Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai souhaité profiter de ce débat sur la protection de l’enfance pour évoquer la situation dramatique dans laquelle se trouvent les mineurs isolés étrangers.
Ces mineurs arrivent en France, parfois au péril de leur vie, pour demander une protection en raison de persécutions subies dans leur pays ou pour d’autres raisons tout aussi légitimes, comme un regroupement familial tant espéré, mais qui leur est refusé pour différents motifs…
Déracinés, seuls, livrés à eux-mêmes, proies faciles à toutes les formes d’abus, de violence et d’exploitation, les mécanismes de la protection de l’enfance devraient impérativement s’étendre aux mineurs isolés. Il s’agit là d’un impératif moral catégorique. Toutefois, c’est loin d’être le cas ! En effet, la plupart de ces mineurs n’ont pas accès au dispositif de droit commun de protection et de représentation juridique. On retrouve une grande partie d’entre eux dans les zones d’attente de l’aéroport de Roissy–Charles-de-Gaulle ou dans les Bouches-du-Rhône, où ils sont retenus dans l’attente, par exemple, de leur admission sur le territoire français au titre de l’asile ou, malheureusement, de leur refoulement éventuel.
Nous sommes en France, dans une zone aéroportuaire, et pourtant ces enfants ne bénéficient pas d’un traitement conforme aux engagements internationaux de la France ; un enfant n’est pas un adulte, il ne peut être traité de la même manière. Or, dans les zones d’attente, les mineurs de treize à dix-huit ans se retrouvent perdus au milieu d’adultes.
J’estime que le maintien en zone d’attente d’un mineur constitue, en soi, une mise en danger de celui-ci ; rien ne peut le justifier ! C’est une situation inadmissible, et contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France, je vous le rappelle, madame la secrétaire d’État, est signataire.
La création prévue de quartiers pour mineurs isolés ne suffit pas : il faut, avant même l’admission au séjour de l’enfant, mettre tout en œuvre pour organiser une protection effective, associant à ce stade les services d’aide à l’enfance et le juge pour enfant.
J’en viens à une deuxième grande injustice que subissent ces mineurs et qui concerne les conditions d’accompagnement et la présence d’un administrateur ad hoc. Est-il concevable que ces mineurs isolés ne bénéficient pas systématiquement d’un représentant légal désigné ?
Selon une étude de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, l’ANAFÉ, l’administrateur ad hoc n’est nommé que dans 70 % des cas. On nous dit que ce taux atteint actuellement près de 90 %. Mais qu’en est-il pour les autres ? En effet, l’enfant qui n’est pas représenté ne peut pas faire valoir ses droits : il n’a pas la capacité juridique ; il ne peut pas faire appel des décisions de refus devant la Cour nationale du droit d’asile. Il s’agit là d’un déni de justice intolérable, d’autant qu’il s’agit d’un enfant isolé, qui, parfois, ne parle pas notre langue ou ne la comprend pas.
Tout mineur isolé se présentant à la frontière devrait bénéficier d’une protection juridique complète. Nous ne pouvons pas attendre la fin de l’année 2010, comme l’a promis le ministre de l’immigration, M. Besson. C’est aujourd’hui qu’il convient de remédier à cette pénurie ! Une telle situation constitue, je le répète, une violation flagrante et continue de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies. D’ailleurs, le comité des experts sur les droits de l’enfant vient de le rappeler dans un rapport rendu public le 11 juin.
La politique d’immigration mise en œuvre depuis deux ans, plus soucieuse de chiffres que d’humanité, est la première cause de privation des droits fondamentaux des mineurs étrangers. Ces derniers doivent d’abord être considérés comme des enfants, avant d’être traités comme des étrangers. À ce titre, ils doivent bénéficier d’une protection spécifique, commandée par leur particulière vulnérabilité et leur situation d’isolement.
J’en viens enfin à une troisième injustice : le recours aux tests osseux pour dénier à ces enfants le droit à une protection au titre de l’enfance. On compare une radiographie des os du mineur aux données d’un manuel datant des années trente, établi sur une population blanche et européenne, et on décide qu’il est majeur. C’est inacceptable !
Voilà comment s’organise le refus de protection des mineurs en danger, sans autre forme de procès. Finalement, les mineurs sont souvent refoulés avant même d’avoir vu le juge des libertés ; ils sont livrés à eux-mêmes, sans contrôle juridictionnel et sans garanties sur leur devenir. La politique de contrôle des flux migratoires l’emporte sur la mise en œuvre d’une véritable politique de protection de l’enfance et de lutte contre les réseaux clandestins organisant l’arrivée de ces mineurs.
Je me félicite, bien entendu, de la mise en place par le ministre de l’immigration d’un groupe de travail sur les mineurs isolés. Je souhaite d’ailleurs que ce groupe de travail puisse arriver à des conclusions permettant une meilleure protection de l’enfant.
Permettez-moi de vous proposer trois avancées fondamentales, qui sont demandées par des associations comme l’ANAFÉ.
D’abord, nous devons inscrire dans notre droit le principe de non-refoulement du mineur non accompagné.
Ensuite, il convient de revenir sur la pratique des tests osseux, dont la fiabilité est douteuse, et qui constitue aujourd’hui un outil privilégié pour refuser au mineur toute protection.
Enfin, il est impératif de construire un régime juridique spécifique pour les mineurs isolés, dans lequel les principes du code de l’action sociale et des familles devront prévaloir sur celui du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, je vous l’ai dit, un mineur est un enfant avant d’être un étranger.
Il est absolument nécessaire que les mineurs bénéficient, dans la zone d’attente, d’une protection effective issue de la loi du 5 mars 2007 et d’une véritable assistance juridique, médicale et humanitaire, car il existe aujourd’hui un écart important entre le texte et son application. Madame la secrétaire d’État, comment expliquez-vous un tel écart ? De quelle façon y remédier ?
Il est urgent de considérer les mineurs étrangers avant tout comme des enfants en danger, qui méritent une prise en charge automatique et en urgence, suivie d’un accompagnement juridique et social jusqu’à leur majorité.
Ce n’est qu’à ce prix que l’on verra naître une protection internationale de l’enfance, où le respect de l’intégrité et de la dignité l’emportera sur les logiques de gestion de flux migratoires et de rationalisation de l’aide juridique aux étrangers.