Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen abordera principalement trois thèmes : la crise migratoire, l’Union économique et monétaire et le référendum britannique, ces trois sujets ayant pour point commun de conduire les Européens à s’interroger sur leur volonté de poursuivre leur union et sur la manière de la mettre en œuvre.
Vous avez longuement commenté la crise migratoire et l’avenir de Schengen, monsieur le secrétaire d’État, et mes collègues vous poseront plusieurs questions de fond sur ce point au cours du débat interactif et spontané. Pour ce qui me concerne, je vous engage à défendre une stratégie fondée sur deux piliers indissociables : d’une part, la France ne doit pas déroger aux engagements humanitaires qui sont les siens à l’égard de réfugiés fuyant la guerre et les violences, d’autre part, elle doit être ferme et organisée quant aux hot spots, au renforcement concret des capacités des gardes-frontières et au développement des relations avec les pays d’origine.
La suite de mon intervention portera sur les deux autres points à l’ordre du jour du Conseil européen, à commencer par l’Union économique et monétaire.
Depuis 2008, la crise économique et financière puis la crise des dettes souveraines ont cruellement mis en lumière les défauts de conception originels de la monnaie unique. On le savait dès le départ, un rapprochement des politiques nationales était nécessaire, dans les domaines du budget, du déficit, de la fiscalité, de l’harmonisation sociale, ou encore des stratégies économiques. Si cette nécessaire convergence a trop longtemps été ignorée, elle fait aujourd'hui l’objet d’un large consensus.
Depuis 2009, les réels progrès de la coordination et de la surveillance budgétaires, la création du mécanisme européen de stabilité, ou encore la mise en place de l’Union bancaire ont constitué des avancées décisives sur la voie de la consolidation de l’Union économique et monétaire. Les projets actuels d’achèvement du marché unique dans des domaines tels que le numérique, l’énergie ou les capitaux vont également dans ce sens et doivent être soutenus.
Toutefois, les menaces qui ont pesé ces derniers mois sur l’intégrité de la zone euro ont renforcé la conviction qu’il fallait aller plus loin dans l’intégration économique. Ce constat est aujourd’hui largement partagé, et pourtant il n’existe pas encore, tant s’en faut, de consensus sur la méthode et le rythme à suivre pour parvenir à cet objectif.
Dans ce débat, bien sûr, nous ne pouvons faire abstraction du contexte politique. La défiance à l’égard du processus d’intégration européenne est aujourd’hui malheureusement largement partagée. Il nous faut donc avancer de manière pragmatique, dans le cadre des traités existants.
S'agissant de la France, qui décroche chaque jour un peu plus par rapport aux économies européennes les plus dynamiques, c’est la question des réformes indispensables, aujourd'hui très insuffisantes, qui se pose - nous aurons l’occasion d’en parler longuement dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
À l’échelle européenne, il nous faut avant tout poursuivre le renforcement de la coordination de nos politiques budgétaires et de nos politiques économiques grâce à un semestre européen renforcé, simplifié, sans doute plus axé sur la situation d’ensemble de la zone euro, élargi aux politiques sociales et de l’emploi qui doivent nécessairement prendre toute la place qui leur revient dans le champ de la coordination économique.
De même, dans le domaine fiscal, la nécessité d’un rapprochement est de plus en plus acceptée, même si la matière est difficile et nécessite l’unanimité, parce qu’elle touche au cœur de la souveraineté et du débat démocratique national. Les travaux actuels sur la transparence des rescrits fiscaux ou sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés doivent nous permettre d’enclencher une dynamique vertueuse.
Je voudrais plaider sans attendre, monsieur le secrétaire d’État, pour l’organisation de réunions interparlementaires au sein de la zone euro. Il n’y a aucun obstacle à l’organisation de telles réunions, sur l’initiative, par exemple, de la présidence luxembourgeoise, qui permettraient de réaliser un travail de fond entre parlementaires nationaux mobilisés sur ces sujets. Permettez-moi une référence toute strasbourgeoise : le lieu de la réunion existe ; c’est bien sûr le Parlement européen de Strasbourg ! Tout cela serait possible, chers collègues, sans qu’il soit besoin ni de traités ni d’une institution formalisée créée officiellement. Nous sommes nombreux dans cette enceinte à participer régulièrement à des réunions interparlementaires sur différents sujets.
Je voudrais aussi m’inquiéter très officiellement, monsieur le secrétaire d’État, que ni la Chancelière Angela Merkel ni le Président François Hollande n’aient évoqué le sujet de l’Union économique et monétaire à la hauteur de ce qu’il devrait être la semaine dernière dans leur intervention devant le Parlement européen de Strasbourg.
J’en viens maintenant à la situation britannique, aux doutes exprimés par nos amis britanniques quant à leur appartenance à l’Union européenne et au vraisemblable référendum, organisé au plus tôt au mois de mai prochain, au plus tard au mois de mai de l’année suivante.
J’ai eu l’occasion d’analyser la Review of the Balance of Competences, un travail remarquable et unique en Europe d’analyse complète des politiques sur une base consensuelle. Disons-le d’emblée, les Britanniques ont toujours entretenu un rapport particulier à la construction européenne, qu’ils envisagent de manière très pragmatique comme un projet d’essence économique plutôt que politique. Bien sûr, l’union toujours plus étroite, ou ever closer union, évoquée dans les traités n’a jamais fait partie des priorités de leur projet européen et, pour eux, le marché unique est le cœur du projet.
Pour autant, ce référendum, malgré les nombreuses incertitudes qui pèsent sur son issue, ne doit pas être interprété comme une volonté de rupture. Une négociation est souhaitée, vous le savez, entre les dirigeants britanniques et européens, et elle doit prendre toute sa place.
Le chef du Gouvernement britannique, David Cameron, a abandonné l’idée de rapatriements massifs de compétences vers Londres ou de modification des traités. La finalité de cette négociation sera donc non pas d’aménager un nouveau statut pour le Royaume-Uni, mais plutôt de répondre à l’analyse approfondie de l’incidence des politiques européennes et d’apporter des réponses claires, d’autant que les Britanniques posent un certain nombre de questions fondamentales qui concernent au fond tous les Européens : l’Union européenne est-elle un facteur de prospérité pour ses citoyens ? Concentre-t-elle son action sur les domaines où elle peut produire des résultats ? Élabore-t-elle des législations suffisamment souples et efficaces ? Respecte-t-elle les espaces démocratiques nationaux ? Et puis – demande spécifiquement britannique –, quel statut peut-elle offrir aux pays qui ne souhaitent pas adhérer à la monnaie unique ?
Ma conviction est que le Royaume-Uni a besoin de l’Europe autant que l’Europe a besoin du Royaume-Uni, et qu’une séparation aurait des conséquences négatives pour tous. C’est pourquoi il est important d’engager la discussion avec nos amis britanniques et de trouver des réponses équilibrées et constructives aux points qu’ils soulèvent : l’approfondissement du marché unique, le recentrage de l’action européenne sur certains domaines clés, l’élaboration de réglementations plus efficaces, ou encore le rôle accru des Parlements nationaux. Ces points pourraient d'ailleurs faire l’objet d’un consensus, puisque ce sont des thématiques sur lesquelles nous pourrions apporter des solutions constructives.
Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les quelques sujets que je souhaitais relever, dans un dialogue qu’il nous faudra amplifier avec les Britanniques sur le point de la libre circulation, sur lequel, pour le coup, il n’est pas question de revenir. Nous devrons rester fermes sur nos convictions européennes…