Intervention de Catherine Troendle

Réunion du 20 octobre 2015 à 14h30
Agressions sexuelles sur mineur — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en début d’année, coup sur coup, deux affaires – l’une en Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine – sont venues rappeler que des violences sexuelles imposées aux enfants dans l’enceinte scolaire constituaient encore une cruelle actualité dans notre pays et, par là même, un terrible aveu d’impuissance pour la République.

Les faits, commis dans des lieux censés apporter une totale protection aux enfants, ont effectivement été l’œuvre de deux personnes soupçonnées d’actes pédophiles graves et qui ont continué à exercer leurs activités professionnelles auprès de mineurs alors même qu’elles avaient été condamnées pour détention d’images pornographiques plusieurs années auparavant.

Le 24 mars dernier, les médias ont annoncé que les ministères de la justice et de l’éducation nationale avaient diligenté une enquête administrative conjointe, confiée à leur inspection générale respective, dont le rapport définitif n’a été rendu public qu’au mois de juillet suivant.

Le 4 mai suivant, les ministres de l’éducation nationale et de la justice se sont rendues à Villefontaine pour y présenter les conclusions provisoires de la mission chargée de faire la lumière sur la transmission d’informations relatives aux poursuites et condamnations pénales de deux enseignants.

Il a été démontré que les informations n’avaient pas été communiquées à l’éducation nationale. La conclusion provisoire faisait précisément état de « dysfonctionnements majeurs », laissant apparaître que « l’échange d’informations entre l’autorité judiciaire et l’institution scolaire n’est pas efficient ».

Le Gouvernement a alors annoncé l’élaboration d’un projet de loi pour combler ces lacunes. Mais c’est en définitive un amendement au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DDADUE pénal », qui, de façon quelque peu précipitée, a été déposé. Nous connaissons la suite : la disposition a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel.

En l’absence de transmission rapide, par le Gouvernement, d’un véritable texte de loi sur le sujet, j’ai mené une réflexion qui m’a conduite, à l’instar du député Pierre Lellouche à l’Assemblée nationale, à déposer une proposition de loi sur le bureau du Sénat. Nos deux textes, je le précise, ont été précédés par une excellente proposition de loi, déposée par notre collègue député, Claude de Ganay, qui complète parfaitement nos démarches respectives.

Il faut se rendre à l’évidence, en dépit d’une parole de plus en plus libérée dans notre société – et c’est heureux - sur ces agissements criminels, aussi bien dans l’administration qu’au sein des familles, et malgré des dispositions du code pénal et du code de l’action sociale et des familles encadrant avec toujours plus de précisions le risque pédophile, sa répression et le suivi des personnes incriminées, seize révocations d’enseignants sont encore intervenues, en 2014, pour de tels motifs !

Où se situent les dysfonctionnements ? Ils sont liés au non-respect de la circulaire n° 97-175 du 26 août 1997, qui porte instruction concernant les violences sexuelles et détermine la ligne de conduite censée être suivie au sein du ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’au non-respect de la dépêche du 29 novembre 2001 relative à l’avis à donner aux administrations à l’occasion des poursuites pénales exercées contre des fonctionnaires et agents publics.

Il apparaît donc que c’est au stade de la condamnation qu’une faiblesse de notre droit demeure, faiblesse ayant pu conduire aux récents « dysfonctionnements ». En fait, l’interdiction d’exercer toute profession au contact d’enfants imposée aux personnes concernées par ce type de crimes ou de délits est considérée comme une peine complémentaire laissée à la libre appréciation du juge. Temporaire ou bien définitive, cette interdiction peut être décidée par le juge en complément d’une peine principale.

Mais au-delà de l’éducation nationale et, en général, de la fonction publique, qui est malheureusement souvent pointée du doigt, d’autres structures recevant un public mineur sont parfois le théâtre de ces violences faites aux enfants. Ainsi, au mois de mai dernier encore, dans l’Eure, un directeur de centre équestre récidiviste a été accusé de viols sur quatre jeunes filles. Il avait déjà été condamné en 2007 et figurait sur le fichier des délinquants sexuels.

Avec le dépôt de cette proposition de loi, mon objectif a été d’assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs – partout où ils sont susceptibles de se trouver, et non uniquement dans le cadre de l’école publique – contre les auteurs d’agressions sexuelles, tout en respectant notre ordre constitutionnel.

Pour mettre un terme à ces situations dangereuses, il s’avère nécessaire de rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs, pour toute personne condamnée pour crime ou délit sexuel contre des mineurs.

Il y a urgence à présent, car, l’Assemblée nationale ayant déjà débattu de ces dispositions, notamment en examinant l’amendement au DDADUE pénal, nous pouvons presque considérer que nous procédons aujourd'hui à une deuxième lecture. Et le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions adoptées alors pour des motifs constitutionnels – l’amendement était un cavalier législatif -, et uniquement pour cela.

Compte tenu de ces éléments, il a semblé normal – et donc urgent – aux soixante-seize membres du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC ayant signé cette proposition de loi et à moi-même d’inscrire celle-ci dans le premier espace de la session ordinaire réservé au groupe Les Républicains.

Une demande d’engagement de la procédure accélérée a été soumise par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, à M. le Premier ministre, car nous voulions être sûrs de ne pas perdre de temps. Mais je suis déçue, madame la garde des sceaux, par la réponse de ce dernier. M. le Premier ministre nous a effectivement fait savoir que la procédure d’urgence ne serait pas retenue. Je ne comprends pas cette décision ! Comme je viens de l’indiquer, nous sommes parvenus, à peu de chose près, au stade de la deuxième lecture. Le texte de la proposition de loi a été validé ; il est équilibré sous l’angle tant de l’objectif visé que du respect de l’ordre constitutionnel.

Doit-on en conclure que le Gouvernement souhaite privilégier son propre projet de loi qui, encore soumis pour avis au Conseil d’État, n’est pas inscrit à l’ordre du jour ?...

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