Intervention de Harlem Désir

Réunion du 13 octobre 2015 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 octobre 2015

Harlem Désir :

Je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble des orateurs de leur contribution à ce débat.

Monsieur Billout, je vous le confirme – j’ai évoqué cette question dans mon propos liminaire –, nous soutenons, tout comme le Sénat – M. le président de la commission des affaires européennes vient de le rappeler –, la création de gardes-frontières européens. Nous allons donc travailler afin de faire partager cette conception par l’ensemble des États membres et de faire en sorte qu’elle puisse être mise en œuvre de manière opérationnelle. Je note que le président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, l’a reprise à son compte

Par ailleurs, le système de relocalisation partagée, que nous avons adopté sur la base de 160 000 réfugiés identifiés dans les pays de première arrivée, en Italie et en Grèce, est déjà une exception au règlement de Dublin, afin de prendre en compte une situation exceptionnelle et d’urgence. Mais ce règlement instaure aussi un principe important de responsabilité. Face à la situation inédite à laquelle nous sommes confrontés, nous devons à la fois venir en aide, de manière solidaire, aux pays où les réfugiés se rendent pour entrer dans l’Union européenne et conserver des mécanismes qui assurent que chaque État membre veille, de manière responsable, aux conditions de franchissement de ses frontières et à l’identification des migrants qui relèvent de la protection internationale et de ceux qui n’en relèvent pas.

Certes, comme vous l’avez fait remarquer, monsieur le sénateur, à juste titre, me semble-t-il, il n’y a pas de bons et de mauvais migrants. Pour autant, il existe des règles et des engagements qui sont différents pour l’asile et pour les autres formes de migration, que celle-ci ait lieu au titre d’un motif économique, d’un regroupement familial, ou encore des études. La France accueille, tous les ans, des migrants au titre de ces autres formes de migration. Mais l’asile, qui est, comme l’a rappelé Jean-Yves Leconte, un engagement pris par la France aux termes de conventions internationales, assure une protection individuelle à des personnes qui sont en danger, que ce soit en raison d’une guerre, d’une dictature, de persécutions, ou encore de leur origine.

Si nous voulons accueillir les réfugiés qui fuient une crise d’une exceptionnelle gravité, je pense en particulier à la Syrie, nous devons disposer d’un système soutenable, qui fasse la part entre réfugiés au titre des conventions de Genève et migrants économiques. Sinon, on le constate dans certains États membres, le refus de l’asile finit par l’emporter. Or nous devons garantir le droit d’asile.

La réponse à la crise passe non pas uniquement par la répartition des réfugiés qui arrivent en Europe, mais aussi par une aide aux pays d’origine, de transit, ou encore voisins, par exemple la Turquie, le Liban ou la Jordanie dans le cas des Syriens déplacés en raison de la guerre, de façon que ces personnes puissent rester dans ces pays. La dégradation de la situation dans les camps, gérés notamment par le HCR, et le manque de financement ou d’approvisionnement, y compris en ce qui concerne la nourriture fournie par le Programme alimentaire mondial des Nations unies, font partie des causes de cet exode lié à la misère et à la guerre, exode qui a pris une dimension sans précédent et une tournure dramatique.

Quant à la taxe sur les migrants, il s’agit d’une idée qui a été évoquée par la presse allemande, mais qui n’a pas fait l’objet d’une proposition des autorités de ce pays. D’ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse résoudre une crise de cette nature par la création d’un impôt. Il existe évidemment des besoins budgétaires, et des moyens ont été dégagés pour faire face à un certain nombre d’obligations. Ces sommes devront être prélevées sur les budgets européens de 2015 et de 2016, comme sur les budgets nationaux.

Jean-Yves Leconte a insisté sur la nécessité d’aller vers un système d’asile européen commun et d’établir une liste de pays d’origine sûrs qui soit la même pour toute l’Union européenne. Nous partageons cet objectif. C’est vrai, la France est l’un des rares pays à délivrer des visas aux fins de demander l’asile, ce de manière ponctuelle. C’est par exemple le cas pour les chrétiens d’Irak, et elle souhaite encourager une coopération consulaire avec les autres États membres sur ce sujet. Pourquoi les réfugiés qui veulent demander l’asile devraient-ils se jeter entre les mains de passeurs et traverser la mer ou des déserts au péril de leur vie ?

