Intervention de Jean-Marie Le Guen

Réunion du 21 octobre 2015 à 14h30
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre — Discussion d'une proposition de loi

Jean-Marie Le Guen :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un drame qui nous a fait prendre conscience de l’ampleur du chemin à parcourir sur le front de la responsabilité sociétale des entreprises, la RSE.

Oui, il aura fallu un drame pour nous rappeler à nos responsabilités ; pour nous rappeler que ce que nous percevons aujourd’hui comme un acte banal, l’achat de nos vêtements par exemple, masque en fait une réalité bien plus sombre, celle d’une filière, le textile-habillement, au sein des chaînes de production et des champs de coton, dans les pays où s’approvisionnent les grands donneurs d’ordre et les importateurs.

D’autres chaînes d’approvisionnement, comme la téléphonie mobile, sont également concernées.

Ce drame qui nous oblige collectivement, c’est celui du Rana Plaza, immeuble dont l’effondrement, survenu au mois d’avril 2013, a causé 1 200 morts et 2 500 blessés ; les travailleurs concernés sont en grande majorité des femmes.

Vous le savez, le Gouvernement français a réagi dès le lendemain de cette tragédie, notamment en saisissant son point de contact national, ou PCN, pour faire la lumière sur les responsabilités, en réalité partagées entre les donneurs d’ordre, les fournisseurs, les autorités locales étrangères, et même le consommateur final.

Le PCN a proposé des solutions inspirées des principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, à l’intention des entreprises multinationales. Il a, en particulier, suggéré des mesures de diligence raisonnable pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.

Le rapport remis par le PCN à Nicole Bricq – je la salue –, alors ministre du commerce extérieur, quoique publié en décembre 2013, reste d’actualité.

Au lendemain de cette tragédie, les acteurs de la société civile se sont fortement mobilisés. Nous les en remercions vivement, car ils jouent un rôle essentiel d’aiguillon des pouvoirs publics. Ils nous permettent de progresser ensemble vers une mondialisation mieux régulée, vers des comportements d’entreprises responsables, soucieuses de l’incidence de leur activité sur les droits humains et sur l’environnement.

Aujourd’hui, la France est à la pointe en matière de responsabilité sociétale des entreprises. À ce titre, la plateforme RSE joue un rôle essentiel de dialogue et de concertation en associant l’ensemble des acteurs concernés à l’échelon national. En outre, dans le secteur privé, les entreprises françaises réalisent de très bonnes performances en matière de RSE, comme le prouvent des études récentes.

Forte de ce rôle d’avant-garde, la France s’emploie à promouvoir la responsabilité sociétale des entreprises. Le rôle précurseur qu’elle a pu jouer aux plans européen et international pour la transparence en matière de RSE, grâce à la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, puis à la loi dite « Grenelle II » de 2010, l’a montré sans ambiguïté.

La France a également apporté une contribution décisive à l’adoption par l’Union européenne, le 22 octobre 2014, de la directive relative au reporting non financier. Ce document fixe pour la première fois un cadre de transparence RSE à l’échelon européen. Il prévoit en particulier une transparence pour les procédures de vigilance instaurées par les grandes entreprises européennes au sein de leur chaîne de production.

De surcroît, notre pays a œuvré très activement pour l’adoption, le 26 juin 2014, de la première déclaration ministérielle sur la conduite responsable des entreprises multinationales, à l’occasion du forum mondial consacré à la RSE.

Enfin, le G7 a fait des enjeux sociaux et environnementaux dans les chaînes d’approvisionnement mondiales l’une de ses priorités. La France a joué un rôle on ne peut plus actif dans la promotion de cet agenda, qui permet de poursuivre nos efforts.

C’est dans cette démarche d’exemplarité française en matière de RSE qu’il convient d’inscrire l’examen de la proposition de loi soumise aujourd’hui au Sénat.

Le Gouvernement est favorable à l’instauration d’un devoir de vigilance permettant d’améliorer la détection et la prévention des risques liés à l’activité des grandes entreprises multinationales, en amont de tout dommage.

La proposition de loi initiale relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, déposée à la fin de l’année 2013 par Dominique Potier et Danielle Auroi, avait permis, au lendemain du drame du Rana Plaza, de faire écho à la mobilisation de la société civile et de démontrer la détermination du Parlement à renforcer la responsabilité sociale des entreprises multinationales.

Le Gouvernement partage pleinement l’objectif d’une vigilance renforcée dans les chaînes d’approvisionnement, en particulier auprès des sous-traitants, afin d’identifier les risques et de prévenir les accidents.

