européen extraordinaire du 23 septembre et les conseils des ministres de l’intérieur des 14 et 22 septembre dernier ont fixé les quatre orientations de la réponse européenne.
La première orientation a trait au respect du droit d’asile et à la solidarité entre États membres avec, notamment, la décision de répartir 160 000 réfugiés à partir des centres d’enregistrement et d’accueil.
La deuxième concerne précisément la mise en place de ces centres dans les pays de première arrivée, à commencer par la Grèce et l’Italie. L’objectif visé est la distinction entre, d’une part, les réfugiés ayant besoin de protection internationale, conformément à nos engagements internationaux et à nos lois internes et, d’autre part, les migrants économiques, qui n’ont pas l’autorisation de venir en Europe.
La troisième orientation vise le renforcement du contrôle des frontières et la lutte contre les passeurs, avec l’opération EUNAVFOR Med, désormais baptisée « Sophia ». Cette opération bénéficie du soutien du Conseil de sécurité des Nations unies pour ce qui concerne l’arraisonnement et la destruction des embarcations utilisées par les passeurs, une fois, bien sûr, les migrants sauvés. En outre, les participants aux réseaux de trafic d’êtres humains peuvent être déférés devant la justice.
Enfin, la quatrième orientation est relative aux accords de réadmission et à la mise en œuvre des retours, en lien avec les pays d’origine et de transit et dans le cadre d’accords de coopération.
Le Conseil européen de jeudi prochain devra donc d’abord s’assurer de la mise en œuvre des orientations fixées, de l’application effective, au plan interne comme externe, de toutes les décisions prises en tenant en compte de leur cohérence. En effet, nous croyons que la soutenabilité du système d’asile en Europe dépend de l’effectivité des contrôles aux frontières, de la solidarité entre États membres, de la responsabilité de chacun d’entre eux pour ce qui relève de son droit interne et du traitement des causes avec les pays d’origine et de transit.
Telle est la conviction qu’ont présentée, après les décisions du Conseil européen sur ces sujets, le Premier ministre devant l’Assemblée nationale et le ministre de l’intérieur devant la Haute Assemblée. Il s’agit de la position constante défendue par la France depuis le début de cette crise.
La Commission européenne publiera demain une communication qui fera un état des lieux précis de la mise en œuvre de ces décisions, en particulier concernant les relocalisations, la mise en place des fameux hot spots et l’assistance aux pays tiers.
D’ores et déjà, des moyens budgétaires ont été dégagés sur le budget européen en 2015 et d’autres le seront en 2016, pour un total de 1, 7 milliard d’euros. Ils permettront d’augmenter l’enveloppe du Fonds Asile, migration et intégration et du Fonds de sécurité intérieure, de renforcer les effectifs de l’agence FRONTEX, du Bureau européen d’appui en matière d’asile et d’Europol, d’accroître notre effort en matière d’aide humanitaire, de renforcer la dotation du trust fund mis en place en réponse à la crise syrienne, de fournir une aide accrue aux pays tiers accueillant des réfugiés venant de Syrie, aide dont le Premier ministre vient de rappeler la nécessité lors de son déplacement en Jordanie.
Au-delà de la vérification de la mise en œuvre des décisions déjà prises, le Conseil européen fixera aussi un ensemble d’orientations complémentaires dans les trois domaines suivants.
Il s’agira tout d’abord de la coopération avec les pays tiers d’origine et de transit.
Premièrement, l’objectif visé par l’Union européenne est maintenant l’adoption rapide d’un plan conjoint d’action avec la Turquie. Celui-ci portera, d’une part, sur l’assistance aux réfugiés et aux communautés d’accueil en Turquie, pour permettre leur stabilisation et leur intégration sur place, et, d’autre part, sur la lutte contre les trafics et l’immigration irrégulière au départ de ce pays. Ce plan, discuté avec le président turc Erdogan lors de sa visite à Bruxelles le 5 octobre, est en cours de négociation avec les autorités turques, qui présentent de leur côté des revendications spécifiques dans le cadre de leurs relations au sens large avec l’Union européenne. Cette négociation est difficile, mais elle doit aboutir rapidement, en respectant le cadre existant concernant ces relations.
Deuxièmement, il s’agit de mettre en œuvre les décisions prises lors de la conférence qui s’est tenue à Luxembourg le 8 octobre avec les représentants des pays des Balkans. Ces décisions ont notamment trait à l’assistance humanitaire, car ces pays sont devenus la principale route de transit et ont été débordés par l’afflux de migrants. Ces derniers ne souhaitent généralement pas rester dans ces pays, mais la question de l’urgence humanitaire se pose tout de même. Les discussions portent aussi sur la lutte contre les filières de passeurs et les organisations criminelles, notamment avec les pays des Balkans occidentaux non membres de l’Union européenne.
Troisièmement, en ce qui concerne l’Afrique, le Conseil européen préparera le sommet de La Valette qui se déroulera les 11 et 12 novembre prochain entre l’Union européenne et l’Union africaine et qui portera sur les réponses à apporter aux causes profondes des migrations en provenance du continent africain. Il y sera notamment question du soutien aux projets de développement économique et social dans les pays d’origine, du renforcement des capacités des États africains en matière de sécurité et de contrôle des frontières, de l’appui aux pays de transit, comme le Niger, des accords de réadmission et des migrations légales.
Ensuite, autre domaine complémentaire dans lequel le Conseil européen de ce jeudi fixera des orientations : le renforcement des frontières extérieures de l’Union, selon trois axes.
Le premier axe concernera l’établissement d’un système plus intégré de gestion des frontières extérieures.
Le deuxième axe visera l’utilisation complète de l’actuel mandat de FRONTEX pour déployer les équipes d’intervention rapide aux frontières, lesquelles existent déjà en théorie sous le nom de « Rapid border intervention teams », ou RABIT – l’acronyme n’est peut-être pas très heureux –, et qui doivent pouvoir être mobilisées.
Le troisième axe a trait, sur la base de l’acquis de Schengen et dans le respect des traités, à l’extension du mandat de l’agence FRONTEX pour doter celle-ci d’un cadre juridique et de moyens plus appropriés et plus vite mobilisables. L’objectif serait d’établir un système et un corps de gardes-frontières et de gardes-côtes européens pour venir rapidement en appui aux États membres confrontés à des situations exceptionnelles. Il est vrai que c’est déjà l’esprit des opérations maritimes Poséidon et Triton menées par FRONTEX en Méditerranée, puisque des États membres affectent des moyens marins ou aériens et des experts à la surveillance d’une frontière extérieure commune, en l’occurrence en Italie et en Grèce. Néanmoins, nous voulons nous orienter vers un système de gardes-frontières européen fondé sur une réserve mobilisable en permanence et mis en application avec l’accord de l’État membre confronté à une urgence exceptionnelle ; le ministre de l’intérieur a fait des propositions à ses collègues en ce sens.
Enfin, le troisième domaine concernant les orientations vise le renforcement de l’efficacité des politiques de retour. En la matière, parallèlement à l’ouverture rapide de hot spots et aux relocalisations, il faut mettre en œuvre effectivement la directive Retour et créer au sein de FRONTEX, dans le cadre du mandat actuel de cette agence, une équipe dédiée au soutien des États membres.
Toutefois, il faut aussi élargir le mandat de FRONTEX pour lui donner la possibilité d’organiser des opérations de retour au départ d’un seul État membre alors que, actuellement, l’agence ne peut procéder au retour de réfugiés que s’ils sont déboutés du droit d’asile dans plusieurs États membres.
Par ailleurs, il nous faut aussi promouvoir auprès des pays tiers la mise en place de laissez-passer consulaires européens.
Tels seront évidemment les principaux objets de la rencontre des chefs d’État et de gouvernement de jeudi prochain. Néanmoins, au-delà de la crise migratoire, et en lien évidemment avec elle, les débats porteront également sur la situation en Syrie et en Libye, sur la nécessaire coordination des positions et de l’action des États membres concernant ces deux crises. Le conseil Affaires étrangères qui s’est réuni hier et au sein duquel je représentais la France a adopté des conclusions sur la Syrie et la Libye sur lesquelles s’appuiera le Conseil européen.
Au sujet de la Syrie, le conseil Affaires étrangères a repris les trois grandes priorités de la France.
La première consiste à lutter contre le terrorisme, qui frappe de manière aveugle les chrétiens comme les musulmans, en Syrie, dans les autres pays de la région et en Europe. La France a pris ses responsabilités en déclenchant des frappes contre des centres d’entraînement de Daech où se préparaient des attaques sur son sol. Cette lutte doit aujourd’hui mobiliser l’ensemble de la communauté internationale.
La deuxième priorité est d’assurer une transition politique, car c’est la seule voie qui permettra une sortie durable de la crise que traverse la Syrie. Nous soutenons donc pleinement les efforts du représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Staffan de Mistura, pour parvenir à cette transition, et nous avons besoin que l’ensemble des acteurs internationaux – la Russie, les États-Unis, l’Europe et les pays de la région, notamment la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Iran – s’engagent tous dans cette voie ; telle est la teneur du message envoyé hier par les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne.
En s’appuyant sur les principes du communiqué de Genève, il faut désormais rassembler en Syrie les membres de l’opposition modérée qui rejettent le terrorisme ainsi que les éléments du régime qui ne sont pas impliqués dans des crimes de guerre pour que cette transition puisse se mettre en place.
Mais il est clair que cette transition devra se faire sans Bachar al-Assad, qui est le principal responsable des 250 000 victimes de la guerre depuis 2011, du massacre de son peuple et de la continuation de cette guerre civile. Il ne peut représenter l’avenir de la Syrie et il n’y aura pas de paix durable avec son maintien.