Intervention de Harlem Désir

Réunion du 13 octobre 2015 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 octobre 2015

Harlem Désir, secrétaire d'État :

La France se réforme, se redresse et il faut s’en féliciter !

Nous voulons approfondir l’Union économique et monétaire, parce que la zone euro doit être, à l’avenir, une zone de croissance forte, d’innovation, d’investissements et non pas une zone de croissance faible et de chômage élevé. Pour cela, il faut que nous disposions de nouveaux outils de coordination de nos politiques économiques, mais aussi de contrôle démocratique et parlementaire. Vous avez évoqué l’idée de réunions interparlementaires au sein de la zone euro qui pourraient se dérouler à Strasbourg – ce serait en effet le lieu le plus indiqué. Notre objectif, Philippe Bas l’a également évoqué, est l’émergence, à terme, d’un véritable parlement de la zone euro.

Pour ce qui concerne le Royaume-Uni, la Review of the Balance of Competences que vous avez évoquée a plutôt montré que, contrairement à une idée reçue dans ce pays, aucune des politiques de l’Union européenne n’entrave la mise en œuvre des orientations décidées par les autorités britanniques. Le référendum aura lieu malgré tout. Selon nous, le Royaume-Uni doit rester dans l’Union européenne, c’est son intérêt et aussi celui de l’Europe. Nous attendons que les dirigeants britanniques formulent leurs demandes. Philippe Bonnecarrère a insisté sur le fait qu’il fallait se préparer à cette négociation, mais avant que celle-ci ait lieu, encore faudrait-il que les Britanniques disent sur quoi ils souhaitent la voir porter.

Je vous confirme, monsieur le sénateur, que, lorsque le Président de la République s’exprime sur ce sujet, il défend bien la position officielle de notre pays. À Strasbourg, devant le Parlement européen, il a répondu à un député britannique hostile à l’Union européenne, avec des termes plus respectueux que les vôtres dans la forme – puisque vous avez évoqué le « sourire de la crémière » –, mais identiques sur le fond : l’appartenance à l’Union européenne crée non seulement des droits, mais aussi des obligations ; pour bénéficier des politiques communes, il faut en respecter le cadre. Nous n’avons pas de doutes sur le fait que le gouvernement britannique lui-même – puisque le Premier ministre David Cameron l’a dit – souhaite le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Un certain nombre de sujets ont été évoqués de façon informelle par les autorités britanniques, qu’il s’agisse de l’amélioration du fonctionnement de l’Union ou de la lutte contre les abus sociaux, et des réponses peuvent être apportées dans l’intérêt général de l’Union européenne. En revanche, comme l’a dit Fabienne Keller, on ne saurait admettre la remise en cause de principes fondamentaux, comme la liberté de circulation, ou des politiques communes de l’Union européenne.

Nous verrons donc, à l’occasion de ce Conseil européen, si le Royaume-Uni souhaite préciser davantage ses intentions, mais nous voulons travailler à traités constants. Nous souhaitons que l’Europe se consacre à l’essentiel, c’est-à-dire à la réponse aux urgences que sont la crise migratoire, la lutte contre le terrorisme – les grands enjeux de stabilité internationale –, qu’elle concentre ses efforts sur l’amélioration de ses politiques économiques au service de la croissance, de l’emploi et de l’investissement, plutôt que de s’engager dans un processus institutionnel long et complexe, très éloigné des préoccupations des citoyens et à l’issue incertaine, parce qu’il relèverait d’une série de ratifications, notamment référendaires, dont personne ne peut préjuger le résultat. Nous pensons donc qu’il faut inciter nos amis britanniques à adopter une approche pragmatique – en général, c’est leur point fort ! – au lieu de s’accrocher à tout prix à l’idée de modifications institutionnelles.

Madame Morin-Desailly, vous avez soulevé la question de la stratégie numérique. Dans ce domaine, le Gouvernement partage votre préoccupation quant au risque que l’Union européenne ne devienne un marché dont les acteurs seraient non européens – je pense, en particulier, aux grandes multinationales américaines. Cette question comporte donc des enjeux de régulation des plateformes, des enjeux de concurrence pour les acteurs européens, des enjeux fiscaux également. Tel est le sens des priorités que nous défendons. La Commission européenne a publié une communication dont l’approche, à notre sens, est trop centrée sur les consommateurs et sur l’accès au marché. Nous pensons que de nombreux autres enjeux méritent d’être envisagés, en particulier ceux des droits d’auteurs, du financement de la création, de l’émergence de champions européens. Nous travaillerons donc en lien étroit avec l’Assemblée nationale et le Sénat pour que ces positions soient prises en compte lors de l’adoption des législations européennes relatives au numérique.

Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez voulu connaître la position de la France sur les demandes de l’Italie et de l’Autriche concernant le pacte de stabilité et les dépenses imprévues que la crise des réfugiés pourrait entraîner. Nous soutenons ces demandes qui ont été plutôt bien accueillies à ce stade par la Commission européenne. Nous n’avons pas formulé d’objections, car il nous semble bien que cette situation relève des circonstances exceptionnelles prévues dans le pacte de stabilité.