Toutefois, la proposition de loi initiale soulevait de très sérieuses difficultés juridiques, notamment en matière de compatibilité avec les principes du droit de la responsabilité et les règles du droit international privé.

À cet égard, et même si certains aspects de sa rédaction pourraient sans doute être améliorés dans l’esprit du texte, la nouvelle proposition de loi, déposée par Bruno Le Roux, Dominique Potier et d’autres députés, qui vise précisément à résoudre les difficultés juridiques soulevées par le texte initial, offre une réelle occasion de progresser en la matière.

Le Gouvernement a donc soutenu cette proposition de loi ambitieuse et équilibrée lors de son examen en première lecture à l’Assemblée nationale.

Le texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 mars dernier et qui vous est aujourd’hui présenté, mesdames, messieurs les sénateurs, impose aux grandes entreprises, celles dont les effectifs sont supérieurs à 5 000 salariés en France ou à 10 000 à l’échelle mondiale, d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance.

Ces seuils permettent de cibler l’obligation sur les grandes entreprises, qui, en raison de leur taille, sont susceptibles de disposer d’une chaîne d’approvisionnement particulièrement vaste et de mener des activités nombreuses et variées dans plusieurs pays du monde. Ces sociétés sont également capables de se doter d’outils de suivi et de contrôle plus perfectionnés que de plus petites entreprises, lesquelles ne sont donc pas concernées par cette proposition de loi.

Le plan de vigilance devra comporter des mesures de vigilance dite « raisonnable », permettant d’identifier et de prévenir un certain nombre de risques : les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires, ou encore les comportements de corruption.

Les activités de la société, mais également des sociétés qu’elle contrôle, de ses sous-traitants et de ses fournisseurs seront concernées.

En cas de non-respect de cette obligation de vigilance, la justice, saisie par une personne ayant un intérêt à agir, pourra enjoindre à l’entreprise de se conformer aux exigences de la loi.

Ce texte permettra d’exiger des grandes entreprises, en tout cas de celles qui n’en auraient pas déjà engagé volontairement, des actions concrètes de vigilance. D’autre part, grâce à cette proposition de loi, les comportements les plus vertueux en matière de RSE pourront être mis en valeur.

Je tiens à le souligner, ce texte contient déjà un certain nombre d’éléments susceptibles d’assurer un bon niveau de sécurité juridique et de prévisibilité aux entreprises.

Tout d’abord, les modalités du plan de vigilance mentionné à l’article 1er seront précisées par décret en Conseil d’État, ce qui permettra de définir précisément les obligations auxquelles seront soumises les entreprises entrant dans le champ de la loi. Par ailleurs, le contenu du plan de vigilance fera référence aux nombreux travaux internationaux réalisés et reconnus.

Ensuite, le régime de responsabilité prévu à l’article 2 est clair et déjà connu des entreprises. En particulier, il exclut toute présomption de faute ; l’objectif poursuivi par les auteurs de cette proposition de loi est en effet avant tout l’amélioration de la prévention.

L’examen de ce texte s’inscrit, en outre, dans le contexte de la transposition, qui doit intervenir avant le mois de décembre 2016, de la directive du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

Cette directive, dite « RSE », prévoit notamment que les entreprises concernées présentent une déclaration non financière, comprenant en particulier les procédures de diligence raisonnable mises en œuvre. Le Gouvernement va procéder aux travaux préalables et à des consultations pour la bonne prise en compte des nouvelles obligations résultant de cette directive.

Le présent texte constitue ainsi une avancée, à la fois ambitieuse et raisonnée, pour maintenir la France au premier plan en matière de responsabilité sociétale des entreprises, sans nuire à la compétitivité de celles-ci.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a l’intention non pas d’isoler notre pays par rapport à l’action commune de l’Union européenne, mais, tout simplement, d’adresser un signal de mobilisation en interpellant la Commission, mais aussi tous les acteurs économiques et sociaux concernés par les propositions contenues dans ce texte.

Une prise de conscience est nécessaire. Pour partie déjà réalisée, elle doit se poursuivre. Ainsi, dans le cadre de la directive telle qu’elle devra être mise en œuvre et transposée dans notre droit national avant le mois de décembre 2016, nous disposerons de structures positives et dynamiques, afin que la qualité, le respect et l’éthique des entreprises françaises et européennes soient considérés aux meilleurs standards.

Cela ne pourra que profiter à nos entreprises et non leur nuire

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion