Plusieurs d’entre nous le constatent au quotidien : nous avons un déficit de matière grise, de personnels qualifiés, capables de porter ces projets du début à la fin. De plus, nous faisons souvent face à une réticence, sinon à un refus, dès lors que l’on parle des frais de fonctionnement à des communes ou des communautés de communes.
Pourtant, rien ne peut se faire sans le soutien de personnes d’expérience, surtout lorsque des dossiers impliquent des entreprises privées et de l’activité économique. Cela entre forcément dans le champ de la concurrence et de l’économie marchande et exige une technicité de niveau supérieur.
Deuxièmement, ces dossiers sont souvent portés par des intercommunalités dont la surface financière est beaucoup trop faible par rapport aux montants engagés dans le projet, ce qui pose des problèmes de trésorerie en attendant le versement des subventions. Dans le cas que j’ai évoqué, deux communautés de communes rurales, Maroilles et les Deux-Helpes, avaient monté le projet.
Comment faire pour que plusieurs communautés de communes puissent se réunir sur un même projet économique et le soutenir ?
En la matière, on sait les difficultés institutionnelles, et ne parlons pas des délibérations en attente de l’une ou de l’autre intercommunalité avant d’arriver au même objectif. Ce sont donc des éléments sur lesquels je vous invite à réfléchir, mes chers collègues. C’est pourquoi on ne peut engager ces actions que s’il y a un franc soutien des départements et des régions.
Il faut impliquer beaucoup plus en amont les conseils généraux et les conseils régionaux afin d’obtenir leur appui en matière de financement et peut-être même d’ingénierie. Les collectivités territoriales ne peuvent pas être considérées comme de simples distributeurs de subventions. En effet, même si des réticences existaient au départ, car on considérait que l’État lançait les projets, il s’agit en réalité de projets d’intérêt général sur l’initiative de l’État et des communes.
Troisièmement, nous n’avons pas, en France, une longue tradition de culture partenariale entre le privé et le public. Il existe même un climat de méfiance réciproque entre ces secteurs. Il faut évacuer ce problème qui est sans doute d’ordre culturel.
Il faut également s’assurer de la validité de la pertinence du projet économique dans un monde de concurrence exacerbée, trouver de bons techniciens de fabrication, de bons commerciaux et consolider la niche de production. Dans le cas présent, je pense à l’agroalimentaire bio.
Il ne s’agit pas d’une tâche facile. Elle demande du temps. La période de décollage économique exige à la fois du savoir-faire, de la précision, des fonds de trésorerie en attendant que les résultats commerciaux s’affirment au fil des semaines. Sans doute faut-il un peu plus de rigueur et des études de marché un peu plus approfondies.
Voilà les quelques réflexions, qui ne se veulent pas défaitistes, que je voulais faire. Avant tout, je pense qu’il faut pouvoir tirer les leçons des expériences qui ont échoué. Peut-être faut-il promouvoir des projets plus simples, plus basiques, sans risques inconsidérés comme les relais de services publics en zone rurale. La mutualisation des services publics est en effet une chose souhaitable de même que la création de maisons médicales pour répondre à la désertification de certains secteurs.
L’idée de pôles d’excellence rurale doit être approfondie afin de créer une véritable dynamique rassemblant tous les partenaires d’un même territoire. À cet égard, il y a des pistes de réflexion intéressante dans le cadre du Grenelle. Ainsi, je suis persuadé que l’on peut faire émerger des projets territoriaux autour des économies d’énergie, des projets d’énergie renouvelable comme la biomasse ou le bois déchiqueté, que nous avons mis en place dans le parc naturel régional de l’Avesnois. Ces projets peuvent avoir des effets positifs en termes environnementaux – je pense au maintien des haies – et de créations d’emplois.
Pour cela, il faut une expression politique forte. Peut-être est-il également nécessaire de se demander comment mieux définir les conditions du développement local en milieu rural. Nous sommes en effet passés d’une politique qui visait à l’égalité des territoires et à la cohésion territoriale – c’est la période de la DATAR – à une politique de mobilisation des territoires comme facteur de croissance, au risque d’augmenter les déséquilibres.
Peut-on dans une même politique viser à la fois l’efficacité avec une concentration spatiale de la production et l’égalité avec la répartition des revenus ? C’est bien la question de fond qui nous est posée. Prenons donc garde que le développement ait bien lieu dans l’ensemble des régions, surtout les plus déshéritées !
Pour terminer, je voudrais aborder une question qui m’interpelle de plus en plus, celle des régions rurales périurbaines. Celles-ci connaissent aujourd’hui une forte augmentation de leur population et évoluent vers une économie purement résidentielle, peu productive, sans mixité sociale. Cela peut apparaître comme une espèce de ségrégation où la production se ferait dans des secteurs donnés, souvent urbains d’ailleurs.
Certains de ces territoires ont des problèmes sociaux difficiles à gérer ; d’autres, plus résidentiels, ont la chance d’avoir des revenus importants et donc la possibilité de pouvoir faire vivre ces régions à travers des échanges commerciaux. Cela conduit parfois, surtout lorsque la taxe professionnelle devient une taxe professionnelle unique ou lorsqu’on parle de la supprimer, à vouloir rester entre soi et à refuser qu’une entreprise ou une usine s’installe.
Cette évolution me paraît dangereuse pour la cohésion territoriale et sociale de notre pays. Hélas ! tel est le constat que je fais dans mon secteur. Prenons-y garde, car la dissociation entre la production et le revenu par habitant, qui peut être élevé, tend à accroître les différences territoriales de façon extrêmement importante. Je pense qu’il s’agit là d’un sujet de fond auquel il faudra réfléchir dans les années à venir.
Quoi qu’il en soit, je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques pour l’organisation de ce débat. Il nous permet de faire un point d’étape sur des projets qui méritent une attention particulière. Ces projets sont tellement porteurs d’espoir qu’il faudra les affiner, les approfondir et assurer leur succès pour demain. C’est l’avenir des zones rurales qui en dépend.