Intervention de Robert Hue

Réunion du 6 mai 2010 à 9h30
Élimination des armes à sous-munitions — Adoption d'un projet de loi

Photo de Robert HueRobert Hue :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions que nous examinons ce matin, nous arrivons au terme d’un long processus qui marque une importante avancée du droit humanitaire international, en particulier concernant la protection des populations civiles, qui sont les principales victimes de ces armes.

Nous devons maintenant adapter dans notre droit national les dispositions de la convention dite d’Oslo.

Lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions, ici même en septembre dernier, j’avais eu l’occasion d’évoquer le lent cheminement de plusieurs années qui avait été nécessaire pour aboutir à cette étape significative sur la voie du désarmement.

J’avais également souligné le rôle déterminant joué par les organisations non gouvernementales, sur le plan tant national qu’international, pour sensibiliser les opinions publiques à cette cause et pour peser sur les décisions des gouvernements.

Je ne reviendrai pas sur ces points, car il ne s’agit pas ce matin de rappeler des thèmes que nous avons déjà évoqués, notamment en septembre dernier.

En revanche, il convient d’apprécier à sa juste valeur le résultat de tous ces efforts. Je voudrais notamment relever le rôle très positif joué par notre pays tout au long de ce processus, bien qu’il ait souvent dû être aiguillonné par des organisations non gouvernementales telles que Handicap international, la Croix-Rouge ou bien encore Amnesty International, comme c’est d’ailleurs leur rôle.

Pour ne prendre que la dernière période, nos armées ont retiré du service les armes interdites par la convention bien avant la signature de cette dernière.

La France a très rapidement ratifié cette convention, et nous examinons les mesures législatives nécessaires à son application avant même la date de son entrée en vigueur sur le plan international.

Je reconnais volontiers que cela témoigne concrètement de la volonté, conforme à nos valeurs républicaines, de parvenir à l’élimination totale de ces armes tellement contraires au droit humanitaire.

L’affirmation de cette volonté pèse d’un grand poids à travers le monde quand on sait non seulement le rôle que joue notre pays sur le plan international en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, mais aussi la place qu’il tient parmi les grandes puissances militaires.

Globalement, ce projet de loi d’adaptation dans notre droit national traduit fidèlement l’ensemble des avancées positives contenues dans la convention d’Oslo, que ce soit à propos de mesures précises de transparence sur la destruction des stocks et la rétention de ce type d’armes, de sanctions pénales fortes ou bien encore de l’établissement d’une juridiction extraterritoriale permettant de sanctionner ces activités commises à l’étranger par des ressortissants français.

Le projet de loi va même dans certains cas un peu plus loin, par exemple en élargissant la notion d’assistance aux activités illégales définies par la convention.

Notre commission a utilement précisé et complété quelques aspects portant sur les définitions, la destruction des stocks et surtout l’élargissement du champ d’intervention de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel.

Cela étant, je regrette que, sur certains aspects, et non des moindres, le projet de loi qui nous est présenté ne soit pas plus précis et plus contraignant par rapport à certaines obligations contenues dans la convention.

Je comprends tout à fait que l’urgence soit aujourd’hui de convaincre les nombreux pays n’ayant pas encore signé ou ratifié cette convention – elle constitue un minimum – de le faire. J’estime pourtant que notre pays pourrait, avec d’autres, créer un effet d’entraînement en prenant quelques mesures importantes précisant certaines obligations. Je vise là très concrètement la question de l’interdiction des investissements et des financements par les États signataires des activités qui ont trait aux armes à sous-munitions.

En effet, la convention d’Oslo, dans le paragraphe 1(c), de l’article 1 permet implicitement d’interdire aux États signataires de financer ou d’investir dans des entreprises fabriquant ou commercialisant ces armes. Je dis « implicitement », car cela est évoqué de façon détournée par l’obligation faite aux États de ne pas « assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute activité interdite » par la convention.

Ces formulations très générales entraînent une incertitude juridique qui permet de nombreuses interprétations de nature à échapper aux interdictions. Je regrette donc, monsieur le ministre, que l’on considère l’interprétation assez large de ces notions comme pouvant suffire à interdire partiellement ces financements.

Il me semble pourtant qu’il y a là une ambiguïté qu’il faudrait lever. Ce serait un acte très concret marquant davantage encore notre engagement dans le combat contre les armes à sous-munitions.

Il y a bien une ambiguïté dans cette position, car pourquoi affirmer une interdiction sans se donner tous les moyens de la faire respecter ? Par parenthèse, cette réflexion est également valable pour d’autres domaines de l’action gouvernementale.

Il est évident que le financement ou l’investissement dans ce type d’activités est l’une des conditions de leur existence. Dès lors, il faut que les choses soient clairement énoncées dans la loi.

Monsieur le ministre, écoutez ce que vous disent les associations qui se préoccupent de cette question. Prenez également en compte l’une des recommandations formulées par cette haute autorité administrative indépendante qu’est la Commission nationale consultative des droits de l’homme : « [...] afin de lever toute ambiguïté juridique sur le principe comme sur l’interprétation […], la CNCDH recommande d’inscrire de manière explicite dans la loi l’interdiction des investissements et financements, tant directs qu’indirects, dans des entreprises menant, même partiellement, des activités prohibées et liées aux armes à sous-munitions ».

Une telle mesure traduirait concrètement la ferme volonté de la France d’éliminer ces armes et permettrait de se mettre en conformité avec des réalités existant déjà dans notre pays et à l’étranger.

En France, par exemple, à la suite d’une action conjointe menée depuis 2006 par les branches françaises d’Amnesty International et de Handicap International, de grands groupes financiers et d’assurance se sont ainsi publiquement dotés de codes de bonne conduite excluant toute forme d’investissement ou de financement dans ce secteur. Adopter une telle disposition législative ne pourrait donc que les conforter dans leur action.

Parallèlement, d’un point de vue strictement économique et non plus simplement éthique, la position de pays comme le Luxembourg et la Nouvelle-Zélande, qui ont interdit ces financements, ou comme la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas, qui prévoient de le faire, devrait lever la crainte qu’a le Gouvernement de porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises. Je réponds ainsi aux arguments que vous aviez avancés à l’époque.

Enfin, il faudrait à mon avis également compléter cette mesure par l’élargissement de la compétence extraterritoriale de nos juridictions à la possibilité de poursuivre des personnes morales pour ces délits. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés sur ce texte.

En conclusion, monsieur le ministre, le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche souhaite que vous preniez en compte ces remarques.

Compte tenu de l’importante avancée que représente globalement ce texte en faveur du droit humanitaire international, il votera le projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions.

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