Intervention de Loïc Hervé

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 octobre 2015 à 9h30
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public — Examen du rapport pour avis

Photo de Loïc HervéLoïc Hervé, rapporteur pour avis :

Le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, déposé le 31 juillet 2015 sur le bureau de l'Assemblée nationale, constitue la transposition législative de la directive 2013/37 du 26 juin 2013 portant modification de la directive 2003/98 du 17 novembre 2003 relative à la réutilisation des informations du secteur public, dite « directive ISP ». Rappelons que cette transposition aurait déjà dû être effective à la date où le présent texte a été déposé à l'Assemblée nationale.

Aux fins de transposition, le projet de loi modifie plusieurs dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal, dite « loi CADA ».

Cette loi, qui, la première, a affirmé la liberté d'accès des citoyens aux documents administratifs, n'a cessé d'évoluer en faveur d'un accès étendu à ces informations. Le projet de loi n'y fait pas exception : les modifications qu'il introduit élargissent le champ de la loi de 1978 aux documents détenus par les opérateurs culturels. Elles portent également sur le traitement des demandes de réutilisation des informations publiques, ainsi que sur les redevances et accords d'exclusivité attachés à cette réutilisation.

La transposition de la directive précitée du 26 juin 2013 nécessite relativement peu de mesures législatives, d'abord parce qu'elle-même ne modifie qu'à la marge la directive ISP, mais aussi parce que la législation française satisfait d'ores et déjà à nombre des nouveaux objectifs assignés aux États membres.

De fait, la France, dont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoyait dans son article 15, dès 1789, que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », appartient aux nations les plus avancées en matière d'open data, entendue comme le libre accès aux données publiques par la voie numérique.

Initiée dès les années 1970 avec la « loi CADA », la transparence administrative a pris un nouvel élan avec l'arrivée du numérique et a progressivement été renforcée, depuis la fin des années 1990, par nos gouvernements successifs. On citera notamment l'adoption, en janvier 1998, du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI), la création de l'Agence du patrimoine immatériel de l'État (APIE) en 2007, le lancement du portail « data.gouv.fr » en 2011 ou encore la mise en place, en 2014, d'un administrateur général des données produites par l'État et ses opérateurs.

Ces initiatives ont contribué à ce que l'ONU classe récemment notre pays quatrième au monde pour l'accès aux données publiques, ce qui ne signifie pas que nous ne devons pas poursuivre nos efforts pour offrir plus de transparence à nos concitoyens.

La directive du 26 juin 2013 impose à la France de revoir son dispositif sur trois points : le champ des données réutilisables, la révision périodique des accords d'exclusivité et les principes de tarification de la réutilisation des informations publiques.

Le projet de loi visant à la transposer en droit français comprend neuf articles, dont plusieurs concernent notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication dans la mesure où ils visent à inclure dans le droit commun de l'accès aux informations publiques les documents détenus par les bibliothèques, y compris universitaires, les musées et les archives, jusqu'alors expressément exclus du champ de la directive du 17 novembre 2003.

L'article 1er abroge l'article 11 de la loi du 17 juillet 1978, afin d'inclure dans les obligations générales d'accès au public les documents produits ou reçus par les établissements d'enseignement de recherche, ainsi que par les établissements culturels.

L'article 2 modifie l'article 14 de la même loi et prévoit que, lorsqu'un droit d'exclusivité, dérogatoire au droit commun, est accordé à un tiers pour la réutilisation d'informations publiques, la période d'exclusivité ne peut excéder dix ans et fait l'objet d'un réexamen triennal. Une dérogation supplémentaire est instaurée pour les ressources culturelles : la période d'exclusivité peut être supérieure à dix ans dès lors qu'elle est accordée pour les besoins de leur numérisation. Un réexamen est alors prévu tous les sept ans. En outre, une copie des ressources numérisées devra être remise gratuitement et dans un format ouvert à l'établissement à l'origine de l'exclusivité. Enfin, les accords d'exclusivité devront être transparents et publics.

L'article 3 procède à la réécriture de l'article 15 de la loi de 1978 relatif aux redevances. Désormais, la gratuité devient le principe général en matière de réutilisation des informations publiques. Le projet de loi va ici au-delà des exigences imposées par la directive, ce que le Conseil d'État a estimé faisable. L'instauration d'une redevance demeure toutefois possible pour les organismes tenus de couvrir une partie de leurs dépenses par des recettes propres, dès lors qu'elle est plafonnée aux coûts marginaux de collecte, de reproduction, de mise à disposition et de diffusion des données.

