Intervention de François Zocchetto

Réunion du 20 octobre 2015 à 14h30
Agressions sexuelles sur mineur — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes de nouveau réunis, trois mois après l’échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.

Je vous le rappelle, à l’époque, nous nous étions opposés à la méthode retenue par le Gouvernement et par les députés, consistant à insérer dans ce projet de loi de nombreux articles additionnels, sans lien avec le texte d’origine. Mais nous avions également émis des réserves de fond, concernant un certain nombre de dispositions que nous réétudions aujourd'hui.

Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a donné totalement droit au Sénat, en annulant vingt-sept articles du DDADUE introduits par l’Assemblée nationale. Cette décision très importante a permis de faire respecter les droits de notre assemblée. Elle prohibe également, à l’avenir, des extensions non maîtrisées du champ des textes de transposition.

Pour autant, nous étions bien évidemment convenus, lors de l’examen du projet de loi précité, qu’il y avait matière à travailler. C’est ce qu’a fait Catherine Troendlé, montrant ainsi que le Sénat est pleinement conscient de certaines failles de notre législation et qu’il est déterminé à les combler le plus rapidement possible. Je salue donc son initiative et la qualité de son travail.

À la suite des faits évoqués par l’auteur de la présente proposition de loi, avec votre collègue ministre de l’éducation nationale, madame la garde des sceaux, vous avez diligenté une inspection conjointe. Le rapport qu’elle a produit, de très bonne qualité, n’a cependant été rendu public qu’à l’issue de l’examen du texte dit « DDADUE ».

Voilà trois mois, le Gouvernement a confondu vitesse et précipitation et réagi dans l’émotion, au risque de porter gravement atteinte à nos principes constitutionnels, alors qu’il y avait matière à examiner ces questions rapidement, certes, mais dans la sérénité.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui.

Ainsi, l’article 30 de la loi censuré par la suite par le Conseil constitutionnel prévoyait une transmission systématique à l’autorité administrative des informations concernant les condamnations des agents publics, ce qui ne soulève bien évidemment aucune difficulté de principe. Mais il était également prévu une information sur les procédures pénales en cours, contrevenant ainsi gravement – c’est là que tout se complique – à la présomption d’innocence.

Mes chers collègues, vous savez combien sont délicates ces affaires ; il revient au législateur la tâche très difficile de suivre une ligne de crête particulièrement étroite : d’un côté, nous devons assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs ; d’un autre côté, nous devons respecter les principes constitutionnels garants de notre État de droit.

De ce point de vue, l’approche retenue dans le cadre de la présente proposition de loi me semble beaucoup plus intéressante que celle qui prévalait dans le cadre du texte de juillet puisqu’elle vise les personnes reconnues coupables, ce qui permet de lever toute difficulté.

Par ailleurs, notre droit offre aux magistrats la possibilité de prononcer des peines principales et des peines complémentaires. La peine complémentaire qui nous intéresse dans le cas présent consiste en l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec les mineurs.

Deux chiffres prouvent que cette peine est rarement retenue. En 2013, dernière année de référence pour les statistiques, sur les 2 978 condamnations pour agressions sexuelles contre mineur, la peine complémentaire a été prononcée à 86 reprises. Par ailleurs, sur les 1 600 condamnations pour mise en péril de mineurs, il a été fait recours à 74 reprises à une telle peine.

C’est ainsi que le procureur général de Versailles a récemment demandé aux parquets de son ressort de requérir systématiquement cette peine complémentaire en cas d’infraction sexuelle contre un mineur et d’interjeter appel tout aussi systématiquement des décisions qui ne suivraient pas ces réquisitions.

Par conséquent, la commission des lois a approuvé le principe d’une peine complémentaire obligatoire, en apportant à ce dispositif les adaptations nécessaires pour en garantir la conformité à la Constitution. Elle propose ainsi de renverser le principe : cette peine complémentaire s’appliquera, sauf décision contraire spécialement motivée du juge, la juridiction conservant toute latitude d’appréciation en choisissant de prononcer cette interdiction à titre temporaire ou à titre définitif.

