Je remercie pour son accueil une commission où j'ai toujours plaisir à venir. Sans être millénariste, l'idée est bien celle-ci : répondre aux besoins objectifs de justice dans une période difficile où les citoyens ont de plus en plus besoin d'aide de l'État, et en priorité de celle de l'autorité judiciaire, mais aussi où la culture judiciaire a changé, avec la systématisation de la recherche d'une réponse judiciaire à des litiges du quotidien, autrefois traités autrement. Il faut aussi tenir compte, en l'objectivant, du malaise ressenti par les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires.
Pour la réforme pénale, nous avions rassemblé une conférence de consensus, créé un espace où des personnes de sensibilités différentes avaient travaillé sur la base d'un état des lieux partagé. Sans suivre la même méthode, car la justice civile est moins sensible, nous avons procédé avec la même rigueur. Sur la base des préconisations de groupes de travail lancés depuis deux ans, un grand débat national a été organisé au siège de l'Unesco, dont nous avons soumis le résultat aux juridictions, qui nous ont adressé 2 000 contributions ; ce texte est bien le produit d'une intelligence collective, de la réflexion de ceux qui pratiquent le droit quotidiennement.
Ces deux supports de normes législatives appartiennent au même écosystème, dans lequel des décrets en Conseil d'État et des décrets simples sont prévus. Nous avons lancé des expérimentations et vous proposons d'en généraliser certaines. Nous intégrons les nouvelles technologies, comme la dématérialisation, indispensable pour construire une justice plus proche des citoyens.
Ce n'est pas polémiquer que de dire que la réforme de 2008, quoique nécessaire, car la carte judiciaire n'avait guère changé depuis 1958, a créé des déserts judiciaires. Vous-mêmes avez témoigné au Sénat de cet éloignement. C'est pourquoi nous réimplanterons des tribunaux de grande instance (TGI), des chambres détachées et des maisons de la justice et du droit. Des greffiers seront affectés à ces dernières et y travailleront avec les délégués du Défenseur des droits.
Dès le titre Ier, nous améliorons l'accès à la justice par le maillage territorial des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD). L'expérimentation depuis 2014 des services d'accueil unique du justiciable (SAUJ) a donné de si bons résultats que j'ai lancé la deuxième vague d'expérimentation. Le justiciable peut ainsi se rendre au site le plus proche de son domicile, quel qu'il soit, pour y accomplir toute sorte de démarches judiciaires, y compris des demandes d'aide juridictionnelle. Il n'a plus à identifier le site compétent pour son besoin ; s'il est normal que l'institution soit complexe, le citoyen en besoin de justice ne devrait pas être titulaire d'un bac + 24 pour comprendre à qui s'adresser. Nous neutralisons cette complexité, de sorte qu'un litige relevant du TGI puisse être introduit auprès du conseil de prud'hommes. Cela suppose évidemment que nous formions les greffiers.
La dématérialisation permettra de relier entre elles les juridictions, notamment celles compétentes pour ces petits contentieux familiaux, de surendettement, d'expulsions locatives... Dès décembre 2015, un premier volet de l'application Portalis sera mis en place. Face à la massification de certains contentieux, nous avons décidé de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges : la conciliation devient obligatoire pour les litiges en dessous de 4 000 euros ; nous harmonisons les fonctions de médiation - formation, qualification, règles déontologiques - et allons favoriser la procédure coopérative.
Le titre II remet ainsi du lien et du dialogue dans la société : les citoyens sont souvent en mesure de trouver des solutions ensemble. Le juge n'est jamais bien loin, pour homologuer la décision si c'est nécessaire. Attentifs aux plus fragiles, qui ont du mal à se retrouver dans la constellation des juridictions sociales, entre celles qui relèvent des ministères de la santé, du travail ou de la justice, nous fusionnons les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) avec les tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI) et une partie des attributions des commissions départementales d'aide sociale (CDAS).
Le titre suivant recentre les juridictions sur leur coeur de compétence, suivant une dynamique, que vous avez validée sur les tutelles ou sur l'administration légale. Nous mettons un terme à la segmentation dans notre droit des actions de groupes, l'une ayant été créée par la loi « Consommation », l'autre par la loi « Santé ». Nous en créons une pour la lutte contre toutes les discriminations ; il y a eu un débat à l'Assemblée nationale : nous apporterons plus de sécurité juridique à ce dispositif.
Nous modifierons l'organisation du travail dans les juridictions ainsi que les missions et statuts, en particulier des greffiers. Le greffier assistant de magistrat, suscite une telle demande que nous avons dû lancer la deuxième vague d'expérimentation, pour laquelle nous avons pris des dispositions en termes de création de postes. Nous équipons les magistrats du ministère public et certains magistrats du siège de tablettes et de téléphones portables ; nous en distribuerons 4 000 l'année prochaine, le parquet étant prioritaire en raison de contraintes plus fortes. Le système autocom optimisant le traitement en temps réel a été audité par l'inspection générale des services judiciaires. Nous avons développé des applications informatiques qui méritent d'être généralisés.
Le projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société comprend notamment la fin de la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. L'impartialité requiert des conditions objectives ; l'indépendance dépend des conditions de nomination ou du régime disciplinaire ; les deux doivent aussi se donner à voir. L'indépendance s'entend par rapport à soi-même : préjugés, réseaux, appartenances sociales peuvent influencer une décision. Cette indépendance doit être garantie par le comportement des magistrats eux-mêmes. Il faut donc supprimer les liens entre magistrature et exécutif.
Nous créons une fonction spécialisée de juge des libertés et de la détention (JLD), ce garant des libertés, avec une formation spécifique, des conditions particulières de nomination et de remplacement. Nous introduisons la notion de conflit d'intérêts avec un entretien déontologique et une déclaration de patrimoine pour les hauts magistrats.