Là encore, une dérogation supplémentaire est accordée au secteur culturel : l'instauration d'une redevance est également autorisée lorsque les documents réutilisés sont issus d'opérations de numérisation des fonds et collections des bibliothèques, musées et archives. Son montant peut alors également prendre en compte les coûts de conservation et d'acquisition des droits de propriété intellectuelle. Il s'agit ici de continuer de permettre aux partenaires des organismes culturels publics d'amortir leurs investissements dans le cadre des programmes, fort coûteux, de numérisation des ressources.

L'article 4 modifie l'article 16 de la même loi en élargissant le champ des cas où une licence peut être établie s'agissant de la réutilisation des données publiques : la délivrance d'une licence n'est plus seulement limitée aux cas où la réutilisation fait l'objet d'une redevance.

L'article 5 modifie l'article 17 de la loi de 1978 afin de prévoir que les modalités de réutilisation des informations publiques comme de calcul des redevances sont mises à la disposition du public dans un format ouvert. Aujourd'hui, l'obligation de communication des administrations en la matière est limitée aux seules personnes qui en font la demande.

L'article 6 complète l'article 25 relatif aux décisions de refus d'accès aux informations publiques. En l'état du droit, celles-ci doivent être notifiées par écrit et motivées. L'identité du titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le document doit également, le cas échéant, être mentionnée. Compte tenu de la surcharge de travail que cela occasionnerait pour les établissements concernés en raison de l'intégration de leurs documents dans le droit commun de la loi de 1978, les bibliothèques, musées et archives seront dispensés de cette dernière obligation s'agissant de leurs décisions de refus.

L'article 7 porte sur les conditions d'application des dispositions du projet de loi en Outre-Mer.

L'article 8 dispose que les accords d'exclusivité existants devront être mis en conformité avec les dispositions du projet de loi lors de leur premier réexamen suivant la promulgation du texte. S'agissant du secteur culturel, ces accords devront prendre fin à l'échéance du contrat ou, au plus tard, le 18 juillet 2043, comme le prévoit la directive.

Enfin, l'article 9 vise à autoriser le Gouvernement à intégrer, par voie d'ordonnance, ces nouvelles dispositions dans le futur code des relations entre le public et l'administration.

Au cours de sa réunion du 29 septembre, la commission des lois de l'Assemblée nationale - sa commission des affaires culturelles n'avait pas jugé utile de se saisir pour avis - a apporté, outre quelques précisions rédactionnelles, plusieurs modifications plus substantielles au projet de loi initial :

- avant l'article 1er, elle a inséré deux articles additionnels. L'article 1er A apporte une modification rédactionnelle à un intitulé de chapitre au sein de la loi du 17 juillet 1978, afin d'affirmer que la réutilisation des informations publiques constitue un droit. L'article 1er B prévoit, quant à lui, que les organismes du secteur public mettent leurs documents à disposition, aux fins de réutilisation, sous forme électronique et, si possible dans un format ouvert ;

- à l'article 3, elle a souhaité préciser, d'une part, que la liste des administrations autorisées à percevoir une redevance fera l'objet d'une révision tous les cinq ans et, d'autre part, qu'un décret établira la liste des informations pouvant donner lieu à l'établissement d'une redevance pour leur réutilisation ;

- à l'article 4, elle a rendu obligatoire la mise à disposition sous forme électronique des licences types pour la réutilisation d'informations publiques ;

- enfin, à l'article 6, elle a élargi aux décisions défavorables relatives à la réutilisation - et non plus seulement à l'accès - le champ de l'exception de motivation des refus formulés par les bibliothèques, services d'archives et musées fondés sur l'existence d'un droit de propriété intellectuelle.

La séance publique du 6 octobre n'a apporté que de minimes changements à l'équilibre trouvé en commission des lois de l'Assemblée nationale entre les objectifs ambitieux affichés par la France en matière d'open data et le texte moins téméraire de la directive européenne du 26 juin 2013, qui s'agit de transposer.

L'article 1er B a vu ses termes précisés. L'article 2, pour sa part, a fait l'objet d'une modification plus franche, puisqu'un amendement du rapporteur est venu limiter la durée des accords d'exclusivité conclus pour la numérisation des ressources culturelles à quinze ans - elle n'était pas bornée dans le texte initial - avec un réexamen au cours de la onzième et de la treizième année. Cette limitation ne s'appliquera toutefois pas aux accords conclus entre personnes publiques dans le cadre de leurs missions de service public, dans le respect du droit de la concurrence. Cette exception répond spécifiquement à la situation des musées liés à la Réunion des musées nationaux (RMN), laquelle dispose de l'exclusivité de numérisation des reproductions photographiques de leurs oeuvres. Outre les accords d'exclusivité eux-mêmes, leurs avenants ainsi que les conditions de la négociation et les critères retenus devront faire l'objet d'une publicité dans un format électronique. À l'article 3, les députés ont également décidé que le montant des redevances serait révisé au moins tous les cinq ans. Dans un souci de transparence, ils ont enfin souhaité que leurs montants soient rendus publics (article 5).