S’agissant de l’information de l’autorité administrative en cas de condamnation ou de procédure pénale en cours, objet de l’article 3 de la proposition de loi, la commission a adopté un dispositif très largement inspiré de l’article 30 de la loi DDADUE qui avait obtenu le soutien – c’est peu de le dire – à la fois des députés et du Gouvernement.

La proposition qui vous est soumise, mes chers collègues, se limite à une obligation d’information de l’administration de tutelle portant sur les condamnations pour infraction sexuelle contre mineur : cela peut paraître une évidence, mais c’est déjà un progrès par rapport au droit en vigueur.

Il pourra nous être rétorqué que le temps qui s’écoulera entre la commission des faits et le prononcé de la condamnation est trop long. Je comprends cet argument. Toutefois, il existe dans notre droit pénal une mesure de sûreté, à savoir le contrôle judiciaire. Ce cadre procédural est parfaitement adapté au sujet dont nous débattons. C’est pourquoi la commission propose que le juge d’instruction ait la faculté d’interdire à la personne mise en examen d’exercer une activité au contact de mineurs.

Le texte élaboré par la commission prolonge ce raisonnement : il prévoit que, sauf décision contraire spécialement motivée, tout agent public ou toute personne exerçant une activité sous le contrôle de l’administration, travaillant au contact de mineurs et mise en examen pour une infraction sexuelle contre mineur soit obligatoirement placée sous contrôle judiciaire, l’autorité de tutelle en étant systématiquement informée.

On nous a fait observer qu’un tel dispositif n’empêcherait pas, pour autant, que certains cas passent au travers des mailles du filet. En effet, un grand nombre de procédures ne donnent pas lieu à la saisine d’un juge d’instruction, mais sont directement conduites par le procureur dans le cadre d’une enquête préliminaire. De fait, moins de 5 % des affaires pénales sont traitées par un juge d’instruction.

Je comprends également cet argument. Toutefois, cette objection dépasse largement notre sujet. Si nous voulions que les procureurs qui suivent les enquêtes puissent prononcer des peines complémentaires, il faudrait alors leur donner la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, ce qui constituerait un profond changement de notre procédure pénale. Ce n’est pas le moment pour en discuter.

J’estime cependant que, dans le cas où se présenterait une grosse difficulté, le parquet pourrait aussitôt saisir un juge d’instruction et requérir le placement sous contrôle judiciaire.

Avec l’accord de son auteur, que je remercie, la commission a supprimé l’article 5 de la proposition de loi qui prévoyait l’augmentation des quanta de peine applicables en cas de condamnation pour détention ou consultation d’images pédopornographiques, ce afin d’éviter tout effet contreproductif.

En outre, nous avons décidé d’intégrer dans ce texte trois articles qui figuraient dans la loi DDADUE et qui faisaient l’objet d’un consensus.

Enfin, nous avons modifié l’intitulé de la proposition de loi pour en élargir le champ.

Tel est en résumé, mes chers collègues, l’état d’esprit dans lequel la commission des lois a examiné cette proposition de loi.

Cela dit, madame la garde des sceaux, je sais que le Gouvernement envisage de présenter au Parlement un nouveau projet de loi reprenant une partie des dispositions examinées l’été dernier dans le cadre de la loi DDADUE. Je le dis avec force et solennité : nous ne comprendrions pas que le Gouvernement, qui a demandé toutes ces mesures, s’opposât à la présente proposition de loi au seul motif qu’il s’agit d’un texte d’origine parlementaire. Ce serait mal vécu, car cette proposition de loi reprend une partie des dispositions proposées par Dominique Raimbourg et ses collègues députés.

Puisque, me semble-t-il, vous aviez donné votre agrément à toutes ces mesures, je ne comprendrais pas que vous ne nous apportiez pas votre soutien, d’autant plus que, comme votre collègue Najat Vallaud-Belkacem, vous voulez aller vite. Alors, saisissez le premier véhicule législatif à votre disposition ! Quand bien même le Premier ministre a refusé d’engager, comme l’avait demandé le président du Sénat, la procédure accélérée, nous sommes prêts, en accord tant avec nos collègues de l’Assemblée nationale qu’avec vous-même, à faire avancer très rapidement ce texte.

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