Intervention de Samia Ghali

Réunion du 23 juin 2009 à 15h00
Protection de l'enfance — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Samia GhaliSamia Ghali :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire l’importance particulière que revêt à mes yeux l’exercice du contrôle parlementaire. Si ce pouvoir est moins médiatisé et moins connu de nos concitoyens, il est pourtant essentiel à la bonne vie de notre démocratie, tant il est vrai que le crédit accordé à notre action dépend d’abord de l’efficacité réelle des lois que nous votons.

La culture de l’évaluation se répand et se normalise. Il était grand temps !

La loi réformant la protection de l’enfance a été promulguée depuis plus de deux ans. Il est donc parfaitement naturel d’en contrôler aujourd’hui les effets.

Dans son intervention, ma collègue Claire-Lise Campion a dit l’essentiel : les espoirs sont déçus ; les engagements n’ont pas été tenus ; les financements manquent.

Cette loi, comme d’autres d’ailleurs, est pleine de bonnes intentions et comporte d’excellentes dispositions. Ma collègue l’a rappelé : elle est considérée comme un bon texte et, pour en avoir discuté avec les parlementaires présents à l’époque, il semble que son élaboration ait été un exemple de l’excellence du travail administratif et parlementaire.

À chaque étape de son élaboration, le projet de loi a fait l’objet d’une large concertation avec les services de l’État, les élus, les associations et les professionnels. Le fameux Appel des 100 pour le renouveau de la protection de l’enfance avait été entendu par le ministre de l’époque, Philippe Bas.

Précédée d’un vrai débat national, qui avait regroupé les plus éminentes personnalités, des élus nationaux et locaux de tous bords politiques, ainsi que les associations nationales intervenant pour la protection de l’enfance, la réflexion gouvernementale et parlementaire avait été largement nourrie.

Le texte accorde une large place à la prévention la plus précoce, d’abord en direction des parents. Il institue, par exemple, un entretien au cours du quatrième mois de grossesse, pour identifier d’éventuelles difficultés d’ordre psychosocial pouvant compromettre l’accueil de l’enfant, et offre une aide en conséquence. Il prévoit également d’accompagner les parents confrontés à des difficultés dans l’éducation de leurs enfants, que ce soit par le biais des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, ou par des aides proposées au domicile même, comme l’assistance de techniciennes de l’intervention sociale et familiale.

Ensuite, pour ce qui est de l’enfant, la loi introduit des temps de visite médicale obligatoire dans le cadre de la médecine scolaire, afin d’assurer un suivi systématique de l’enfant tous les trois ans, de sa quatrième à sa seizième année.

Tout cela est excellent, madame la secrétaire d’État. Le discours a bien été tenu, la loi votée, le texte promulgué, mais l’application est restée très partielle et lacunaire.

Comme d’aucuns l’ont rappelé, bon nombre de décrets demeurent toujours en attente : c’est le cas de celui qui est prévu à l’article 1er de la loi, qui doit préciser le contenu de l’examen médical de prévention et de dépistage accompagnant les visites médicales programmées au cours des sixième, neuvième, douzième et quinzième années de l’enfant ; de celui qui est mentionné à l’article 24, qui doit fixer les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés des lieux de vie et d’accueil ; de celui qui figure à l’article 25, qui doit préciser les conditions de la formation initiale et continue dans le domaine de la protection de l’enfance en danger ; de ceux qui sont prévus à l’article 27, qui doivent, d’une part, définir les modalités de compensation des charges résultant pour les départements de la mise en œuvre de la présente loi par le Fonds national de financement de la protection de l’enfance et, d’autre part, déterminer les modalités de financement de la protection de l’enfance par un comité de gestion ; enfin, de celui qui est prévu à l’article 3l concernant le code du travail.

Vous comprendrez bien, madame la secrétaire d’État, que, pour les parlementaires, c’est à la fois une terrible frustration, car leur travail est resté sans effet, et un très grand regret, car ils espéraient de ce texte qu’il contrebalancerait le volet exclusivement répressif de la politique sécuritaire menée depuis 2002 par le Gouvernement de Jacques Chirac et son ministre de l’intérieur de l’époque, M. Nicolas Sarkozy.

La délinquance des mineurs est en effet devenue une récurrence politique, médiatique et électorale. Le temps passe vite : cela fait plus de huit ans que le Président de la République porte la responsabilité des résultats en matière de prévention de la délinquance des mineurs.

On trouve, d’un côté, une loi sur la prévention, dont les décrets d’application tardent à paraître et, de l’autre, une accumulation de textes : 9 septembre 2002, vote de la loi Perben I ; 18 mars 2003, vote de la loi pour la sécurité intérieure ; 5 décembre 2006, vote de la loi sur la prévention de la délinquance ; 26 juillet 2007, vote de la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et réformant l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. On notera également que, le 15 avril 2008, Rachida Dati, garde des sceaux, a installé la commission chargée de refondre l’ordonnance de 1945 sur les mineurs.

Au milieu de cette avalanche de textes et d’annonces figure donc la loi réformant la protection de l’enfance. Croyez bien que ce texte a été vécu par tous les professionnels, qui désespèrent du tout répressif, comme une bouée de sauvetage, notamment au regard des préconisations du rapport Benisti, qui a si largement inspiré la loi relative à la prévention de la délinquance.

Devant ces faits et ce déséquilibre patent entre les moyens donnés à la répression et ceux qui sont réservés à la prévention, comment voulez-vous ne pas en conclure que le Gouvernement mène une politique exclusivement répressive ?

Que les choses soient bien claires : je suis favorable à la sanction ; je sais comment la délinquance pourrit littéralement la vie de nos concitoyens ; je sais que la délinquance juvénile change de forme et progresse, comme la délinquance en général.

Mais je sais aussi que la délinquance se nourrit d’un terreau fertile, celui de la misère sociale et de la désespérance. Loin de moi l’idée d’excuser les coupables, qui doivent être sanctionnés. Mais quel est cet état d’esprit borné qui ne veut considérer que la réponse répressive ?

La jeunesse française n’est pas plus délinquante qu’auparavant ; elle est juste sans espoir, sans avenir et sans rêve.

Madame la secrétaire d’État, la question sociale est déterminante. Mais, en tant qu’adultes, nous sommes si mal à l’aise avec cette question et tellement incapables de prendre la situation à bras-le-corps que nous en venons à nier celle-ci.

C’est ce que vous avez fait avec le rapport Benisti et l’étude de l’INSERM, qui préconisaient, comme solution à la délinquance des mineurs, de rechercher chez l’enfant, dès l’âge de trois ou quatre ans, les signes d’une délinquance future… On a confondu facteur de risque et causalité ; on a privilégié l’inné au détriment de l’acquis : environnement social, culturel, éducatif, etc.

La loi réformant la protection de l’enfance, qui se situe aux antipodes des a priori idéologiques et du rapport Benisti, doit enfin trouver sa place et commencer à s’appliquer

Nos populations en ont besoin. Les professionnels, loin des caméras et des campagnes électorales, luttent contre la délinquance des mineurs. C’est à eux que nous devons penser aujourd’hui. Le plus bel hommage que nous pouvons leur rendre, c’est de leur donner les moyens de travailler.

Le Gouvernement doit donc publier les décrets attendus et tenir ses engagements financiers !

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