Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans l’ordre du jour pléthorique – une fois de plus – du prochain Conseil européen, un point paraît véritablement central : l’actuelle crise migratoire. En effet, l’Europe fait face à un afflux exceptionnel de réfugiés sans réussir à mettre en place une politique commune basée sur la solidarité.
La difficulté est avant tout politique : les États membres peinent à avoir une réelle approche européenne de la situation. Ils se sont enfermés dans des approches nationales et gèrent la crise en ordre dispersé.
Même si la dynamique du couple franco-allemand est positive, elle n’est évidemment pas suffisante pour surmonter les flux qui iront certainement grandissants, compte tenu de l’instabilité croissante aux frontières. Dès lors, la solution ne peut se focaliser que sur des mesures sécuritaires de court terme, qui plus est assez peu efficaces.
Ainsi, des murs ont été dressés par le gouvernement de la Hongrie aux frontières du pays avec la Serbie et la Croatie ; demain, la frontière slovène suivra sans doute. Nous avons bien vu en d’autres points du globe que là n’est pas la solution : les murs exacerbent les tensions et ne sont que des pis-aller. Ils renvoient le problème en un autre point, mais ne le résolvent pas. Ils constituent surtout un aveu d’échec qui révèle une rupture entre le bon et le mauvais côté, entre la paix et la guerre.
Certes, des centres d’enregistrement des réfugiés seront mis en place en Grèce et en Italie ; il importe pourtant surtout d’agir en amont, et ce non pas sous le seul angle des interventions militaires, même si celles-ci sont parfois nécessaires.
Le flux des migrants vers l’Europe est aussi, souvent, la résultante des terrifiantes conditions d’accueil des populations déplacées dans les pays proches de la Syrie et de l’Irak. Dans l’urgence, il faut consacrer bien davantage de moyens européens à l’accueil humanitaire sur zone. Là-bas, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes vivent dans des conditions à peine descriptibles ; il faut également permettre à ceux qui le souhaitent de rester à proximité de chez eux.
Dans l’analyse de cette situation, il ne faut en effet pas confondre immigration économique et demande d’asile. Le plus souvent, lorsqu’on migre pour des raisons économiques, c’est pour s’intégrer, avec sa famille, à moyen ou long termes, voire définitivement, dans le pays d’accueil qu’on a choisi. La demande d’asile se fonde quant à elle, en général, sur un choix plus douloureux, par défaut et à titre transitoire. L’exil n’est jamais une décision heureuse !
La plupart de ceux que nous voyons arriver aujourd’hui en Europe avaient un métier, une vie intégrée et parfois un bon mode de vie dans leur pays d’origine.
Un sondage récent, réalisé en Allemagne auprès d’un échantillon de 900 réfugiés, souligne que seuls 13 % d’entre eux y sont venus pour des raisons économiques ; les autres, qui forment la très large majorité, fuient un risque pour leur vie.
Monsieur le secrétaire d’État, des bruits inquiétants courent actuellement à propos d’une possible réduction des moyens mis en œuvre par l’Union européenne dans les camps et les zones d’accueil. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est réellement ?
À mes yeux, il importe aussi de s’attaquer frontalement aux réseaux de passeurs, véritable mafia qui s’est structurée en toute impunité autour des principaux points d’embarquement. Selon le criminologue italien Andrea di Nicola, le trafic en Méditerranée génèrerait un chiffre d’affaires qu’il évalue a minima à près de 700 millions de dollars ! Ces sommes sont ensuite réinvesties dans d’autres activités criminelles.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur l’action actuelle menée par l’Union européenne en matière de lutte contre les passeurs ?
La question des moyens mis en œuvre pour faire face à cette crise dite « des migrants » est bien évidemment cruciale. Une telle crise entraîne d’importants besoins de financement.
Sur ce point, il semblerait que, en marge de la dernière assemblée générale du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Lima, des discussions informelles aient eu lieu entre Bruxelles et Berlin au sujet d’une possible augmentation des ressources propres du budget européen pour faire face à ces besoins. L’hypothèse évoquée, qui a ensuite été démentie par le gouvernement allemand, est celle d’un impôt européen spécial, qui prendrait la forme d’une surtaxe sur les carburants ou sur la TVA. Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais vous entendre à ce propos. Vous ne démentirez sûrement pas que nous recherchons actuellement de nouveaux moyens de financement pour nous permettre de répondre à ce défi. Quelle est la position de la France sur l’instauration d’un tel impôt ?
Ce présent afflux de réfugiés n’est malheureusement sans doute qu’un avant-goût de ce qui pourra arriver dans les prochaines années, quand le nombre des déplacés climatiques et environnementaux explosera. Nous sommes en effet entrés dans une ère d’instabilité climatique, ce qui exacerbe les facteurs belligènes existants.
J’en viens ainsi au deuxième point de mon intervention : la COP 21, grande absente de ce Conseil européen.
Ce fait est surprenant : on sait bien qu’il s’agit du dernier Conseil avant cette conférence, et l’on connaît le rôle que l’Union européenne prétend vouloir y jouer. C’est même inconvenant. De fait, à l’issue de ce Conseil, le Président de la République s’envolera pour Reykjavik, afin d’y présenter la feuille de route tant attendue de la France sur l’Arctique. Il profitera évidemment de ce déplacement pour sensibiliser les nombreuses institutions et entreprises présentes à la conférence Arctic Circle à la cause de la lutte contre le changement climatique.
Si j’osais, je suggérerais volontiers au Président de la République d’intervenir sur ce sujet lors du Conseil européen, afin d’insister sur l’importance de l’effort d’exemplarité de l’Union en la matière. Cela est d’autant plus crucial que, suivant les estimations de l’ONG Climate Action Tracker, compte tenu des contributions actuelles, nous n’arriverons à limiter la hausse de la température mondiale que de 2, 7 degrés, au lieu des 2 degrés espérés.
À mon sens, les objectifs de l’Union européenne sont traités de manière inégale : on insiste trop sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour laquelle un objectif de 40 % a été retenu, et ce au détriment de l’objectif fixé de 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. C’est particulièrement flagrant au vu de la position du précédent commissaire européen chargé de la concurrence, M. Joaquín Almunia. Au mois d’avril 2014, ce dernier avait en effet présenté un projet visant à mettre progressivement fin au régime dérogatoire au principe d’interdiction des aides d’État dont bénéficient les énergies renouvelables. Selon lui, le niveau de 14 % atteint par les énergies renouvelables au sein de l’approvisionnement énergétique européen était satisfaisant, alors même que l’objectif officiel est bien de 27 % !
Monsieur le secrétaire d’État, au nom de l’exemplarité dont nous devons être le reflet, ne devons-nous pas défendre le maintien de ce régime dérogatoire, afin d’atteindre cet objectif de 27 % d’énergies renouvelables ?
J’insiste sur ce dernier point, car bien des signes récents montrent que la nouvelle Commission européenne, en place depuis un an, s’avère beaucoup moins préoccupée que ses prédécesseurs par les questions environnementales et s’autorise même à ce sujet certaines libertés vis-à-vis des orientations politiques fixées démocratiquement par le Conseil européen et le Parlement européen. Nous devons être vigilants à ce sujet.