Néanmoins, tous les réfugiés ne pourront pas trouver asile en Europe. La réponse relève de l’ensemble de la communauté internationale, les États-Unis et d’autres pays devant aussi prendre leur part dans l’accueil des réfugiés de la guerre en Syrie.

André Gattolin a souligné, à juste titre, la difficulté d’une réponse coordonnée et politique, mais celle-ci est aussi objective. En effet, les différents pays de l’Union européenne ne sont pas confrontés de la même façon à cette crise, en raison tout d’abord de leur situation géographique – la Grèce, l’Italie et certains pays des Balkans sont des pays d’arrivée sur la route des migrations –, mais aussi des objectifs des migrants, qui veulent se rendre dans certains pays en particulier, notamment l’Allemagne, la Suède ou la Grande-Bretagne – nous le vivons à Calais. Il a donc fallu faire un effort pour que tous les États membres de l’Union européenne comprennent qu’ils devaient partager la charge de cet accueil. Vous avez eu raison d’insister, monsieur le sénateur, sur le fait que ce partage allait de pair avec une coordination plus étroite en matière de politique étrangère.

Par ailleurs, la COP 21 ne sera pas absente des débats du Conseil européen. Nous avons demandé que le Président de la République puisse faire un point sur la question et le président Donald Tusk l’a accepté. En effet, la mobilisation doit se poursuivre, même si l’Union européenne a été exemplaire, l’incitation à adopter des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ayant fait l’objet d’une décision du Conseil européen au mois d’octobre 2014. L’Union a également transmis sa contribution bien avant les autres pays – seule la Norvège a été aussi rapide ! La question des financements doit également nous conduire nous mobiliser. Enfin, la diplomatie européenne a tout son rôle à jouer pour convaincre la quarantaine d’États qui n’ont pas encore transmis leur contribution nationale de le faire d’ici à l’ouverture de la conférence.

Pour ce qui concerne le budget, j’ai évoqué les dotations supplémentaires prévues pour les agences de l’ONU, le HCR, le Programme alimentaire mondial et d’autres agences d’aide aux réfugiés : elles représenteront un complément de 200 millions d’euros en 2015 et de 300 millions d’euros en 2016, un effort équivalent étant demandé aux États membres.

Même si David Rachline n’est plus présent pour entendre mes explications, je ne peux que lui dire que vingt-huit réponses nationales à la crise des réfugiés ne feraient qu’ajouter de l’incohérence aux difficultés objectives auxquelles l’Union européenne et ses États membres doivent aujourd’hui faire face. Et je ne peux que souligner le côté paradoxal de son intervention dans laquelle, en prétendant défendre la nation, il a accusé son pays, la France, d’être responsable de la guerre en Syrie, ce que personne d’autre ne fait sur cette planète ! En revanche, il a vanté les mérites du régime syrien et des bombardements de la Russie sur les positions des opposants modérés au régime. Je lui laisse donc la responsabilité de ces propos incohérents, inconséquents et irresponsables.

Jean-Claude Requier a insisté lui aussi sur l’importance de la solidarité dans cette crise des réfugiés. Pour ce qui concerne l’Union économique et monétaire, l’UEM, sujet sur lequel plusieurs autres orateurs sont intervenus, il a souligné la nécessité d’une convergence qui doit non pas se limiter à la politique budgétaire, mais s’étendre aussi à la politique fiscale. Le Président de la République a réaffirmé cette priorité au mois de juillet, lorsqu’il s’est exprimé sur les leçons à tirer de la crise grecque et sur les étapes futures de l’intégration économique et monétaire, mais il l’a également rappelée devant le Parlement européen.

Je réponds par là même à Mme Keller : ce sujet a bien été abordé dans les interventions du Président de la République et de la Chancelière Angela Merkel lors du long débat qui a eu lieu à Strasbourg. La presse n’en a relaté qu’une partie, mais la coordination des politiques économique, sociale et de croissance au sein de l’Union économique et monétaire a également été évoquée. Je souscris à votre diagnostic sur l’état de l’UEM, madame la sénatrice : la crise a mis en lumière ses défauts de conception, la convergence a été trop ignorée. Depuis 2009, des progrès ont été réalisés par étapes, avec la mise en place du mécanisme européen de stabilité, que le Sénat a ratifiée en 2012, et de l’Union bancaire, qui a progressé en 2013 et en 2014, même s’il faut encore mettre en place le mécanisme de garantie des dépôts. Comme vous, je souhaite évidemment que nous allions plus loin, non pas parce que la France « décroche »…

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