Il convient d'avoir à l'esprit que tous les amendements, en commission et en séance publique, visant à élargir par trop le champ de la transposition, notamment en proposant des dispositifs plus souples en matière de réutilisation des données publiques, ont été écartés. Le rapporteur et le Gouvernement ont en effet pris soin d'éviter tout risque de « surtransposition » du texte européen, en application de la récente décision du Conseil constitutionnel, qui, le 13 août 2015, a amplement censuré la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne sur ce motif.

Indéniablement consensuel et strictement encadré par les obligations fixées au Parlement en matière de transposition, le projet de loi a été adopté à l'unanimité en commission des lois comme en séance publique par nos collègues députés.

Lors de sa réunion du 14 septembre, notre commission de la culture s'est saisie pour avis du projet de loi, qui sera discuté en séance publique le 26 octobre, la commission des lois, à laquelle incombe toute modification de la loi du 17 juillet 1978, étant chargée d'examiner le texte au fond.

J'ai, pour ma part, rencontré le 6 octobre le chef du service des affaires juridiques et internationales du secrétariat général du ministère de la culture et de la communication, le rapporteur général de la CADA, ainsi que les responsables des Archives nationales, de la Réunion des musées nationaux (RMN) et de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Hormis quelques points de détail que j'évoquerai dans un instant, tous se sont déclarés satisfaits de la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.

De fait, comme je vous l'indiquais en préambule, la transposition de directive que nous examinons porte sur des sujets sur lesquels la France est déjà fort avancée. En outre, les arbitrages rendus en réunions interministérielles ont conduit à sortir du texte les mesures allant au-delà de la stricte transposition - gratuité mise à part - pour les renvoyer au projet de loi pour une République numérique qui devrait être examiné en 2016.

Pour autant, ne négligeons pas l'intérêt de ce texte, qui constitue une étape supplémentaire en matière d'open data. À cet égard, l'affirmation d'un principe de gratuité, dans le respect des contraintes propres des établissements culturels, me semble être une véritable avancée, comme l'introduction des ressources culturelles dans le champ de la loi de 1978.

Le Sénat a d'ailleurs toujours fait preuve d'un intérêt certain pour ces enjeux. Récemment, la mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs et aux données publiques, présidée par Jean-Jacques Hyest avec pour rapporteure notre collègue Corinne Bouchoux, a ainsi proposé plusieurs mesures ambitieuses destinées à améliorer l'effectivité et l'exhaustivité de l'accès aux données et de leur réutilisation.

Je suis, pour ma part, convaincu des avantages de ce processus. La mise à dispositions des données représente un levier de croissance, d'innovation et d'emplois pour nos entreprises, un outil sans précédent de modernisation de l'État et des services publics et un instrument au service d'une démocratie plus transparente et collaborative.

Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale est conforme à ces objectifs. Il s'éloigne, en revanche, sur plusieurs points de la directive dont il assure la transposition en droit français. Si l'on peut approuver, par exemple, l'instauration d'un principe de gratuité pour la réutilisation des données publiques, d'autres initiatives me sont apparues moins pertinentes.

En particulier, la rédaction de l'article 1er B me semble par trop contraignante pour les collectivités territoriales, qui seraient dans l'obligation de mettre à disposition l'ensemble des documents sous forme électronique, alors que la directive en fait une simple possibilité.

De même, à l'article 2, le champ, élargi par l'Assemblée nationale, des éléments constitutifs des accords passés pour la numérisation des ressources culturelles devant être portés à la connaissance du public pose question : juridiquement, d'une part, s'agissant du respect du secret des affaires, économiquement d'autre part, en ce que cette disposition risque d'être préjudiciable au développement indispensable de ce type de partenariats.

J'envisageais donc de vous proposer de modifier le texte sur ces deux points. Mais la commission des lois, saisie au fond et réunie ce matin sur le même sujet, a prévu de porter elle-même ces deux amendements. J'en laisse, sans en prendre ombrage, la primeur à notre collègue Hugues Portelli, son rapporteur, l'essentiel étant que la rédaction issue des travaux du Sénat réponde à nos attentes.

La directive du 26 juin 2013 une fois transposée, le chantier de l'open data sera toutefois loin d'être clos. De fait, le projet de loi pour une République numérique, porté par Axelle Lemaire, devrait contenir des dispositions autrement plus ambitieuses s'agissant de l'open data, ainsi que le rappelait Clotilde Valter devant les députés. L'enjeu sera alors, mes chers collègues, de nous montrer modernes, certes, mais aussi attentifs à ce que les équilibres établis aujourd'hui soient préservés. Je pense notamment au respect du droit d'auteur.

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