Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2007, lorsque le Sénat examinait en seconde lecture ce qui n’était alors que le projet de loi réformant la protection de l’enfance, le groupe communiste, républicain et citoyen s’abstenait. Je ne reviendrai pas ici sur les raisons qui nous ont conduits à faire ce choix, et je ne rouvrirai pas non plus le débat que nous avons eu alors.
Toutefois, la question posée par notre collègue Claire-Lise Campion devrait nous inviter, devrait vous inviter, madame la secrétaire d'État, à faire œuvre d’autocritique sur une loi qui, en raison des faiblesses que nous avions, comme toute l’opposition, dénoncées, est partiellement inapplicable.
Ce texte, qui visait à réformer la protection de l’enfance et qui s’inscrivait dans la suite de plusieurs affaires judiciaires douloureuses – celles d’Angers, de Drancy ou d’Outreau –, avait fait l’objet d’un assez large consensus, auquel nous avions participé en faisant le choix de l’abstention.
De nombreux espoirs étaient nés, au point que même les signataires de l’Appel des 100 pour le renouveau de la protection de l’enfance, bien que parfois critiques, soutenaient ce projet de loi.
Plus de deux ans après, l’espoir a fait place à la déception. En effet, le comité de suivi de la protection de l’enfance ne s’est réuni, à ce jour, qu’à une seule occasion alors que, de toute évidence, la situation de blocage que nous connaissons aujourd’hui aurait nécessité que ce collectif se réunît de manière plus régulière.
Quant au financement des mesures induites par cette loi, ce sont les départements qui devront, une nouvelle fois, apporter leur contribution. Ils ont vu le champ de leurs compétences s’étendre, alors qu’ils sont déjà très sollicités par ailleurs et très actifs en matière de solidarité ou de lutte contre la pauvreté.
Le désengagement de l’État devait initialement peser pour 115 millions d’euros, 30 millions d’euros devant provenir de la CNAF.
Aujourd’hui, la situation est d’autant plus grave que le Fonds national de financement de la protection de la petite enfance, prévu par l’article 27 de la loi du 5 mars 2007, n’est toujours pas créé.
Paradoxalement, la CNAF, qui s’est vu imposer, à hauteur de 30 millions d’euros, une partie du financement des mesures nouvelles issues de cette loi, en lieu et place de l’État, a bien respecté ses obligations, en tout cas partiellement puisque, en l’absence d’affectation possible, ces crédits ont été répartis sur d’autres lignes budgétaires. Reste à savoir lesquelles et, sur ce point, nous sommes dans la plus complète opacité.
Le désengagement de l’État est double : lorsqu’il ne se décharge pas de ses obligations sur les départements, il le fait sur la protection sociale. Toutefois, en l’absence de ce fonds, les départements devront assumer une dépense non plus de 115 millions d’euros, mais de 150 millions d’euros.
Cette situation, madame la secrétaire d'État, alarme de nombreux présidents de conseil général, y compris au sein de la majorité, puisque notre collègue Bernard Fournier, du groupe UMP, par ailleurs vice-président du conseil général de la Loire, vous a adressé, le 4 juin, une question écrite sur la création de ce fonds. Je reprends à mon compte ses propres mots : « Or deux ans après son entrée en vigueur, le décret instituant ce dispositif n’a toujours pas été publié. Aujourd’hui, cette situation crée de graves difficultés financières pour de nombreux conseils généraux dont les budgets sont déjà très lourdement impactés par l’action sociale ».
Les conséquences, madame la secrétaire d'État, étaient malheureusement prévisibles. En 2007, déjà, nous mettions en garde le Gouvernement contre l’un des écueils de ce projet de loi, à savoir un transfert aux départements dans un seul souci économique. Aujourd’hui, force est de constater qu’il manque à cette loi, notamment dans son volet financement, la réaffirmation du rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement des familles et des enfants sur tout le territoire et d’assurer la cohérence du système.
En lieu et place de cette exigence, vous avez laissé les départements seuls face à cette nouvelle compétence.
Cette conception de la décentralisation, nous ne le répéterons jamais assez, joue contre les intérêts des populations les plus faibles, puisqu’elle repose sur une réalité bien connue : le traitement différencié en fonction de la richesse des départements.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le récent rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, rendu public le 10 janvier dernier, et qui montre que, deux ans après l’adoption de la loi, seuls quarante départements sur les cent deux que compte notre pays ont mis en place un dispositif de « centralisation des informations préoccupantes ».
Une telle situation, tout le monde en conviendra ici, n’est pas sans relation avec le manque de ressources financières, aspect que j’ai déjà largement abordé.
Pour conclure, concernant la création du fonds de financement, je voudrais une nouvelle fois faire miens les propos d’un membre de votre majorité, madame la secrétaire d'État, très au fait de ce projet de loi pour avoir été le ministre qui l’a porté ici même au Sénat, M. Philippe Bas : « Il faut absolument qu’il soit mis en place si l’on ne veut pas que des enfants continuent à souffrir en silence sans que l’on s’en aperçoive. Je suis certain que la protection de l’enfance est une priorité de Mme Nadine Morano, mais je suis inquiet, car je constate que l’effort de redressement de la médecine scolaire n’est pas suffisant, que les réseaux d’écoute et d’aide à la parentalité ont vu leur budget diminuer de moitié ». Et il ajoute, ce à quoi je ne peux que souscrire : « On ne peut pas mettre les départements devant le fait accompli en leur disant : “occupez-vous en maintenant !” ».
Alors, madame la secrétaire d'État, au regard des importantes critiques, y compris de celles qu’ont récemment formulées Claude Roméo, ancien directeur de l’enfance et de la famille, et Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny – je n’entrerai pas dans le détail, faute de temps –, vous comprendrez que je vous invite à agir, et vite !
Il serait utile que vous nous précisiez quand sera créé ce fonds national et comment vous entendez l’abonder : en période de crise économique, la nation doit nécessairement accomplir des efforts en direction des populations les plus faibles.
Cette question est d’autant plus importante que la crise, qui prend notamment la forme d’une explosion du chômage, a pour conséquence une importante diminution des cotisations sociales alimentant la branche famille, laquelle renouera prochainement avec les déficits.
Madame la secrétaire d'État, je le répète, il est urgent d’agir. L’année 2009 n’est pas seulement celle de la célébration du vingtième anniversaire de l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant ; elle est également une année de crise majeure.
Il ne suffit plus de dire que la protection de l’enfance est la priorité du Gouvernement. Si vous ne voulez pas qu’explose le nombre des enfants actuellement pris en charge, qui est déjà de 270 000, si vous ne voulez pas que d’autres ne reçoivent aucune aide parce qu’ils résident dans un département qui, faute de ressources, n’a pas créé de cellule, il vous faut agir en créant ce fonds, en l’abondant directement par des dotations gouvernementales, sans attendre un éventuel financement dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.