Dans le débat qui va s’ouvrir sur le pacte de stabilité et sur l’avenir de la zone euro, le point important concernera les suites à donner au rapport des cinq présidents, comme vous l’avez rappelé. Il faut examiner en détail ce que pourrait être le comité budgétaire consultatif. Sur ce point, nous ne souhaitons pas affaiblir les pouvoirs de la Commission européenne. Certains ministres des finances ont évoqué l’idée de dissocier le rôle d’exécutif européen et d’animation politique de la Commission de son rôle de surveillance budgétaire, mais nous ne pensons pas qu’il faille désarticuler les compétences de la Commission, même si des structures spécifiques peuvent être créées en son sein. Nous estimons qu’il faut renforcer le contrôle parlementaire au sein de la zone euro et aller vers un parlement de la zone euro. Nous sommes ouverts, sur ce point, à une discussion avec les parlements nationaux et avec les États sur la façon de constituer ce parlement. Cependant, à notre sens, les parlements nationaux doivent exercer une part de ce contrôle – tout comme le Parlement européen, évidemment –, parce qu’ils sont l’autorité budgétaire dans chacun des États membres et ne peuvent donc pas être tenus à l’écart de la coordination des politiques budgétaires et des politiques économiques au sein de la zone euro.

Nous sommes favorables à une évolution qui tendrait à la constitution d’une capacité budgétaire de la zone euro – une forme de Trésor –, liée pas forcément à un mécanisme d’assurance chômage, mais plutôt à une capacité d’investissement. Les ressources doivent faire l’objet d’une discussion : on peut imaginer, entre autres, l’utilisation d’une part du produit de la taxe sur les transactions financières. Il est également possible de s’inspirer du mécanisme européen de stabilité qui a été constitué à partir de dotations budgétaires, mais dont l’effet de levier est extrêmement puissant. Ce mécanisme très utile joue un rôle défensif lorsque survient une crise, comme dans le cas de la Grèce, mais on pourrait imaginer qu’il comporte un volet mis à disposition de politiques d’investissement au service de la croissance dans la zone euro. Dans ce domaine, notre ligne rouge, je l’ai rappelée, est le respect des valeurs de l’Union européenne.

Monsieur le président de la commission des lois, vous avez identifié les défis posés par les flux migratoires et rappelé les principes républicains de l’intégration. Pour l’essentiel, je m’associe à votre diagnostic. Vous avez également rappelé que la voie était étroite. Or tel est bien le point de vue que nous avons défendu avec constance et cohérence depuis le début de cette crise vis-à-vis de nos partenaires européens : respect du droit d’asile, contrôle des frontières, solidarité entre les États membres, politiques de coopération avec les pays d’origine et de transit. C’est en traitant l’ensemble de ces sujets de façon cohérente que nous arriverons à surmonter cette crise, dans le respect de nos valeurs.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, vous avez raison de le souligner, tous les États membres n’ont pas la même culture de l’asile et un nouveau défi va se présenter, après qu’une décision a été acquise à la majorité qualifiée concernant la répartition des réfugiés. Il va falloir en effet s’assurer que chacun assume sa part de l’accueil.

Il me semble que c’est indispensable. En effet, on l’a bien vu au début de cette crise, l’une des difficultés à laquelle nous avons été confrontés tenait au fait que les pays de première arrivée refusaient d’enregistrer l’ensemble des réfugiés s’ils n’avaient pas la certitude que la répartition serait mise en œuvre. À défaut, tous les réfugiés resteraient dans deux pays seulement, à savoir l’Italie et la Grèce, voire dans trois, avec l’Allemagne, où ils tenteraient de se rendre.

Si nous voulons que le système de contrôle aux frontières extérieures soit mis en place efficacement dans les centres d’enregistrement et d’accueil, les hotspots, il faut que l’ensemble des États membres acceptent d’accueillir la part de réfugiés qui leur a été assignée.

Par ailleurs, nous soutenons la création d’un corps de garde-frontières européens ainsi que le financement des agences de l’ONU.

Enfin, beaucoup d’entre vous ont insisté sur la Turquie. C’est aujourd’hui un partenaire clé pour la maîtrise de cette crise migratoire. Il est évident que ce pays, qui est candidat à l’adhésion à l’Union européenne et qui est lié par beaucoup d’accords, notamment d’union douanière, avec l’Union, rencontre des difficultés objectives – il a eu à accueillir 2 millions de réfugiés syriens. Aussi, ce pays doit être mis en situation et en capacité de mieux lutter contre les filières de l’immigration illégale et les réseaux de passeurs, qui ont fait converger tant de migrants sur cette route des Balkans via la Grèce.

Le plan d’action en cours de négociation sera évidemment tout à fait décisif pour permettre de juguler ces flux, de protéger les réfugiés contre les passeurs et de mettre en application notre politique de façon beaucoup plus équilibrée.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais vous apporter. Pour terminer tout à fait, je vous remercie de la qualité de ce débat, marqué par des interventions équilibrées. Je sais la Haute Assemblée très attentive au dialogue avec le Gouvernement sur une politique qui demande du temps et de la ténacité. Face aux populismes, qui, dans bien des pays, empoisonnent le débat, il nous faut faire preuve de raison et de pédagogie.

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